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Abolir le système prostitutionnel

3 avril 2014, 23:23, par Thomas Coutrot

Cette résolution ne me convainc pas, même si deux débats approfondis au CA d’Attac ont permis de l’améliorer substantiellement par rapport à la version initiale.

Elle ne rend pas compte de la diversité des situations de prostitution, les englobant toutes de manière idéologique sous le nom fourre-tout de "système prostitutionnel".

Elle ne rend pas compte non plus du fait qu’au nom de l’abolition, dans le camp de laquelle on veut ranger Attac, le Parlement est en train de voter une loi pénalisant les clients, qui est soutenue par une coalition Abolition 2012 mais combattue par une coalition tout aussi importante (Droits et Prostitution) d’associations féministes, d’assos de prostituées et d’assos de lutte contre le sida. Cette résolution tranche un débat qui divise profondément le mouvement féministe, avec des arguments biaisés et unilatéraux.

Comme l’écrit Carine Favier du Planning Familial, "les prises de parole publiques de certaines prostituées affirmant que leur vie n’est pas faite que de malheur sont discréditées au motif qu’elles sont « atypiques ». Ce faisant, des féministes semblent reproduire ce contre quoi elles ont toujours lutté, seraient-elles devenues les ’dominantes’ qui énoncent pour les autres, sans se soucier d’eux ? Présenter toutes les femmes prostituées comme des victimes sans capacité d’initiative renforce les préjugés de genre sur la passivité des femmes et leur incapacité à s’émanciper.

Le mouvement féministe s’est mobilisé dans les années 1975 pour dénoncer la stigmatisation des personnes qui se prostituent et pour l’amélioration de leur situation, Pourquoi ce mouvement féministe s’est-il progressivement désolidarisé des prostituées depuis les trente dernières années, avec une totale absence de solidarité lors de la loi de 2003 ?

La mise en exergue des situations les plus extrêmes développe une vision misérabiliste de « femmes victimes », réduites au seul acte de prostitution et qu’il faut protéger. Cette vision nie les compétences des personnes, qui malgré les difficultés, mettent en œuvre des stratégies face aux violences par exemple (de l’évitement à la dissuasion ou la protection).

La revendication du "libre choix" ne rend pas davantage compte des réalités tant elle concerne un nombre limité de personnes. Comme le souligne Lilian Mathieu « Les discours sur la prostitution échappent rarement à un écueil courant lorsqu’on parle de groupes dominés : l’essentialisation. La parole n’est jamais donnée aux premières et premiers concerné-e-s, au contraire est posé sur eux un regard empreint d’idéologie, duquel ressort une image déformée mais conforme aux attentes des groupes qui ont la parole. Les abolitionnistes ne voient que des victimes aliénées quand les réglementaristes voient des travailleuses libres et affranchies », niant dans les deux cas la diversité des situations des personnes qui se prostituent."

Attac n’a aucune raison de se ranger dans l’un de ces deux camps, dont les visions - opposées - sont tout aussi partielles et tronquées l’une que l’autre.