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Luttes en cours des salariés contre les plans sociaux et fermetures d’usines : avoir des objectifs concrets d’action et une stratégie commune

jeudi 14 mars 2013, par Évelyne Perrin, Groupe Société-Cultures

Chers camarades de lutte,

J’ai suivi vos luttes (en ai écrit une chronique avec certains d’entre vous, « Haute tension », disponible depuis juin 2010 sur Google…) et les soutiens toujours.

Ainsi j’ai participé aux manifestations faites au niveau national pour sauver notre industrie, à l’appel des syndicats à Paris, depuis …septembre 2009, jusqu’à celles des salariés de PSA à Aulnay au printemps, à Paris devant l’Elysée en septembre, et au meeting lancé par les Licencielles, SUD-Etudiant et la CGT Sanofi à Sciencs Po le 24 janvier , et la manif du 29 devant le Minisitère du Travail…après avoir soutenu physiquement les luttes des « Contis », des « Philips » Dreux, Ford Blanquefort, Molex, Freescale, New Fabris, Renault Flins, Technocentre, Douai, PSA Aulnay (chapitre piraté), Goodyear, Sanofi St-Priest, etc…(Cf. mon enquête « Haute tension » librement téléchargeable sur Google à mon nom)

Je partage votre impatience, votre déception, votre colère , devant les promesses pré-électorales du candidat PS non tenues une fois ce dernier arrivé au pouvoir, devant les affabulations des rapports de soi-disant experts, en fait anciens patrons comme Gallois, sur la soi-disante non rentabilité et non compétitivité de notre industrie, ou sur la nécessité de fermer des entreprises le plus souvent rentables et innovantes, mais dont on a savamment organisé les déficits.

Nombre de nos économistes dont les « Economistes atterrés », mais aussi Gabriel Colletis, auteur en 2012 de « L’urgence industrielle », ou Yves Lichtenberger dans son récent article du Monde du 28 janvier, attestent de la possibilité et de la nécessité de sauver ce qui reste de notre industrie, des services qui lui sont liés, si la France finit par se doter d’une réelle politique industrielle, par des mesures énergiques et volontaristes, supposant un minimum de courage politique (comme le font par exemple les Allemands, qui nationalisent leur sidérurgie et leurs aciéries, les Américains, les Chinois qui appliquent des taxes à l’entrée sans aucune contrainte des produits importés, qui investissent massivement dans la recherche…).

Ces mesures, on les connaît. Ce sont :
  la nationalisation (ou la socialisation) transitoire
  la préemption des entreprises qui ferment par leurs salariés, les transformant en coopératives (cas de Continental Mexico, de nombreuses usines en Amérique Latine, en Espagne, etc..)
  l’interdiction immédiate des licenciements pour motifs spéculatifs, boursiers, de rentabilité à court terme et sur dossiers patronaux montés de toute pièce, sans contre-expertise,
  l’examen immédiat des contre-projets de reprise ou de reconversion bâtis par salariés et élus locaux

En effet, vu la résignation de la population, le désespoir des salariés le dos au mur, la capitulation du gouvernement qui se dit socialiste devant les intérêts et les arguments fallacieux des patronats et de la finance internationale, seuls les salariés peuvent encore agir pour arrêter l’hécatombe…
Mais avec le soutien de toute la population, citoyens, élus des territoires concernés, jeunes que l’on prive d’avenir en France, TOUS…car nous sommes TOUS CONCERNES !

Pour arriver à stopper cette hémorragie, il nous faudra aussi sortir des formes classiques, traditionnelles de revendications générales du type « Non aux licenciements », certes légitimes, mais dont on a vu les limites lors des précédents combats, dont beaucoup ont été perdus…
Il est temps en effet d’imposer des solutions CONCRETES et IMMEDIATES, telles que le vote immédiat de réelles mesures – et non de simulacres, comme un prétendu « droit de préférence des salariés , sans effet obligatoire, ce que prépare le cabinet d’Arnaud Montebourg, opposé à un réel « droit de préemption »… ! - , telles aussi que le soutien immédiat à des solutions de reconversion ou reprise au cas par cas, le tout soutenu par une offensive globale à la fois des salariés concernés, des citoyens et de leurs élus.

Quels objectifs de lutte ?

C’est bien entendu aux salariés en lutte de les définir en commun. Je ne saurais prétendre ni leur donner des leçons en prétendant leur proposer des pistes et objectifs, ni juger les choix qu’ils feront collectivement.
Toutefois, si vous m’y autorisez, je voudrais entrer en tant que citoyenne engagée à leurs côtés dans une discussion ou une réflexion partagée, en leur livrant mes propres réflexions ; or, celles-ci sont le fruit des recherches que j’ai eu la chance de financer à des économistes spécialistes des liens entre industrie et territoires, et le fruit de mes missions d’expert de programmes expérimentaux européens, de mes voyages et échanges sur des expériences en France et à l’étranger de reprise de pouvoir des salariés (parfois avec des citoyens) sur leur production, leur travail, leur vie.

Lors de votre dernière rencontre entre salariés le vendredi 22 février à Paris, vous avez échangé sur la stratégie à définir. L’objectif central retenu, sinon le seul pour l’instant, me semble avoir été proposé le vote de la loi interdisant les licenciements boursiers.

Or selon moi, se fixer comme SEUL objectif la loi contre les licenciements boursiers serait une grave erreur :
QUI va définir ce qu’ est un licenciement boursier ou ce qu’ est un licenciement justifié économiquement ? Sachant qu’ils sont très forts, entre patronat et gouvernement, pour décréter toutes nos entreprises comme non rentables, pour maquiller leurs profits en pertes...A ce train là, on aura une entreprise par an (de préférence petite) attaquée par la loi.
Ils sont très forts pour vider de tout contenu toutes les lois annoncées (voir la séparation des banques...!)

Il m’est apparu que dans notre imaginaire de lutte – marqué en France par la culture marxiste et trotskyste, qui a ses vertus - il n’était fait référence à aucun moment à d’autres revendications comme la reprise des entreprises qui ferment par leurs salariés, ou leur réquisition publique (en Allemagne, ce sont soit l’Etat fédéral, soit plutôt les lander qui rachètent des usines qui ferment, y compris des aciéries ; or ce ne sont pas des socialistes ou communistes autogestionnaires ! Mais ils défendent leur suprématie industrielle sur l’Europe. Cf. un article de Lichtenberger dans Le Monde du 28 janvier dernier).
Certes l’autogestion n’est pas une solution miracle, ni la transformation en SCOP, et une coopérative célèbre créée par des Basques espagnols comme Mondragon est devenue une multinationale, qui n’emploie plus qu’une minorité de coopérateurs, et licencie les salariés de Brandt à Lyon quand elle les rachète... Mais les salariés mexicains de Continental Mexico ont bien repris (par la force) leur usine de pneus et réembauchent...Des usines, des hôpitaux, des hôtels, sont repris et autogérés en Espagne, en Grèce, en Argentine...pourquoi cela nous serait-il impossible ?
Je sors ce dimanche 24 février à Bagnolet de la 5è coordination nationale des collectifs de jeunes chômeurs et précaires de quelque 18 villes de France, qui se demandent comment vous soutenir et sur quelle base établir des liens avec vos luttes de sauvegarde de l’emploi : leur idéal n’est pas forcément de bosser à en crever et assujettis à la rentabilité financière, même en CDI (ce qui ne veut pas dire que ce soit le vôtre). Ils veulent bosser sur de courtes périodes, même intensément, mais le mieux payés possible, et après, sortir au moins un temps de ce système en gérant leur sphère de reproduction/consommation de façon autonome et alternative : ils posent plus directement la question du désir d’émancipation, de reprendre du pouvoir sur ce que l’on produit, comment on le produit, sur notre travail (et non ce putain d’emploi soumis), notre activité, notre vie. Comment expliquer que pour l’instant, ce qui est présent chez tout salarié, disparaît dans les mots d’ordre des luttes contre les fermetures, sans doute sous le coup de l’urgence, à savoir toute trace de cette reprise de pouvoir et de contrôle sur son travail...et ceci même si l’autogestion peut être un piège, dériver vers l’auto-exploitation, et in fine aussi faire le jeu du système ?

Quelle stratégie d’unité citoyenne et populaire ?

L’on commence enfin, grâce à l’appel des Licencielles, à la grève reconductible massive depuis le 16 janvier de salariés de PSA Aulnay, aux autres initiatives unitaires comme la manifestation de salariés de plusieurs entreprises du 29 janvier, à voir émerger une convergence des luttes, qui est en cours de construction …
Mais il nous reste à sensibiliser et mobiliser largement la population, de façon unitaire, inter-syndicale et indépendamment des appartenances politiques (un peu à l’exemple de la mobilisation populaire contre le TCE en 2004, ou contre la réforme des retraites en 2010…dont l’échec doit être analysé…).
Or, la tâche est loin d’être gagnée…J’ai expérimenté le 29 janvier à midi, en allant à la manifestation devant le Ministère du Travail, une diffusion dans le métro de l’Appel des salariés de PSA en grève à soutien…Désintérêt général, surtout des jeunes…Une minorité de voyageurs prenaient le tract, surtout des femmes, et cherchaient à en savoir plus et montraient leur inquiétude, ou leur dépit devant l’inaction gouvernementale…

Suggestions :

  1. Mouiller les députés et sénateurs qui se sont déjà manifestés en soutien aux luttes ou en critiquant la timidité et les reculs du gouvernement :
  La sénatrice de Paris Marie-Noëlle Lienemann (PS), Alain Boquet PCF), notamment, mais aussi le sénateur de la Nièvre Gaëtan Gorce, André Chassaigne (PCF) qui est à l’initiative avec Jean-René Marsac du groupe de travail d’AP2E sur le projet de loi de droit de préemption, Michaël Moglia, président de la Commission des Finances du Conseil Régional du Nord, démissionnaire du PS dans sa tribune au Monde du 6 décembre dernier, ou encore les deux députés du Médoc Pascale Got et de Bordeaux Vincent Feltesse, réprimandés par la direction de FORD après l’envahissement du salon de l’Auto par des salariés de Ford Blanquefort, et enfin nos députés et sénateurs européens comme Marie-Christine Vergiat (marie-christine.vergiat@europarl.europa.eu) et d’autres…

  2. Faire un Appel aux ELUS LOCAUX des sites des entreprises appelées à fermer pour qu’ils montent au créneau, bâtir avec eux et avec l’aide d’experts et économistes engagés des CONTRE-PROJETS industriels entreprise par entreprise, ou au niveau de la branche. Je suis en train d’élaborer la liste des mails de ces élus.

  3. Saisir d’une demande de soutien et concertation les milieux de l’économie sociale et solidaire :
AP2E (ap2e@orange.fr tel Sylvie Mayer 06 81 74 10 13 ou Jean-Pierre Caldier 06 85 71 79 40), la Confédération générale des SCOP, Association pour l’Autogestion (contact@association.autogestion.org), Réseaux d’économie sociale et solidaire comme Rencontres Sociales dans le Nord ( Jean-Philippe MILESY, milesy@rencontres-sociales.org), etc...

  4. Saisir les comités d’entreprise européens ou internationaux des entreprises concernées, faire appel à soutien aux salariés de ces entreprises à l’étranger pour monter des coordinations transfrontalières, se coordonner avec les grands syndicats des autres pays européens et avec la CES (Confédération Européenne des Syndicats) du moins quand c’est possible (cela a été fait souvent : Cf. manifs européennes de salariés d’une même multinationale, celle de Strasbourg le 7 février...où David a perdu un œil sous les flashballs des flics français...)
 
  5. Se saisir du Forum Social mondial de Tunis les 26-30 mars (avec Gus Massiah, du CEDETIM - massiah@wanadoo.fr - et Jean-Michel Coulomb d’ATTAC – jm.coulomb@voila.fr),
  et des étapes de construction d’un mouvement social européen (Contacts : Daniel Rallet de la FSU par ex - d.rallet@wanadoo.fr - sur la dynamique européenne de l’Inter-Summit) pour élaborer des stratégies de lutte européennes ou internationales,
  saisir les associations et think tanks (ICOSI Institut de Coopération Sociale Internationale, Transform, Confrtontations…), les organismes et ONG, les instances de recours européennes et internationales…
  contacter pour soutien les chercheurs et économistes engagés comme les économistes atterrés (atterres@gmail.com), organisés maintenant au niveau européen : European Progressive Economist Network (econospheres@gmail.com)

Quelles actions envisager pour forcer le cours des choses ?

Quelques pistes :
  Organiser des actions pour sensibiliser les parlementaires et les amener au vote de lois annoncées durant la campagne pour l’élection présidentielle (droit de préemption des salariés sur les entreprises qui ferment, interdiction des licenciements boursiers et spéculatifs et obligation d’expertises contradictoires et de mise à l’étude de contre-projets de reconversion et innovation…)
Par exemple en envahissant l’Assemblée nationale … ?

  Demander des référendums populaires avant de fermer toute entreprise dans laquelle ont été investis des fonds publics de soutien à la recherche, à l’innovation, des crédits d’impôts, car ces entreprises sont devenues de fait des biens publics, des biens communs, appartenant à la nation.
  Obtenir un renforcement considérable des pouvoirs des comités d’entreprise et des comités centraux, obliger à les réunir avant toute décision de fermeture.
  Nationalisation ou socialisation (avec l’appui et le rachat ou l’investissement de régions, de départements ou de collectivités locales) des entreprises qui ferment pour des raisons évidentes de délocalisation et de recherche de rentabilité financière purement à court terme, comme c’est le cas actuellement de PSA Aulnay (terrain à fort rendement spéculatif pour investissement immobilier) ou de Virgin, de SANOFI (qui ferme progressivement tous ses laboratoires de recherche pour acheter des brevets, stratégie suicidaire à terme), de ARCELOR Florange (les aciéries les plus rentables d’Europe selon les experts indépendants, cf. la Lettre à François Hollande de Edouard MARTIN fin décembre), etc…
  Lutte efficace contre la concurrence déloyale (par dumping social et « low cost ») de pays étrangers ou de compagnies ne respectant pas les normes nationales soit sociales (SMIC, temps de travail, CDI…), soit environnementales : cas de l’automobile, des usines de pneumatiques, d’Air France, etc…par la réintroduction de mesures protectionnistes comme le font déjà USA et Chine ou Japon…

Evelyne Perrin (économiste « enragée » d’ATTAC, du mouvement des chômeurs et précaires et de SUD), 24 février 2013