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L’égalité entre les femmes et les hommes : encore un long chemin
mardi 13 février 2024, par
Ce document rappelle les analyses et revendications dans des domaines que nous défendons depuis longtemps à Attac pour l’égalité et l’émancipation de toutes et tous.
L’égalité entre les femmes et les hommes : encore un long chemin
La journée internationale des droits des femmes du 8 mars est une occasion pour rappeler que, malgré les grandes avancées réalisées depuis un siècle sous l’effet des luttes féministes, les inégalités entre les femmes et les hommes ne se réduisent plus que très lentement, voire stagnent. Elles restent à un niveau inacceptable dans le monde, y compris en France et dans l’Union européenne. Un peu partout, la montée de la dénonciation des violences envers les femmes est devenue un phénomène social majeur. Il met en lumière que les violences sexistes et sexuelles concernent tous les domaines : lieux de travail, sphère familiale, transports, sports, milieux culturels. Ce qui, aux côtés des violences économiques, souligne la persistance de la domination masculine. En parallèle, on assiste dans un certain nombre de pays à une contre-révolution conservatrice centrée sur la défense de la famille traditionnelle, qui se traduit par la remise en cause d’acquis fondamentaux pour les femmes et les minorités sexuelles. En réaction au regain d’attention autour des questions féministes dans le débat public, la résistance masculiniste à l’émancipation des femmes gagne du terrain. Le rapport 2024 du HCE s’alarme ainsi d’un renforcement des stéréotypes sexistes, chez les hommes et parfois aussi chez les femmes. Il constate une réaffirmation des rôles sociaux sexués, en particulier l’assignation des femmes à la sphère domestique et au rôle maternel. Désormais, c’est également le président Macron qui fait la promotion d’une politique nataliste, vieille obsession de l’extrême droite et de la droite catholique traditionnaliste.
Dans ce texte, nous rappelons certaines analyses et revendications dans des domaines que nous défendons depuis longtemps à Attac pour l’égalité et l’émancipation de toutes et tous .
Le néolibéralisme tire profit des inégalités
La division sexuelle du travail est au cœur de l’oppression subie par les femmes. Si le capitalisme n’a pas créé les inégalités entre les femmes et les hommes – le patriarcat existait bien avant son avènement –, il a parfaitement su les utiliser et s’appuyer dessus. Aujourd’hui, le néolibéralisme s’en nourrit et tire profit des inégalités concernant le travail rémunéré et non rémunéré des femmes. Dans la sphère professionnelle, la main-d’œuvre féminine se caractérise partout par des salaires en moyenne plus faibles actant une surexploitation économique. Dans la famille, c’est le travail gratuit des femmes qui assument très majoritairement l’éducation des enfants, la gestion du foyer et les tâches ménagères, qui assure la reproduction de la force de travail essentielle au fonctionnement du capitalisme et à la réalisation de ses profits. Autre exemple, le travail à temps partiel, essentiellement féminin, souvent subi, est très défavorable aux femmes en termes de salaires et de retraites, mais très bénéfique aux entreprises : il leur permet en effet de renforcer la main-d’œuvre aux heures de forte activité sans avoir à la payer pendant les heures creuses.
Les politiques menées entravent l’objectif d’égalité
Malgré l’affichage, aujourd’hui généralisé, d’un objectif d’égalité entre les femmes et les hommes, le cadre dominant dans l’Union européenne est celui de politiques néolibérales… contradictoires avec l’objectif affiché. Au nom du dogme de l’efficacité du marché, baisser les dépenses publiques est devenu une litanie. Les activités couvertes par le secteur public sont petit à petit livrées au secteur privé. Le principe de « libre concurrence » conduit à un alignement des pays sur le moins-disant social et fiscal. Partout, ces politiques se traduisent par le dépérissement de l’État social, avec un affaiblissement catastrophique des services publics , des coupes budgétaires dans la protection sociale, des attaques contre les retraites, l’assurance chômage, le droit du travail et les prestations sociales. Ce sont alors les personnes en situation de précarité, en majorité des femmes, des immigré·es, qui sont le plus durement touchées.
1- Régression des services publics : les femmes sont les premières concernées
Les services publics sont la richesse de celles et ceux qui n’ont rien. Leur démantèlement affecte toute la population, et plus particulièrement les plus modestes. Les femmes sont touchées à double titre, de manière structurelle. D’abord, elles sont pénalisées en tant que principales bénéficiaires et usagères des services publics. Ce sont elles qui assument en effet très majoritairement le rôle de responsable principale de la famille, de l’éducation et la santé des enfants, des soins aux proches. Lorsque ferment des services hospitaliers, des maternités de proximité, lorsque le montant des prestations sociales est gelé, les femmes, particulièrement dans les territoires ruraux, se heurtent à de nombreuses difficultés supplémentaires. Avec la fermeture de nombreux centres pratiquant les IVG, c’est aussi le droit à l’avortement qui s’avère concrètement menacé. Dans plusieurs pays, on déplore des reculs de ce droit, ce qui rend d’autant plus importante son inscription dans la Constitution française.
Elles sont ensuite concernées en tant que principales salariées de ces secteurs (santé, éducation, sécurité sociale, …). Elles représentent en effet environ 60 % des effectifs du secteur public. Le gel voire la diminution des effectifs a des conséquences importantes, avec une intensification du travail et des pressions, une flexibilité accrue, un stress croissant, qui affectent la santé physique et mentale des salarié·es. La situation est devenue critique, en particulier dans les secteurs les plus féminisés (secteur social, santé, hôpitaux, établissements pour personnes âgées, éducation, justice). Les personnels sont souvent à bout, de plus en plus démunis face à une demande qu’ils et elles savent ne pas satisfaire convenablement.
Pour des services publics répondant aux besoins sociaux
Toute personne a besoin d’un emploi (suffisamment) rémunéré pour accéder à son autonomie. Cette condition est plus décisive encore pour les femmes qui ont à s’émanciper de la domination patriarcale. Or, en France comme ailleurs, de très nombreuses femmes n’ont pas concrètement accès à un emploi du fait des responsabilités familiales qui pèsent sur elles vis-à-vis des enfants et des proches dépendants. Ce sont elles qui, par manque de disponibilités de crèches ou de services d’aide auprès des personnes âgées, ou du fait du coût trop élevé de ces services, restent au foyer en renonçant à une activité professionnelle. Ou bien, elles se contentent d’un emploi à temps partiel, avec les conséquences négatives sur leur salaire, leur déroulement de carrière, puis sur leur pension. De fait, les femmes ne bénéficient pas d’un égal accès à l’emploi.
À l’opposé des politiques en cours, il s’agit donc de :
• Promouvoir un État social comme outil pour la réalisation de droits sociaux, avec des services publics améliorés, répondant aux besoins fondamentaux et associant les principes de solidarité et d’égalité entre les sexes.
• Créer de nouveaux droits : un droit pour tout enfant de trouver un mode d’accueil collectif et public avant l’âge de scolarisation, et un droit pour toute personne de voir sa perte d’autonomie prise en charge
• Pour cela, développer un service public de la petite enfance avec l’obligation d’accueillir tous les enfants avant l’âge de la scolarité et défendre l’école « maternelle ». Le service public pourra regrouper tous les modes de garde, avec une priorité aux crèches publiques reconnues comme offrant la meilleure qualité d’accueil pour les enfants.
• De même, développer un service public de prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées, quelle que soit la forme choisie (maintien à domicile, établissements, accueil de jour, etc.). L’urgence est d’investir dans la qualité de ces services qui passe par l’amélioration des salaires et des conditions de travail, avec le recrutement de personnel en nombre suffisant afin d’assurer un encadrement de qualité et de combattre la maltraitance.
• Arrêter les fermetures de maternités et au contraire augmenter le nombre de lits. Adapter les solutions de manière à ce que chaque femme puisse accoucher à une distance raisonnable de chez elle (trajet de moins de trois quarts d’heure par exemple).
• Réouvrir des centres d’IVG pour rendre effectif le droit à l’avortement, y compris pour les mineures et les femmes sans papiers.
2- Dévalorisation et surexploitation des métiers féminisés
Les inégalités de salaires entre les femmes et les hommes sont importantes et elles ne se réduisent que très lentement bien que, depuis plusieurs décennies, les femmes sortent plus diplômées de l’enseignement que les hommes. Mais, d’une part, du fait du poids des normes sociales et des stéréotypes, elles s’orientent - ou sont orientées - vers des filières moins rémunératrices que celles des hommes. D’autre part, elles sont bien plus fréquemment à temps partiel, ce qui découle souvent, comme indiqué, non d’un choix mais d’une contrainte. Enfin, elles n’occupent pas les mêmes emplois que les hommes : elles sont, bien plus qu’eux, concentrées dans un faible nombre de familles professionnelles - c’est la ségrégation professionnelle - dans lesquelles sont surreprésentés les emplois dits « non qualifiés » : aides à domicile, aides-soignantes, auxiliaires de vie, agentes d’entretien, etc. Alors qu’ils sont décisifs pour le bien-être de la société, ces métiers sont sous-valorisés. Ce sont des professions dans le prolongement des tâches domestiques ou des soins que les femmes assument dans la famille. Pourtant, l’analyse de leur contenu a montré que le travail fait appel à un savoir-faire technique et relationnel. Les employeurs reconnaissent qu’ils recherchent ce savoir-faire, mais ils le considèrent comme lié à la « nature féminine » et non à des compétences acquises. Il ne donne donc pas lieu à une valorisation salariale. La crise du Covid a mis en évidence l’importance cruciale des métiers essentiels « du lien », des services aux personnes, de la santé, du commerce, du nettoyage… mais ces emplois restent toujours parmi les plus mal payés.
Pour l’égalité des salaires et la revalorisation des métiers à dominante féminine
Aujourd’hui, malgré de nombreuses lois pour l’égalité salariale depuis 1972, le salaire moyen des femmes est inférieur de 24,4 % à celui des hommes (Insee focus de mars 2023) et de 15,5 % en équivalant temps plein. À temps de travail, âge, catégorie socioprofessionnelle, secteur d’activité, type de contrat et taille d’entreprise équivalents, il reste un écart de salaire inexpliqué de 10 %. Avoir un enfant pèse toujours plus sur le salaire des femmes et sur leur déroulement de carrière. Elles restent minoritaires dans les plus hautes fonctions. Parmi les personnes payées au Smic, 57 % sont des femmes.
Remédier à ces inégalités, appliquer réellement le principe « à travail de valeur égale, salaire égal » est possible à condition d’en avoir la volonté politique. En témoigneraient l’adoption des mesures suivantes :
• Revalorisation significative du Smic.
• Augmentation des salaires des femmes en tant qu’action positive de rattrapage des inégalités. Cette augmentation devrait correspondre à la part inexpliquée de l’écart salarial entre les femmes et les hommes. (En 2004, l’accord interprofessionnel relatif à l’égalité entre les femmes et les hommes avait reconnu un « écart inexpliqué de 5 % qui apparait comme discriminatoire »).
• Reconnaissance des qualifications des métiers à dominante féminine et revalorisation de leurs salaires dans les grilles de classification.
• Instauration d’une pénalité financière pour les entreprises qui ne mettent pas en œuvre des mesures concrètes pour l’égalité professionnelle (l’index d’égalité adopté en 2021 est très imparfait et ne peut pas servir de critère).
3- Du temps pour vivre et partager, un projet émancipateur
Une majorité de personnes déclarent souhaiter disposer de plus de temps libre . Le sentiment de manquer de temps est plus répandu encore chez les femmes car elles continuent d’assumer l’essentiel des tâches dans la sphère privée en plus de leur activité professionnelle : selon la dernière enquête emploi du temps de l’Insee, elles y consacrent chaque jour 1h30 de plus que les hommes. Lorsqu’arrive un enfant, elles se tournent vers le temps partiel souvent par manque de solutions d’accueil, c’est un « choix sous contrainte » (le travail à temps partiel est également souvent imposé par l’employeur notamment dans le commerce, le nettoyage, les services à la personne).
Temps partiel
Dans les années 1980, la flexibilisation de l’emploi est devenue un objectif essentiel de la doctrine néolibérale à l’échelle européenne. L’emploi à temps partiel a alors été présenté comme permettant, selon la formule dédiée, un « meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie familiale » (qui visait les femmes) et « entre flexibilité et sécurité ». Sa croissance, favorisée par les politiques à travers notamment des allègements de cotisations sociales, a été très rapide en France dans les deux décennies suivantes. Il a été, de fait, une voie royale pour flexibiliser l’emploi, au bénéfice des entreprises et au détriment de très nombreuses femmes. À noter que la Commission européenne a reconnu la responsabilité du temps partiel dans la précarisation de nombreuses femmes en Europe… mais sans jamais recommander d’en réduire l’ampleur !
En France, le temps partiel concerne aujourd’hui plus d’une femme sur quatre et moins d’un homme sur dix. Il est responsable de près de 9 points sur les 24 points de l’inégalité de salaire entre les sexes. Fort impact donc, d’autant plus qu’il est particulièrement répandu dans les emplois à faible rémunération (nettoyage, aide à domicile, vente). À temps partiel, la retraite aussi est partielle. Le rapport 2023 du Secours catholique s’alarme d’une augmentation de la pauvreté des femmes âgées, notamment celles qui sont isolées ou en milieu rural.
Retraite
Les « réformes » de retraite qui se sont succédé depuis 1993 ont réduit le temps de vie hors travail, en allongeant la durée de cotisation pour une pension à taux plein, et en reculant l’âge de départ. Toutes ont pénalisé plus durement les femmes car elles ont des carrières en moyenne plus courtes que les hommes et donc plus de difficultés à atteindre la durée requise. Plus grave encore, alors que la durée exigée de cotisation augmente régulièrement, la durée moyenne validée décroît au fil du temps (en lien avec les difficultés sur le marché du travail), ce qui programme une baisse accrue des pensions. De plus, la décote - abattement supplémentaire sur la pension pour une durée insuffisante de carrière – est un dispositif injuste qui constitue une double pénalisation des femmes. Enfin, les majorations de pension pour enfants, dont la raison d’être est de compenser les inégalités induites par la prise en charge des enfants, sont actuellement mal conçues ; en particulier la majoration pour trois enfants rapporte deux fois plus aux hommes qu’aux femmes, alors que les enfants pénalisent la carrière des femmes et non celle des hommes.
Temps de travail
À l’opposé de l’évolution actuelle, c’est une réduction globale du temps de travail, sur la semaine comme sur la durée de vie, qui est nécessaire et qui traduirait le progrès social. Elle est réalisable moyennant une plus juste répartition des richesses. C’est une revendication historique du mouvement ouvrier, un levier essentiel de l’émancipation humaine. Mais c’est encore plus crucial aujourd’hui avec la crise climatique qui oblige à rompre avec le modèle économique productiviste. La réduction du temps de travail est aussi un levier pour l’égalité, elle constitue un point de départ pour organiser une répartition plus égalitaire des tâches entre femmes et hommes.
Limiter l’emploi à temps partiel, améliorer les retraites, réduire le temps de travail
au moyen des mesures suivantes :
• Interdiction aux employeurs d’embaucher sur des postes à temps partiel (ce qui n’empêche pas d’accorder un temps partiel à toute personne en faisant la demande).
• Application d’une surcotisation sociale patronale sur les emplois à temps partiel : la cotisation doit correspondre à celles sur un temps plein pour ne pas pénaliser la retraite.
• Retour à la retraite à 60 ans.
• Annulation de la décote.
• Remise à plat des majorations pour enfants pour les rendre équitables.
• Revalorisation du minimum de pension (minimum contributif) au niveau du Smic pour une carrière complète, pour les personnes retraitées actuelles et futures.
• Réduction de la durée de cotisation exigée pour une retraite à taux plein de manière à la faire correspondre à la durée moyenne de vie active constatée.
• Réduction conséquente du temps de travail, avec embauches, sans perte de salaire, sans annualisation et sans intensification du travail.
• Intégration de l’objectif d’égalité entre les sexes dans toutes les négociations de branche et d’entreprise sur le temps de travail.
4- Transition écologique : un enjeu pour et avec les femmes
Les politiques néolibérales sont néfastes à la fois pour les femmes et pour l’écosystème, ce n’est pas contestable. Malgré l’urgence, il n’y a pas d’engagement à la hauteur pour lutter contre la crise climatique, ce qui ne peut qu’accroitre les inégalités. Car les premières victimes sont partout les plus pauvres, parmi lesquelles une majorité de femmes, particulièrement les cheffes de famille monoparentales, les migrantes, réfugiées, demandeuses d’asile, les femmes âgées seules. Elles sont nombreuses à connaître la précarité énergétique, les logements insalubres, l’isolement en milieu rural faute de moyens et de transports adaptés, l’insécurité liée à des modes d’urbanisme et d’aménagement du territoire qui ne prennent en compte ni leurs besoins, ni ceux de la préservation des équilibres écologiques. Mais elles sont très nombreuses aussi à mener des luttes, aujourd’hui comme hier, pour la souveraineté alimentaire et pour préserver les milieux naturels dans lesquels elles vivent. Partout dans le monde, elles sont des actrices essentielles dans la lutte contre le changement climatique.
La transition écologique implique de développer de nombreux emplois dans certains secteurs mais aussi de reconvertir de nombreux autres. Pour réussir la convergence entre écologie et féminisme, il faut alors veiller à assurer que cette transition aura un impact positif sur l’égalité et sur l’emploi des femmes. Or elles sont actuellement sous-représentées dans les secteurs où l’opportunité de création d’emplois est importante : la construction, la production et distribution d’eau et d’énergie, l’assainissement, les traitements des déchets, etc. Elles sont également moins nombreuses dans les domaines de la science, la technologie, l’ingénierie écologique, la climatologie. Cette situation résulte du sexisme qui se manifeste à l’école au moment de l’orientation professionnelle : ces filières continuent d’être perçues comme plus appropriées pour les garçons. Le manque de mixité et de diversité ne peut que freiner la transition écologique comme l’égalité de genre. Celle-ci doit être pensée au sein des enjeux écologiques de lutte contre le changement climatique. Il faut notamment :
• Déployer à tous les niveaux de l’enseignement un programme d’éducation à l’égalité et de lutte contre le sexisme, contre le harcèlement et les violences sexistes et sexuelles. Favoriser la mixité lors de l’orientation professionnelle.
• Inclure systématiquement une perspective d’égalité hommes-femmes dans les politiques de création d’emplois nécessaires à la transition.
• Consulter et intégrer les femmes à tous les niveaux, local, national et international, lors de l’élaboration des stratégies et politiques climatiques.
5- Contre tout retour de politique nataliste
En janvier 2024, Emmanuel Macron a annoncé un « réarmement démographique ». Sous ce terme guerrier, il entend relancer la natalité. Traduction : les femmes sont mobilisées pour « redresser la France ». Passons sur ce ralliement à une politique nataliste, traditionnellement le pré carré de la droite catholique la plus rétrograde et de l’extrême droite. E. Macron propose un congé de naissance de 6 mois pour chaque parent, mieux rémunéré que le congé parental actuel qu’il remplacerait. Ce dernier peut aller jusqu’à 3 ans, il est peu rémunéré, essentiellement pris par les mères et, d’un avis assez unanime, trop long car il éloigne les femmes de l’emploi avec ensuite des difficultés de retour. Agir sur les congés est important pour promouvoir l’investissement des pères dans la prise en charge d’un enfant dès sa naissance.
Rappelons pourtant qu’en 2018, un projet assez progressiste de directive européenne « vie privée - vie professionnelle » visait à améliorer la participation des femmes sur le marché du travail, et pour cela proposait notamment un raccourcissement du congé parental avec une meilleure indemnisation, ainsi que l’imposition du congé paternité à la naissance d’un enfant. Mais Emmanuel Macron, bien qu’il ait décrété l’égalité femmes-hommes « grande cause » de son quinquennat, a estimé qu’il s’agit d’une « belle idée mais qui peut coûter très cher et finir par être insoutenable ». La directive n’a pas été adoptée du fait de l’opposition de quelques pays seulement, dont la France !
Tout objectif nataliste est réactionnaire, incompatible avec l’évolution de la société et les aspirations féministes. Le corps des femmes ne peut être mis « à disposition ». Une politique familiale, pour être acceptable, devrait simplement permettre aux femmes et aux couples de choisir librement d’avoir ou non des enfants, c’est-à-dire ne pas laisser les contraintes budgétaires ou à l’inverse les incitations monétaires décider à leur place. Or actuellement, les femmes qui envisagent d’avoir un enfant rencontrent des obstacles certains qui peuvent contribuer à les en dissuader : le manque de moyens d’accueil des jeunes enfants, la difficulté de trouver un logement et son coût, le niveau insuffisant de revenus. Le déficit en places de crèche a des conséquences négatives aussi bien sur le développement des enfants que sur le taux d’emploi des femmes - et donc sur leur autonomie - ainsi que sur le taux de fécondité. C’est donc bien sur ces questions qu’il faut agir.
On peut remarquer que si le taux de fécondité (indice conjoncturel de fécondité) des femmes en France baisse depuis quelques années, il est en 2023 de 1,7 et reste supérieur à celui des autres pays de l’UE. Même si en France, il manque encore de nombreuses places d’accueil de la petite enfance (voir supra), la situation est plus favorable qu’en Allemagne par exemple : du fait d’un manque criant de crèches, les Allemandes ont longtemps dû choisir entre avoir un enfant ou avoir un emploi… et ont privilégié l’emploi. L’indice de fécondité tourne autour de 1,5. L’Allemagne a réagi, et depuis 10 ans a engagé un plan de développement des capacités d’accueil.
Le Rassemblement national explique de son côté soutenir une politique nataliste pour rendre viable notre système de retraites… sans avoir recours à l’immigration. Avec l’amélioration de l’espérance de vie, on constate en effet une baisse tendancielle du quota « population active/population retraitée », baisse qui sert de justification récurrente aux réformes de retraite. Pourtant, des solutions existent. D’une part le recours à l’immigration est très bénéfique pour l’équilibre budgétaire des caisses de retraite, comme cela ressort des rapports du COR. D’autre part, le taux d’activité des femmes est toujours inférieur à celui des hommes, avec comme cause principale la prégnance des stéréotypes de genre. L’améliorer en visant à supprimer les obstacles qu’elles rencontrent serait très efficace pour les retraites comme pour l’égalité et il existe de fortes marges de manœuvre*. Comme le souligne Marc Lazar, historien et sociologue : depuis un quart de siècle, les pays de l’OCDE dans lesquels la natalité résiste sont ceux où les femmes ont accès au marché du travail, et l’enjeu, c’est leur accès aux mêmes possibilités de carrière.
Outre développer les crèches et revaloriser les salaires (supra), les mesures suivantes nous semblent indispensables :
• Mise en œuvre d’une politique sociale, fiscale et familiale cohérente visant à l’égalité des taux d’emploi des femmes et des hommes.
• Modification du congé paternité pour le caler sur le congé postnatal des femmes (10 semaines), le rendre obligatoire comme l’est le congé maternité**
• Modification du congé parental : durée de 6 mois, égale pour les deux parents, non transférable et bien rémunéré de manière à ne pas en dissuader les pères comme c’est le cas actuellement.
• Construction de logements de bonne qualité et abordables pour répondre aux besoins.
Comme on le voit, derrière toutes ces questions, ce sont des projets de société radicalement différents qui se confrontent : d’un côté, un projet porté par la droite et l’extrême droite à l’offensive dans plusieurs pays européens et sur d’autres continents, qui ne peut aboutir qu’à une société de plus en plus inégalitaire, violente et raciste ; de l’autre côté, un projet de société dans lequel les objectifs d’égalité, de solidarité, de respect des droits et libertés individuelles doivent se concrétiser dans des politiques publiques financées par une redistribution radicale des richesses, tant au niveau national qu’international.
* Voir L’enjeu féministe des retraites, Christiane Marty, La Dispute, 2023.
** Le congé maternité est en grande partie obligatoire, c’est une protection contre d’éventuelles pressions de la part de l’employeur pour dissuader les mères d’en bénéficier.
Commission Genre d’Attac, février 2024
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