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Quelles alternatives socio-éducatives ? (Martine Boudet)

Atelier (université d’été d’Attac, Toulouse, 25 août 2012)

jeudi 31 janvier 2013, par Groupe Société-Cultures

"Crise psycho-socio-éducative : mécanismes et recherche d’alternatives" Atelier animé par Martine Boudet et Olivier Labouret membres du CS (groupe Société-Cultures)

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I- Néo-libéralisme autoritaire vs altermondialisme

L’objectif de mon intervention est de mettre en perspective certaines problématiques psycho-sociales et anthropologiques soulevées par la gouvernance sarkozyste au cours du dernier quinquennat. L’anomalie qu’a représentée cet exercice présidentiel, caractérisé de néo-libéral –autoritaire, a été soulignée par de nombreux observateurs. Quelles en seraient les principaux aspects et quels enseignements tirer de cette expérience pour notre société ?

Le désaveu, le 6 mai 2012, de ce régime est à l’actif de la communauté nationale. Cela dit, ce retournement de situation reste marqué du sceau de l’ambivalence, l’extrême-droite xénophobe et populiste ayant marqué en parallèle des points significatifs. Il est clair que le FN profite des limites nationales et de contradictions non résolues, escomptant à terme une reconfiguration en sa faveur ; rappelons-nous les lendemains désenchantés et tragiques du Front populaire en 1936, par exemple.

L’évolution citoyenne, nécessaire pour éviter un tel retour de balancier, passe par un changement idéologique d’envergure, au sens gramscien du terme. Depuis l’élection de François Hollande, la nouvelle équipe aux commandes préconise la promotion de l’Ecole et de l’Université, instances de transmission inter-générationnelle des savoirs et cultures ; en complément, le monde de l’éducation populaire peut et doit contribuer au débat sur les questions programmatiques, qui conditionnent l’évolution des mentalités et des phénomènes inter-subjectifs.

Au plan théorique, l’heure est à la mise en œuvre d’une méthodologie anthropologique - au sens où l’entend Edgar Morin par exemple-, qui vulgarise les fondamentaux nécessaires en matière de géo-politique, de médiologie et de sémiologie. La société reste prisonnière d’un cadre épistémologique datant de l’ère antérieure et qui pourrait être défini de "socio-culture". La philosophie des Lumières, le matérialisme dialectique, autant de systèmes de pensée qui ont façonné notre être collectif au monde, sur la base du culte des droits de la personne individuelle et de l’Etat social. Récemment, l’écologie a favorisé l’ouverture du peuple-nation aux enjeux de l’environnement. A l’heure de la mondialisation et d’une médiatisation globalisée, la citoyenneté s’élargit à d’autres composantes, de l’ordre du culturel et du civilisationnel, et qui mettent en jeu la psycho-sociologie des profondeurs et les dynamiques inter-subjectives. Ce paramètre, instrumentalisé sous le concept étroit et fermé d’ « identité nationale », est intéressant à traiter, pour l’élaboration d’une citoyenneté authentiquement altermondialiste.

II- Pour le rééquilibrage programmatique de la politique éducative, de recherche et de formation

Dans le bilan de l‘Université et de l’Education nationale, il importe d’évaluer les conséquences de l’orientation qui leur a été donnée, au nom de la compétitivité internationale et d’une rentabilité immédiate. L’une des dérives de l’ « économie de la connaissance », instituée sous l’égide de l’Union européenne (stratégie de Lisbonne, 2000), réside dans la mise en concurrence croissante des champs disciplinaires.

Pour exemple, à Toulouse, les principaux pôles de compétitivité, créés en 2005, gèrent des programmes dans le domaine des sciences physiques et du vivant : l’Aerospace campus (2000 chercheurs, 600 millions d’euros, 17 immeubles) et le Cancéropôle qui est de même envergure. Le plan campus concerne surtout l’université de sciences (Rangueil), en particulier sur un programme de promotion des nanotechnologies. L’université des Lettres, arts et sciences humaines (université du Mirail) n’a droit qu’à la réhabilitation de son patrimoine immobilier. Dans le cadre de la LRU, l’investissement privé risque d’y être peu important également. Dans le même temps, les prérogatives de l’IUFM ayant été quasiment annulées au cours du dernier quinquennat, les sciences de l’éducation en ont été d’autant minorées.

Instrumentalisation des sciences et des techniques, marginalisation des Lettres et sciences humaines et sociales (LSHS) : ce déséquilibre stratégique a des incidences au plan des relations de genre, le champ technoscientifique étant encore majoritairement masculin à la différence de celui des LSHS. De même qu’au niveau des filières de Baccalauréat, la filière scientifique étant développée comme pôle d’élite pendant que décline la filière littéraire. Chez les publics scolaires, en particulier populaires, ce déséquilibre engendre une perte de valeurs et de repères, source de violences, de dépendances et de déculturations. Au-delà, la crise de croissance de l’Union européenne, qui conduit actuellement à la récession et à l’impasse sociétale, nous interpelle sur la pertinence de ces choix, peu discutés sous un angle épistémologique et programmatique. Quelles humanités faut-il promouvoir, pour quels modes de développement ?

Le rééquilibrage de la politique éducative, de recherche et de formation en France est conditionné à la valorisation de programmes complémentaires, qui pondèrent les modes actuels de développement et dont les budgets soient garantis par l’Etat, par exemple par péréquation d’une partie des budgets octroyés par les lobbies entre autres industriels . Pour ce faire, est nécessaire le vote d’une loi pour la protection des savoirs universitaires, didactiques et scolaires, « biens immatériels de l’humanité ».

Dans le cadre d’un dialogue interdisciplinaire et intradisciplinaire, il incombe au champ des LSHS de contribuer à une lecture citoyenne critique, constructive et alternative des projets de société, des systèmes de représentations et des modes de professionnalisation. Ainsi, l’adaptation du système éducatif et de recherche à la mondialisation et à la société des médias nécessite la création d’un institut international de la Francophonie, d’un statut de médiateur interculturel, d’un statut de titulaire pour les professeurs de FLE-FLS et la reconnaissance institutionnelle des spécialités académiques des Lettres Modernes. Un référentiel transdisciplinaire élaboré à partir des fondamentaux des LSHS serait en effet précieux pour l’éducation à une citoyenneté éclairée aux plans communicationnel et sémiologique, psycho-social, géo-politique, anthropologique ... Dans des établissements pilotes, situés en particulier dans des zones d’éducation prioritaire (ZEP), pourrait être mise en place une expérimentation, objet d’expertise et d’amplification.

Sur le modèle des IREM créés en 1969 et acteurs de la promotion des mathématiques et du champ technoscientifique, la création d’IREF (Instituts de recherche sur l’enseignement du français) serait bienvenue. En collaboration avec les autres disciplines du champ et les équipes des IUFM et d’autres écoles de cadres enseignants, cette démarche favoriserait la refondation d’une didactique générale et (inter)disciplinaire. Dans l’objectif, entre autres, de faire de la filière littéraire un pôle d’excellence et intégrateur de savoirs et de cultures. Cela par la prise en compte du rapport de l’IGEN (2006), qui préconise d’élargir le choix des spécialités de cette filière.

Pour conclure, un dispositif de cette envergure s’avère une condition nécessaire à la réconciliation de nombreux publics scolaires, dont ceux des quartiers populaires et multi-ethniques, avec ces paramètres que sont la langue-culture française et les littératures européennes et francophones. Ainsi qu’à un regain d’intérêt des étudiants pour le métier d’enseignant, spécialement en français, discipline fondamentale. La consultation sur l’Ecole et les Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) permettront-elles d’avancer vers la réalisation de ces objectifs ? Il faut l’espérer, sachant que les habitudes ont la vie dure. Ainsi, le champ des LSHS est peu représenté dans le comité de pilotage des Assises de l’ESR et la seule perspective proposée concerne « la recherche technologique, immédiatement transférable dans le tissu industriel, notamment les PME-PMI et ETI ». Dans le même ordre d’idées, la consultation sur la formation des enseignants et l’Education nationale met l’accent sur « le passage à l’Ecole numérique » ; cela dit, des perspectives sont offertes aussi dans le domaine de l’enseignement artistique. D’une manière générale, il est de la responsabilité de tous les acteurs de collaborer de manière volontariste et innovante pour que, dans les secteurs de l’ESR, de la FDE et de l’EN, l’alternance politique soit transformée en une authentique alternative.

III- Projet d’éducation populaire présenté par le groupe Société-Cultures

L’éducation populaire, la construction et le partage des savoirs, pour agir en citoyens libres et solidaires et contribuer ce faisant à l’émancipation sociale, constituent l’un des objectifs principaux de l’association Attac. La réaffirmation et l’actualisation de ce principe s’imposent dans un contexte social marqué a contrario par le désengagement, ces dernières années, des pouvoirs publics en matière d’éducation publique. Ainsi que par le décrochage concomitant des citoyens et jeunes à l’égard des responsabilités à assumer : désengagement électorale, militant, scolaire…. La chute du sarkozysme offre l’opportunité de réhabiliter cette composante de la vie sociale, objectif affirmé par la nouvelle équipe au pouvoir (constitué de nombreux enseignants). Cela dit, la reconstruction citoyenne nécessite des démarches créatives et autonomes, si possible autogestionnaires. Comment Attac peut-il contribuer à cette démarche ? Quels objectifs, quels contenus et quels moyens donner à l’éducation populaire dans ce contexte ? Quatre volets d’éducation populaire sont proposés concernant l’histoire, l’éducation aux médias, la pratique de l’interculturel et les alternatives à l’économie de la connaissance.

A- Objectifs de l’éducation populaire

Le rôle d’Attac est de contribuer à l’éducation à une citoyenneté altermondialiste. Cette éthique sociale et politique se construit dans le combat à l’encontre des régressions idéologiques enregistrées sous l’ère néo-libérale en Europe et en France. Ainsi, la montée des extrémismes populistes, xénophobes et autoritaires est symptomatique d’une perte de repères et de valeurs, comme le montre aussi au niveau de la jeunesse une progression des violences et dépendances. Le règne de l’individualisme concurrentiel évoluant aussi bien dans le monde du travail (les entreprises comme les administrations) que dans un monde médiatique souvent virtuel contribue à la déperdition des liens entre les générations (dans le temps) comme entre les différentes catégories sociales et entre les peuples (dans l’espace). Enfin, s’agissant plus particulièrement du système éducatif, il est enlisé dans une gestion technocratique sans grandes perspectives alternatives.

A l’inverse, se dessinent des lignes de force progressistes qui configurent les évolutions sociétales en gestation . Solidaire des insurrections dans le monde arabe, le mouvement des Indignés fédère de nombreux citoyens désireux d’alternatives hors de tout cadre vertical et hiérarchique, mais comme il ne dépasse pas une autogestion horizontale des alternatives sociétales, leur efficacité demeure pour l‘instant réduite.

B-Education aux fondamentaux et emblèmes historiques

Pour contribuer à « vertébrer » la reconfiguration anti-libérale, l’humanisme altermondialiste nécessite entre autres de se réenraciner et de renouer avec les fondamentaux de l’histoire des peuples et des mouvements sociaux et citoyens. Ainsi, le renouveau politique de l’Amérique latine est conditionné à sa réappropriation de l’histoire bolivarienne et indépendantiste.

L’histoire française ne manque pas non plus de repères significatifs ; une ou deux dates correspondant à des événements phares du mouvement social pourraient être objets de commémoration : concernant la Commune de Paris (le 28 mai 1871, fin de la semaine sanglante) et/ou le programme de la Résistance édicté le 15 mars 1944, par exemple ? Un travail de mémoire, déjà entrepris mais abandonné, à l’occasion de ces anniversaires, contribuerait à se réapproprier des éléments de culture populaire et à transmettre leurs enseignements aux générations qui suivent.

C-Education aux médias

La gestion néo-libérale des enjeux interculturels bénéficie de l’outil médiatique. Comment se réapproprier cet outil à des fins d’éducation populaire et altermondialiste ? Un travail sur les stéréotypes sexistes, racistes et xénophobes, d’une manière générale sur les archaïsmes des représentations dominantes ainsi que sur les représentations décadentes de la culture people (star system, politique spectacle…) serait intéressant.

Par ailleurs, l’absence de traitement de l’actualité dans les Dom-Tom et l’Afrique sub-saharienne est-il acceptable après la chute du sarkozysme ? Un silence pesant règne sur la grève générale en Guadeloupe, sur les mobilisations populaires au Togo et au Gabon (voir les communiqués de Survie )… Prendre le contrepied de ces archaïsmes républicains, qui font le lit des extrémismes fascisants, faire évoluer les mentalités nécessite de pratiquer une politique médiatique inverse, de mise en exergue des événements des Suds.

D-Education à l’interculturel

La composante (inter)culturelle est également à renforcer dans le mouvement altermondialiste : le combat légitime à l’encontre des dominations socio-économiques ne peut se réduire à ce secteur et à ses secteurs proches, l’écologie par exemple. La mondialisation-médiatisation néo-libérale instrumentalise, via le monde des médias, le secteur culturel et les questions psycho-sociales, anthropologiques et géo-politiques afférentes. Dans le contexte de la crise, l’extrême-droite nationaliste et ethniste (voir l’émergence de blocs identitaires dans certaines régions historiques) récupère à cette occasion la problématique de l’identité, nationale ou régionale selon le cas. La domination atlantiste entraine de son côté une forte déculturation, la dérive en étant la médiatisation d’une sous-culture dite people.

Pour la troisième fois, un forum social mondial va se tenir dans un pays d’Afrique francophone (Nairobi en 2006, Dakar en 2011, Tunis en 2013), signe de la vitalité de ce continent, de son apport à l’altermondialisme. Dans le cadre d’un « Tunis étendu », un partenariat entre des Attac d’Afrique et des comités locaux volontaires serait précieux ; des représentants de l’immigration peuvent jouer un rôle de médiation . Il importe aussi de renforcer notre participation aux coordinations de la diaspora : réseau Anti-colonial, Inter-collectifs du monde arabe, Afrique, du monde des migrations… Une commémoration des mobilisations populaires dans le monde arabe et en Afrique pourrait être effectuée, par exemple le 17 décembre date-anniversaire du début de la révolution de jasmin en Tunisie.

D’une manière générale, l’application en interne du principe de diversité correspond aux aspirations d’une majorité de la société et de sa jeunesse, multiculturelles de fait. Associé au principe de parité, il peut contribuer à dynamiser la vie associative.

E- Economie de la connaissance/capitalisme cognitif

A ces volets d’éducation citoyenne à caractère éthique, pourrait être rajouté un travail spécifique concernant l’économie de la connaissance : quelle instrumentalisation est faite par le système néo-libéral des sciences et techniques, de l’économie ? Quelle promotion faire des secteurs minorisés, tel celui des sciences humaines et sociales ? Une telle problématisation permettrait de rallier des universitaires acquis au combat anti-libéral (LRU…) à la cause altermondialiste, à partir de leur champ socio-professionnel et des questions programmatiques que la crise génère : quels rééquilibrages opérer en matière de recherche et d’enseignement, pour quels modes de développement... ?

F-Moyens d’action

Sur la base de ces objectifs, il y a matière à constituer une commission Education populaire. Serait intéressante une collaboration entre représentants du CS (groupe Société-Cultures), de la commission enseignement-recherche, de membres fondateurs spécialisés dans le secteur de l’éducation et du réseau jeunes en construction. Un investissement fédérateur sur ces questions, cultivé en complément des problématiques économico–écologiques et suite à la promotion de l’ESS, contribuerait à éviter l’écueil d’un objectivisme desséchant et à équilibrer les ressources associatives.