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Déforestation et incendies en Amazonie, quelles conséquences pour le climat de la planète ?

samedi 11 avril 2020, par Daniel Hofnung

La forêt amazonienne joue un rôle essentiel pour l’environnement régional et même mondial.
On l’a souvent considérée comme « poumon de la planète », mais, de fait, les algues des couches supérieures des océans produisent bien plus d’oxygène. Et si la forêt stocke du carbone en grande quantité – donc produit en même temps de l’oxygène – ceci est compensé par les émissions croissantes liées à la déforestation ; on serait donc proche d’une situation où les émissions équivaudraient au captage de CO2.

Quand on regarde la forêt avec le point de vue des gaz à effet de serre, seul point de vue pour beaucoup, sa disparition se traduirait seulement par des quantités de CO2 en plus dans l’atmosphère.

Mais le rôle principal de la forêt n’est pas là. Il est dans le cycle de l’eau, à travers l’évapotranspiration des arbres, c’est à dire l’évaporation sur les feuilles et les tiges. Leur surface cumulée dépasse largement celle occupée au sol par l’arbre : une surface de forêt évapore, surtout en région tropicale, bien plus – jusqu’à 4 fois – de vapeur d’eau qu’une surface équivalente de lac ou de mer.

Les « rivières aériennes de vapeur », qui s’élèvent de la forêt génèrent les pluies, souvent des milliers de kilomètres plus loin. Ceci a été vérifié : des prélèvement d’air humide dans les nuages au dessus de l’Amazonie ont permis de savoir qu’il retombait sous forme du pluie sur Sao Paulo, à 3000 km de là. Le climat humide et la pluviométrie du versant est de l’Amérique du Sud tiendrait donc à l’évaporation sur la forêt d’Amazonie.

La déforestation remet tout en cause. Déjà, en 2004, à son élection, Lula avait tenu un discours développementaliste, disant que « la forêt n’était pas un sanctuaire et que son gouvernement allait la développer ». Heureusement, dès l’année suivante, la ministre de l’environnement, Marina Silva avait mis en place un « Plan d’action pour la prévention et le contrôle de la déforestation légale en Amazonie », qui avait permis, de 2005 à 2012 de réduire de 82 % la déforestation.

Le coup de force ayant conduit à l’arrivée de Michel Temer à la présidence en 2016 a signifié la levée de barrières juridiques à la déforestation, et Jair Bolsonaro, une politique favorisant les accapareurs de terre a été instaurée. Ceux-ci vont jusqu’à incendier la forêt, pour revendre les parcelles à des éleveurs ou des producteurs de soja. En l’honneur de Bolsonaro, en août 2019, des milliers de personnes (accapareurs de terre, bûcherons), se sont organisées par WhatsApp et ont recrutés des gens qui à moto, avec des bidons d’essence, ont incendié « toutes les terres qu’ils pouvaient ». La « journée des incendies » devait être visible de l’espace, par les satellites artificiels. En août 2019, la déforestation a été de 222 % supérieure par rapport à la même période de 2018.

Avec quelles conséquences ? Le mécanisme de « pompe biotique »(1) qui fait que l’air humide s’élevant de la forêt aspire les nuages de la mer, ajoutant encore de l’humidité à celle évaporée de la forêt, peut ne plus fonctionner. Un « point de basculement », à partir duquel les vents changeraient de sens, allant des terres vers les mers, pourrait être atteint.

La forêt ne pourrait alors plus se régénérer. Le système de régulation du climat ne fonctionnant plus, l’Amazonie se transformerait peu à peu en savane, puis en désert. C’est l’ensemble du climat de la planète qui serait affecté, en lien avec la baisse du taux d’humidité liée à la déforestation. Cela est déjà constaté, avec le recul d’année en année du début de la saison des pluies, et ses conséquences sur la santé des arbres et leur capacité à résister aux incendies.

Il est intéressant de savoir quelle était la situation passée. Dans le mémento encyclopédique Larousse de 1936 (2), on trouve ceci sur les pluies équatoriales : « une pluviosité supérieure à 2 mètres, très constante. Ce régime équatorial, par son humidité excessive, a créé la forêt vierge. » et pour le climat tropical, il est indiqué : « Pluies abondantes, saisonnières dès qu’on s’éloigne de l’équateur. » L’expert brésilien Antonio Donato Nobre indique à ce sujet « Nous disions d’habitude que l’Amazonie avait deux saisons : la saison des pluies et la saison plus humide » « Maintenant, vous avez de nombreux mois sans une goutte d’eau. » (3)

La situation d’aujourd’hui n’est donc plus la situation ancienne, les pluies sont devenues saisonnières en Amazonie, même à l’équateur. Et la saison sèche est de plus en plus longue, ce qui crée des conditions favorables aux incendies de forêt.

Le lien avec la déforestation a été établi clairement, il ne s’agit pas seulement d’une conséquence du réchauffement climatique. La forêt d’Amazonie, par sa taille, produisait de l’humidité qui retombait sous forme de pluie à un autre emplacement de la forêt.(3)

Mais cette capacité d’auto-alimentation en pluie de la forêt disparaît avec la déforestation. Antonio Nobre précise « une fois que vous avez franchi un certain seuil[au niveau du défrichement], un point de basculement, cela se transforme en un autre type d’équilibre. Cela devient plus sec, il y a moins de pluie. Ce n’est plus une forêt. »

Et la transformation de la forêt en savane, comme cela existe dans le Cerrado, vaste zone au sud de l’Amazonie, est engagée. Les conséquences au niveau de l’évaporation globale seront énormes : des prairies ou des champs de soja dans une savane évaporent bien moins d’eau qu’une forêt, c’est tout le cycle de l’eau qui sera perturbé, avec une baisse des pluies, et une transformation de certaines zones en déserts.

De plus, les événements climatiques violents (tornades, cyclones) devraient se multiplier. Dans « the future climate of Amazonia », Antonio Nobre explique comment les niveaux uniformes de pluie sur la canopée de la forêt, liés à l’importante transpiration végétale réduisent, avec la pompe biotique, la chance de former des tempêtes et des tornades. Les donnés enregistrées confirment l’existence d’un climat plus modéré sur cette grande forêt en limite de l’océan. Si la déforestation réduit la forêt, son rôle modérateur disparaîtra, et des extrêmes climatiques se développeront.

Cette manière d’expliquer le rôle central des forêts sur le climat, encore mal comprise, peut laisser dubitatives certaines personnes.

Un exemple, particulièrement clair, pourrait les convaincre, sur le cas de Bornéo et de son « suicide à l’huile de palme » : un article" Moins il y a de forêts tropicales humides, moins il y a de précipitations, récit édifiant de Bornéo" a été publié sur Mongabay. Il cite une étude récente. Au cours des 60 dernières années, la déforestation massive de Bornéo, en grande partie pour des plantations d’huile de palme, « a entraîné une hausse des températures et une baisse des précipitations ». Les forêts créaient de l’ombre et évaporaient de l’eau, créant « leurs propres précipitations ». Les arbres coupés ont servi à faire des meubles de jardin, voire des baguettes jetables. Depuis 1950, Bornéo a perdu près de la moitié de sa surface forestière et seulement un quart n’a jamais été déboisé. L’étude publiée dans Environmental Research Letters en 2018 a révélé que la déforestation a rendu l’île plus chaude, avec des conséquences désastreuses pour le faune et les forêts restantes, mais également pour les habitants et le secteur agricole. Dans les plantations d’huile de palme, la température est « de 2,8 à 6,5° » plus élevée « que dans les forêts primaires ». Ces hausses de température sont au-dessus de celles du réchauffement planétaire. Quant aux précipitations, elles « ont chuté d’environ 20 % en moins de 60 ans ». Or les palmiers à huile ont besoin d’humidité toute l’année, alors que le climat devient plus sec et instable, et ils n’aiment pas les températures élevées, entre 29 et 33°. En déforestant massivement Bornéo (qui est partagé entre 3 états : Malaisie, Indonésie et Brunei) pour planter des palmiers à huile n’a t-on pas commis à Bornéo un suicide à l’huile de palme ?

Alors que nous nous concentrons sur le danger du réchauffement climatique et la nécessité de réduire les émissions (qui sont tout à fait réels !), les conséquences de la déforestation sur le cycle de l’eau, la diminution des pluies et les sécheresses liées à la baisse de l’évapo-transpiration des arbres dans les forêts soumises à la déforestation sont en train d’avoir des conséquences climatiques qui dépassent largement l’Amazonie, et les autres forêts qui subissent le même sort (Congo, Indonésie, et aussi forêt sibérienne avec des conséquences en Europe).

Il est temps de considérer la déforestation comme un crime environnemental, de la stopper complètement, et d’engager la restauration des espaces forestiers dans leur état primitif. Cela nécessite une prise de conscience globale, qui hélas n’existe que très peu, l’attention étant portée exclusivement au niveau climatique sur le problème, bien réel, des émissions de gaz à effet de serre.

notes :
1- Il a fallu attendre des années avant la publication de cet article, elle a été demandée en 2010 et obtenue en janvier 2013. Les nouvelles théories ont du mal à être acceptées, surtout si elles remettent en cause des habitudes, des comportements et surtout des intérêts.
2- Grand mémento encyclopédique Larousse, publié sous la direction de Pierre Augé, tome 1, 1936
3- Article traduit ci-dessous
4- voir mon article dans "les Possibles" printemps 2020

Vous trouverez ci-dessous la traduction en français de deux articles cités sans les photos, à voir dans la version originale sur le lien (mais pas la traduction des publications scientifiques citées)

La forêt d’Amazonie atteint le point de non-retour

Climate News Network 17 mars 2020
Par Jessica Rawnsley

satellite mapping of the devastating fires that swept through the rainforest in August last year
NASA Earth Obervatory / Joshua Stevens

Un expert brésilien de la forêt amazonienne averti que la déforestation croissante sous le régime du Président Bolsonaro a un effet catastrophique sur le climat.

LONDRES, 16 MARS 2020 -Antonio Donato Nobre est passionné par la région amazonienne et il désespère du niveau de déforestation qui a lieu dans ce qui est la plus grande forêt tropicale du monde.

"Juste au moment où je pensais que la destruction ne pouvait pas être pire, cela a été le cas," dit Nobre, l’un des principaux scientifiques du Brésil qui a étudié l’Amazonie - sa flore et sa faune uniques, et son influence sur le climat local et mondial - pendant plus de 40 ans.

" En termes de climat de la Terre, nous sommes allés au-delà du point de non-retour. Cela ne fait aucun doute. "

Pendant des décennies, il a lutté contre la déforestation. Il y a eu des hauts et des bas considérables au cours de cette période, mais il souligne que le Brésil a été dans le passé un leader mondial dans le contrôle de la déforestation.

"Nous avons développé le système qui est maintenant utilisé par d’autres pays", a-t-il déclaré à Climate News Network dans une interview lors de sa tournée de conférences au Royaume-Uni.

"À l’aide de données satellitaires, nous avions surveillé et nous avions contrôlé. De 2005 à 2012, le Brésil a réussi à réduire de jusqu’à 83 % la déforestation."

Augmentation spectaculaire

Ensuite, la loi sur l’utilisation des terres a été assouplie et la déforestation a augmenté de façon spectaculaire - de 200% entre 2017 et 2018.

Tout devient bien pire depuis que Jair Bolsonaro est devenu président brésilien au début de l’année dernière, a déclaré Nobre.

"Il y a des personnes dangereuses au pouvoir", dit-il. "Le ministre de l’Environnement est uncriminel reconnu coupable. Le ministre des Affaires étrangères est un climato-sceptique."

Nobre soutient que Bolsonaro ne se soucie pas de l’Amazonie et a du mépris pour les écologistes.

Son administration encourage les accapareurs de terres qui prennent illégalement le contrôle de terres protégées ou de terres tribales indigènes, qu’ils vendent ensuite aux éleveurs de bétail et aux conglomérats de soja.

Pour les tribus indigènes, la vie est devenue plus dangereuse. "Ils sont assassinés, leurs terres sont envahies", dit Nobre.

En août de l’année dernière, le monde a regardé de vastes zones de la région amazonienne - un puits de carbone vital aspirant et recyclant les gaz à effet de serre du monde – partir en flammes.

Nobre dit que les accapareurs de terres avaient organisé ce qu’ils ont appelé une "journée des incendies" en août de l’année dernière, en l’honneur de Bolsonaro.

"Des milliers de personnes se sont organisées, via WhatsApp, pour réaliser quelque chose visible depuis l’espace", dit-il. "Ils ont engagé des gens à moto avec des bidons d’essence pour incendier toutes les terres qu’ils pouvaient."

L’impact sur l’Amazonie est catastrophique, dit Nobre. "La moitié de la forêt amazonienne à l’est a disparu - elle perd la bataille, elle se dirige vers devenir une savane.

" Lorsque vous défrichez des terres dans un système sain, elles rebondissent. Mais une fois que vous avez franchi un certain seuil, un point de basculement, cela se transforme en un autre type d’équilibre. Cela devient plus sec, il y a moins de pluie. Ce n’est plus une forêt. "

En plus de stocker et de recycler de grandes quantités de gaz à effet de serre, les arbres d’Amazonie jouent un rôle essentiel dans la récupération de la chaleur de la surface de la Terre et la transformation de la vapeur d’eau en condensation au-dessus de la forêt. Cela agit comme un système de sprinklers géants dans le ciel, explique Nobre.

Lorsque les arbres disparaissent et que ce système tombe en panne, le climat se modifie non seulement dans la région amazonienne, mais sur une zone bien plus large.

Il nous reste peu de temps

"Nous disions d’habitude que l’Amazonie avait deux saisons : la saison des pluies et la saison plus humide ", indique Nobre. "Maintenant, vous avez de nombreux mois sans une goutte d’eau. "

Nobre a passé de nombreuses années à vivre et à mener des recherches dans la forêt tropicale et est maintenant rattaché à l’Institut national brésilien pour la recherche spatiale ( INPE) .

La grande majorité des Brésiliens, dit-il, sont contre la déforestation et sont préoccupés par le changement climatique - mais alors qu’il pense qu’il y a encore de l’espoir pour la forêt tropicale, il dit que le temps presse.

Plusieurs leaders importants du Brésil, dont un groupe de généraux puissants, ont été choqués par la réaction internationale face à la récente vague d’incendies en Amazonie et craignent que le pays ne devienne un paria sur la scène mondiale.

Nobre est en colère contre son propre gouvernement, mais aussi contre ce qu’il décrit comme le conspiration massive sur le changement climatique perpétré au fil des ans par les lobbies du pétrole, du gaz et du charbon.

Depuis la fin des années 1970, les scientifiques des sociétés de combustibles fossiles connaissaient les conséquences de l’accumulation de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.

"Ils nous ont amenés à cette situation en connaissance de cause", explique Nobre. "Ce n’est pas quelque chose qu’ils ont fait par ignorance irresponsable. Ils ont payé pour dénigrer la science."

Jessica Rawnsley est une journaliste environnementale basée au Royaume-Uni. Elle a écrit des articles sur le mouvement Extinction-Rébellion et les tactiques policières liées aux manifestations. Elle s’intéresse particulièrement aux groupes de campagne et à leur influence sur les politiques gouvernementales en matière de climat,

Publié avec la permission de Climate News Network.

Antonio Donato Nobre : ​​« La forêt est malade et perd sa capacité de séquestration du carbone »

par Sibélia Zanon le 23 décembre 2019 | Traduit par Matt Rinaldi
chercheur du Centre INPE des sciences des systèmes terrestres, Antonio Donato Nobre, décrit l’état de dégradation menaçant l’avenir de la forêt amazonienne dans une interview exclusive pour Mongabay.
Nobre craint que la forêt ne s’approche de ce qu’il décrit comme un « point de basculement », après quoi elle ne sera plus capable de se régénérer d’elle-même, s’engageant ainsi sur la voie de la désertification. « Il ne s’agit pas de protéger la forêt simplement pour faire plaisir aux écologistes. La forêt vivante est essentielle à la survie de la civilisation humaine », dit-il.
Afin d’inverser l’état de destruction actuel, Nobre propose le développement d’une économie forestière - capable, selon lui, de générer près de 20 fois plus de revenus que l’élevage extensif de bétail. À titre d’exemple, il cite le projet Amazônia 4.0, qui défend l’utilisation de la technologie pour l’exploration durable de la biodiversité.

« Nous perdons presque l’habitabilité de la planète », déclare Antonio Donato Nobre, qui s’est récemment rendu à Altamira, dans l’État du Pará, pour participer à la conférenceAmazon Center of the World . En novembre, sur ce qu’on appelle Terra do Meio, située entre les rivières Xingu et Iriri, des scientifiques et des écologistes ont rencontré des peuples autochtones et fluviaux pour créer une alliance pour l’Amazonie et, ensemble, trouver une issue pour l’organe le plus important du métabolisme climatique de la planète.

Nobre connaît bien l’Amazonie. L’agronome, titulaire d’une maîtrise en biologie et d’un doctorat en sciences de la terre, a vécu à Manaus pendant 14 ans et a travaillé comme chercheur à l’Institut national de recherche de l’Amazonie (INPA) pendant 33 ans. En 2014, il a publié le rapport « The Future Climate of Amazonia  », qui détaille les mécanismes par lesquels la forêt contribue à réguler l’atmosphère et il propose des actions pour éviter un effondrement climatique.

Cinq ans après la publication du rapport, l’avenir apparaît particulièrement sombre. Selon Nobre, les changements du climat mondial et l’hostilité du gouvernement brésilien envers l’Amazonie pourraient conduire la forêt au « point de basculement » vers un chemin irréversible menant à la désertification.

Actuellement chercheur à l’Institut national de recherche spatiale (INPE), Nobre est également devenu militant : peu de temps après avoir participé à la conférence Amazon Center of the World, il s’est rendu en Norvège pour parler du Fonds Amazonie avec le ministre du Climat et de l’Environnement et évaluer leurs possibilités de coopération avec le Brésil.

Dans cette interview exclusive avec Mongabay, il partage les informations qu’il a retenues d’Altamira et d’Oslo et commente le scénario actuel de dégradation de l’environnement qui menace l’avenir de la forêt amazonienne.

Mongabay : Veuillez nous parler de votre récent voyage à Altamira pour la conférence Amazon Center of the World.

Antonio Donato Nobre :  C’était très instructif, en particulier de savoir comment les peuples de la forêt protègent l’Amazonie de manière efficace et lucrative. L’Amazonie est en effet le centre du monde. C’est l’organe le plus important du système métabolique du climat, garantissant la stabilité et le confort de l’environnement. Dans la Terra do Meio, une grande partie de la forêt est en ruines. Ce qui reste se trouve dans les zones protégées, les terres indigènes et les soi-disant Resex, qui sont des réserves d’extractivisme durable, où la forêt est en récupération. Mais dans cette partie orientale de l’Amazonie, en raison de la déforestation et de la dégradation, la forêt restante a peut-être déjà dépassé le point de basculement .

Y a-t-il des signes visibles du point de basculement ?

Les forêts indigènes ont une certaine résilience aux adversités climatiques. Mais elles n’ont pas la capacité de résister aux tronçonneuses, aux tracteurs à chaînes ou aux feux à grande échelle. Ces inventions malveillantes et leurs attaques barbares créent un véritable climat de destruction définitive. [De plus,] l’air, auparavant toujours humide, s’est progressivement asséché, rendant la forêt inflammable. Les pluies arrivent de plus en plus tard chaque année et la séquestration du carbone, précédemment accomplie par la forêt, a diminué en même temps que la mortalité des grands arbres a augmenté. Les habitants de la région luttent contre le changement climatique. Les noix du Brésil ont un cycle : elles produisent plus de noix une année, puis moins l’année suivante. Mais depuis plusieurs années, la production a chuté en raison des sécheresses. Ces pertes sont liées au changement climatique et témoignent de la dégradation de la forêt. Les études scientifiques publiées ces dernières années ne laissent aucun doute sur le changement climatique associé à la destruction de la forêt.

Les chiffres préliminaires, récemment annoncés sur la déforestation en Amazonie, se référant à la période d’août 2018 à juillet 2019, montrent une augmentation de 29,5% par rapport à l’année précédente. Le gouvernement se défend, mais le taux de déforestation en août 2019 a augmenté de 222 % par rapport à la même période en 2018. Comment voyez-vous cette situation ?

C’est une situation catastrophique ! Un large front de destruction a été ouvert cette année, exacerbé par les actions du gouvernement fédéral, dont la rhétorique recrute principalement des accapareurs de terres sur les premières lignes de la déforestation. Ces voleurs envahissent les terres publiques et les zones de conservation, ils occupent et vendent plus tard la terre aux éleveurs de bétail. Les éleveurs étendent la déforestation et vendent les superficies aux producteurs de soja, qui consolident la dévastation. C’en est arrivé au point où les bûcherons ont planifié le « Jour du Feu » comme un moyen d’exprimer leurs remerciements élogieux, visibles depuis l’espace, pour la nouvelle politique pour l’Amazonie.
Depuis le début de l’année, il y a eu une manifestation très claire d’hostilité de la part des autorités concernant la question de l’environnement. Le premier signe que la nouvelle administration allait stimuler la déforestation est venu dès le début avec l’annonce : « nous allons nous débarrasser de l’industrie des amendes ». Mais il n’y avait rien de tel qu’une industrie des amendes [environnementales], il y avait un sérieux travail de contrôle qui a entraîné une réduction de la déforestation ces dernières années, comme de 2005 à 2012. Ce n’est pas une simple interprétation : la rhétorique officielle, considérée par l’homme chargé de ce secteur comme sa nouvelle politique pour l’Amazonie, a intensifié la déforestation.

Étonnamment, cette rhétorique ressemble à une déclaration faite par Lula en 2003, au début de sa première administration, quand il a dit que la forêt n’était pas un sanctuaire et que son gouvernement allait la développer. 2004 a été l’une des pires années de déforestation de l’histoire. Les signes suggèrent que la déforestation pourrait être encore plus élevée en 2020. Ainsi, l’idéologie qui sort de la bouche de ceux qui sont au pouvoir influence directement ce qui se passe dans la forêt.

Opération de journalisation illégale dans l’Amazonie. Territoire indigène des Pirititi à Roraima,
mai 2018.
Photo : Felipe Werneck / Ibama

Quelle est la différence entre cette période et le moment présent ?

Malgré la rhétorique `` développementaliste ’’ de Lula, sa ministre de l’Environnement, Marina Silva avait réussi à faire un travail extraordinaire avec le PPCDAM [Plan d’action pour la prévention et le contrôle de la déforestation légale en Amazonie], qui a abouti à un contrôle acclamé de la déforestation. Comparez le ministre respecté avec l’actuel. Tous les anciens ministres de l’Environnement ont dénoncé l’actuel ministre comme un ennemi de l’environnement. En moins de 12 mois, il a accompli l’exploit de défaire des décennies de dur labeur accompli par le respecté système brésilien de protection de l’environnement. En conséquence, la destruction de l’environnement en cours est sans précédent et menace le système climatique de désertification.

Qu’est-ce que cette désertification ?

En 2003 et 2004, la forêt était déjà assez altérée, mais elle n’était pas encore proche du point de non-retour. Des études récentes montrent que l’air au-dessus de la partie orientale de la forêt est plus sec. Cela signifie une vulnérabilité accrue aux incendies et une mortalité plus élevée des arbres, et donc une moindre capacité de production de services environnementaux pour le climat et une moindre résistance au changement climatique. La forêt est malade et perd sa capacité de séquestration du carbone. Chaque année, la saison sèche s’allonge : dans le passé, la pluie commençait fin septembre. À la mi-novembre, la pluie n’a toujours pas commencé dans une grande partie de l’Amazonie.

En 2002, Carlos Nobre et Marcos Oyama ont effectué des simulations informatiques d’équilibre entre le climat et la végétation et ils ont découvert que, une fois arrivée à une certaine limite, la forêt restante ne peut résister au changement climatique, devenant ainsi plus sensible au feu. Lorsque le feu se déclare, la forêt perd son humidité et se déplace davantage vers les conditions de savane. Des données récentes montrent que ce processus est déjà en cours. Si le processus de « savannisation » se produit et que la pompe biotique (une théorie qui explique la forêt comme une force qui propulse les vents canalisés à travers des rivières aériennes, fonctionnant comme un cœur du cycle biologique) cesse de fonctionner, les vents pourraient changer de direction et, au lieu de souffler de la mer vers l’intérieur, commencer à souffler de la terre vers la mer. C’est à ce moment que la désertification aurait lieu. Des régions comme la péninsule arabique étaient autrefois des forêts et sont maintenant des déserts. L’aridité est produite maintenant, avec la destruction artificielle de la forêt.

Voir l’animation sur l’article d’origine en anglais
Chaque pulsation représente une année d’observation réalisée par satellite. Le graphique révèle l’importance vitale des forêts de la région équatoriale pour le fonctionnement du climat mondial. L’Afrique et l’Asie du Sud-Est méritent l’attention, mais l’Amazonie représente la majeure partie du métabolisme du carbone. Source : laboratoire du professeur Yadvinder Mahli à l’université d’Oxford en Angleterre L’image ci-dessus traduit 10 ans de données sur la photosynthèse des plantes sur tous les continents.

Vous êtes récemment arrivé de Norvège. Y a-t-il une possibilité pour eux de reprendre leur engagement envers le Fonds Amazonie ?

J’ai parlé avec le ministre norvégien du Climat et de l’Environnement et ils s’inquiètent de la position du gouvernement brésilien. La Norvège a mis 1 milliard de dollars dans le Fonds Amazonie. Avec l’Allemagne, ils se chargeaient d’une demande que le gouvernement brésilien lui-même avait faite. Cet argent avait produit des résultats très bénéfiques, non seulement pour la protection de la forêt, mais aussi pour le développement de l’économie locale. Le contrat avec ces pays donateurs était basé sur les efforts déployés par le gouvernement brésilien pour réduire la déforestation. La déforestation augmente à nouveau fortement, ce qui viole les termes du contrat. Donc, logiquement, ils conservent les fonds concernées afin de les envoyer au Brésil dès que la déforestation tendra à nouveau vers une réduction.

Le rapport « Le climat futur de l’ Amazonie , » qui vous avez publié en 2014, décrit les grandes zones de production de céréales et d’ autres produits agricoles qui reçoivent la vapeur d’eau se transformant en pluie venant de la forêt amazonienne, appelées« rivières aériennes. » Quelle est la position de l’agro-industrie par rapport à l’état de dégradation de la forêt ?

Certains dirigeants ont réagi. La sénatrice Kátia Abreu, qui était présidente de la Confédération nationale de l’agriculture, avait mené une forte opposition aux scientifiques en 2010 et 2011 à l’occasion du changement du code forestier. Mais elle a récemment changé de position et l’a déclaré. Blairo Maggi, ancien gouverneur du Mato Grosso, il y a plus de 10 ans, a reçu le Gold Chainsaw Award (par Greenpeace) pour ses actions encourageant la déforestation. Mais cette année, il s’est même prononcé contre la nouvelle politique de la terre brûlée pour l’Amazonie.

Plusieurs autres voix du secteur agroalimentaire, qui produit des céréales et de la viande, sont assez alarmistes. Beaucoup craignent de perdre des marchés parce que le monde se plaindra inévitablement de la perte de l’Amazonie. Si nous perdons l’Amazonie, l’Accord de Paris sera irrémédiablement compromis. Nous ne pourrons plus parvenir à atteindre les objectifs en raison des énormes émissions de carbone et principalement en raison de la perte de services climatiques.

Nous ne faisons pas seulement de la place pour d’autre fermes. Nous paralysons le fonctionnement du système de la planète avec des conséquences majeures pour tout le monde, pas seulement pour le peuple brésilien. C’est donc un problème très grave. Ce qui m’a le plus dérangé tout au long de ma carrière de près de 40 ans en Amazonie, c’est de voir l’immense richesse de la vie et les opportunités de tracer des chemins respectueux et intelligents jetées à la poubelle. Il ne s’agit pas de protéger la forêt simplement pour faire plaisir aux écologistes. La forêt vivante est essentielle à la survie de la civilisation humaine.

Antonio Nobre en Norvège en 2015, lors de l’événement promu par le ministre du Climat et de
l’Environnement
Reproduction / Archives personnelles

De quelle richesse parlez-vous ?

Récemment, les travaux de certains de mes collègues de l’Université fédérale du Minas Gerais, dirigés par Raoni Rajão et Britaldo Soares, ont montré qu’un hectare de forêt préservée, compte tenu des actifs et des services de base seuls, génère plus de 700 $ US par hectare ( 280 $ US par acre) par an. La production moyenne de l’élevage extensif de bétail en Amazonie génère quelque chose comme 40 $ US par hectare (16 $ US par acre) par an. Si nous considérons une liste plus longue des actifs et des services fournis par la forêt, comme l’a fait Bob Constanza - l’un des fondateurs de l’aire de l’économie écologique -, cette valeur dépasse 5000 $ US par hectare (2000 $ US/a.) par an.

Prenez la pluie, par exemple. Sans pluie, il faut irriguer. Combien coûtera la mise en place de l’irrigation ? Et s’il n’y avait pas d’eau, l’eau de la mer devrait être désalinisée, comme c’est le cas dans les pays arides. Et que faisons-nous ? Couper tout, l’incendier en le remplaçant par une activité qui rapporte 40 dollars par hectare (16 dollars par acre) par an, qui est l’industrie du bétail produisant de la viande rouge, chose que l’Organisation mondiale de la santé a caractérisé comme cancérigène.

Nous continuons à détruire le cœur du monde, qui génère tous les services pour le climat, et cela inclut les services pour l’agriculture. Une fois que le système amazonien commencera à faiblir, et cela commence déjà à se produire, l’impact initial tombera précisément sur l’agro-industrie, car il n’y a pas de production agricole sans pluie, et seule une forêt préservée peut apporter de la pluie.

Et quel genre d’opportunités la forêt préservée offre-t-elle ?

Le programme Amazônia 4.0 (proposé par son frère Carlos Nobre) montre le potentiel de faire entrer la technologie dans la forêt, de générer du développement et de la richesse pour les peuples de la forêt et de mettre des produits virtuellement miraculeux à la disposition de l’humanité.

L’industrie de l’açaí en Amazonie, par exemple, rapporte déjà 1 milliard de dollars par an. Bientôt, elle dépassera l’industrie de la viande. À l’Inpa (Institut National d’Études Amazoniennes), dans le domaine des arbres fruitiers, des décennies avant que l’açaï ne connaisse un tel succès, le chercheur Charles Clement avait répertorié les fruits de l’Amazonie qui avaient un potentiel commercial et étaient inconnus en dehors de la région. Le total était un ensemble de 89 fruits. Ainsi, alors que l’açaí n’est qu’un seul fruit et qu’il génère une industrie d’un milliard de dollars, avec 89 autres fruits, nous avons 90 milliards de dollars américains et nous entretenons la forêt.

Sans oublier la biomimétique, une révolution technologique qui consiste à regarder comment la nature résout les problèmes. Vous prenez la cire qui recouvre la feuille d’une plante d’Amazonie et qui a des propriétés similaires à celles du téflon. Rien n’y attache. L’industrie de la peinture copie cette cire. Vous peignez une voiture ou une maison et elles ne se saliront jamais. La saleté n’adhère pas. Sans parler de la médecine et de tous les cosmétiques. La valeur de ces technologies dans la nature est incalculable. C’est un univers de solutions, de richesses et de merveilles.

Ce témoignage a été rapporté pour la première fois par l’équipe brésilienne de Mongabay et publiée ici sur notre site brésilien le 13 décembre 2019.

Article publié par Xavier Bartaburu