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Que sont les intellectuels devenus ? (de Yann Fiévet- 2007)

dimanche 30 décembre 2012, par Groupe Société-Cultures

A l’heure où de trop rares citoyens quelque peu éclairés des choses de leur temps osent encore développer une réflexion critique contre les fausses évidences de la pensée magique du néo conservatisme et sont alors accusés de tomber dans l’intellectualisme gauchiste, la question de savoir où sont passés les intellectuels est probablement une question déplacée. Dans une époque où l’un des lieux communs les mieux ancrés tient dans l’idée que l’on peut désormais se passer sans dommage aucun de penseurs iconoclastes, on se demande bien quelle espèce d’intérêt pourrait susciter cette interrogation insignifiante. Ne craignant pas le ridicule nous affronterons la petitesse et l’incongruité de la question.

On appliquera ici le mot « intellectuels » aux hommes et aux femmes capables de provoquer et d’alimenter des débats dignes de ce nom autour des seules questions qui vaillent pour le devenir de l’Homme et de son milieu. Il s’agit de cette « classe » d’individus vigilants et clairvoyants intercalée entre les savants nécessairement difficiles d’accès et la multitude des opinions publiques informes. Les médias de masse pourraient peut-être jouer ce rôle s’ils n’étaient pas, aux mains des marchands et des faiseurs de faux intellectuels, vendus comme de vulgaires biens de consommation. Quant aux chercheurs qui voudraient s’acquitter de leur rôle de citoyens, ces « lanceurs d’alerte » si peu nombreux dans le monde de la recherche lui-même marchandisé, le format et le manque d’ambition intellectuelle des grands organes médiatiques desservent la plupart du temps la pertinence de leur dessein généreux. Nous vivons bel et bien une période de raréfaction de la pensée critique de gauche dans un contexte d’envahissement des idées de droite les plus réactionnaires. Alors resurgit BHL en chevalier blanc sauveur des valeurs de la Gauche déconfite.

Les historiens nous diront demain si le sarkozysme a été – comme nous pouvons le craindre légitimement dès aujourd’hui – le moment du basculement de la société française dans un abîme funeste comme elle en connut plusieurs fois dans son Histoire. Cependant, nous en savons d’ores et déjà suffisamment sur le nouveau régime néoconservateur en place depuis six mois pour abandonner promptement les niches douillettes que la société consumériste a su sournoisement nous ménager et qui annihilent en nous le germe de la rébellion intellectuelle. Que savons-nous déjà de la menace de basculement et que les intellectuels dénoncent si timidement ? Cela tient presque de la litanie…

La question du test ADN visant – même facultativement - les étrangers demandant un regroupement familial suffit à disqualifier le nouveau régime mais ne doit pourtant pas être l’arbre – ô combien vénéneux – masquant la forêt luxuriante des décrépitudes étatiques et gouvernementales. Cela confirme par un texte de loi de la République ce que nous savions depuis la campagne de M. Sarkozy et son plus récent « discours aux Africains » : cette Droite-là est raciste et surdétermine génétiquement les comportements humains. L’écoeurement nous étreint à juste titre mais ne doit pas occuper notre attention au point de la détourner d’autres avatars de la dérive (extrême)-droitière de nos gouvernants actuels. Que doit-on penser de l’incroyable – et lui aussi très symptomatique du vent nouveau qui souffle sur le pays – propos de Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, considérant que si les Français ne travaillent pas assez en revanche ils réfléchissent trop ? Que pensez également du projet de dépénalisation de la délinquance financière au moment où le pouvoir tente de se dépêtrer du scandale EADS-Lagardère et où le Medef ne se résout pas à désavouer Denis Gautier-Sauvagnac, l’acheteur de paix sociale par corruption de syndicats interposée ? Que penser enfin de la réduction déguisée – et pourtant bien réelle - du budget de la culture et de la vision de plus en plus gestionnaire de la mission éducative de l’État quand les budgets dévolus à ses fonctions répressives sont en hausse sensible ?

Tout cela s’inscrit de surcroît dans un contexte d’aggravation potentielle des inégalités économiques et sociales. Le « paquet fiscal » et le bouclier du même nom allègent honteusement l’impôt sur le revenu des contribuables les plus nantis. Et l’on s’étonne que l’État ne puisse plus faire face à toutes ses missions ! M. Devedjian, président du Conseil général des Hauts-de-Seine et fidèle lieutenant de M. Sarkozy, a récemment divisé par deux les subventions allouées aux associations oeuvrant discrètement et patiemment dans le champ du social. D’autres « responsables » départementaux lui emboîtent le pas sur la voie du laminage de la prévention sociale. Et l’on s’étonnera demain que les banlieues s’agitent !

Alors, est-on bien sûr qu’un abîme mortel n’est pas au bout de cette vilaine route empruntée par ces hommes et ces femmes que 19 millions de Français ont porté au pouvoir voilà six mois ? Et il faudrait que les intellectuels, petits et grands, se taisent sous le poids des insultes de ceux qui pensent que le temps n’est plus à la réflexion ! Quand 56% des mêmes Français approuvent les tests génétiques envers les étrangers, il est grand temps de redorer le blason de la pensée critique.