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Les aspects numériques du TAFTA une facette peu visible et pourtant majeure
Gérard Collet, Attac 38
dimanche 16 novembre 2014, par
Les aspects mis en avant dans la dénonciation des risques que fait peser le TAFTA sur nos sociétés laissent souvent de côté la question des technologies numériques. Il y a probablement plusieurs raisons et plusieurs alibis à cela.
Tout d’abord la propagande officielle est parvenue à accréditer l’idée que l’économie du numérique serait l’une des meilleures chances de retrouver la croissance, et que la mettre en doute serait donc suicidaire. Ensuite, les implications de ces technologies sont assez mal comprises par les non spécialistes, et cette brume de mystère facilite les manipulations, même si tout le monde perçoit de plus en plus clairement l’ampleur des domaines où elles interviennent. Enfin, négociateurs et rapporteurs sont issus de cooptations qui ne font pas la part belle à la démocratie.
Or ce « volet numérique » des tractations qui se mènent dans un semi-secret existe bel et bien, et il est clair qu’il peut avoir des conséquences majeures sur de nombreux aspects de la vie dans nos sociétés ; et pas seulement pour les accros de la technique !
Tout un chacun devine fort bien en effet que les « TIC » sont d’ores et déjà le cadre technologique de mutations majeures : la dérégulation financière, l’évasion fiscale, la crispation des droits intellectuels, la surveillance tous azimuts [1], la marchandisation des données personnelles… et celle de l’éducation via les plate-formes de formation, et demain de diplomation…
On peut également prévoir des conséquences sur la protection ou la libéralisation des données personnelles [2], la brevetabilité [3], la défense du domaine public, l’accès aux marchés publics, la surveillance numérique.
Bien entendu, le discours officiel et les analyses des grands médias s’obstinent à postuler qu’il est possible de parvenir à des accords « gagnant-gagnant », que la problématique des tractations n’est que de l’ordre national, et qu’il convient donc de construire un « rapport de forces » favorable vis à vis des États-Unis.
Pour notre part, nous maintenons que les lignes de fracture ne passent pas nécessairement entre les nations mais bien davantage entre les intérêts de groupes privés ; il est cependant possible que les États-Unis, dont l’avance en la matière et la maîtrise des secteurs clés est évidente, aient bien mieux préparé le dossier.
Il apparaît d’ailleurs qu’en France « les acteurs du secteur » sont suffisamment inquiets pour interpeller les pouvoirs publics et trouver un écho auprès du Conseil National du Numérique [4]. Tous redoutent l’impréparation et la « naïveté » européenne sur ce dossier.
C’est en tous cas l’hypothèse avancée par le CNN dont le responsable déclare : « La Maison Blanche est arrivée à la table des négociations en position de force sur le numérique. Les Américains avaient consulté tout l’écosystème numérique, des universités aux entreprises, pour préparer leurs revendications. En face, l’Europe n’a pas encore la même expertise, ni la même ambition. » Le responsable du CNN va jusqu’à déclarer qu’il veut poser comme « ligne rouge » des négociations la défense des « valeurs européennes » [5]…
Mais au delà de ce risque, la question qui se pose est bien de savoir qui représentent les « acteurs français du numérique », et là encore le déficit démocratique est flagrant, d’autant plus que ce secteur économique ne dispose pas des contre pouvoirs sociaux que l’on rencontre dans l’agriculture, dans l’industrie ou dans le domaine artistique : ici seules les entreprises s’expriment.
La composition du Conseil National du Numérique est assez éloquente, et montre bien la prééminence des intérêts privés et l’interpénétration de l’instance consultative et de l’entreprise [6]… Que dire alors des sphères de décision ?… On apprend aussi dans un article du Monde [7], que « le dossier a atterri entre les mains de Mme Pellerin, et que l’ancienne ministre déléguée à l’économie numérique est plutôt appréciée par les acteurs du secteur » [8].
De plus, à ce niveau même, l’opacité est de règle : « Si les rapporteurs ont pu rencontrer les négociateurs et accéder à certains documents confidentiels, le secret qui entoure l’orientation que prennent les négociations empêche de présager de leur contribution au débat » apprend-on dans le même article du Monde.
On retrouve donc dans ce dossier les mêmes mystifications que dans les volets mieux connus : la mythologie gagnant-gagnant, l’occultation des intérêts particuliers derrière des intérêts généraux hypothétiques, le secret, le déséquilibre patent et dissimulé des « acteurs du numérique » cooptés pour mener les négociation.
Davantage encore que les autres volets de ce projet, celui-ci met en évidence l’opacité, la non représentativité des mandataires et des négociateurs cooptés, l’absence flagrante de démocratie. C’est pourquoi le mot d’ordre du Collectif est plus que jamais vital : cet accord de libre-échange menace de mettre en péril ce qui rend nos sociétés encore vivables. Le numérique constituant peut-être la partie immergée de l’iceberg, qui est, comme on le sait, la plus massive…
Gérard Collet, Attac 38
[1] Avec la mobilisation des grands groupes de l’Internet, c’est la protection des données individuelles et le principe même de la neutralité du net qui pourraient être attaqués. http://blogs.mediapart.fr/blog/cecile-monnier/150514/tafta-et-la-protection-des-donnees-personnelles-ou-les-enjeux-caches-de-l-election-europeenne
[2] Et dans Tafta, il sera question des données personnelles et de leur commerce. On entend par là tout un ensemble d’informations concernant la géolocalisation, le milieu social, les préférences culturelles, habitude de consommation, ou encore état de santé des personnes, parfois anonymisées, souvent pas du tout … -http://www.humanite.fr/traite-transatlantique-quels-enjeux-pour-le-numerique-538740
[3] Les États-Unis essayent en effet depuis Acta, l’accord dit contre la contrefaçon qui avait été retoqué en 2012 au Parlement Européen, d’aligner le droit de la propriété intellectuelle sur le copyright. Les entreprises américaines rêvent ainsi d’imposer en Europe la brevetabilité à tous crins. Un brevet, c’est concrètement la privatisation d’une idée, au profit d’une personne mais surtout entreprise. Déposer un brevet, c’est, sur le papier, l’assurance que pendant 20 ans, personne n’aura le droit de reprendre cette idée protégée sans payer des royalties. - http://www.humanite.fr/traite-transatlantique-quels-enjeux-pour-le-numerique-538740
[4] Le Conseil national du numérique devra « identifier les enjeux stratégiques du projet de partenariat transatlantique dans le domaine du numérique » et « faire des propositions » pour que les firmes françaises puissent profiter de cette zone de libre-échange. (voir : http://www.cnnumerique.fr/)
[5] Le choix par Mme Fioraso de plate-formes étasuniennes pour porter les fameux projets de « Moocs » est à cet égard assez révélateur.
[6] L’association « La Quadrature du net » a d’ailleurs publié un dossier très critique, accusant TAFTA d’être un prétexte pour « imposer des mesures répressives au nom de la protection des intérêts de l’industrie du divertissement ».
[7] http://www.lemonde.fr/technologies/article/2014/05/07/traite-transatlantique-le-numerique-francais-a-l-offensive_4413077_651865.html
[8] Pour l’essentiel des entreprises du secteur : Google France, Orange Ubisoft…
Messages
17 novembre 2014, 09:29, par NonMerci
La mobilisation contre le Traité Transatlantique : bientôt un raz de marée ?
Avec l’INITIATIVE auto-organisée DE CITOYENS EUROPEENS
*** plus de 900 000 signatures !!!
SIGNER et FAIRE SIGNER est le mot d’ordre.
Il faut dépasser les 1 000 000 (en France plus de 55 000 signatures) ---> https://stop-ttip.org/fr/signer/