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Déforestation, incendies de forêt et changement climatique
lundi 30 mars 2020, par
En cette période de confinement lié au coronavirus, nous avons une occasion pour nous poser et réfléchir à des événements de la dernière période.
Au Brésil, le président Bolsonaro a pris des mesures pour faciliter la déforestation en Amazonie. Et pour la première fois dans cette forêt équatoriale connue pour son taux d’humidité exceptionnel, les violents incendies de l’été 2019 ont ravagé des surfaces importantes de forêt. A la même période, des incendies gigantesques ravageaient la forêt sibérienne (un peu moins de 2% de la taïga détruite), puis, en septembre, c’est en Australie, pays où les déserts sont importants, que des incendies ont fait des ravages, détruisant 20 % des forêts du pays, dans les deux États du sud-est. Le réchauffement climatique a été mis en avant comme cause probable.
N’est ce que le réchauffement climatique, où il y a t-il d’autres causes, facilitant le déclenchement des incendies ?
Les grandes forêts favorisent la pluie, c’est un des points principaux d’une étude publiée en 2007 (voir ci-dessous), et sur laquelle il est intéressant de revenir maintenant.
Les forêts seraient à l’origine des précipitations sur les terres émergées. L’évaporation, par rapport à par exemple celle sur une surface d’eau (étang, cours d’eau, lac, mer) de même taille, est multipliée dans une forêt : la surface cumulée des branches et des feuilles, sur lesquels l’évaporation se produit, est bien plus importante que la surface au sol occupée par l’arbre et sa ramure. L’évapotranspiration génère à la fois de la fraîcheur et de l’humidité, qui caractérisent le milieu particulier de la forêt. Et quand l’eau se condense et qu’il pleut, la pression atmosphérique décroît, créant une zone de basse pression, à l’origine des vents.
(le schéma est tiré de l’article ci-dessous et traduit en français)
Trois exemples de grandes forêts sont données ici, avec le rapport de précipitations entre la forêt et l’océan voisin. L’échelle verticale est logarithmique, c’est à dire que 1 correspond à e fois plus soit 2,72 fois, 2 à e2 soit 7,39 fois plus, - 1 à 1/e soit 2,72 fois moins, etc. Pour les forêts tropicales (3° de latitude sud), la pluie varie peu dans l’année et est environ 3 fois plus importante que sur l’océan voisin, par contre pour les forêts de zones tempérées froides, comme la forêt sibérienne (61°de latitude nord), il n’y a pour ainsi dire pas d’évaporation l’hiver, et beaucoup moins de précipitations. L’été, le ratio se rapproche de celui des autres forêts (environ 2 fois plus de précipitations que sur l’océan)
A l’inverse, sur le désert australien, suivant les saisons, la pluie est de 4 à 6 fois moins abondante qu’en mer.
La déforestation a un effet : si une partie importante de la forêt disparaît ou est fortement endommagée, la « pompe biotique » est perturbée, c’est à dire que la dépression liée à l’humidité de la forêt n’est plus à même d’attirer les nuages de la mer, et les précipitations diminuent. C’est ainsi, que dans le nord-est de la forêt amazonienne, on constate un retard croissant du début de la saison des pluies. Cette zone est la plus touchée par la déforestation.
Dès 2014, une étude scientifique brésilienne signalait la baisse progressive des pluies sur le bassin amazonien suite à la déforestation, et, en conséquence, le risque de feux de forêts. L’étude cite même un article publié dans Nature en 2000 sur la baisse des pluies et le risque croissant de feux de forêts en Amazonie. L’étude d’A.D. Nobre, "The future climate of Amazonia", après avoir indiqué qu’autrefois, on parlait pour l’Amazonie de 2 saisons : une saison humide et une saison très humide, désormais elle a une saison des pluies et une saison sèche, et celle-ci dure de plus en plus longtemps. Il conclu à un risque de transformation en savane, puis en désert.
L’explication de l’origine des vents dans l’article ci-dessous est différente de celle généralement admise (vents causés par les différences de température) mais elle permet de comprendre de manière satisfaisante de nombreux phénomènes constatés, comme vous pourrez le voir dans le texte.
Quelle conséquence ? D’abord un impératif urgent si nous voulons arrêter l’assèchement de la planète : il est nécessaire d’arrêter totalement la déforestation.
Il faut donc aller à ses causes : élevage, productions agricoles d’exportation. Évidemment, Il faut arrêter totalement la fabrication des biocarburants qui amènent à couper massivement certaines forêts tropicales pour planter des palmiers à huile. Et aussi, il faut cesser les exploitations d’hydrocarbures, de manière classique, mais surtout par fracturation hydraulique (USA, Canada, Australie…) ou par les schistes bitumineux (Canada) qui amènent à déforester. L’exploitation de la « biomasse » forestière aussi devra cesser, car seule une forêt naturelle pouvant assurer la reproduction des écosystèmes et le bon déroulement du cycle de l’eau.
Il faudra trouver des alternatives, comme on commence à le faire maintenant pour le plastique, pour toute une série d’usages du bois coupé dans les forêts, des emballages au papier toilette.
Vous trouverez ci-dessous le lien vers un article qui avance que la disparition des forêts, aussi bien dans les régions tropicales que tempérées, conduira à une baisse des précipitations au-dessus des terres. Dans la deuxième partie de l’article, Victor Gorshkov et Anastassia Makarieva expliquent le fonctionnement de la "pompe biotique", qui, dans certaines circonstances, amène de l’humidité des océans vers les forêts et contribue à leur pérennité. Ils donnent de nombreux exemples de phénomènes climatiques expliqués par cette théorie.
Vous trouverez l’article avec les photos dans le lien ci-dessous, ou simplement le texte seul à la suite.
Une nouvelle théorie météorologique avance que les forêts sont génératrices de pluie
by Jeremy Hance on 27 août 2013
En science, les théories nouvelles et radicales mettent souvent du temps à être acceptées, en particulier celles qui remettent directement en cause des idées acceptées depuis longtemps, une politique en cours ou des normes culturelles. Le fait que la Terre tourne autour du soleil, et non le contraire, a dû attendre des siècles avant d’être largement accepté par la communauté scientifique et le public. Bien que la théorie de Darwin sur l’évolution ait été rapidement comprise par les biologistes, une partie de la population, notamment dans des pays comme les États-Unis, est encore incrédule. Actuellement, le consensus presque total parmi les climatologues, selon lequel les activités humaines provoquent un réchauffement la Terre, continue d’être remis en cause par des outsiders. La théorie de la pompe biotique fera-t-elle un jour partie de cette catégorie ? Le temps nous le dira.
Publiée pour la première fois en 2007 par deux physiciens russes, Victor Gorshkov et Anastassia Makarieva, cette théorie encore peu connue affirme que les forêts sont à l’origine des précipitations qui surviennent au-dessus des terres émergées. Comme elle bouleverse complètement la météorologie moderne, elle a rencontré une vive résistance de la part de certains météorologistes et revues scientifiques. Elle a également reçu très peu d’attention de la part du public ou de la sphère politique. Pourtant, si la théorie de Gorshkov et de Makarieva s’avère correcte, elle aurait d’énormes implications pour la politique mondiale envers les forêts du globe, qu’elles soient tropicales ou tempérées.
« La pompe biotique est un mécanisme à travers lequel les forêts naturelles créent et contrôlent les vents allant de l’océan vers les terres, apportant de l’humidité à toutes les formes de vie terrestres », ont expliqué Gorshkov et Makarieva à mongabay.com lors d’une récente interview. D’après eux, c’est la condensation issue des forêts, et non les différences de température, qui est à l’origine des vents apportant des précipitations au-dessus des terres.
« Le concept de la pompe biotique offre une explication physique cohérente de la façon dont cela doit être interprété. Plutôt que de se concentrer sur les variations de températures, qui sont souvent une conséquence plutôt qu’une cause de la circulation, il faut étudier les conditions dans lesquelles la condensation a tendance à se produire pour prédire les changements de circulation atmosphérique », expliquent-ils, ajoutant que de récents travaux ont utilisé la pompe biotique pour expliquer quantitativement les tornades et les ouragans.
Mais une théorie aussi radicale n’est pas acceptée ni même reconnue si facilement.
« La théorie de la pompe biotique appelle la communauté météorologique à admettre la possibilité qu’un moteur important de la circulation atmosphérique ait été ignoré. Tant que l’on continuera à ignorer le rôle de la condensation dans la formation des vents, on continuera à ignorer le véritable rôle des forêts dans le cycle de l’eau et le climat », expliquent Gorshkov et Makarieva, ajoutant que les fondements actuels de la météorologie ne parviennent pas à expliquer de manière satisfaisante les sécheresses et les inondations survenant à travers le monde. En plus de cela, la théorie de la pompe biotique aide à mieux comprendre l’ascension et la chute d’anciennes civilisations, telles que les Nazcas et les Mayas.
Gorshkov et Makarieva pensent que malgré le scepticisme ambiant, la théorie de la pompe biotique mérite toute l’attention des scientifiques, et rapidement.
« Compte tenu de la menace que représente la déforestation, il n’y a pas de temps à perdre », déclarent-ils, en précisant que seules les forêts naturelles sont capables d’agir comme pompes biotiques, par opposition aux plantations d’arbres en monoculture, en raison des transformations écologiques qui surviennent lorsqu’une forêt est convertie en plantation.
« La théorie de la pompe biotique montre que les forêts naturelles sont indispensables si nous voulons avoir de la pluie, et par conséquent, pouvoir cultiver les terres où nous vivons. Ce message scientifique a d’importantes implications économiques », expliquent Gorshkov et Makarieva. « Les populations et les gouvernements du monde entier doivent d’abord réaliser que la croissance économique ne peut reposer sur l’abattage des forêts, que ce soit dans leur propre pays ou ailleurs. Une telle attitude sape les bases-mêmes de l’existence de notre civilisation. Lorsque la sécurité de l’eau et la sécurité alimentaire sont en jeu, il n’est pas possible pour les industries forestières de se focaliser sur la croissance, simplement pour augmenter la production mondiale d’emballages et de papier-toilette. Ce problème devrait être le sujet principal des campagnes environnementales. »
On sait depuis longtemps que les forêts offrent un refuge à la grande majorité des espèces terrestres, emmagasinent d’immenses quantités de carbone, préservent une grande partie des bassins hydrographiques les plus importants du monde, et abritent de nombreux groupes indigènes ; et pourtant, elles continuent de disparaître à une vitesse ahurissante. Si la théorie de la pompe biotique s’avère exacte, elle attribuera aux forêts du monde un nouveau rôle écologique vital : celui de « faiseurs de pluie ».
Dans une interview réalisée en janvier 2012, Victor Gorshkov et Anastassia Makarieva ont décrit le mécanisme de la pompe biotique, les difficultés rencontrées pour obtenir l’attention de la communauté météorologique, le lien entre la pompe biotique et le changement climatique, et comment la déforestation met en péril les précipitations dans des endroits tels que l’Amazonie et l’Indonésie.
UNE NOUVELLE MÉTÉOROLOGIE : INTERVIEW AVEC VICTOR GORSHKOV ET ANASTASSIA MAKARIEVA
Mongabay : Pourriez-vous nous expliquer le fonctionnement de la pompe biotique ?
Victor Gorshkov and Anastassia Makarieva : La pompe biotique est un mécanisme à travers lequel les forêts naturelles créent et contrôlent les vents allant de l’océan vers les terres, apportant de l’humidité à toutes les formes de vie terrestres. Les vents ont tendance à souffler des zones de haute pression vers les zones de basse pression. Mais comment un système de basse pression se forme-t-il au-dessus des terres ? La pression de l’air dépend du nombre de molécules de gaz. Lorsque la vapeur d’eau se condense, elle disparaît de la phase gazeuse ; le nombre de molécules de gaz diminue, et la pression de l’air chute. Ainsi, si l’on parvient à maintenir un processus de condensation au-dessus des terres, celles-ci deviennent une zone de basse pression permanente.
La vapeur d’eau présente dans l’atmosphère de la Terre possède une propriété physique remarquable : elle est instable vis-à-vis de la condensation. Si un volume d’air contenant une grande quantité de vapeur se retrouve poussé vers le haut, l’air se refroidira à tel point que la vapeur se condensera. À cause de cette instabilité, s’il existe une quantité suffisante de vapeur d’eau dans la partie inférieure et chaude de l’atmosphère, une condensation aura lieu.
Le feuillage et les branches d’un arbre possèdent une surface totale beaucoup plus grande que la projection de ce même arbre sur le sol. Ainsi, l’évaporation issue d’une forêt apporte plus de vapeur d’eau à l’atmosphère que l’évaporation provenant d’une surface d’eau ouverte de même taille. Par conséquent, la condensation se produit plus facilement au-dessus des forêts qu’au-dessus des océans. Les forêts, plutôt que les océans, deviennent les zones de basse pression où les vents humides convergent. Pour compléter le cycle, l’humidité retombe sur les terres sous forme de précipitations puis retourne vers l’océan sous forme d’écoulement dans les rivières.
Mongabay : Pourquoi associez-vous la pompe biotique aux forêts naturelles plutôt qu’aux arbres en général ? Est-ce qu’une plantation d’arbres en monoculture pourrait jouer le rôle de pompe biotique ?
Victor Gorshkov and Anastassia Makarieva : Comme tout processus vivant, la pompe biotique est un processus très complexe. Pour entretenir la condensation qui maintient une pression basse sur les terres et y attire ainsi les vents humides de l’océan, une évaporation intense doit se dégager de la canopée des forêts. Mais l’évaporation fait baisser la quantité d’humidité se trouvant dans le sol. Celui-ci perd également une partie de son humidité à travers les ruissellements provoqués par la gravité. Si le sol perd toute son humidité, l’évaporation cesse, ainsi que le transport d’humidité dans l’atmosphère. Un équilibre subtil doit donc être maintenu : l’évaporation dans les forêts doit être telle qu’elle n’épuise jamais complètement l’humidité du sol tout en étant suffisamment intense pour que la quantité d’humidité apportée de l’océan par les vents compense les pertes d’humidité dans le sol.
Les espèces natives qui forment les communautés des forêts naturelles ont développé à travers leur code génétique un ensemble complexe de caractéristiques biophysiques et morphologiques rendant le mécanisme de la pompe biotique possible. Ces caractéristiques ont mis des centaines de millions d’années à évoluer. Par exemple, le système racinaire des arbres forestiers facilite à la fois le stockage et l’extraction de l’humidité provenant du sol ; les aérosols biogéniques produits par les arbres contrôlent l’intensité avec laquelle la vapeur d’eau se condense au-dessus des forêts ; la grande hauteur des arbres détermine le gradient thermique vertical sous la canopée, maintenant ainsi l’évaporation partant du sol sous contrôle biotique ; les arbres élevés sont également essentiels pour créer un frottement de surface empêchant le développement de vents extrêmement violents. Ainsi, les forêts naturelles ne créent pas seulement un flux d’air humide allant des océans vers les terres, elles stabilisent également ce flux à un niveau optimal et empêchent les fluctuations extrêmes telles que les ouragans, les tornades, ainsi que les sécheresses et les inondations les plus intenses. Des espèces autres que les plantes (bactéries, champignons, animaux) sont également essentielles à la stabilité de l’écosystème forestier lui-même.
Les monocultures ou plantations sont constituées d’un ensemble aléatoire d’espèces végétales qui ne possèdent pas cet ensemble de caractéristiques interdépendantes. Pour vous donner deux exemples extrêmement simplifiés : si l’on plante des cactus, l’évaporation sera trop faible et ils ne pourront pas maintenir l’atmosphère humide. Si l’on plante des eucalyptus, l’évaporation sera importante mais ils ne pourront pas empêcher le sol de se dessécher. Dans les deux cas, la pompe biotique ne fonctionnera pas. De manière générale, les flux d’informations traités par les biotes naturels sont vingt fois plus importants que les capacités de traitement des informations dont dispose la civilisation moderne. Il est impossible de créer un équivalent technologique de la pompe biotique.
EXPLICATION SCIENTIFIQUE DE LA POMPE BIOTIQUE
Ces graphiques montrent le « tir à la corde » entre la forêt et l’océan dans leur lutte pour devenir la zone de condensation prédominante. Sur la figure (a), les forêts d’Amazonie et du Congo remportent en moyenne la bataille : les précipitations annuelles au-dessus de ces forêts sont deux à trois fois plus grandes que les précipitations survenant au-dessus de l’océan Atlantique à la même latitude. Notez que l’échelle est logarithmique en ordonnée : 1 signifie que le rapport des précipitations terres/océan est égal à 2,718 (= e) ; 2 signifie qu’il est égal à environ 7,4 (= e^2) ; 0 signifie que les précipitations sont les mêmes ; -1 signifie que le rapport est de 0,4 (= 1/e) ; et ainsi de suite. La figure (b) représente la pompe biotique eurasiatique. En hiver, la forêt est en dormance ; c’est donc l’océan qui gagne : toute l’humidité reste au-dessus de l’océan et y retombe sous forme de précipitations. En été, lorsque les arbres sont actifs, l’humidité est prélevée de l’océan et distribuée régulièrement sur plus de 7 000 kilomètres. C’est la forêt qui gagne ! (Comparez les lignes rouges et noires.) Résultat, les précipitations au-dessus de l’océan sont plus faibles en été qu’elles ne le sont en hiver, malgré le fait que les températures soient plus élevées en été. Enfin, la figure (c) représente l’Australie, dépourvue de forêts. On entend souvent dire que si l’Australie est si sèche, c’est parce qu’elle située dans la branche descendante de la cellule de Hadley. Mais ce graphique montre qu’une telle interprétation ne tient pas. Aussi bien pendant les saisons humides que sèches, les précipitations au-dessus de l’Australie sont quatre à six fois plus faibles qu’au-dessus de l’océan. Il n’y a aucune pompe biotique à cet endroit. Parce que le continent australien est dépourvu de forêts, l’humidité océanique ne parvient pas à le pénétrer et ce quelle que soit la quantité d’humidité présente au-dessus de l’océan. Pendant la saison humide, cette humidité se transforme en précipitations dans les zones côtières, provoquant des inondations. En restaurant progressivement les forêts naturelles en Australie depuis les côtes vers l’intérieur des terres, le cycle hydrologique pourra être rétabli sur le continent. (Cliquez pour agrandir.)
Mongabay : Votre théorie de la pompe biotique a-t-elle connu des changements significatifs au cours des dernières années ?
Victor Gorshkov and Anastassia Makarieva : Victor Gorshkov et Anastassia Makarieva : Le fondement physique de la pompe biotique est l’affirmation selon laquelle les vents sont générés principalement par des différences de pression provoquées par la condensation plutôt que par des différences de température (qui font que l’air chaud s’élève, par exemple), comme il est traditionnellement admis. D’après les premières réactions à nos travaux, c’est le point le plus difficile à admettre pour la communauté météorologique. Nous avons récemment concentré nos efforts sur la démonstration de la validité quantitative de ce mécanisme de circulation atmosphérique générée par la condensation. Nous avons démontré qu’il explique quantitativement les ouragans et les tornades en obtenant, à partir de la théorie, des distributions radiales de la pression et de la vélocité correspondant aux observations. En parallèle, nous avons critiqué certaines des explications existantes du même phénomène, en montrant que celles-ci contiennent des erreurs physiques. Vous trouverez la liste complète de nos publications concernant la pompe biotique ici.
Mongabay : Votre théorie est-elle désormais acceptée par une plus grande partie de la communauté scientifique ?
Victor Gorshkov and Anastassia Makarieva : De manière générale, à en juger par le nombre croissant de références à nos premiers articles sur la pompe biotique, nos travaux gagnent progressivement de l’attention. La théorie de la pompe biotique appelle la communauté météorologique à admettre la possibilité qu’un moteur de la circulation atmosphérique important ait été ignoré. Tant que l’on continuera à ignorer le rôle de la condensation dans la formation des vents, on continuera à ignorer le véritable rôle des forêts dans le cycle de l’eau et le climat. Compte tenu de la menace que représente la déforestation, il n’y a pas de temps à perdre. Nous faisons donc tout notre possible pour encourager une discussion constructive entre les membres de la communauté météorologique sur la dynamique de la condensation.
Néanmoins, les progrès restent lents. En 2010, nous avons déposé un résumé de la théorie auprès de la revue APCD (Atmospheric Chemistry and Physics Discussions), qui permet d’avoir des discussions publiques sur les articles soumis : Makarieva A.M., Gorshkov V.G., Sheil D., Nobre A.D., Li B.-L. (2010)Where do winds
come from ? A new theory on how water vapor condensation influences atmospheric
pressure and dynamics. Atmospheric Chemistry and Physics Discussions, 10, 24015-24052.
Pendant six mois, les rédacteurs n’ont trouvé aucun relecteur prêt à évaluer publiquement nos travaux. Après avoir informé le reste de la communauté scientifique de notre situation, un hydrologue influent de la NOAA (l’agence américaine chargée de l’étude de l’océan et de l’atmosphère) a fait circuler nos travaux parmi ses nombreux collègues météorologues. Seul un d’entre eux a envisagé la possibilité de les commenter, et il contestait fermement nos conclusions. Comme nous acceptons volontiers toute critique publique de nos travaux, nous avons suggéré au rédacteur d’inviter ce relecteur bien que nous sachions qu’il possédait un avis négatif sur nos travaux. Après avoir reçu sa critique négative, nous avons répondu à tous ses arguments. Depuis, l’article a été suspendu ; il est ouvert à tout examen depuis quinze mois et cela fait vingt mois que nous l’avons déposé. Tout scientifique vous le dira : de tels obstacles et retards décourageraient n’importe quel chercheur ; ils perturbent l’exécution normale du processus scientifique. Mais nous continuons d’espérer que nos efforts n’ont pas été en vain. [l’article a fini par être accepté en 2013]
Mongabay : Pouvez-vous nous donner un exemple montrant pourquoi la compréhension actuelle de la condensation et des précipitations est erronée ?
Victor Gorshkov and Anastassia Makarieva : Nos travaux ont été l’objet de nombreuses discussions sur Internet, avec parfois la participation directe ou indirecte de météorologistes influents. Ces discussions ont révélé que les mécanismes physiques de la condensation n’ont pas reçu suffisamment d’attention de la part de la communauté météorologique ; il en résulte que certaines questions très fondamentales restent non résolues et peu claires pour beaucoup de personnes. La question suivante a par exemple causé une grande confusion : si la condensation a lieu dans l’atmosphère et qu’une partie de la vapeur se transforme en liquide, la pression de l’air à la surface sera-t-elle affectée presque instantanément ou seulement une fois que les gouttes de pluie auront touché le sol ? La seconde réponse est un point de vue courant causé par une mauvaise compréhension fondamentale du concept d’équilibre hydrostatique.
Dans un état d’équilibre hydrostatique, la pression de l’air à une altitude donnée est égale au poids de l’air dans la colonne atmosphérique se trouvant au-dessus de cette altitude. De nombreux météorologistes pensent que la pression hydrostatique de l’air à la surface est égale au poids de l’air et de tous les corps liquides et solides (dont les gouttes de pluie) situés dans l’atmosphère supérieure. Si cela était vrai, la condensation en équilibre hydrostatique ne pourrait jamais avoir changé la pression en surface avant la retombée des précipitations, car la condensation du gaz (la vapeur) en liquide ne modifie pas la quantité totale de matière. La pression d’un gaz idéal dépend du nombre de particules et non de leur masse. Le nombre de gouttes de liquide est beaucoup plus faible que le nombre de molécules de gaz s’étant condensées pour former ces gouttes. Par conséquent, la condensation diminue immédiatement la pression de l’air et perturbe l’équilibre hydrostatique. Un article consacré à cette question, récemment publié dans une importante revue météorologique, est parvenu à cette conclusion à l’aide d’une modélisation numérique. Qu’un tel article avec une conclusion aussi basique n’apparaisse que maintenant, au cours de la seconde décennie du 21e siècle, démontre que l’étude des effets dynamiques de la condensation par la communauté météorologique est encore balbutiante.
En attendant, presque tous les phénomènes climatiques et météorologiques dans lesquels la condensation et les précipitations sont impliquées remettent en cause la météorologie moderne. Par exemple, les modèles existants de circulation mondiale ne parviennent pas à décrire convenablement le cycle de l’eau en Amazonie : la convergence d’humidité modélisée ne représente que la moitié des quantités réelles estimées à partir des valeurs d’écoulement observées. De nombreux scientifiques admettent que malgré l’amélioration constante des installations d’observation et de la puissance de calcul disponible, aucun progrès n’a été réalisé dans la prédiction de l’intensité des cyclones tropicaux.
Lorsqu’on analyse l’évolution les précipitations dans le temps (par exemple, en Amazonie ou dans les régions du Congo), il est courant d’explorer les corrélations avec les anomalies de température océaniques. Selon la logique conventionnelle, à mesure que l’océan se réchauffe, l’air chaud s’élève au-dessus de l’océan et l’humidité se transforme en précipitations à cet endroit plutôt qu’au-dessus des terres, provoquant ainsi une sécheresse. Cependant, cette logique ne prend pas en compte le fait qu’à mesure que la terre se dessèche, elle se réchauffe également de manière significative. Le paradigme conventionnel est incapable d’expliquer pourquoi l’air chaud ne s’élève pas au-dessus des terres brûlantes et arides. Toutes les vagues de chaleur et les sécheresses, comme celle qui s’est produite en Russie européenne en 2010 ou celle du Texas en 2011, sont associées à un mouvement d’air descendant constant.
Le paradigme conventionnel n’explique pas non plus les inondations. Par exemple, parmi les deux violentes inondations qui ont frappé la Thaïlande en 2011, la première s’est produite au début de l’année pendant la saison sèche. Les terres sont alors plus fraîches, l’océan est plus chaud et le vent souffle des terres vers l’océan, si bien que le continent reste sec. Début 2011, la région a été frappée par une vague de froid inhabituelle, qui a accentué cette variation de température. D’après le paradigme conventionnel, cela ne peut que renforcer les conditions de sécheresse. Pourtant, dans la réalité, une inondation majeure s’est produite.
Les preuves de ce genre, controversées par rapport au paradigme conventionnel, s’accumulent et le concept de la pompe biotique offre une explication physique cohérente permettant d’interpréter ces évènements. Au lieu de se concentrer sur les variations de température, qui sont souvent une conséquence plutôt qu’une cause de la circulation, il faut étudier les conditions dans lesquelles la condensation risque de se produire pour prévoir les changements de circulation atmosphérique.
EXEMPLES RÉGIONAUX DE LA POMPE BIOTIQUE
Mongabay : De récentes études ont associé le déclin et la chute de la civilisation maya à une déforestation ayant entraîné une baisse des précipitations. Comment la théorie de la pompe biotique pourrait-elle s’intégrer dans ce contexte ?
Victor Gorshkov and Anastassia Makarieva : Ces données, ainsi que les données sur la civilisation nazca au Pérou, sont en accord avec le concept de la pompe biotique. Il est intéressant de noter que la péninsule du Yucatan est une région relativement petite où la côte n’est jamais distante de plus de mille kilomètres. Cela signifie que même si près de l’océan, une déforestation massive peut entrainer une baisse importante des précipitations.
Nous ne sommes pas convaincus par l’explication (voir l’article : Des preuves confirment que les Maya ont causé leur propre perte à travers la déforestation ) selon laquelle cette baisse des précipitations serait due à une légère modification de l’albédo après la déforestation entraînant une baisse de l’énergie solaire disponible pour la convection. Mais d’après ce que nous en savons, ces travaux n’ont pas encore été publiés et nous n’avons donc pas pu les lire en détail. La puissance de la circulation atmosphérique ne dépasse pas environ 1 % de la puissance solaire. Elle n’est pas limitée par la radiation solaire, mais par le flux d’énergie potentielle disponible pour la conversion en énergie cinétique. Le paradigme conventionnel associe cette énergie potentielle à la flottabilité liée à la température. En termes simples, pas de circulation sans différence de température lorsque tous les autres facteurs (dont l’énergie solaire) restent constants. Nous proposons une autre source d’énergie potentielle associée à la baisse de la quantité de vapeur d’eau dans la phase gazeuse : après la destruction des forêts maya, l’évaporation et la condensation ont cessé d’avoir lieu au-dessus de la péninsule du Yucatan (et ce quel qu’ait été le changement d’albédo). En conséquence, la zone de basse pression a disparu et l’air humide a cessé de se déplacer de l’océan vers les Mayas. De manière générale, la théorie de la pompe biotique nous invite à réanalyser les preuves historiques indiquant des changements dans l’occupation des sols et le régime des précipitations.
Mongabay : Que pensez-vous de l’impact de la déforestation en Amazonie sur les précipitations de la région ?
Victor Gorshkov and Anastassia Makarieva : D’après des analyses récentes, entre 1973 et 2003, les précipitations dans le bassin de l’Amazone ont diminué à raison de 0,3 % par an, ce qui correspond à une tendance à la baisse d’environ 10 % sur l’ensemble de cette période. Ces analyses n’incluent pas les sécheresses dévastatrices plus récentes, survenues 2005 et 2010. En parallèle, la déforestation dans le bassin a été de l’ordre de 30 % sur la même période. La déforestation a surtout perturbé les parties sud et sud-est du bassin, où les précipitations et l’évaporation sont plus faibles qu’au cœur du bassin. En partant du principe que l’intensité totale de la pompe biotique est fonction de l’intégrale des précipitations locales survenant sur l’ensemble de la couverture forestière, on peut conclure qu’une baisse de l’intensité des précipitations est du même ordre de grandeur que le degré de détérioration de la pompe biotique. À mesure que la déforestation progressera vers l’intérieur du bassin et affectera des forêts toujours plus productives aux précipitations toujours plus élevées, le dérèglement du cycle de l’eau dans le bassin augmentera de manière disproportionnée.
Mongabay : À votre avis, comment la déforestation généralisée affectera-t-elle le cycle hydrologique d’endroits comme les iles indonésiennes ? Compte tenu de leur petite taille, ont-elles besoin de la pompe biotique ?
Victor Gorshkov and Anastassia Makarieva : La surface totale occupée par l’archipel indonésien, en incluant l’espace situé entre les îles, est assez conséquente. Les espaces aquatiques ouverts entre les iles couvertes de forêts ne peuvent que légèrement affaiblir la pompe biotique des forêts indonésiennes, qui déterminent probablement le régime des précipitations dans les régions océaniques adjacentes. En effet, il existe au-dessus de l’Indonésie une zone de basse pression relativement stable qui entraîne la circulation dite de Walker : l’air de la surface se déplace des régions de haute pression situées dans la partie orientale de l’océan Pacifique vers la zone de basse pression située au-dessus de l’Indonésie. Lorsque cette zone de basse pression diminue ou s’érode, la circulation de Walker s’affaiblit et on assiste au phénomène d’El Niño. Lorsque la circulation de Walker est forte, on obtient La Niña. Ces phénomènes sont bien connus pour leur effets à longue portée sur le climat des Amériques.
La théorie de la pompe biotique nous aide à comprendre pourquoi il existe un système de basse pression en Indonésie : à cause de la condensation intense associée au fonctionnement de la forêt. Ainsi, une déforestation de la région devrait conduire à un affaiblissement de la circulation de Walker. Bien qu’il faille étudier ce processus plus en détail, il est intéressant de mentionner qu’alors que la période de 1950 à 1975 a été largement dominée par La Niña (une circulation de Walker forte), à partir de la fin des années 70, la fréquence du phénomène a chuté. Cela correspond à l’idée selon laquelle la déforestation effectuée en Indonésie au cours des 30 dernières années pourrait avoir modifié les flux d’air à grande échelle.
Mongabay : Est-ce que la théorie de la pompe biotique s’applique aussi aux forêts boréales, comme celles que l’on trouve en Russie ?
Victor Gorshkov and Anastassia Makarieva : La pompe biotique de la zone forestière boréale est entièrement responsable du transport de l’humidité atmosphérique de l’océan (Atlantique) sur plusieurs milliers de kilomètres. La déforestation récente en Russie européenne semble perturber ce mécanisme, causant ainsi des réchauffements et sécheresses anormales.
Mongabay : Est-ce que la théorie de la pompe biotique modifie notre compréhension actuelle du changement climatique mondial ?
Victor Gorshkov and Anastassia Makarieva : Le point de vue le plus répandu est que le changement climatique mondial est essentiellement dû à la pollution anthropogénique de l’environnement mondial. Le principal polluant anthropogénique est le dioxyde de carbone, qui est émis lors de la combustion de carburants fossiles. Le CO2 est la seconde substance à effet de serre la plus importante dans l’atmosphère de la Terre ; c’est pourquoi son accumulation dans l’atmosphère est perçue comme la principale cause du réchauffement et d’autres changements climatiques observés. La principale stratégie proposée pour combattre le changement climatique est ainsi la réduction des émissions de carbone.
Cependant, sur Terre, l’effet de serre est essentiellement déterminé par la vapeur d’eau et les nuages, autrement dit par l’humidité atmosphérique, qui est la principale substance à effet de serre. L’intervalle d’absorption des molécules de CO2 couvre moins de 20 % du spectre des radiations thermiques à la surface de la Terre, tandis que l’humidité atmosphérique absorbe les radiations thermiques de manière assez uniforme sur l’ensemble du spectre. Par conséquent, l’impact de concentrations croissantes de CO2 sur l’effet de serre peut être complètement compensé par une modification relativement mineure du cycle hydrologique au-dessus des terres. Les forêts naturelles, qui contrôlent le cycle hydrologique au niveau des terres et des parties adjacentes de l’océan, peuvent assurer une telle stabilisation, à condition qu’elles puissent occuper une surface importante. À l’inverse, la destruction des forêts perturbe le cycle hydrologique, ce qui entraîne bien entendu d’importantes fluctuations de l’effet de serre à l’échelle mondiale, pouvant aller jusqu’à une déstabilisation profonde du climat et une transition de ce dernier vers un état incompatible avec la vie.
La plupart des climatologues actuels ont grandi avec des modèles informatiques du climat et ont l’habitude de croire aux résultats fournis par ces modèles. Comme le montre les discussions autour de nos travaux, on tient rarement compte du fait qu’en établissant artificiellement les paramètres numériques requis, il est possible de simuler une très grande variété de scénarios climatiques, y compris ceux qui correspondent aux observations du passé. L’existence de simulations qui imitent la réalité passée ou présente ne signifie pas que les principes physiques intégrés aux modèles sont corrects où que ces modèles sont capables de générer des prévisions fiables.
En plus de cela, la modélisation actuelle du climat est généralement réalisée par des personnes possédant une formation technique mais très peu de connaissances sur le fonctionnement des écosystèmes. Ces connaissances sont également souvent médiocres. Ainsi, les systèmes écologiques « alimentent » les modèles sous la forme d’un ensemble de paramètres géophysiques, tels que l’albédo, le taux d’évaporation, la rugosité de la surface, la quantité de carbone emmagasinée, etc. Bien que les valeurs numériques de ces paramètres soient tirées de la réalité, elles ne représentent pas le fonctionnement de l’écosystème, tout comme une photo numérique couleur en haute résolution d’un cadavre ne représente pas un être humain vivant. Sans une étude des principes régissant le fonctionnement très organisé des communautés écologiques, notamment leur capacité génétiquement encodée à répondre aux perturbations environnementales par un effet de compensation non aléatoire, les conclusions tirées des modèles de circulation mondiale à propos des effets climatiques résultant de changements dans l’occupation des sols (telles que la proposition de couper toutes les forêts boréales pour atténuer le réchauffement climatique) resteront bien loin de la réalité.
L’analyse quantitative des variables écologiques et biologiques et une tâche très compliquée en raison de la complexité des objets vivants. Prenez un canon volant et un oiseau tout deux soumis à la gravité. Une description quantitative du premier est simple à élaborer, mais il est impossible de prédire où et comment l’oiseau volera à partir des conditions initiales. Cette complexité des systèmes vivants et le nombre de surprises qu’ils impliquent pour la recherche environnementale mondiale commence à peine à être reconnue dans un certain nombre de domaines, de l’étude des mécanismes énergétiques des organismes vivants à la biochimie du sol, en passant par la climatologie.
Le concept de la pompe biotique (et plus généralement la théorie de la régulation biotique de l’environnement, dont la pompe biotique est une partie) quantifie pour la première fois la fonction environnementale stabilisatrice des écosystèmes naturels en ce qui concerne le cycle hydrologique, et cerne le mécanisme physique responsable de cette fonction. Nous devons élever le statut de la conservation des écosystèmes de celui de question secondaire dans les discussions et traités sur l’environnement (qui se focalisent exclusivement sur les émissions de carbone) à celui de problème urgent à traiter en priorité. Nous devons également orienter les programmes de recherche vers l’étude des effets stabilisateurs des écosystèmes naturels, stimuler les débats publics et sensibiliser les gens à la valeur réelle des forêts.
POMPE BIOTIQUE ET POLITIQUE
Mongabay : Quels changements de politique la théorie de la pompe biotique suggère-t-elle aux gouvernements du monde entier ?
Victor Gorshkov and Anastassia Makarieva : 1. La théorie de la pompe biotique montre que les forêts naturelles sont indispensables si nous voulons avoir de la pluie, et par conséquent, pouvoir cultiver les terres où nous vivons. Ce message scientifique a d’importantes implications économiques. Les populations et gouvernements du monde entier doivent d’abord réaliser que la croissance économique ne peut reposer sur l’abattage des forêts, que ce soit dans leur propre pays ou ailleurs. Une telle attitude sape les bases-mêmes de l’existence de notre civilisation. Lorsque la sécurité de l’eau et la sécurité alimentaire sont en jeu, il n’est pas possible pour les industries forestières de se focaliser sur la croissance, simplement pour augmenter la production mondiale d’emballages et de papier-toilette. Ce problème devrait être le sujet principal des campagnes environnementales.
Dans de nombreux secteurs d’activité humaine, la croissance économique est impossible. Prenez par exemple la pêche : la consommation des produits naturels de la pêche est limitée par leur vitesse de régénération dans la nature, qui est contrôlée par le mécanisme des quotas internationaux. L’absence de telles régulations permettrait une croissance économique temporaire, mais finirait par conduire à l’effondrement de toute l’industrie une fois les réserves halieutiques épuisées. Pour des raisons différentes, la croissance économique ne peut pas non plus reposer sur des activités criminelles telles que le trafic de drogue ou d’organes humains. Si de telles activités étaient encouragées, comme le sont d’autres activités économiques, elles pourraient conduire à une « croissance économique » temporaire mais aboutiraient ensuite à l’effondrement de la population. Lorsque les gens prennent conscience de cela, des mesures sont prises contre de telles activités.
Le cas de l’industrie forestière ressemble moins à celui de la pêche qu’à celui du trafic de drogue et d’organes. L’humanité a besoin d’un vaste territoire de forêts naturelles intactes pour assurer le cycle hydrologique sur les terres. Ce critère environnemental strict est incompatible avec le critère de « durabilité » appliqué à la sylviculture moderne, où les arbres sont au mieux coupés au rythme où ils repoussent et où la plupart d’entre eux sont abattus lorsqu’ils atteignent 50 ans. Sur le principe, on peut comparer cela à l’élevage d’êtres humains pour leurs organes, qui seraient ensuite tués lorsqu’ils atteignent, disons, une quinzaine d’années. Une telle « activité économique » serait peut-être « durable » et « profitable » pour certains, mais on ne peut pas attendre d’une civilisation fondée sur une telle « économie » qu’elle soit stable et donne naissance à des Shakespeare, des Mozart, des Einstein, etc. Des êtres humains élevés pour leurs organes ne pourraient pas vivre une vie normale, se développer et faire preuve de créativité. De la même façon, les arbres plantés pour leur bois ne peuvent jouer leur rôle environnemental et stabiliser le climat : seul un écosystème naturel disposant de la panoplie complète des espèces biologiques nécessaires en est capable.
En d’autres termes, la société doit immédiatement commencer à réduire progressivement l’industrie forestière. La destruction des écosystèmes forestiers naturels est un crime contre l’humanité et sera de plus en plus perçu en tant que tel à mesure que de nouvelles connaissances s’accumuleront, que l’éducation environnementale se développera et que les normes éthiques évolueront en conséquence. De tels changements radicaux se sont déja produits dans l’histoire de l’humanité : l’esclavage, autrefois perçu comme un choix économiquement sage et une activité « normale », a été aboli.
Il faut insister sur le fait que la responsabilité de la situation actuelle, dans laquelle les forêts naturelles sont détruites, repose sur l’ensemble des populations de la planète plutôt que sur la seule industrie forestière. Nous sommes tous des consommateurs de produits à base de bois. Comme de nombreuses personnes dépendent aujourd’hui directement de l’exploitation forestière pour vivre, il est nécessaire de mettre en place des programmes à grande échelle afin de changer progressivement les métiers de ces gens, pour ralentir l’industrie forestière et aboutir à une minimisation radicale de leur portée économique. En parallèle, les gouvernements doivent subventionner la recherche visant à créer de nouveaux emballages sans papier ou autre produits dérivés des arbres.
2. Les gouvernements doivent garder à l’esprit que la régénération des forêts naturelles prend des dizaines voire des centaines d’années avant que la pompe biotique atteigne sa puissance maximale. Il est beaucoup plus facile de protéger les forêts que de les replanter. Par exemple, les plantations d’arbres en Chine n’ont rien à voir avec la restauration des forêts ; elles sont vouées à l’échec. Restaurer complètement des communautés écologiques dégradées est aussi difficile que le clonage d’un mammouth dans une cellule-œuf d’éléphant. La médecine des écosystèmes n’existe pas encore en tant que science. En attendant, nous devons immédiatement conserver tout ce que nous avons.
3. Les efforts doivent être coordonnés pour protéger à la fois les forêts tropicales et les forêts boréales. Les pays où la démocratie est fortement ancrée parviennent plus efficacement à atteindre les objectifs de conservation de la nature. Il devient alors possible pour la société d’atténuer l’impact négatif sur l’environnement de projets de développement à grande échelle visant à extraire des ressources sur des zones toujours plus larges. Au Canada par exemple, l’implémentation du Plan Nord, qui visait à intensifier massivement l’extraction de ressources au Québec, a dû inclure, sous la pression des citoyens, le maintien de 50 % du territoire affecté dans son état originel, dont une vaste étendue de forêts boréales.
4. Dans un monde surpeuplé, les forêts et l’environnement ne pourront pas être sauvés. La planification familiale est l’outil stratégique principal pour préserver les forêts et restaurer la durabilité environnementale.
Article publié par Brittany Stewart sur www.mongabay.com
Victor Gorshkov est décédé le 10 mai 2019. Anastassia Makarieva, avec de nombreux chercheurs du monde entier, continue le travail qu’ils ont engagé.