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Le court-circuit des circuits courts (Yann Fiévet)
lundi 28 mai 2012
Le court-circuit des circuits courts
Les circuits courts se développent partout en France. Ils se développeront plus encore demain. Ils dérangent déjà la Grande distrib » et les pouvoirs publics. Il est temps de mettre des bâtons dans leurs roues… libres. Et de leur donner une définition officielle convenable.
Il paraît que désormais la société se structure en réseaux de toutes natures. On prétend aussi, depuis plus longtemps, que la société de consommation est un lieu d’individualisation des choix bridant les initiatives collectives et un lieu de déresponsabilisation propre à affaiblir le « faire soi-même ». Cependant, chaque jour des groupes de consommateurs réconcilient les termes de cette apparente contradiction.
Un exemple exemplaire
C’est ainsi qu’en Ile-de-France, quatorze groupes de consomm’acteurs (représentant désormais plus de 800 familles) ont constitué en six ans un réseau d’approvisionnement en produits issus de l’agriculture biologique normande. De leur côté les paysans (une quinzaine) ont créé un GIE, le Groupement d’Intérêt Économique des Producteurs Fermiers de Basse-Normandie, afin d’organiser eux-mêmes la rotation des livraisons mensuelles et la gestion collective de ce système particulier d’écoulement de la production de denrées alimentaires (viandes, produits laitiers, légumes, pommes, cidre, etc.).
Une telle pratique d’appropriation du lien direct entre producteur et consommateur a de nombreux avantages. Il s’agit d’une démarche faite de partage en commun de valeurs abandonné tout à la fois par le consumérisme traditionnel et par l’agriculture conventionnelle, fût-elle raisonnée. Les producteurs apprécient à sa juste valeur la rencontre avec les familles qui consomment leurs produits tout comme ces dernières apprécient de pouvoir dialoguer avec ceux qui leur apportent une nourriture de qualité. Plusieurs de ces producteurs ont pu maintenir leur activité debout grâce à ces débouchés franciliens réguliers (environ dix tonnes de marchandises chaque mois). Pourtant, l’essentiel tient sans doute en ceci : cette démarche fait la preuve concrète que les consommateurs sont capables de bâtir des systèmes alternatifs durables à côté de la « grande » économie néolibérale prédatrice. Et cela sans aucune aide des pouvoirs publics du reste non sollicitée. Et partout des expériences semblables éclosent. Il n’est désormais plus possible de les considérer comme purement marginales.
Des alternatives dérangeantes
La Grande distribution et les pouvoirs publics si prompts à lui faire des ponts d’or depuis des décennies ne pouvaient laisser se développer ces initiatives porteuses de subversion de la logique capitaliste dominante. Les tracasseries ont commencé et vont fleurir partout où l’autonomie des consommateurs organisés crée un bien mauvais exemple et pourrait faire tâche d’huile. Dans le pays d’Auge (Calvados), des Amap ont fait l’objet de visites du « contrôle vétérinaire » destiné à vérifier le respect de normes sanitaires non discutées par les acteurs concernés. Ailleurs, les lieux choisis pour accueillir les livraisons des paysans sont de plus en plus souvent considérés comme lieux d’exercice d’un commerce et pourraient faire à l’avenir l’objet d’interdictions ou de contraintes s’appliquant d’ordinaire au vrai commerce. Dans la Manche, un producteur s’est vu reprocher par la « répression des fraudes » de ne pas passer à la calibreuse les œufs destinés à l’approvisionnement du réseau décrit ci-dessus. Au début de cette année, les transporteurs routiers réunis en congrès se sont plaints d’être concurrencés déloyalement par les paysans qui assurent eux-mêmes les livraisons à des clients de plus en plus nombreux. Tous ces exemples de la nouvelle sollicitude des pouvoirs publics ne doivent rien au hasard. Relativement isolés encore, ils préfigurent probablement une offensive plus large dans un avenir proche.
Le sujet est devenu si brûlant que le gouvernement français – mais aussi la Commission européenne – travaille à concocter une définition officielle des circuits courts . Dans cette définition beaucoup plus convenable que celle des « libres » circuits courts la Grande distrib’ aura sa place. Non ! Est-ce possible ? Eh oui, car la définition certifiée conforme va considérer qu’un circuit court est un système où l’on a réduit au maximum le nombre des intermédiaires. Chacun le sait : le nombre minimal est un ! Ainsi, quand un hypermarché achète directement aux agriculteurs c’est du circuit court. Bien sûr, dans cette définition réclamée par la Grande distribution qui enregistre depuis quelques temps un tassement du chiffre d’affaires de certaines de ces « surfaces de vente », il ne sera pas question de nommer le « bio » ou d’inciter aux respect de contraintes écologiques drastiques. Nous sommes là très loin des circuits courts citoyens si riches en imagination, générosité et lien social, si pleins d’espoirs de changements économiques et culturels.
Nous devons résister à ce court-circuitage de nos idées par la grande économie, à cette funeste récupération de pratiques émancipatrices au profit du réennfermement dans les carcans que précisément nous voulons fuir. La seule manière qui vaille à cet égard consiste à développer et fédérer les circuits courts libres. Amis lecteurs, le GIE bas-normand dont il était question plus haut ne veut pas grossir afin de garder une dimension humaine mais aide activement à la création d’un second GIE. De nouveaux groupes de familles vont pouvoir se constituer et former alors un nouveau réseau de consomm’acteurs en Ile-de-France. Et si vous en étiez…
Yann Fiévet
Tapage No 9 – Octobre 2010 – Rubrique « Les consommateurs reprennent la main »