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Pour un nouveau paradigme de l’eau
à propos de l’ouvrage de Michal Kravčík et alt. « Water for the Recovery of the climate, A New Water Paradigm »
mercredi 7 août 2013, par
On parle actuellement de l’influence du climat et du changement climatique sur les ressources en eau et sur le cycle de l’eau.
On ne parle pas de l’inverse : l’effet sur notre climat des changements introduits par l’humanité dans le cycle de l’eau.
Or adopter cette perspective amène une vision nouvelle des évolutions actuelles du climat, et permet non seulement de comprendre de nombreux phénomènes mais aussi de proposer des solutions.
C’est ce qu’a fait un groupe d’hydrologues et de chercheurs slovaques et tchèque.
L’un d’entre eux, Michal Kravčík a fait une communication à la réunion du Mouvement Européen de l’Eau, lors de « Florence 10+10 » en novembre 2012.
Cette équipe, est composée d’hydrologues slovaques (certains avaient travaillé à l’Institut d’hydrologie de l’Académie des Sciences Slovaque), d’un chercheur tchèque collaborant avec l’Académie des Sciences, et d’un spécialiste des systèmes d’information géographique. Elle a fait, pendant plusieurs années, un travail essentiel et novateur sur l’eau et le climat qui dégage des perspectives révolutionnaires pour l’action dans ce secteur, perspectives issues de leur pratique et des réalisations concrètes du programme qu’ils ont élaboré. Ils ont fondé l’ONG « people and water ».
Ce n’est pas par hasard si ce travail a été réalisé dans un pays qui jadis a connu les mirages du « socialisme » avec toutes les illusions scientistes qu’il portait. La croyance dans la domination de l’homme sur la nature a fait, encore plus que chez nous, tomber dans des extrêmes l’aménagement du territoire.
Les haies dans les champs ? Supprimées, place aux grandes surfaces de monoculture à perte de vue, cultivées avec force engrais et pesticides.
Les méandres des fleuves ? Inutiles, leur surface peut dégager des terres cultivables, quand aux rivières, on peut les canaliser.
Place aux méga-réalisations de systèmes d’irrigation, place à la production !
Le réveil a été difficile, le système ne fonctionnait pas, et c’est le mérite du groupe de « People and Water » que d’avoir cherché à analyser les causes de l’échec, dans leur domaine, celui de l’eau.
Lentement, au sein « d’associations civiques concernées par les aspects scientifiques et pratiques de cette question », est venue l’idée d’un nouveau paradigme de l’eau.
L’échec le plus connu de l’ancienne conception (ils disent du « vieux paradigme ») est celui de l’assèchement de la mer d’Aral. La région jadis avait été fertile. Les programmes d’irrigation intensive pour développer l’agriculture ont réussi, en une trentaine d’années, à assécher la mer en partie. La zone est devenue désertique, balayée par les vents et les tempêtes dispersant le sel et les pesticides des berges dénudées vers toute la région. Une longue liste de problèmes de santé concerne les 3 millions d’habitants proches et les 35 millions des zones voisines, qui vivent désormais dans un environnement dégradé.
La Slovaquie, évidemment, n’en est pas là, mais les transformations réalisées par l’homme dans la deuxième moitié du XX° siècle ont amené un changement du régime des pluies, moins réparties dans l’année, plus abondantes sur une période plus courte, et plus rares sur une plus longue durée. Elles se sont aussi déplacées, tombant moins en plaine, et plus sur les montagnes, présentes dans ce pays du centre de l’Europe, avec en particulier la chaîne des Tatras (qui sépare de la Pologne).
En quoi les aménagements de grande ampleur et la tentative de remodeler la nature ont-ils joué pour expliquer ces modifications climatiques ? Peut-on corriger les effets négatifs de ces transformations et restaurer le climat qu’on a contribué à altérer ?
Quelles conclusions peut-on en tirer sur le rapport entre eau et climat ?
C’est le sujet de « Water for the Recovery of the Climate, A New Water Paradigm »
A Florence, lors de l’assemblée sur l’eau, Michal Kravčík a expliqué comment ils avaient proposé un programme national pour corriger les effets des aménagements de la période passée, qui se traduisaient par des périodes de sécheresse, suivies d’inondations : le moyen, c’est redonner à la terre sa capacité de stocker de l’eau, qu’elle avait perdu avec l’augmentation du ruissellement dû à l’agriculture productiviste, aux multiples aménagements visant à évacuer l’eau et à l’urbanisation croissante.
Le programme, approuvé par le gouvernement en octobre 2010, a été déjà appliqué pendant 18 mois dans les régions montagneuses. Il a donné les résultats attendus : parfois le temps de retour de l’investissement n’a été que de 6 mois, en raison des inondations évitées qui se sont produites ailleurs.
(voire la traduction de l’intervention à Florence ci-jointe)
La preuve pratique a été faite qu’en redonnant à la terre sa capacité à stocker l’eau, on pouvait éviter des événements climatiques extrêmes, car la terre gardait l’eau quand il y en avait, et la rendait quand elle manquait.
Michal Kravcik et ses collègues distinguent le petit cycle de l’eau, qui se traduit par l’évaporation qui retombe en pluie localement, s’infiltre dans le sol puis s’évapore à nouveau après souvent avoir contribué à la croissance de végétaux, et le grand cycle de l’eau, dans lequel le ruissellement conduit l’eau de pluie vers les rivières, puis vers la mer, où elle s’évapore puis retourne vers les continents dans les nuages qui donnent à nouveau des pluies.
L’urbanisation contribue beaucoup au développement de ce grand cycle, au détriment du petit cycle. Les eaux des toitures et des rues imperméabilisées sont conduites aux stations d’épuration, puis vont aux rivières et à la mer.
D’une autre manière, l’agriculture intensive actuelle concourt au même résultat : l’écoulement et le ravinement sont importants dans les champs, dépourvus de haies et de couverture arborée partielle.
Ce qui change avec l’agriculture actuelle et l’urbanisation croissante, c’est la diminution de l’eau qui s’infiltre dans la terre et l’augmentation de l’eau qui ruisselle. La terre est de moins en moins saturée en eau, elle est plus sèche, les forêts et les arbres (globalement) diminuent, l’Europe faisant partie des exceptions.
Or les forêts, avec l’évapo-transpiration des arbres, sont des lieux plus frais. Elles jouent un rôle régulateur pour le climat, de même que les zones humides, les étangs...
Les villes, où la chaleur du soleil est diffusée par le sol sec, sont au contraire des îlots chauds, avec une température plus élevée. Les champs, dénudés d’arbres, le sont aussi, dans une moindre mesure.
Ces îlots chauds modifient le régime des vents, qui emmènent l’été les nuages vers les zones plus fraîches des montagnes, où la pluviométrie croît, comme le montrent les relevés météorologiques sur des périodes longues.
Ces modifications peuvent aussi expliquer des tempêtes, avec l’accélération de masses d’air incidentes par les colonnes d’air chaud des villes et des campagnes voisines.
Si ces thèses, basées sur une expérience et vérifiées par la pratique n’expliquent pas le réchauffement climatique actuel, elles ont l’intérêt de nous faire comprendre de nombreuses modifications récentes du climat, et, mieux, le « nouveau paradigme de l’eau » nous propose des solutions pour agir.
Il s’agit de redonner à la terre sa capacité à stocker l’eau, qui a été dramatiquement mise en cause par notre société.
Qu’on pense par exemple à l’eau de pluie, qui dans nos villes ne s’infiltre plus dans le sol, mais part à l’égout (puis dans les rivières et la mer). En Europe, l’eau qui est ainsi canalisée et ne va plus alimenter les nappes phréatiques est évaluée à 20 milliards de m3 par an. Ceci n’aurait aucune conséquence pour nos climatologues !
C’est ce que contestent les promoteurs du « nouveau paradigme de l’eau »
Au lieu de se poser la question de l’effet du changement climatique sur l’eau, comme le fait le GIEC, ils posent la question, sur la base de leur expérience, des effets des modifications du cycle de l’eau sur le climat.
Ils proposent des mesures simples, réalisables localement, avec des moyens locaux eux aussi, qui pour un coût réduit, permettent de redonner à la terre sa capacité à stocker l’eau. Ces mesures sont essentiellement celles appliquées dans le programme national qu’ils ont élaboré.
A la campagne, elles incluent des fosses peu profondes en longueur, l’usage de dépressions sur les pentes comme réservoirs et lieux d’infiltration, la réalisation de petits barrages ou de creux sur les cours d’eau, et de toute une série de mesures visant à remplir les nappes et les sols avec l’eau auparavant évacuée.
Ceci me fait penser à un autre exemple, au Rajahstan, décrit par Bénédicte Manier dans « un million de révolutions tranquilles » : un district, autrefois fertile était devenu semi-désertique avec la « révolution verte » et l’abandon des systèmes ancestraux de conservation de l’eau. La réalisation de creux où l’eau des moussons s’infiltre progressivement dans la terre, comme dans le passé, a permis, sur une vingtaine d’années, de changer le visage de la région et d’y faire couler à nouveau des rivières taries. Le district est devenu verdoyant et fertile, l’exode rural des années passées a fonctionné en sens inverse, avec des retours à la campagne !
En Slovaquie, comme en Inde ou ailleurs, l’eau peut changer le climat !
Dans les villes, où tout a été fait pour conduire la quasi-totalité de l’eau de pluie aux égouts, la régulation de la température par l’évaporation ou par la végétation ne se produit pas. Elles deviennent des îlots chauds, avec une température souvent de 4° plus haute que dans les campagnes voisines (parfois plus).
La situation implique alors des aménagements multiples :
D’abord faire que l’eau des toitures parte dans le sol, par des systèmes de drains percés posés dans des lits de graviers où elle s’infiltre, puis limiter au maximum les surfaces imperméabilisées ou bitumées, planter des arbres, faire revenir la nature dans les villes : ne deviendront-elles pas ainsi plus agréables à vivre, avec un air moins étouffant l’été ?
Au lieu des sombres perspectives tracées par le GIEC, l’intérêt du « nouveau paradigme de l’eau » est de nous proposer des mesures positives, à mettre en œuvre démocratiquement et au plus bas niveau possible, pour résoudre une partie des problèmes liés aux désordres climatiques.
Et ils proposent que ces mesures soient portées par les citoyens, reconnues et soutenues par les gouvernements, qu’elles fassent même l’objet d’une prise en charge internationale, sur le modèle du GIEC, avec un organisme dont le but serait de restaurer la capacité de la terre à stocker l’eau : gageons que cela fera grincer des dents tous ceux qui pillent allègrement les réserves en eau du sous-sol, que ce soit pour l’agriculture intensive destinée à l’exportation, l’industrie alimentaire, les mines géantes ou l’exploitation des gaz et huiles de schistes !
Mais nous avons là une perspective nouvelle, réjouissante, pour mener de nouveaux combats et des actions positives pour changer le climat (dans la limite de ce qui est possible) et pour améliorer de manière radicale la vie sur notre planète, loin des sirènes catastrophistes des milieux dominants et du GIEC, dont j’ai découvert les limites avec la lecture de cet ouvrage. Les possibilités de dépasser son cadre apparaissent, reste à les développer.
Je termine en espérant que ce livre sera bientôt traduit en français : la coordination eau Île-de-France, qui a déjà invité Michal Kravčík, souhaite y contribuer.
Je conseille à celles et ceux qui lisent l’anglais de le lire en ligne sur www.waterparadigm.org.
Les autres, en attendant une traduction, pourront prendre connaissance du résumé détaillé ci-joint. (nouveau paradigme 1 et 2), ainsi que de l’intervention de Michal Kravčík, pendant l’assemblée de l’"European Water Movment" à Florence 10+10
Par ailleurs, vous pourrez ouvrir en pièce jointe un diaporama sur ce sujet (format odp ou ppt), qui reprend en grande partie l’article ci-dessus, en complète les perspectives et qui l’illustre avec des exemples des actions menées dans le cadre du programme réalisé en Slovaquie.
Références
– M. Kravčík, J. Pokorný, J. Kohutiar, M. Kováč, E. Tóth « Water for the recorvery of the climate » People and Water 2008
ouvrage lisible en ligne sur www.waterparadigm.org (en anglais) les illustrations ci-contre en proviennent.
– Michal Kravčík et alt. « Po nás púśť a potopa ?/after us, the desert and the deluge ? » 2012 www.obnovakrajiny.sk (sur le programme national slovaque de "revitalisation des paysages et de gestion intégrée des bassins fluviaux") https://bio4climate.org/2017/05/13/after-us-the-desert-and-the-deluge/
– Bénédicte Manier « Un million de révolutions tranquilles » Les Liens qui Libèrent
documents
l’eau en Slovaquie, intervention de Michal Kravčík à l’assemblée du "water european movment" lors de Florence 10+10
résumé détaillé en français de "water for the recovery of the climate" partie 1
résumé détaillé en français de "water for the recovery of the climate" partie 2
diaporama "l’eau pour restaurer le climat" format power point
diaporama "l’eau pour restaurer le climat" format libre office
Messages
9 août 2013, 12:05, par Mireille
Très intéressant cet article !
Je me suis souvent posé la question : pourquoi les écologistes ne réagissaient pas de façon autant médiatisée sur le problème de l’eau (qualité, quantité ...) que lorsqu’il s’agit de la pollution de l’air, du réchauffement climatique ou du risque nucléaire .....
J’ai pu constater les dégâts dus aux pesticides et divers engrais (disparitions des insectes, fleurs des champs, baies .....) (pollution des ruisseaux par effet de ruissellement ....) dégâts dus à la suppression des haies (ravinement : ma rue devient un vrai torrent à la moindre grosse pluie) .....
Je suis stupéfaite de l’état des rivières dans l’Auxois (là où j’ai des repères dans le temps ce qui me permet de comparer). Les débits ont diminué de plus de la moitié en trente ans, les cours d’eau gonflent après une pluie d’orage et redeviennent un filet d’eau quelques heures après .... et malheureusement ils sont pollués par des matières tellement dangereuses que les exploitants doivent se protéger sous des combinaisons, des gants et porter des masques !!!!
Ce ne sont que de petits exemples, là où la culture n’est pourtant pas intensive .... Mais en trente ans, j’ai vu des points d’eau disparaître, des marécages s’assécher, des sources se tarir, des rivières à truites se dépeupler ....
L’eau, c’est la vie : pour les arbres, les fleurs, les insectes, les poissons .... et nous !
9 août 2013, 12:25, par Brigitte Bécavin
Bravo !
Je vais transmettre (car je suis incompétente en matière scientifique mais j’ai compris l’essentiel du message) votre article à des gens que je sais vivement intéressés par le problème.
Bien à vous,
Brigitte
16 août 2013, 22:20, par Daniel Hofnung
Bonjour,
Suite aux tristes constations sur la dégradation actuelle décrites dans la premier commentaire :
La première phrase du programme mis en oeuvre en Slovaquie a réalisé par moins de 80.000 petits (ou très petits) ouvrages de rétention d’eau dans des zones dégradées, ayant pour but d’empêcher le ravinement et de favoriser l’infiltration de l’eau dans la terre, ceci avec les moyens et la main d’oeuvre locale. La conséquence a été en aval une nette amélioration (réduction des crues et à l’inverse des périodes de sécheresse)
Le plus extraordinaire, c’est que ça a marché : par la gestion de l’eau, on peut agir sur des dérèglements climatiques actuels !
Cela oblige à pas mal de remises en cause, par exemple en ville : renvoyer l’eau de pluie des toitures dans le sol et non à l’égout, séparer les réseaux d’eau potable et d’eau d’usage, utiliser l’eau plusieurs fois, limiter au maximum les surfaces imperméables dans les aménagements, planter au maximum des arbres...
Voici de quoi amener aux militants des solutions positives et dépasser la critique de la situation actuelle : pour proposer, construire, et commencer à réaliser l’autre monde que nous souhaitons,
Daniel Hofnung
13 mai 2015, 01:52, par Zoé
J’ai étudié avec soin vos démonstrations.
14 mai 2015, 00:06, par Daniel Hofnung
Des professionnels de l’eau comprennent maintenant l’importance d’infiltrer l’eau de pluie et de prévenir le ruissellement. Ces questions ont largement été présentées à Lyon récemment lors de la rencontre "l’adaptation au changement climatique" organisée par l’Agence de l’Eau Rhône-Méditerranée-Corse le 29 avril. Nous étions deux représentants d’associations à y assister.
Les associations engagées sur l’eau qui ont préparé les 4 ateliers "eau planète et peuples" au dernier forum social mondial de Tunis, dont "eau et climat" avec la participation de Michal Kravcik (un des initiateurs du "nouveau paradigme de l’eau), ont décidé la rédaction commune d’une brochure sur le sujet, à l’approche de la COP 21, pour que cette approche (pourtant déjà appliquée en partie) sorte du milieu des initiés, les exemples d’alternatives systémiques sur la question de l’eau sont très très nombreux et surtout, elles donnent des résultats avec souvent peu de moyens.