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L’Europe vue de Rio de Janeiro, Rio Centro

jeudi 21 juin 2012, par Genevieve Azam

Le sommet de la Terrre de Rio de Janeiro a accouché d’une déclaration finale riche d’enseignements. Beaucoup a déjà été écrit sur le contenu de cette déclaration, véritablement affligeant, tant il comporte des régressions sur les droits et un consentement à l’ordre du monde qui est à l’origine des crises que nous vivons. C’est un texte hors sol, hors contexte, hors crises. Rien sur la globalisation économique et financière, rien sur les limites écologiques et sur l’épuisement des ressources, rien sur les plusieurs milliards de personnes condamnées à la survie, et qui devraient trouver leur salut dans l’accès aux marchés. Aucune pensée ne traverse le texte, aucun souffle, une récitation des psaumes de la croissance et du marché.

Ce texte signe une crise profonde et l’agonie du multilatéralisme. Il n’a de cesse de répéter que les solutions relèvent de politiques nationales, actant ainsi le refus conjoint de nombreux États de tout engagement multilatéral. Jusqu’à la caricature. L’eau cesse ainsi de relever d’accords internationaux, elle est renvoyée à la souveraineté nationale, et donc à la loi du plus fort, à ceux qui peuvent construire les plus grands barrages, capter les sources sur leurs territoires. Nous ne serons pas surpris de trouver là l’alliance des Etats-Unis, du Canada, du Brésil, de la Chine, de la Turquie, pour ne citer que les plus importants. Quant au droit universel à l’accès à l’eau, acté par l’assemblée générale des Nations unies, il fait déjà l’effet d’une relique barbare dont le texte final s’est débarrassé. C’est la même chose pour l’énergie, qui devait pourtant être un temps fort de ce sommet.

Notons bien que ce retour affirmé aux politiques nationales ne signifie en rien une relocalisation ou une « déglobalisation ». La place donnée aux transnationales regroupées dans le Global Compact, cité explicitement dans le texte comme partenaire essentiel, l’ode au libre-échange, la nécessaire inclusion dans les marchés mondiaux pour les millions de paysans qui meurent de faim, ne laisse aucune illusion : la souveraineté nationale exprime seulement la latitude laissée aux États de se soumettre aux exigences des marchés, sans limites.

Et l’Union européenne dans tout cela ? Les temps ont bien changé depuis Rio 1992 et ses suites, notamment le protocole de Kyoto. La globalisation a fini d’exporter à l’échelle du monde le modèle économique et social né en Europe. Et au grand jeu de la concurrence qu’elle continue à promouvoir, l’Europe n’est plus au centre du monde. Ce n’est pas un accident dû à la crise qu’elle traverse, c’est désormais une condition structurelle et un des éléments de sa crise. Ici à Rio, l’Union européenne, contre le G77+Chine alliés à l’Amérique du Nord, a défendu une position multilatérale. Elle a été si humiliée qu’elle en est arrivée, fait exceptionnel pour l’UE toujours à la recherche de consensus, à menacer en assemblée plénière de ne pas signer le texte. Elle a été d’autant plus affaiblie qu’elle n’a pu accompagner ses propositions d’un moindre euro mis sur la table, ce que réclamait le G77.

Mais nous ne pouvons nous arrêter là sans examiner le contenu de ce multilatéralisme. L’Union européenne a été un des promoteurs essentiels de l’économie verte, entendue comme une extension de la valorisation économique des services écosystémiques et de leur financiarisation. Elle est d’ailleurs le continent pilote pour les marchés du carbone. À ce titre, elle souhaitait une réglementation multilatérale pour la mise en place de cadres favorables à cette économie verte. Elle s’est heurtée aux États qui refusent l’économie verte car ils entendent protéger leurs entreprises d’une éventuelle augmentation des coûts, aux pays émergents qui veulent poursuivre le modèle productiviste sans limitation extérieure, aux pays les plus pauvres qui exigeaient des financements en retour.

L’Europe néolibérale est dépassée par ce qu’elle a contribué à engendrer. Au jeu de la concurrence mondiale, elle a perdu. Elle ne pourra retrouver une place dans ces négociations qu’en engageant, sur son territoire, une transition écologique et sociale significative. Une transition qui signifierait une bifurcation du modèle qu’elle a promu, en s’engageant à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40% d’ici 2020, à réduire la consommation d’énergie, à promouvoir les énergies renouvelables sur une base décentralisée, à sortir de la société du pétrole et de la dépendance énergétique qui pèse sur ses comptes, à créer les nouveaux emplois et les protections sociales qui s’imposent.

Ce nouveau modèle redonnerait toute sa place à l’Europe. Et ceci d’autant plus que les succès des pays qui se sont alliés pour polluer tranquillement à l’intérieur de leurs frontières nationales est bien provisoire ! Les catastrophes qui s’annoncent laisseront peu de temps de répit. Et l’Union européenne pourrait alors avoir le soutien de la « société civile », non pas celle des lobbies industriels et financiers qui ont monopolisé cette négociation, mais celle des mouvements sociaux et des ONG, qui demandent aujourd’hui que la référence à la société civile soit supprimée du texte final du sommet, et qui se retrouvent au sommet des peuples.