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L’eau en pleine lumière
A propos de la publication de "Water in Plain Sight" en juillet dernier à New-York
dimanche 1er janvier 2017, par
J’avais rencontré Judith D. Schwartz l’an dernier, lorsqu’elle était venue à Montreuil pour le week-end des alternatives, au milieu de la COP 21. De nombreux ateliers étaient organisés, dont trois par l’European Water Movement. Judith a assisté à celui sur "eau et climat", à l’initiative de la Coordination Eau Île de France, avec la participation de Michal Kravcik de Slovaquie et de Rajendra Singh, du Rajasthan (Inde). Elle m’a prévenu alors de la sortie prochaine d’un livre qu’elle écrivait sur ce sujet.
Je l’ai commandé, puis lu. Ce livre est remarquable, il passe de la description d’alternatives concrètes à travers le monde - revitalisation de zones souvent désertifiées - à des travaux scientifiques sur les sols, la vie biologique en leur sein et le stockage de carbone, sur le cycle de l’eau, sur le rôle de la forêt.
Les éléments qu’il propose offrent une nouvelle compréhension de la cause anthropique des dérèglements actuels, en montrant que leur origine va bien au-delà des gaz à effet de serre habituellement mis en cause. En traitant du rapport entre cycle de l’eau et climat, du rôle des sols, du rapport entre les pratiques agricoles et le stockage de l’eau et du carbone dans les sols, du rôle de la forêt, il ouvre une autre manière d’approcher l’impact désastreux de l’agriculture productiviste sur l’ensemble des cycles naturels. En détruisant la vie dans les sols, le cycle de l’eau, le climat, elle prépare la désertification progressive de la planète.
L’analyse critique du système actuel est au second plan dans ce livre, l’essentiel est ailleurs : il ouvre des perspectives enthousiasmantes avec des expériences de régénération des milieux naturels, en divers endroits du monde (Zimbabwe, Texas, Mexique, Australie, Brésil...). Partout le changement est obtenu en travaillant avec la nature et non contre elle, sans se substituer à elle avec notre technologie et nos intrants chimiques.
Lorsque bientôt, comme je l’espère, ce livre sera publié en France, si on s’intéresse à l’agriculture, à l’eau, aux cycles naturels, au climat et à l’impact humain sur celui-ci... sa lecture est incontournable, car il incite à repenser toutes ces questions.
Ci-dessous la traduction d’un article très récent de Judith publié sur "Water Currents", qui présente quelques thématiques de son livre. Je me suis permis de le titrer "l’eau en pleine lumière", "water in plain sight" traduit en français étant peu compréhensible.
L’EAU EN PLEINE LUMIÈRE
La glace a fondu, mais les feuilles restent. Crédit photo : Tony Eprile
par Judith D. Schwartz
Nous pensons souvent à l’eau comme un « nom », comme quelque chose de délimité par un lieu. Après avoir fait des recherches et écrit un livre sur l’eau, cependant, j’en suis venue à considérer l’eau comme un « verbe ». L’eau est toujours en mouvement. Elle se dilate en volume ou se rétracte ; elle conserve ou libère de l’énergie. Elle change d’état, passant du gaz au liquide au solide et l’inverse, à travers un dialogue permanent avec la terre et avec le soleil.
Il ne s’agit pas seulement de discuter au niveau de la langue. Je crois plutôt que la compréhension de la façon dont l’eau « agit » - comment elle se déplace à travers le paysage et à travers l’atmosphère - est essentielle pour vraiment répondre aux nombreux défis auxquels nous faisons face concernant l’eau. Il en est ainsi, que nous soyons confrontés à la pénurie, dans le cas de la sécheresse, ou à un excès d’eau, comme dans les inondations. Et parce que le fonctionnement de l’eau croise des facteurs comme le climat, la biodiversité et la sécurité alimentaire, nous pouvons mieux affronter d’autres problèmes mondiaux importants en nous concentrant sur les processus de l’eau.
Jetons un rapide coup d’œil à trois manières qu’a l’eau de se mouvoir :
Infiltration Dans un milieu naturel qui fonctionne, l’eau de pluie est conservée dans le sol et elle alimente la vie végétale et microbienne ou bien elle s’infiltre lentement dans les nappes d’eau souterraines. Notre « infrastructure » de l’eau ici est le sol, et plus riche il est, mieux c’est : chaque pour cent supplémentaire de matière organique du sol (principalement de carbone) représente un supplément de 190 000 litres d’eau par hectare stockés dans le sol. Cela signifie qu’il est beaucoup plus difficile qu’une inondation puisse se produire, et de plus, le sol reste humide entre les pluies.
Ce que nous percevons comme un problème de « manque d’eau » est souvent un problème d’ « incapacité à conserver l’eau dans le sol » - elle-même symptôme d’un sol épuisé en carbone. Comme le dit le remarquable Phiri, un consultant en aménagement du territoire basé au Zimbabwe et coordonnateur pour l’Afrique de « Regeneration International » : « il y a des endroits où vous aurez une sécheresse, quelque que soit la quantité de pluie qui tombe. « Des approches simples pour enrichir en carbone le sol, comme l’action des animaux d’élevage, peuvent apporter une énorme différence pour la sécurité alimentaire. Jody Butterfield, cofondatrice du Centre africain pour la gestion holistique au Zimbabwe, affirme que l’augmentation de l’infiltration de l’eau dans les champs pâturés par les animaux peut signifier le passage à une capacité de cultiver de la nourriture pendant sept mois au lieu de deux seulement - la différence entre être autosuffisant et dépendre de l’aide alimentaire.
(Lire : Le bétail peut-il restaurer les prairies touchées par la sécheresse ?)
Évapo-Transpiration J’ai interviewé Antonio Nobre du Brésil, auteur d’un rapport intitulé « L’avenir climatique de l’Amazonie », un formidable document et témoignage de la puissance des arbres et de leur rôle dans la régulation du climat. La forêt amazonienne est composée d’environ 4 milliards d’arbres, écrit-il. Ensemble, ces arbres agissent comme des geysers et ils vaporisent un véritable flot de vapeur dans l’air — un fleuve aérien de vapeur où s’écoule 20 milliards de tonnes d’eau par jour — ce qui dépasse le débit de l’Amazone lui-même.
Ce fleuve aérien est le résultat de la transpiration, de la montée de l’eau à travers les plantes. Vous pouvez considérer ceci comme une « sudation » de la plante : les stomates des feuilles (ou si c’est de l’herbe, les lames) s’ouvrent pour retenir ou libérer l’humidité afin de refroidir la plante elle-même et son environnement proche. Ce qui est important, c’est qu’il s’agit d’un mécanisme de refroidissement : transformer l’énergie solaire en chaleur latente — conservée dans l’énergie qui a produit la vapeur — par opposition à la chaleur sensible ou à la chaleur que vous pouvez sentir, comme sur un trottoir chaud. Considérons un arbre, comme un arbre de bonne taille bien pourvu en feuilles, dont la couronne s’étend sur environ cinq mètres de diamètre. Par une journée ensoleillée, quand il est en plein soleil, notre arbre évaporera plus de 100 litres d’eau. Cela dissipe de l’énergie solaire : selon le physiologiste végétal tchèque Jan Pokorny, l’activité de la transpiration d’un arbre pendant une journée ensoleillée représente trois fois la capacité de refroidissement du système de climatisation d’une chambre d’un hôtel 5 étoiles. Nous pouvons utiliser ce travail des végétaux pour créer des zones de rafraîchissement.
(Télécharger « l’avenir climatique de l’Amazonie »)
Condensation Au cours de mes voyages, j’ai rendu visite à Katherine et Markus Ottmers, qui vivent dans la zone sèche de l’extrême ouest du Texas et obtiennent leur eau par la condensation. Comme Markus l’explique : « C’est parce qu’il y a de la chaleur au niveau du toit et une brise qui passe dessous. Le toit refroidit et ensuite les flux d’air chaud créent de la condensation. « Et donc, contrairement aux voisins qui s’inquiètent en voyant les puits s’assécher, ils parviennent à collecter de l’eau dans leur réservoir malgré un ciel sans nuages. Ainsi, un jour d’hiver en 2012, quatre mois après la dernière pluie, ce réservoir d’eau a débordé.
La condensation est le processus par lequel l’eau dans sa forme gazeuse devient liquide, l’inverse météorologique de la transpiration. Il y a toujours de l’eau dans l’atmosphère, même dans un désert et même pendant une période de sécheresse. Le processus de condensation se produit lorsque chaud et froid s’entrechoquent. Alors que beaucoup de civilisations antiques savaient recueillir suivant la tradition de la rosée pour boire ou cultiver des plantes, l’utilisation de la condensation vient rarement dans les conversations au sujet de l’eau. Certains disent que nous avons négligé une source d’eau vitale. Peter Andrews, un fermier australien et auteur, met l’accent sur la signification
de la rosée de ce qu’il appelle le « cycle de l’eau de tous les jours. » Il considère la rosée comme « l’eau la plus importante dans le milieu naturel, et... la plus pure ».
Tout comme l’eau qui arrive dans le désert, les solutions sont là — en pleine lumière. Il suffit de penser à ce que nous pouvons faire lorsque nous explorons de nouvelles façons de travailler avec de l’eau.
(Lire : les nouveaux alchimistes de l’eau)
Judith D. Schwartz est une journaliste dont le travail se concentre sur la restauration écologique comme plaque tournante pour répondre à de multiples défis environnementaux, économiques et sociaux – en proposant des solutions. Elle est l’auteur de « Cows Save the Planet et d’autres moyens improbables de restauration du sol pour guérir la terre (Chelsea Green Publishing, 2013) et Water In Plain Sight : de l’espoir pour un monde assoiffé (St. Martin’s Press, 2016).
Diplômée de l’Université Brown et de la Columbia University Graduate School of Journalism, elle vit dans le sud du Vermont. Suivez son travail sur http://judithdschwartz.com
article d’origine en anglais sur Water Currents, hébergé par Sandra Postel, directrice du Global Water Policy Project.
Le livre devrait être prochainement publié en France, dès qu’un éditeur aura donné son accord.