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Régénérer la planète, redonner vie aux sols et sauver le climat

Tourner la page de l’anthropocène

mercredi 31 janvier 2018, par Daniel Hofnung

L’attention portée au rôle des gaz à effet de serre dans le réchauffement climatique occulte le fait que d’autres interventions humaines mettent aussi en danger notre existence même : la destruction de la vie biologique des sols par l’agriculture productiviste actuelle, l’assèchement des sols et leur pollution.
Des solutions existent pour redonner vie aux sols en rompant avec le système agricole actuel, elles permettent de plus, avec l’arrêt des émissions, de revenir à une atmosphère pré-industrielle et de stopper le réchauffement climatique.
Et d’engager une mutation qui tourne la page de l’anthropocène.

1. Un constat sur l’époque actuelle

L’humanité, avec l’utilisation des combustibles fossiles, modifie la composition de notre atmosphère, et les conférences qui se sont tenues sur le réchauffement climatique ont mis en avant le risque encouru par les écosystèmes et la vie sur notre planète telle que nous la connaissons.

L’intervention humaine a d’autres effets, qui pourraient aussi remettre en cause le fonctionnement actuel des écosystèmes, et mettre en danger l’humanité.

Notre époque se situe dans la continuité d’une révolution industrielle qui a été centrée sur la domestication de l’énergie [1]. C’est avec la machine à vapeur, puis avec l’électricité et le pétrole, qu’est né le développement actuel.

Celui-ci a été marqué par la prédation à grande échelle des ressources de la planète. Alors que le moulin à vent ou le moulin hydraulique n’utilisaient que des énergies indéfiniment renouvelables, la société actuelle a un fondement : l’extraction de ressources naturelles limitées.
Les sociétés du passé utilisaient ce que la nature offrait au cours de ses cycles naturels, notre société est marquée par la prédation à grande échelle des ressources de la planète, matières premières et combustibles. Elle prétend tirer parti sans limite des minerais accumulés pendant des millénaires ou des ères géologiques.

Or, justement, notre civilisation arrive à une limite : ces ressources naturelles fossiles sont en quantité finie, et leur utilisation a une conséquence : l’atmosphère elle-même se modifie avec l’élévation du taux de gaz à effet de serre.

L’humanité constate qu’elle a modifié le climat, et que, si ce processus se poursuit, cela peut mettre en cause notre existence même.

2. Ce n’est pas la première fois

Les changements actuels se caractérisent par leur rapidité et leur ampleur. Mais le système-monde [2] actuel pourra-t-il continuer à exister, alors qu’il est en train d’épuiser ses mécanismes d’ajustement ?

Pourtant, si cette fois le changement est global, ce n’est pas la première fois que l’humanité coupe la branche sur laquelle elle est assise, et il est intéressant de voir qu’un autre processus, engagé depuis l’invention de l’agriculture il y a des millénaires au néolithique, est toujours en cours, pire, qu’il s’amplifie, alors que la communauté scientifique se focalise sur les seuls gaz à effet de serre.

De quoi s’agit-il ? De la modification de l’utilisation du sol.

Depuis la révolution néolithique, pour disposer de surfaces pour la culture et l’élevage, l’humanité a massivement abattu des forêts : environ un tiers de la surface du globe – soit la surface de toute l’Asie – a vu ses arbres coupés.

La création de champs, de prairies, a transformé le visage de la planète. Parfois des systèmes d’irrigation ont été réalisés, surtout dans les régions les plus sèches. L’humanité n’a pas maîtrisé, dès cette époque reculée, les conséquences de ce qu’elle faisait, et l’environnement s’est trouvé profondément modifié.

Plusieurs de ceux qui ont travaillé sur le rôle de l’eau sont revenus sur ces périodes. [3]
Platon, dans le Critias, évoque un temps très ancien. Certes, il s’agit de témoignages transmis oralement, depuis l’époque reculée de la guerre entre grecs et atlantes, et de la disparition dans un cataclysme de l’île où vivaient ceux-ci [4].
« Ce qui subsiste offre, si l’on compare l’état présent à celui d’alors, l’image d’un corps que la maladie a rendu squelettique, par suite que tout ce que la terre avait de gras a coulé tout autour, et que du territoire (de l’Attique) il ne reste plus que son corps décharné.[...] Elle avait sur ses montagnes de vastes forêts, dont il subsiste encore maintenant des preuves visibles » [5]

Ces images, peut-être mythiques, d’un lointain passé à la végétation luxuriante rejoignent en fait des données de l’antiquité, historiques celles-ci. Au premier siècle, le géographe grec Strabon décrit la zone occupée par l’Algérie et le Maroc actuels : « La Maurusie, à l’exception de quelques déserts peu étendus, ne comprend que des terres fertiles et bien pourvues de cours d’eau et de lacs. Ajoutons qu’elle est très boisée, que les arbres y atteignent une hauteur prodigieuse et que toutes les productions du sol y abondent » [6]

Le Maroc devint alors le grenier de Rome, avec une culture de céréales à grande échelle. Mais les arbres ont été abattus pour construire la flotte phénicienne, puis les terres commencèrent à s’appauvrir après le II ème siècle.

Une évolution similaire s’était produite dans l’ancienne Mésopotamie, autrefois « croissant fertile » qui est aujourd’hui en grande partie désertique, avec la salinisation des sols suite à l’irrigation.

Les écosystèmes de la vallée du Nil ont été profondément perturbés par la construction du barrage d’Assouan en 1960 : les limons fertiles ne se déposent plus sur les cultures en aval du fait de la suppression des inondations, ce qui amène le recours aux fertilisants chimiques. Les limons, peu à peu, remplissent le barrage, comme c’est le cas pour tous les grands barrages, et il sera comblé au bout de moins de cent ans. Sur les zones nouvellement irriguées, la remontée des sels en surface pourra avoir les mêmes conséquences qu’en Mésopotamie jadis : des sols stériles. Les effets ne s’arrêtent pas là : la suppression des apports de sels minéraux dans la Méditerranée a provoqué la chute des populations de sardines. Enfin, le changement de régime des eaux a provoqué le développement d’une espèce de mollusque aquatique causant l’extension d’une maladie parasitaire, la bilharziose, dans la population du delta.

Plus au sud, l’épuisement du sol par les pratiques agricoles a eu des conséquences plus graves. Le Sahara a été une région de brousse où se pratiquait l’élevage, comme en témoignent les fresques de Tassili (-10 à -9.000 ans). La culture sur brûlis ou écobuage, ainsi que le surpâturage ont favorisé le ravinement, en supprimant le couvert végétal ceci alors que la fin de l’ère glaciaire devait jouer un rôle déterminant. Petit à petit le désert s’est installé. Le Sahel, verdoyant il y a 25.000 ans, suit maintenant la même évolution à cause des mêmes pratiques.

Des processus similaires se déroulent ailleurs. Ainsi, au Burkina-Faso, des sols fertiles ont été utilisés en agriculture commerciale ou d’exportation. L’allongement de la durée de culture ou l’utilisation d’intrants chimiques détériore les bonnes terres, dont la fertilité baisse. Ceci peut aller jusqu’à la stérilisation du sol qui devient dur comme du béton (zipellé en langue mooré) et l’eau n’y pénètre plus. Toute culture y devient impossible et même la flore sauvage ne peut y pousser.

Lorsqu’il devient difficile pour les paysans de subvenir à leurs besoins avec la culture de céréales, ils se reportent sur l’élevage. Le sur-pâturage, la divagation des troupeaux l’été amène une disparition du couvert végétal qui nuit à la brousse. [7]

Ailleurs, dans l’Ouest américain, le ravinement par le vent et l’eau, suite au labour, des prairies naturelles mises en culture a peu à peu amené la désertification.

Sans mesures de préservation des sols et sans modification des pratiques agricoles, la désertification avance dans de nombreuses régions, comme cela s’est déjà produit au cours de l’histoire.

3. destruction des sols et agriculture productiviste

La destruction des sols est aussi à l’œuvre dans nos pays : alors que l’agriculture jadis travaillait avec la nature, pratiquait les assolements, alternait les cultures et utilisait le fumier pour enrichir le sol, l’agriculture productiviste agit à la place de la nature, sous prétexte que la chimie ferait mieux qu’elle. Ce qu’elle obtient c’est la destruction des sols, avec les fongicides, les insecticides, les engrais chimiques, et aussi avec le labour profond.

La conception « bello-mécaniste » (suivant l’expression de Matthieu Calame [8]) de l’agriculture triomphe : il faut exterminer tous les nuisibles (les insectes avec des insecticides issus des gaz de combat, mais aussi mauvaises herbes avec les herbicides, les moisissures avec les fongicides), et apporter artificiellement au sol ce qui lui manque (par la chimie avec les engrais, nés de la reconversion de l’industrie des explosifs nitratés).
La terre est considérée comme un système mécanique, auquel il faut tout amener de l’extérieur : les engrais et l’eau pour que les plantes croissent, les pesticides, herbicides et fongicides pour « faire la guerre » à ce dont on ne veut pas. Les grands conflits en ont donné le moyen, avec le conversion des industries de la guerre de 1914-18 dans la fabrication de pesticides (les gaz) et d’engrais (les explosifs à base de nitrates), ou la fabrication des herbicides sur la base des défoliants produits par Monsanto pendant la guerre du Viet-Nam.

La conception mécaniste tire ses origines de l’« animal-machine » de Descartes, qui envisage que par les connaissances, nous pourrions trouver une pratique qui nous rende « comme maîtres et possesseurs de la Nature » [9]. L’idée que nous pourrions remplacer les processus naturels par des apports minéraux est dû au XIXème siècle à Julius Von Liebig inventeur de la théorie minérale et de la chimie agricole. [10]

Remplacer les processus de la nature par des processus chimiques déséquilibre les échanges naturels et pousse à multiplier les intrants chimiques : l’utilisation de pesticides atteint la vie naturelle des sols, le labour, surtout s’il est profond, y participe aussi, augmente leur compacité de même que l’utilisation de matériel agricole de plus en plus lourd. Les lombrics disparaissent massivement, alors que leur rôle est essentiel pour l’aération des sols, leur perméabilité et la circulation des nutriments.

Les terres les plus touchées par ces pratiques sont sans doute les vignobles, dans le sud-est de la France, où on estime que la destruction de vie biologique (lombrics,insectes, arachnides, bactéries, moisissures) atteint 90 %. La surface des sols devient dure, « encroûtée », l’eau de pluie ruisselle dessus et n’imprègne plus les sols, les nappes phréatiques sont mal rechargées. Si le sol est nu – ce qui est le cas après la récolte en agriculture intensive – les gouttes de pluie tombant du ciel à forte vitesse projettent à leur arrivée au sol des microparticules de sol, qui ensuite sont enlevées par le ruissellement en cas de forte pluie [11]. La couche de sol végétal est évacuée, le sol est privé de sa partie nutritive. En même temps, le taux de carbone organique du sol diminue, or c’est celui-ci qui permet au sol d’absorber l’eau et de la retenir.

Ce carbone est oxydé en CO2 et contribue à la hausse de son taux dans l’atmosphère. Ainsi, l’agriculture, au lieu de stocker du carbone dans les sols, contribue pour 14 % aux émissions de gaz à effets de serre : émission de CO2 sur les sols laissés sans couvert après la moisson, de protoxyde d’azote (lié à l’excès d’azote des engrais non assimilé par les plantes) mais aussi émissions lors de la fabrication des engrais ou par la consommation des machines agricoles.

Les sols, qui lorsqu’ils sont sains sont aérés deviennent compacts.
Alors qu’un bon sol, grâce aux galeries des vers de terre, peut absorber 160 mm de pluie par heure, soit le volume d’un gros orage [12], si la vie biologique y a été détruite, totalement ou partiellement, il perd cette capacité. La population de vers de terre est passée de 2 tonnes par hectare à moins de 100 kg/ha en cinquante ans [13] : c’est le résultat de l’agriculture productiviste. Il ne faut pas s’étonner, qu’en aval, on constate des inondations lors de précipitations violentes. La contribution du ruissellement sur les terres agricoles au volume des cours d’eau devrait être étudiée, cela pourrait faire un bon sujet de thèse pour des étudiants, avis aux volontaires !

La destruction de la vie biologique des sols a d’autres effets : les fongicides tuent les multiples moisissures dont les filaments, adhérents aux racines, plongent profondément dans la terre, jusqu’au double de la profondeur des racines. En période sèche, ces filaments peuvent conduire de l’eau des profondeurs du sol jusqu’aux racines [14].

L’artificialisation des sols abouti aussi à la baisse du taux de matière organique dans le sol – divisée par deux dans les sols européens depuis 1950 [15], et à la perte de la capacité du sol à stocker le carbone : c’est la vie biologique des sols, la décomposition de végétaux à sa surface qui l’alimentent en carbone. À son tour, ce carbone permet à la terre de stocker des quantités importantes d’eau de pluie : on estime ainsi que 1 % de carbone en plus dans le sol permet le stockage dans le sol de 190.000 litres d’eau par hectare. [16]

Si la terre ne sait plus stocker l’eau, l’irrigation devient de plus en plus nécessaire dans des sols qui se dessèchent. Elle puise dans les eaux de surface et les eaux souterraines, sans se préoccuper de leur renouvellement naturel : ce que la pluie faisait en pénétrant dans le sol, nous le faisons moins bien en puisant dans des ressources qui peuvent s’épuiser : en agriculture, comme dans le domaine de l’énergie, notre monde est celui du non-renouvelable, de l’eau fossile que l’on puise en la faisant disparaître pour des millénaires.

Cette question rejoint celle de l’extractivisme : notre civilisation ne sait plus utiliser les processus naturels pour procurer l’eau aux plantes, mais aussi pour les nourrir. Les engrais chimiques – ou minéraux – ont besoin de l’extraction de ressources naturelles, que ce soit les phosphates ou le pétrole pour les engrais chimiques. L’irrigation existe depuis des temps anciens, elle peut, si elle ne perturbe pas les cycles naturels, être une solution durable. Si elle ne s’accompagne pas de mesures pour infiltrer l’eau de pluie et renouveler les nappes, si elle nécessite des forages profonds, si elle utilise des grands barrages ou des détournements de rivières qui perturbent pour des décennies les cycles naturels, elle peut amener à terme la stérilisation des sols. Ces solutions, basées sur le retour sur investissement sur le court ou moyen terme, sacrifient l’avenir plus lointain. La réflexion sur la nécessité de sortir de l’âge des fossiles dans le domaine de l’énergie devrait ainsi être étendue à l’agriculture avec l’arrêt de l’usage des eaux fossiles, et avec un prélèvement dans le milieu naturel n’excédant pas le renouvellement de la ressource.

Dans le domaine des engrais des solutions basées sur la nature existent aussi et peuvent être apportées tant par la vie biologique des sols que par d’autres plantes, avec les cultures associées ou culture alternées : là aussi, la sortie de l’âge des fossiles est possible.

Toutefois, un nouvel écueil apparaît avec le fait que des "solutions basées sur la nature" sont de plus en plus prônées par les institutions : c’est, avec le "Blue Print" de l’Union Européenne, le paiement et la marchandisation des services écosystémiques. Cela doit être clair : la Nature, l’eau sont des biens communs, il ne peuvent avoir un valeur sur le marché.

Une conséquence de l’utilisation des procédés chimiques est leur effet sur la santé : les cas d’agriculteurs rendus malades ou tués par les produits qu’ils utilisent se multiplient, pour certains, surtout les vignerons, c’est la raison de changer de modèle agricole, pour pouvoir vivre, tout simplement. Ces produits, s’ils sont vaporisés polluent l’air à proximité, s’ils sont épandus pénètrent dans les nappes phréatiques. Beaucoup sont des perturbateurs endocriniens, qui agissent à très faibles doses. Comme ils sont nombreux, l’effet cocktail augmente leur effet. Et les maladies ou troubles les plus divers liés à l’environnement et à l’alimentation voient leur taux exploser : cancers, maladies cardio-vasculaires, diabète de type 2, mais aussi chez l’enfant autisme, syndrome d’hyperactivité et d’inattention, surpoids, chez l’adulte – et les animaux – troubles de la fertilité, ou de différenciation sexuelle (poissons).

4. régénérer les sols en travaillant avec la nature.

Le stockage de carbone dans le sol – ou à l’inverse, sa libération par oxydation sur les sols nus, jouent un rôle important dans la présence de gaz carbonique dans l’atmosphère.

Si on augmentait chaque année de 4 ‰ le stockage de carbone dans les sols agricoles, cela suffirait à stocker l’ensemble du gaz carbonique émis en une année sur le planète . C’est le sens de l’initiative 4 ‰, programme de recherche lancé au moment de la COP 21, mais qui a suscité des oppositions de mouvements sociaux, dans la mesure où il pourrait être une échappatoire à l’incapacité des gouvernements à s’opposer aux lobbies des énergie fossiles : au lieu de réduire les émissions, on utiliserait les sols pour les stocker.

C’est aussi la base des mobilisations, surtout aux États-Unis et au Canada, des associations et mouvements engagés sur la régénération des sols comme moyen de sauver le climat. Mais la différence essentielle avec le programme 4 ‰, c’est qu’ils partent de la nécessité d’abandonner les combustibles fossiles tout en restaurant la vie biologique des sols. Si on arrête l’agriculture productiviste actuelle, et si on régénère les sols avec des processus naturels, du carbone y est stocké. Si on baisse puis annule simultanément les émissions, on peut alors espérer lutter efficacement contre l’inertie du système climatique (qui fait que le réchauffement continue même si les émissions de GES n’augmentent plus) et revenir progressivement à une atmosphère pré-industrielle. Mener une nouvelle révolution agricole, qui ferait passer de l’époque de la chimie à celle du travail avec les symbioses du vivant pour produire une alimentation saine et dépourvue de toute trace de chimie ou d’OGM tout en absorbant le CO2 serait une voie d’avenir. Voilà une manière totalement différente de poser la question des solutions à l’augmentation des gaz à effet de serre !

Et surtout voila une alternative complètement écologique aux solutions techniciennes de stockage de carbone (stockage dans les anciennes mines…) proposées dans le cadre des conférences climatiques. Cette alternative a un faible coût, elle permet de restaurer des sols sains en garantissant la qualité de notre alimentation : elle passe par l’abandon de l’agriculture productiviste actuelle, le développement de l’agriculture biologique, mais aussi de toute forme d’agriculture qui respecte les sols et les restaure, et il y en a beaucoup : agroforesterie , sylvopastoralisme, agriculture paysanne, agriculture de conservation [17], agriculture durable, agriculture régénérative (international, France), permaculture, gestion holistique des sols, semis sous couvert, culture sans labour, rotation de cultures afin que le sol ne soit jamais nu… Tout ceci avec la condition que ces méthodes ne deviennent pas une couverture pour continuer une agriculture productiviste « raisonnée » utilisant juste les doses nécessaires de pesticides ou d’engrais chimiques, sans rien changer par ailleurs : c’est ce qui explique que des géants des pesticides soutiennent aussi des recherches sur ces méthodes nouvelles, pour le cas ou elles deviendraient peu à peu dominantes. L’« agriculture intelligente face au climat », si elle énonce le principe de travailler avec les systèmes naturels, laisse encore la porte ouverte à des pratiques poursuivant la destruction de l’environnement.

Une des bases des systèmes d’agriculture régénérative est la couverture permanente du sol : c’est elle qui permet de développer la vie biologique du sol. Si on laisse des débris végétaux se décomposer sur le sol après la récolte, on protégera le sol tout en augmentant sa teneur en carbone, ceci peut aussi être fait en réalisant une culture intermédiaire ou en plantant une plante utile qui couvrira le sol. La couverture du sol joue un autre rôle, essentiel : un sol nu, outre qu’il sera facilement entraîné par les précipitations, ne va pas générer de vapeur d’eau – à part en séchant après la pluie – et il devient, exposé aux rayons du soleil, une véritable « plaque chauffante », dont la température, l’été, croît rapidement. Au contraire, s’il est couvert, l’évapotranspiration des plantes réduit sa température.

A partir de 60° C, à 4 mm sous la surface, on estime que la vie biologique est détruite : des sols tropicaux sans couverture végétale, en particulier suite au sur-pâturage, tendent à se désertifier.

Lorsque l’agriculture productiviste a créé d’énormes surfaces de mono-culture, d’un seul tenant, en y éliminant tous les obstacles – haies, bosquets – voire même en allant jusqu’à y supprimer les méandres des rivières, l’effet de « plaque chauffante » est maximum. En cas de soleil, des colonnes d’air chaud se forment au-dessus des champs, éloignant les nuages, et faisant baisser les précipitations : ainsi sur l’ex-RDA, largement productiviste, les précipitations sont en général inférieures à 500 mm à mm par an, alors qu’à l’ouest de l’Allemagne elles dépassent en général les 700 mm : ici, l’utilisation du sol influe directement sur le climat.

C’est tout un système qu’il faut changer. Cela passe aussi par la collecte séparée des déchets organiques et le compostage des déjections humaines : dans leur « Manifeste pour une agriculture durable », Claude et Lydia Bourguignon expliquent comment au Moyen-Âge, les excréments humains étaient collectés et épandus dans les champs. L’invention de la fosse sceptique, le tout à l’égout ont fait disparaître cette pratique.

Aujourd’hui les toilettes sèches, individuelles d’abord, mais parfois en immeuble comme des expériences allemandes le montrent, permettent de l’envisager à nouveau. Combiné avec d’autres méthodes (cultures associées en rotation), ceci doit permettre de remonter la teneur en carbone des terres agricoles avec un compost de qualité. [18] Il faut toutefois éviter de recourir à la méthanisation anaérobie des lisiers pour produire du biogaz : une bonne partie du carbone serait transformé en méthane (CH4) et le digestat [19] trop pauvre en carbone pour en faire de l’humus. De plus, il est contient des germes anaérobiques dont beaucoup sont pathogènes pour la faune du sol. En ce qui concerne les ordures ménagères, la collecte séparée des bio-déchets devrait être au plus vite généralisée comme elle l’a été avec succès dans des villes comme San Francisco ou Seattle. Très souvent ces bio-déchets sont actuellement incinérés avec un rendement déplorable, car ils sont composés majoritairement d’eau.

La collecte des bio-déchets est réclamée par des associations telles que Zéro Waste-France, et elle va commencer à Paris, dans le 2ème et le 12 ème arrondissement et se pratique dans plusieurs villes françaises. Elle est inscrite dans la Loi de Transition Énergétique, qui prescrit une hiérarchie dans le traitement des déchets : la valorisation matière (compostage) doit être privilégiée par rapport à la valorisation énergétique (incinération). Pour obtenir un compost d’une qualité compatible avec l’utilisation agricole, seule la collecte séparée des bio-déchets est possible : les procédés industriels du type « tri-mécano-biologique » laissent des déchets indésirables en quantité importante.

Il faut rompre avec la conception mécaniste et apprendre à travailler avec le vivant, et non chercher à le remplacer en croyant que nous sommes supérieurs à lui. Les systèmes naturels, si on les oriente et les aide, sont tout à fait capables :

• de procurer une bonne partie des minéraux nécessaires aux plantes (c’est le travail de certains vers de terre, plus gros, les anécides, qui descendent profondément, dégradent les roches sous la terre arable et en remontent les minéraux).
• d’amener de l’azote : des champignons en symbiose avec les racines fixent l’azote de l’air et le rendent assimilable par la plante ; c’est ce qui se produit si on cultive des légumineuses (pois, féverole, vesce, luzerne, soja…) en association ou en alternance avec des céréales. Ils procurent de l’azote assimilable directement, sans qu’il y ait émission de peroxyde d’azote (gaz à important effet de serre) à cause d’excès d’azote non absorbé ni de pollution au nitrate des eaux souterraines. De plus, ces plantes sont riches en protéines, et utiles pour l’élevage des animaux.
• de procurer de l’eau (une terre riche carbone la stocke) ou d’aller la chercher plus profondément que les racines avec les mycorhizes des champignons (à conditions qu’on ne les ait pas détruit auparavant avec des fongicides).

L’agriculture productiviste donnait des recettes : à tel manque, tel apport, pour tel danger, telle arme. La nouvelle agriculture est bien plus complexe, elle prend en compte tout le système vivant, ses interactions, qu’elle doit connaître et savoir mettre en œuvre. Elle se fonde sur le respect de la vie, des êtres vivants, de la Terre.

Elle renoue en cela avec des conceptions de notre passé lointain ou d’autres contrées sur la « Terre-mère ». Elle change totalement notre relation avec les plantes, les animaux, les sols qu’elle respecte comme d’autres éléments du grand ensemble dont nous faisons partie, et les fait coopérer. Elle prend en compte que d’autres que les humains possèdent une conscience, ce qui doit amener à les considérer et ne pas les asservir comme nous le faisons : les conditions faites aux animaux dans les grands élevages industriels n’ont guère à envier aux camps de concentration des pires périodes de notre histoire.

C’est une rupture radicale avec la conception selon laquelle l’homme doit dominer la nature, qui s’est développée progressivement depuis que l’humanité a pratiqué l’agriculture et l’élevage. Les grandes religions (à divers degrés) ont été dans le même sens, de même que le rationalisme, Descartes, puis d’une certaine manière Darwin et Pasteur [20]. La rupture avec les conceptions mécanistes et anthropocentriques doit être un basculement de notre pensée, l’ouverture d’une nouvelle ère pour l’humanité, en même temps qu’une perspective enthousiasmante : des sols détruits, désertifiés peuvent être restaurés, une grande partie des terres qui étaient devenues impropres à l’agriculture peuvent abriter la vie à nouveau, la planète peut reverdir et son climat se radoucir naturellement. Les précipitations peuvent revenir là où elles avaient disparu, avec l’évapotranspiration des plantes et les arbres, et aussi avec la baisse des taux de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Tous les humains pourront ainsi avoir droit à une alimentation saine et naturelle et à vivre dans un milieu revitalisé et sain.

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Pour reprendre l’intervention de Mikael Warren au symposium « sols vivants » de Montréal en octobre 2017 : après la mécanisation agricole puis la chimie, « le prochain point d’inflexion de l’agriculture sera les sols » : le développement actuel est arrivé à ses limites, les rendements ne progressent plus ou diminuent, les conséquences du système sur la santé deviennent catastrophiques, la biodiversité chute avec les semences standardisées sélectionnées et distribuées en masse par quelques industriels.

Il est temps de changer de modèle et de travailler avec la Nature, et non à sa place. C’est une nouvelle révolution agricole qui se profile, celle des sols vivants, d’un nouveau foisonnement de la biodiversité, sur terre et sous terre (dans les sols) : il est temps de s’y engager.

Nous avons ici un choix : « Désert ou Paradis » [21]. En arrêtant l’extractivisme et les énergies fossiles, en développant une agriculture écologique qui régénère nos sols mis à mal par le système actuel, nous avons un espoir : leur donner une nouvelle vie, restaurer notre environnement, faire que nos régions stérilisées par l’agro-business deviennent fertiles et prospères à nouveau. De nombreux exemples existent sur les cinq continents qui montrent que les sols peuvent être régénérés et l’environnement transformé en rompant avec le système actuel. [22]

5. Sols et eau

La baisse de la capacité des sols agricoles à absorber l’eau, la baisse de l’infiltration d’eau et l’augmentation du ruissellement liés à la dégradation des sols et à la déforestation amènent un mauvais renouvellement des nappes phréatiques. La culture de céréales (maïs) mais aussi, dans d’autres régions la culture de coton (Inde) ou d’amandes (Californie : 30 litres d’eau sont nécessaires par amande) nécessitant beaucoup d’eau ont amené au sur-puisage dans les nappes phréatiques. Le niveau des nappes fossiles baisse dans les régions en manque d’eau (Maghreb, Arabie). Le cycle de l’eau est profondément perturbé : en Californie, les forages sont de plus en plus profonds, et dépassent souvent les 1000 mètres, plusieurs autres nappes phréatiques des États-Unis, comme la nappe d’Ogallala (Dakota du sud, Texas) baissent en raison de l’agriculture irriguée. Il en est de même au Penjab en Inde ou en Chine du Nord. Ainsi, une partie importante de la production de céréales de la planète est menacée. Le poids des semenciers (Monsanto, Syngenta…) amène à éliminer les variétés de plantes locales ou adaptées au climat, pour favoriser les espèces gourmandes en irrigation : le résultat est le même : une agriculture artificielle, qui fait fi des conditions naturelles et du milieu.

S’ajoute à ceci les ouvrages d’irrigation avec les eaux de surface, par le biais de canaux (en Californie sur le Colorado, dont l’eau n’arrive pratiquement plus à son embouchure) ou de grands barrages qui perturbent considérablement le régime de l’eau, bloquent les sédiments, ce qui conduit à ce qu’ils se comblent progressivement tout en privant les terres agricoles des limons qu’ils déposaient jadis et qui assuraient leur fertilité. Le recours aux intrants chimiques devient alors une nécessité, avec toutes les conséquences sur l’environnement et les dépenses pour les agriculteurs qui en découlent.

La conséquence à terme est la salinisation des sols, ainsi la perturbation du régime des rivières, voire la disparition de celles-ci (l’exemple du Jourdain est significatif).

L’agriculture productiviste actuelle crée ses propres besoins : culture de maïs gourmand en eau pour nourrir du bétail confiné dans des bâtiments et qui ne voit plus d’herbe, besoin croissant en irrigation ou en arrosage car la terre a perdu sa capacité de stocker l’eau ou de l’infiltrer, variétés de plantes sélectionnées et uniformes ayant de plus forts besoins en eau que les variétés locales. La spécialisation de l’agriculture par régions amène des pollutions de l’eau par les nitrates des engrais dans une région de culture, par les nitrates des déjections animales dans une région d’élevage, alors que ces dernières pourraient amender des sols cultivés comme elles l’ont fait pendant des siècles avant la naissance de la chimie agricole lorsque les diverses activités étaient menées au même endroit, suivant l’ancien modèle « polyculture-élevage » (qui revient actuellement comme une des solutions à la crise agricole).

L’autre grande pollution est celle par les pesticides, qui, une fois épandus, traversent lentement les couches géologiques pour atteindre les nappes où l’eau potable est prélevée, souvent des décennies après. On retrouve maintenant dans les forages des pesticides qui sont devenus interdits, et d’autres toujours en usage. En Île de France, 118 captages ont dû être fermés pour pollution aux nitrates ou aux pesticides. Les dépassements de la limite de qualité pour les pesticides sont plus fréquents sur les eaux de surface (rivières), sur plus de 30 jours, ils deviennent de plus en plus nombreux en France (passage de 1 % à 3,8 % de la population concernée en France, de 2012 à 2014). Cette lente croissance de la pollution aux pesticides n’est pas étonnante : leur usage n’a cessé de croître, et ils se diffusent lentement dans la ressource en eau. En 2016, c’est toute l’eau distribuée par le SEDIF (syndicat des eaux d’Île de France) qui avait un dépassement de cette limite sur moins de 30 jours, l’eau de Paris, composée pour moitié d’eaux souterraines, moins polluées que les eaux de surface, était en forte proportion conforme : l’action d’Eau de Paris pour améliorer les pratiques agricoles ou favoriser la conversion au bio sur les zones de captage, peut y avoir contribué.

Retrouver la qualité des sols et leur vie biologique passe par l’abandon des méthodes agricoles actuelles, par amender ceux-ci naturellement, pour leur redonner leur porosité avec les lombrics et leur capacité à absorber l’eau avec un taux plus élevé de carbone.
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Retrouver un sol de qualité à partir d’un sol « mort » est possible en le restructurant avec de la matière organique morte. En apportant 100 tonnes d’humus par hectare, (80 % de BRF, 20 % de fumier) en 18 à 24 mois, le sol peut retrouver une population de vers de terre et s’humidifier en gardant l’eau : c’est ce que les agronomes français François Mulet et Konrad Scheiber ont indiqué sur la base de leur expérience au symposium « sols vivants » de Montréal, cité plus haut. 50 % d’air et d’eau, c’est en fait la moitié du volume d’un sol vivant qui est composée de vides, créés par les lombrics et les autres organismes du sol. C’est ce volume qui se rempli d’air, fait que le sol « respire », ou se rempli d’eau quand il pleut. C’est ces vides qui disparaissent dans un sol « mort ».
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La présence de l’eau est aussi la capacité des plantes à aller la chercher où elle se trouve. Elaine Inghame est l’une des pionnières de l’étude de la vie des sols et de l’action des dizaines de milliers d’organismes qui y vivent, avec des dizaines de publications scientifiques. La qualité biologique du sol influe directement sur la capacité des plantes à aller chercher l’eau dans le sol. Un exemple : avec deux tonnes par hectare de compost produit à la ferme, les racines deviennent plus profondes, comme en témoignent ces racines de ray-grass 3 mois et demi après l’amendement du sol (présentation au symposium de Montréal). Quelques mois après, elles descendent à plusieurs mètres de profondeur et il n’y a plus de problème avec la sécheresse : la biologie fait du bon travail.

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La comparaison avec la prairie voisine, entretenue de manière conventionnelle est saisissante : à droite, en avril 2011, des engrais et des pesticides avaient été utilisés, un seul pâturage a eu lieu, à droite, à la même date, avec le compost, 5 pâturages avaient eu lieu, et l’herbe était encore abondante.

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Elaine Inghame a donné un autre exemple, spectaculaire d’une certaine manière : c’est dans une rue à Boston, un pavillon avec un jardin semblable à celui des voisins. Fin juin, en pleine sécheresse, l’arrosage avait été limité à une heure une fois par semaine. Le gazon était partout jaune ou brun, les arbres perdaient leurs feuilles, les insectes dévoraient les plantes. Un seul jardin était bien vert, et la police était persuadée qu’il arrosait, des patrouilles avaient envoyées pour le prendre en défaut. Peine perdue : il avait fait analyser son sol pour trouver le compost adapté, il avait épandu celui-ci en octobre puis avait peaufiné l’intervention par un second épandage. Champignons du sol et micro-organismes avaient été inoculés, et l’ensemble des interventions avait évité tout stress hydrique sur ce petit terrain : le gazon et les plantes, dans un sol vivant, ont pu résister parfaitement à la sécheresse.

Des méthodes de restauration des sols peuvent métamorphoser des paysages. C’est possible par le pâturage, grâce aux déjections animales, et aussi à l’écrasement des pailles. Avec le pâturage holistique au désert de Chihuahua (Mexique), le volume d’eau conservée dans le sol régénéré est six fois plus important que celui de l’ancien étang, et le paysage, jadis semi-désertique, est devenu verdoyant [23].
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Photos : avant et après la restauration des sols, au même emplacement.
/ photo www.bio4climate.org
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Lors du symposium de Montréal « sols vivants », un autre intervenant, Josselin Michon, agriculteur au Québec, a expliqué qu’un pour cent de carbone stocké dans les sols lui permettait de conserver 200.000 litres d’eau par hectare [24], et qu’avec 2 % de carbone, ce qui est le cas de ses terres, il pouvait passer sans encombre une période de sécheresse.

Des résultats allant dans le même sens sont donnés pour un climat tropical par Vandana Shiva [25] : « une augmentation de un pour cent de la matière organique dans le sol accroît la capacité de rétention du sol de 100.000 litres par hectare. Une augmentation de 5 % permet d’atteindre 800.000 litres par hectare ».

L’exemple du district d’Alwar, en Inde (Rajasthan) permet d’illustrer à la fois les méfaits du système actuel, et la possibilité de les annuler en cultivant autrement. Cette zone, à la pluviométrie moyenne (à peine inférieure à la nôtre, mais concentrée autour de la période de la mousson) était devenue semi-désertique : les forêts avaient été coupées à l’indépendance de l’Inde, puis, avec la « révolution verte », les cultures de coton irriguées par des forages avaient vidé les nappes phréatiques non rechargées par des ouvrages traditionnels, les « joads », qui avaient été abandonnés ; il s’agit de petits bassins limités par des buttes de terre, en bas de pentes, qui retenaient et infiltraient l’eau de la mousson dans le sol en l’empêchant de ruisseler. Au bout de quarante ans, la zone était devenue semi-désertique, la population subissait la malnutrition, l’exode rural était important. L’alerte a été donnée par un vieux « sage » paysan à un jeune venu de la ville, Rajendra Singh, qui était venu ici comme volontaire pour y apporter l’éducation et la santé. Cela a débouché sur la restauration ou la création de 10.000 de ces ouvrages traditionnels.

Vingt-cinq ans après la création (1985) de l’association Tarun Bharat Sangh, les nappes phréatiques ont été rechargées, 7 rivières qui avaient totalement disparu coulent à nouveau, la région est devenue prospère, la végétation est abondante et des habitants qui l’avaient quitté sont revenus. Un des aspects les plus intéressants est que tout ceci est autogéré par les habitants, car les autorités locales, qui avaient développé jadis la « révolution verte » se sont opposées au début à ce processus. Il a été mis en place en dehors d’elles, par des assemblées de village (Gram Sabha), qui se perpétuent aujourd’hui. Pas d’engrais chimiques ici : les paysans travaillent avec la nature et n’utilisent que du compost. Les nouvelles rivières qui sont réapparues ont même été repeuplées en poissons, alors que les gens dans cette zone sont végétariens : la biodiversité est importante pour eux [26].

La gestion de l’eau est aussi la gestion des inondations. Permettre à l’eau de s’infiltrer en changeant les pratiques agricoles est essentiel, mais peut ne pas suffire. Une expérience très intéressante a été menée en Slovaquie par « Ľudia a voda » et Michal Kravčík, après les inondations dramatiques de 2010 : dans le cadre d’un programme national, qui n’a hélas pu durer qu’un an et demi, des dizaines de milliers de petits ouvrages, pour ralentir le flux de l’eau dans des thalwegs en général où elle s’écoulait lors d’orages, ont été réalisés avec des moyens locaux simples (fagots, troncs, dans certains cas barrages de terre ou de pierres), réalisés par la main-d’œuvre locale, à coût peu élevé par rapport à des ouvrages en béton. Ils ont ralenti l’eau et l’ont fait s’infiltrer lors d’événements similaires par la suite, prévenant toute inondation. Les sols ont été ainsi rechargés en eau.

Le sur-pompage dans les nappes phréatiques, l’évolution de l’utilisation du sol, la disparition de forêts amènent un assèchement progressif des sols. L’évaporation et la pluviométrie sont modifiés. L’ensemble des perturbations amenées par le développement actuel mène inexorablement à l’épuisement des ressources en eau avec, en conséquence, l’assèchement général des sols (même s’il pleut ou si il y a des inondations), et la désertification, alors que des solutions sont connues et ont fait leurs preuves : la lutte contre le ruissellement, partout où il se produit, l’infiltration de l’eau de pluie dans le sol là où elle tombe – parfois avec de multiples petites retenues – et le changement complet des méthodes agricoles, pour que le sol lui-même stocke l’eau, et pour que les plantes soient capables d’aller se la procurer.

6. Les forêts

La forêt est l’élément des systèmes naturels qui a le plus disparu.

Pourtant elle est essentielle pour notre climat. Avec l’évapotranspiration, un hectare de hêtres rejette 250 mm d’eau en une saison, une forêt tropicale humide, environ 1530 mm d’eau par an. En Amazonie, une étude faite avec des marqueurs moléculaires a montré que le débit de vapeur d’eau envoyée dans l’atmosphère par la forêt dépassait le débit de l’Amazone, le plus grand fleuve de la planète. Cela génère des « fleuves aériens de vapeur » qui contribuent à l’humidité et aux pluies sur tout le versant est de la Cordillère des Andes [27]. La disparition partielle de cette forêt, avec la déforestation essentiellement liée à l’élevage (prairies ou cultures de soja ou maïs pour le bétail) produit déjà des sécheresses importantes : São Paulo avait ainsi manqué d’eau en saison sèche trois ans de suite, en 2014 et les années précédentes.

Dans le Sud Est asiatique, des glissements de terrain meurtriers sont liés à la disparition des forêts qui retenaient les sols et empêchaient le ruissellement.

La forêt joue un rôle régulateur du climat, elle limite les excès climatiques, elle baisse les températures extrêmes avec l’évaporation, elle modère le climat : c’est particulièrement important dans la période actuelle de changement climatique.

La déforestation hélas se poursuit, dans certains pays de manière accélérée ; selon la FAO, c’est 80.000 km² de forêts qui disparaissent par an (compte-tenu de la reforestation) soit la surface de l’Autriche. Seule la Chine déclare une augmentation importante de ses forêts (40.000 km² par an), en Europe aussi la forêt est en croissance. La disparition des forêts primaires est de 120.000 km² par an, essentiellement dans des régions tropicales (Amérique du sud, Sud-est asiatique).

Selon la FAO « Alors qu’en 1990 les forêts couvraient environ 4 milliards 128 millions d’hectares ou 31,6 pour cent de la superficie mondiale des terres, en 2015 elles ne couvrent plus que 3 milliards 999 millions d’hectares ou 30,6 pour cent des terres » « Entre-temps, le taux annuel net de pertes de forêts s’est ralenti passant de 0,18 pour cent dans les années 1990 à 0,08 pour cent au cours de la période 2010-2015 » 

Si 93 % des forêts sont encore des forêts naturelles riches en biodiversité, les forêts plantées, en général d’espèce unique pour des besoins marchands représentent les 7 % restants : la biodiversité y est perdue, et ces plantations appauvrissent les écosystèmes, détruisent les sols et souvent les polluent. La déforestation en général vise à créer des zones agricoles (soja ou maïs pour le bétail, canne à sucre pour les biocarburants) ou d’élevage, en Asie, c’est souvent des palmiers à huile qui sont plantés. Toutes ces cultures répondent à des logiques d’investissement de groupes privés pour réaliser des profits. Leur objectif est des bénéfices à court terme, peu importe l’effet à plus long terme sur l’environnement.

La poursuite de la déforestation est dramatique pour la biodiversité et le climat : toute forêt perdue c’est de la modération climatique, de l’évaporation, de la bonne recharge des aquifères en moins. C’est un pas vers, à terme, la désertification de la planète. Ce n’est pas un ralentissement de la déforestation qu’il faut obtenir, c’est un arrêt, car la déforestation est un crime contre la Nature, qui devrait pouvoir être puni par une justice environnementale planétaire à mettre en place. Son arrêt devrait être accompagné d’une restauration de ce qui a été perdu, en respectant la biodiversité.

7. le problème des villes

L’urbanisation s’est développée avec la naissance d’un surplus agricole, permis par l’invention de l’agriculture au néolithique. Peu à peu, les forêts, coupées, ont été remplacées par des champs ou des prairies, des espaces ont été défrichés pour implanter des villes ; des aqueducs ou divers autres systèmes suivant les lieux et les climats, ont été édifiés pour y amener l’eau. Jusqu’à la révolution industrielle, la taille des villes était relativement limitée et un lien avec l’environnement agricole maintenu (ceintures maraîchères).

Depuis l’industrialisation de l’agriculture, au sortir de la II ème guerre mondiale, la situation a radicalement changé : les agriculteurs, qui étaient majoritaires dans la population, ont vu leur nombre chuter rapidement, y compris dans les pays émergents. On est passé des villes à des mégapoles, où les sols sont artificialisés, les eaux de pluie canalisées et renvoyées aux rivières et à la mer (avec ou sans épuration préalable). La végétation y est souvent limitée, les températures hautes l’été avec l’effet d’ « îlot chaud urbain », et la ville devient difficile à vivre. Le sol n’est plus qu’un support, la vie biologique y disparaît. Le ruissellement sur les sols imperméables se traduit parfois par des catastrophes. L’homme a tout modifié, mais il ne maîtrise pas tout.

Une autre ville est elle possible ?

Des villes depuis longtemps ont su garder d’importantes surfaces arborées (Londres, Berlin, Bucarest, Sofia et même New-York avec Central Parc…). On peut y trouver des espaces de détente où la population trouve de la fraîcheur l’été. Mais ceci ne suffit pas : c’est dans toute la ville qu’il faudrait créer des surfaces de canopée pour humidifier et rafraîchir l’atmosphère. Des expériences de « villes vertes » existent, la préoccupation d’infiltrer l’eau sur les parcelles devient courante, voir même obligatoire si c’est possible ; peu à peu, la manière de concevoir les villes évolue, faisant place à la nature, à l’eau, aux sols naturels, aux arbres.

Faire évoluer la ville peut se faire de multiples manières : en développant des démarches participatives remettant en cause des projets urbains et élaborant des propositions avec les habitants, comme les États Généraux de l’Eau à Bruxelles ou des actions plus radicales de "dépavage" - en fait d’arrachage de revêtements imperméables en ville (ciment, asphalte) - pour faire place à la végétation et à la nature. Des actions de ce type, sur des terrains privés (avec le propriétaire) ou publics ont été menées aux États-Unis par 350.org et depave.org, elles font revenir la nature, permettent que l’eau s’infiltre et contribuent au climat. En ville, les actions vont d’enlever le bitume autour des arbres à "dépaver" des parkings pour en faire des aires de détente plantées.
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À Sommerville (Massachusetts) dépavage chez Steve pour recréer un sol sain, avec 350.org
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photos : bio4climate.org
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un an après, explosion de fleurs
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L’agriculture urbaine, l’agriculture périurbaine peuvent y contribuer. Dans la première moitié du XX ème siècle, le maraîchage existait encore dans de nombreuses villes, et dans de nombreuses banlieues de grandes villes. Tout ceci a disparu avec l’urbanisation qui a suivi la II ème guerre mondiale, et dans les années 60. Aujourd’hui, des jardins partagés se développent à nouveau dans beaucoup de villes, des jardins ouvriers (qui étaient nés après la guerre) ont une seconde vie.
À La Havane, l’agriculture urbaine a été développée massivement pendant la « période spéciale » [28]
Aujourd’hui Cuba produit plus de 70 % de ses fruits et légumes, essentiellement en agriculture biologique de proximité.

Le maraîchage de proximité se développe à nouveau en France avec les AMAP. De plus en plus, la préoccupation de consommer ce qui est produit sur place se développe, avec les ventes à la ferme ou les circuits d’achat de proximité. Retrouver le lien avec la nature et les systèmes naturels en ville est sans doute un long cheminement, mais il est possible de s’y engager, et c’est déjà le cas à beaucoup d’endroits.

Enfin, la gestion des déchets est essentielle. La question de la collecte séparée des bio-déchets et des déjections humaines ont été évoquées plus haut. La ville de demain ne peut se concevoir que si elle fait retourner à la Terre ses rejets biologiques, que si elle apprend à réutiliser et recycler ses matières premières. Elle doit devenir une composante du nouveau système vivant.

8. La transition

Le système actuel s’est développé sur les énergies fossiles (charbon, puis pétrole et nucléaire), et sur l’extraction de richesses naturelles, que ce soient les matières premières, les minéraux ou l’eau. Outre le fait que celles-ci s’épuisent, il débouche sur plusieurs impasses :

  • Au niveau de l’air, avec la croissance des gaz à effet de serre. Le niveau de pollution, surtout hors d’Europe et d’Amérique du Nord dans les villes, arrive à des niveaux jamais atteints, avec la pollution liée à l’industrie (fumées d’usines chimiques ou thermiques, particules fines, oxydes d’azote, dioxines…) ou à l’agriculture (intrants chimiques, perturbateurs endocriniens). Le réchauffement climatique, si il se poursuit, peut mettre en danger nos sociétés.
  • Au niveau des sols, avec la mort de la vie biologique dans de nombreux sols les rendements agricoles commencent à diminuer. La ressource principale que nous donnait la nature, les sols vivants, a été partout détruite. Les sols stériles, impropres à l’agriculture s’étendent sans cesse, la planète se désertifie.
  • Au niveau de l’eau, alors que dans l’agriculture des derniers siècles, la ressource principale était la pluie, aujourd’hui, le sur-pompage dans les nappes phréatiques et le détournement des eaux de surface deviennent généralisés. Les sols de l’agriculture productiviste ne savent même plus retenir l’eau, le ruissellement augmente et avec lui les inondations, les cycles naturels sont brisés. On doit procurer aux cultures artificiellement l’eau que les sols n’ont pu garder. Ici encore, c’est l’usage de ressources non-renouvelables, prises à la planète qu’il faut arrêter. L’effet de « plaque chaude » détourne les précipitations de zones agricoles où l’évapotranspiration est réduite. La terre s’assèche à la campagne, pendant que dans les villes, largement imperméabilisées, l’eau de pluie est évacuée.

En épuisant ce que la planète nous a légué, l’humanité va dans le mur, elle détruit elle-même le milieu où elle vit et les conditions de sa survie.

Le changement de systèmes agricoles est devenu une nécessité pour nourrir l’humanité à la fois parce que l’épuisement des ressources (sols, minéraux, eau) est l’aboutissement du système actuel, et parce que la destruction de l’environnement et la désertification de la planète en seront la conséquence.

Une révolution aussi importante que la révolution industrielle a été à l’origine du développement actuel : la révolution agricole qui a suivi la deuxième guerre mondiale, avec la « révolution verte », l’utilisation des engrais chimiques pour augmenter les rendements, l’utilisation des insecticides, des herbicides, des fongicides. Elle a été de en plus massive au fur et à mesure que ce système épuisait les sols et favorisait l’apparition de nuisibles résistants aux traitements. Les semences hybrides, puis les OGM ont parachevé la domination d’un système artificiel, où la chimie travaillait à la place de la nature et travaillait en fait contre elle. Les maîtres d’œuvre de ce système, les grandes compagnies privées – Monsanto, Syngenta… – ont progressivement pris le contrôle de l’agriculture, et dépossédé les paysans avec la complicité des États.

Le ravinement des sols est une conséquence de ce système agricole, avec la perte de l’humus. Asséchés ou durcis certains ne sont plus cultivables, ou, dans les meilleurs de cas, nécessitent de plus en plus d’intrants au fur et à mesure de leur épuisement.

De même que les énergies fossiles mettent en danger notre atmosphère, l’agriculture chimique tue nos sols, épuise nos ressources en eau et les pollue.

Or la vie sur la planète ne peut exister sans ceux-ci.

Sa destruction a déjà largement commencé, de plus en plus de sols ne sont plus cultivables, la désertification augmente et le lien entre les extrêmes climatiques actuels et la disparition des forêts est de plus en plus compris. Il faudra que le lien entre les inondations et le ruissellement sur les terres de l’agriculture productiviste soit étudié, car il est clair qu’il existe de manière importante.

La transition vers une nouveau système aura donc nécessairement trois piliers :

  1. La question de l’air : elle est connue, et les moyens de l’abandon des énergies fossiles et de la transition vers les énergies renouvelables sont largement débattus, même s’il n’y a pas accord sur les modalités et sur les délais de cette transition vers les énergies renouvelables et la baisse des consommations d’énergie.
  2. La question des sols émerge de plus en plus, car comment continuer à vivre en détruisant nos sols ? Une initiative européenne « Sauvons nos sols » a interpellé la Commission Européenne pour que cette question soit prise en compte. La rapporteure spéciale des Nations-Unies sur le droit à l’alimentation, Hilal Elver, en continuité d’Olivier de Schutter et Jean Ziegler, a indiqué que nous devions abandonner progressivement l’agriculture productiviste actuelle qui met en danger la sécurité et contamine l’environnement avec les pesticides. Du côté des mouvements sociaux, la déclaration de Nyléni Europe, initiée par Via Campesina, au Mali en 2007 qui regroupe 200 millions d’agriculteurs dans 84 pays indique qu’il faut travailler avec la nature et non contre elle, développer des solutions agroécologiques qui respectent les limites de la planète, utiliser les ressources de la ferme et non des intrants chimiques, elle demande le respect des gênes et des droits des animaux. À un niveau individuel, de plus en plus de jeunes cherchent à rompre avec le système actuel, s’engagent dans la permaculture, changent de vie et de lieu de vie, d’autres, parfois les mêmes refusent notre alimentation et deviennent végétariens ou végans. Le fait que les animaux aient une conscience, une personnalité, qu’ils puissent éprouver des émotions ou des souffrances est de plus en plus compris. C’est une raison de plus pour remettre en cause l’élevage tel qu’il est pratiqué dans l’agriculture « conventionnelle ». On ne veut plus voir des animaux parqués, entassés, dans ce qui pourrait être considéré comme pire que des camps de concentration. La baisse de consommation de viande, voire son arrêt pourraient avoir une énorme incidence sur les sols, puisqu’elle est la cause à 90 %, par exemple, de la déforestation de l’Amazonie. Une nouvelle révolution agricole, celle du travail avec la Nature doit succéder aux précédentes, celle de la mécanisation puis celle de la chimie et des OGM. Ce travail avec la nature et les myriades d’êtres vivants, petits et grands qui la constituent doit devenir la base du nouveau savoir et de nouvelles pratiques, complexes et encore balbutiants actuellement, que nous devons acquérir. L’agriculture biologique nous en donne un aperçu, encore partiel, qui devra être perfectionné ou dépassé. La forêt détruite doit être replantée, bien au-delà de ce qui a été détruit. Travailler avec la nature et les processus naturels, œuvrer avec les animaux en coopérant avec eux et en leur manifestant de l’amour, respecter pleinement la Terre notre mère doit amener l’éclosion d’un monde profondément différent. Ce respect de la Terre ne doit pas seulement porter sur les sols à sa surface : nous devons cesser de la mutiler, en ouvrant de gigantesques mines à ciel ouvert, comme en Bolivie, au Chili, ou près de nous en Allemagne, nous devons cesser de l’écarteler en la fracturant de l’intérieur avec l’extraction des huiles et gaz de schiste, nous devons cesser d’arracher sa peau en retirant sa surface pour extraire les schistes bitumineux qui sont juste sous la couche d’humus, comme au Canada, nous devons cesser de l’empoisonner en y déversant du cyanure, comme dans les exploitations d’or en Amazonie et comme cela a failli se faire en Roumanie s’il n’y avait eu la mobilisation de Rosa Montana. Respecter la planète, c’est rompre complètement avec le système extractiviste actuel qui ne fait que la détruire.
  3. La question de l’eau : comment vivre sur une planète que nous transformerions peu à peu en désert ? Cette question est liée à la fois à celle des sols et au climat. La gestion de l’eau doit changer, l’eau de pluie doit être considérée non comme quelque chose de gênant à évacuer, mais comme une ressource à retenir là où elle tombe pour nourrir le sol et les plantes. Nous devons remettre en cause les ouvrages de « protection », éliminer les digues et barrages sauf cas exceptionnels, restaurer les méandres, bras morts, zones d’expansion des crues, zones humides, ripisylves pour retrouver le fonctionnement naturels des milieux bordant les rivières, créer des rétentions d’eau de petite taille pour lutter contre les inondations tout en infiltrant l’eau.

C’est à partir d’un« nouveau paradigme de l’eau » [29], basé sur le rôle central du cycle de l’eau, en particulier au niveau local, et son effet sur le climat, qu’il faut concevoir notre rapport avec l’eau et la gestion de sa circulation. Nous devons « rendre l’eau à la terre pour restaurer le climat ».

9. Tourner la page de l’anthropocène.

Cette profonde mutation concernant l’air, les sols et l’eau est déjà en route, à travers des milliers d’expériences sur toute la planète. L’homme ne cherchera plus à dominer la nature mais à collaborer avec elle. Il sera en interaction avec elle dans le cadre du bon fonctionnement des systèmes naturels. Les autres composants de la nature et les êtres vivants seront respectés. Ils deviendront des partenaires respectés pour créer le nouveau monde, basé sur non sur la compétition et la guerre, mais sur la coopération et l’amour.

Les systèmes naturels ont été détruits, une nouvelle activité, de soin à la nature et de restauration, devra maintenant se développer : Pablo Solón parle d’emplois « reproductifs » par opposition aux emplois productifs, dans la mesure où ces emplois contribuent à notre reproduction (soins aux enfants, tâches domestiques) ou à la reproduction de la nature (travaux pour restaurer des milieux naturels) mais sont pas ou peu pris en compte par le système marchand. [30]

Ce sera une profonde mutation après l’actuel anthropocène, monde modelé par l’homme, dont nous devons nous préparer à tourner la page.

Comment appeler cette ère à venir ? Robert Levesque dans « Terre Nourricière » [31]a proposé l’ « écolocène ». Quel que soit son nom, c’est ce monde là que nous devons faire émerger.


Une version condensée (environ 40%) de ce article paraîtra au mois de mars en français et en anglais dans le recueil "L’eau, bien commun" de la collection "Passerelle" édité par RITIMO, en coopération avec la Coordination eau Île de France, France-Libertés, Une seule planète.
Il sera téléchargeable sur www.coredem.info


[1Jean-Claude Debeir, Jean-Paul Deléage et Daniel Hémery « les servitudes de la puissance, une histoire de l’énergie » Flammarion 1986

[2Immanuel Walerstein « le capitalisme historique » la Découverte/poche 2011

[3Sepp Holzer, inventeur de la permaculture en Europe dans « désert ou paradis », et Michal Kravcik, hydrologue slovaque dans « water for the recovery of the climate »

[4Datée par Platon (428/27-347/46- av.JC) de 9000 ans avant lui

[5Platon « Critias » 111 a-d traduction de Luc Brisson avec Michel Patillon GF Flammarion

[6Géographie de Strabon XVII-3-4

[7Mémoire M2 géographie développement durable 2009, Alain Gouba, université du Maine, Le Mans

[8Matthieu Calame Une agriculture pour le XXIe siècle. Manifeste pour une agronomie biologique, Paris, Éditions Charles Léopold Mayer, 2007

[9Descartes, « Discours de la méthode » 6ème chapitre

[10Marie-Monique Robin, « Les moissons du futur » La Découverte 2014. chap. 4

[11« Water in Plain Sight » Judith D. Schwartz, St Martin Press 2016

[12Jean-Paul Thorez, « Le guide malin de l’eau au jardin », éditions Terre vivante 2005, cas des vignes du Midi

[13« Manifeste pour une agriculture durable » Lydia et Claude Bourguignon, Actes Sud 2017

[14« Water in Plain Sight » ibidem

[15« Manifeste pour une agriculture durable » ibidem

[16Judith D. Schwartz article dans « Water Currents »

[17Bien que celle-ci, dans certains cas soit amenée à utiliser, parfois massivement, des intrants chimiques, en cas d’échec des méthodes naturelles

[18Claude et Lydia Bourguignon, « manifeste pour une agriculture durable » Actes Sud, 2017

[19ibidem

[20Voir Matthieu Calame, op cité

[21« Désert ou Paradis » titre d’un livre de Sepp Holzer, initiateur de la permaculture en Autriche et en Europe

[22Restorative and regenerative projects around the world

[23Cet exemple est décrit dans « Water in Plain Sight » de Judith D. Schwartz

[24Ce qui rejoint le chiffre en France cité plus haut de 190.000 l/ha

[25Vandana Shiva « Le sol pas le pétrole : l’ère du pétrole, du dérèglement climatique et des guerres contre la planète et les peuples » in Passerelle n° 13/2015 www.coredem.info

[26« 25 years of evolution » téléchargeable en anglais sur le site, voir aussi « un million de révolutions tranquilles » Bénédicte Mannier « les Liens qui Libèrent », 2012 (chapitre 1)

[27Antonio Donato Nobre « the future climate of Amazonia » 2014 et : « Water in Plain Sight » Judith D. Schwartz, St Martin’s Press 2016 chapitre 4 « missing the water for the trees »

[28Période de l’effondrement de l’URSS et de la disparition du COMECON : Cuba s’est retrouvé sans pétrole et sans engrais, et a développé pour pouvoir nourrir la population l’agriculture biologique et l’agriculture de proximité pour le maraîchage et les fruits, qui, sur un rayon de 50 km fournissent encore aujourd’hui la capitale.

[29téléchargeable en ligne, p. 72-73

[30Pablo Solón « complémentarité entre les visions alternatives » in « le monde qui émerge », ouvrage collectif ATTAC éd. Les liens qui libèrent 2017

[31« Terre Nourricière » Robert Levesque L’Harmattan 2011