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Qu’est ce que la pluie en Espagne prédit pour notre futur

Traduction partielle du chapitre 7 de The Reindeer Cronicles, and Other Inspiring Stories of Working with Nature to Health the Earth de Judith D. Schwartz

mercredi 12 novembre 2025, par Daniel Hofnung

Le météorologiste Millan Millan, décédé en janvier 2024, a travaillé pendant des décennies sur l’évolution des pluies en Espagne, en particulier sur les évènements climatiques violents, en relation avec les modifications de l’environnement.
Il a commencé de travailler sur les causes locales du changement climatique avec Ted Munn en 1969. En 1979 il a collaboré à un rapport pour le premier congrès de l’Organisation Météorologique Mondiale. À cette époque on parlait des "deux jambes" du changement climatique. La jambe globale était la montée du taux de gaz à effet de serre, la jambe locale les modifications de la couverture des sols (déforestation, artificialisation des sols...)
Celle-ci a peu à peu été écartée sous prétexte qu’elle n’était pas modélisable pour prévoir l’évolution du climat.
Millan Millan a été longuement interviewé par la journaliste environnementale américaine Judith D. Schwartz dans un ouvrage non traduit en français, The Reindeer Chronicles. Son analyse permet de comprendre les causes locales (et non globales) des évènements climatiques violents qui se multiplient actuellement de plus en plus. L’exemple récent des Philippines, soumises à une importante déforestation, correspond bien à cette analyse.

Science et inspiration
Qu’est ce que la pluie en Espagne prédit pour notre futur

(extraits du chapitre 7 de « The Reindeer Chronicles, and Other Inspiring Stories of Working with Nature to Heal the Earth » de Judith D. Schwartz, Chelsa Green Publishing, 2020)

Nota : 1/ J’ai mis entre crochets des explications que j’ai ajoutées
2/ Millán Millán, né en 1941, est décédé en janvier 2024
3/ Le chapitre 7 fait 37 pages, il décrit en outre deux initiatives de restauration des terres. La partie sur Millán Millán comprend encore des pages non traduites ici.

(...) L’Espagne subit l’une des pires désertifications en Europe, avec des signes que les conditions arides d’Afrique du Nord s’installent. Que des parties de l’Espagne ressemblent à un désert est à peine des nouveautés. Les « mauvaises terres » de la province d’Almeria, devenues un mini Hollywood, ont servi de décor à de nombreux films, dont Indiana Jones, Lawrence d’Arabie ainsi qu’aux westerns spaghetti de Sergio Leone. Plus récemment, de grandes parties du pays, qui étaient autrefois vertes et fertiles, sont confrontées à la perte de la couche supérieure du sol, à l’érosion, et à des rivières à sec.
( ...)
Deux initiatives sont deux modèles dynamiques pour engager des gens dans la restauration des terres : AlVelAl en Andalousie qui vise à tirer un potentiel économique de la restauration du sol, Camp Altiplano, le premier Camp de Restauration de l’Écosystème qui vise à lancer un mouvement global, à la base pour restaurer les terres dégradées.

(...) Comment le paysage d’Espagne s’est-il autant dégradé ? Pour comprendre cet aspect de l’histoire, j’ai pensé au scientifique Millán Millán (les 2 ll se prononcent y).
Il a montré comment les changements d’usage du sol avaient de profonds effets sur les modèles de climat au niveau régional. Il a observé pendant des décades ces changements sur la côte méditerranéenne, souvent d’instant en instant lorsqu’il surveillait l’avance et l’éloignement des nuages depuis son petit observatoire dans son appartement [à Valence] au 13ème étage . Ses travaux montrent un lien clair entre l’altération du paysage et le climat, sujet généralement absent des discussions à haut niveau sur le changement climatique qui se concentrent seulement sur les parties par millions de dioxyde de carbone dans l’atmosphère. John Liu et d’autres parlaient de Millán avec une grande admiration. Rhamis Kent citait son aphorisme : « l’eau engendre l’eau » et « la végétation est la sage-femme des précipitations ».
Il dit que « les prévisionnistes ne tombent jamais juste sur les rives de la Méditerranée, car ils ne considèrent pas les effets de la température de surface de la mer »
Dans les années 90, l’Union Européenne a demandé à Millán de faire une recherche sur les anomalies climatiques dans la région méditerranéenne. À la base, il y avait 20 ans de données qui s’écartaient des modèles acceptés. Cela a été à l’origine d’un cheminement d’enquête qui l’a amené à conclure : ce que nous faisons aux terrains altère le cycle de l’eau, et a une influence sur le climat. Il a déterminé que l’impact humain sur l’hydrologie avait déjà contribué aux événements climatiques extrêmes tels que des sécheresses prolongées et des orages violents et créant des dommages. Cette recherche lui a aussi donné la conviction qu’à partir du moment où nous comprendrons les dynamiques à l’origine de ces scénarios négatifs, nous pourrons mettre en œuvre des approches de gestion des sols qui permettent de retrouver les régimes de pluie passés. Ce qui signifie que les perturbations du cycle de l’eau sont réversibles. Ce corps de travail plaide fortement en faveur de la restauration écologique.

Au cours des trois dernières décades, Millán a participé à de nombreux projets scientifiques de l’Union Européenne, analysant des données historiques, faisant appel à des modèles de simulations, lançant des ballons, et employant les derniers instruments de cartographie et de mesure pour mieux comprendre l’évolution des conditions dans la Méditerranée occidentale en relation avec les phénomènes plus larges. Cette recherche a permis d’expliquer les phénomènes qu’il observait en temps réel, à savoir que les formes de pluies côtières changeaient. Il souligne que, comme l’ensemble de l’Europe, l’Est de l’Espagne enjambe deux bassins hydrologiques, ceux du nord Atlantique et de la Méditerranée. Le bassin méditerranéen, qui influence plus fortement la zone autour de Valence, dépend pour ses précipitations de l’humidité qui est recyclée au sein de son bassin versant. Il a appris que les impacts dus à l’homme sur les terres détermine à la fois la quantité de vapeur qui re-circule et comment l’humidité est distribuée.
Millán explique que dans le passé, les pluies d’été prédictibles nettoyaient l’air et procuraient de l’eau pour l’agriculture. Les orages agissaient comme un pont, délivrant de l’eau dans une période où les autres systèmes d’eau sont « au repos ». L’eau qui s’évaporait de la mer Méditerranée pouvait tomber à de plus hautes altitudes, soixante ou quatre-vingt kilomètres à l’intérieur des terres – l’humidité grimpant les pentes, comme en utilisant un escalier, via l’effet orographique qui soulève puis rafraîchit la masse d’air jusqu’à ce qu’elle se condense pour former des nuages et de la pluie. La culmination de plusieurs changements de l’usage du sol au cours du temps – déforestation, drainage des marais pour les besoins agricoles, construction sur des zones humides, ensevelissement du sol par des maisons, de l’asphalte et du béton, et un accroissement des incendies de forêt ont eu pour résultat la baisse de l’évapotranspiration sur le trajet de l’air venant de la mer.
Seule, disait-il, la vapeur issue de la Méditerranée n’était jamais suffisante pour obtenir la pluie, disait-il. L’humidité montant des terres, émanant de l’humidité du sol et de la transpiration de la végétation, était le déclencheur qui la faisait arriver. Et ainsi, son absence conduit à un déficit. Millán a noté que dans cet environnement particulier, le taux d’humidité ambiante nécessaire pour amener de la pluie est de vingt et un grammes par kilogramme d’air. Le contenu moyen en humidité de la brise de mer estivale est de quatorze grammes par kilogramme d’air. Sans les sept grammes au moins de vapeur attrapée au dessus des terres, la brise d’été ne peut racler assez d’humidité pour déclencher un orage.
Les pluies manquantes sont pas le seul effet de la dégradation des sols. Avec moins de végétation délivrant de l’humidité, la surface du sol se réchauffe. Des sols chauds, arides, qui repoussent les nuages et causent des précipitations au-dessus de l’eau. Millán dit que « si vous accumulez assez de vapeur d’eau, vous obtenez un orage. Sinon, l’humidité repart vers la mer. »

Aussi, la plupart de la vapeur d’eau qui serait tombée sous forme de douches montagnardes est toujours suspendue alentours. Cet air chargé d’humidité absorbe la pollution et contribue à l’effet de serre qui réchauffe la mer. Il fait remarquer que la température de la mer Méditerranée a monté de près de 4° C au cours des trente dernières années. Le manque d’une activité consistante met le bassin versant en mode « accumulation », au cours duquel la vapeur persistante et les polluants s’accumulent en couches au dessus de la mer, créant une sorte d’embouteillage météorologique.
La vapeur doit aller quelque part malgré tout, et une bonne partie se déplace en advection – transfert horizontal – vers là où elle peut se condenser. La recherche de Millán a pisté cette humidité fugitive jusqu’aux évènements de précipitations en Europe centrale, qui a eu l’expérience d’inondations énormes pendant ces derniers étés. Selon ses mots : « À la base, vous coupez un arbre à Alméria et vous obtenez une tempête à Düsseldorf ». Quand il pleut près des côtes, c’est plus sévère, avec pour résultat des inondations, des glissements de terrain et de l’érosion. Le nouveau modèle est moins de pluies pendant l’été, quand on en a besoin, et plus de lourdes précipitations au printemps et à l’automne. C’est devenu un cycle qui se perpétue de lui-même : sans pluies régulières l’été, la mer est moins à même de libérer de la chaleur, pendant que la surface de l’eau, plus chaude, alimente des pluies torrentielles hors-de-saison. Cette dernière pièce est le scénario air-froid-sur-eau-chaude, comme le système frontal qui nous a trempé depuis que nous avons quitté l’avion. Il en résulte des remarquables oscillations entre l’aridité et les inondations, qui exacerbent la désertification et tous les problèmes résultants des inondations, des dommages aux récoltes à la contamination de l’eau.
Comme le dit Millán, « quand il y a un développement sur une côte, le niveau de convection de la condensation remonte ». Cela signifie qu’un volume d’air a besoin d’atteindre un niveau plus haut pour que l’humidité puisse se condenser. « les changements qui ont été prédits pour dans cinquante ans surviennent maintenant. Nous avons des espèces exotiques arrivant dans la mer. Des pluies régulières remplissaient les aquifères. Maintenant, nous avons de la sécheresse, mais quand la pluie arrive, elle est intense, ce qui amène des inondations, des glissements de terrains et de la perte de sols. »

Ce n’est pas une situation stellaire, c’est celle qui se reflète à travers la péninsule ibérique et qui met de la pression sur des fermiers déjà en difficultés. Malgré tout, Millan croit que si nous pouvions comprendre les circonstances qui interrompent des configurations climatiques datant de longtemps,
(page 183) nous pourrions développer des outils pour réinstaller les cycles hydrologiques. Il croit, dit autrement, qu’il est possible de « cultiver les orages d’été ». Cela peut être fait, dit-il, en garantissant des sources d’évapotranspiration (autrement dit, de la végétation) sur le trajet des brises d’été afin que la masse d’air récupère l’humidité requise. La reforestation dans des zones qui avaient auparavant procuré autrefois de la vapeur peut, dans une certaine mesure, compenser les dommages antérieurs.
La recherche sur les interactions sol-plantes-précipitations peut aussi informer sur comment on peut concevoir, construire et développer de l’habitat tout en sauvegardant les fonctions environnementales, dit-il. Par exemple, sur l’ouest du bassin méditerranéen et les zones côtières similaires, il devrait y avoir des zones forestières dans les bassins versants. Les maisons devraient êtres peintes en blanc pour réfléchir, au lieu d’absorber, la chaleur. Ainsi, les brises de mer n’iraient pas recueillir de la chaleur quand elles soufflent au-dessus des paysages. En créant les conditions avec lesquelles le climat avait bien fonctionné dans cette région, Millán prétend qu’il est possible de stabiliser le cycle de l’eau de l’échelle locale à l’échelle régionale. Il ajoute l’avertissement, malgré tout, que le second effet de seuil, une perte de sol massive, ne doit pas être franchi. Ceci parce que des propriétés de la surface du sol que l’albédo (réflectivité), l’absorption de chaleur et la rétention d’humidité ont un impact énorme.
En réinstallant de manière judicieuse de la végétation et des surfaces perméables, non sujettes au réchauffement dans une zone, on pourrait induire des précipitations à soixante ou quatre-vingt kilomètres sur les pentes ou sous le vent, selon le trajet naturel de l’humidité. C’est une perspective remarquable : la possibilité d’annuler la perturbation, de reconnecter ce qui a été rompu – ici, le flux de la vapeur d’eau. Ce que Millán décrit est similaire à ce qui a été fait sur le plateau de loess [en Chine] ou ce qui est prévu dans le Sinaï et d’autres régions désertiques, et, sur ce sujet, le renouveau des zones de prairie gérées par le pâturage holistique des troupeaux [pâturage tournant] dont j’ai été témoin au Zimbabwe, au Mexique, et à de nombreux emplacements aux États-Unis. C’est un autre exemple de réparation des sols et le fruit d’années d’investigation scientifique. Plus nous savons comment les systèmes naturels fonctionnent, plus nous sommes à même de les réparer quand ils chancèlent.

  • ---ooOoo---

traduction : Daniel Hofnung
Nota : Les 29 et 30 octobre 2024, en une journée, la valeur d’un an de pluie est tombée près de Valence (autour de Chica, 491 mm d’eau). Ceci s’est renouvelé en moins intense, le 3 mars 2025, avec 180 mm d’eau.

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