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L’urgence de traiter la question démocratique

Martine BOUDET (CS d’Attac)

jeudi 29 mai 2014, par Groupe Société-Cultures

Comment interpréter le retour spectaculaire des affaires de l’UMP ? En l’occurrence, pas moins de trois dossiers qui mettent en cause la probité de son secrétaire général et la campagne présidentielle de 2012 (affaire Bygmalion) (1), de proches de l’ancien président Sarkozy (2), d’une trentaine de sénateurs accusés de détournement de fonds publics (les soupçons portent sur près de 400 000 € ponctionnés sur le budget du Sénat).(3)

 Ceux-ci s’ajoutent aux casseroles révélées ou confirmées avant les élections municipales sous des modalités diverses : financement illégal des campagnes présidentielles de 2002 et de 2007 (dossiers Bettencourt, Karachi et lybien), fraude et évasion fiscales organisées (affaire du Crédit lyonnais), atteintes au secret de l’instruction avec la complicité de hauts fonctionnaires de la police et de la justice, enregistrements clandestins de N Sarkozy sous sa présidence...
 
 Au moment de la mise en place du plan d’austérité du gouvernement Valls, les frasques du conseiller de F Hollande, A Morelle, ont également fait désordre. Sa démission précipitée ouvre une brêche dans le système d’impunité au sommet de l’Etat, décision à l’actif des contre-pouvoirs médiatico-judiciaires et de forces militantes internes au PS. Si le syndrome Cahuzac est typique d’une gauche caviar, qui cumule à l’échelle individuelle conflits d’intérêt, fraudes fiscales et train de vie déplacé, les cas enregistrés à l’UMP parti-Etat, colonne vertébrale de la 5e République, ont un caractère accru de gravité, car impactant de manière significative les affaires publiques.

 Juges (4) et medias critiques -dont Mediapart (5)- sont à la manoeuvre pour endiguer les abus des oligarques et de leur entourage clanique. Depuis l’élection interne de 2012, la crise d’encadrement de l’UMP est symptomatique d’un tournant, à la mesure du degré de corruption atteint par l’exercice bonapartiste, celui de privilèges résultant de la collusion des pouvoirs et de la gestion des réseaux françafricains. Autant de métastases d’un cancer qui risque de se généraliser et dont les peuples, français et du Sud, font les frais.
 
 Pourquoi cette actualité a t’elle été évacuée de la précédente campagne électorale, certains barons délinquants ayant été réélus et l’UMP remise en selle ? La faute à une culture de l’impunité en régime de monarchisme républicain : de même que les procès ELF et l’Angolagate ont été voués à l’échec, de même, ces délits ne sont pas pour l’instant sanctionnés, à la différence des cas isolés notés au PS, épinglés par la vox populi. Polémiques et tergiversations ont été alimentées de manière à enrayer le cours de la justice. Le FN a largement récupéré cette manne médiatico-judiciaire ; l’abstentionnisme record est un autre effet collatéral, signe d’une crise du système politique tout autant que de la sinistrose économique. Inculpé pour diffamation, le syndicat de la magistrature est lui-même dans la tourmente.

L’enjeu de la démocratisation institutionnelle

 La difficulté pour la gauche critique de faire la différence, pendant que le FN concourt pour devenir le premier parti de France, résulte d’un investissement insuffisant sur cette question. Cette situation n’est pas une fatalité à en juger les performances électorales de Syriza en Grèce -confronté à la redoutable Aube Dorée- et du courant protestataire espagnol, aux élections européennes. En France, le reflux programmatique est notable : aux présidentielles de 2007, la construction d’une 6e République était à l’ordre du jour des principaux candidats opposés à l’aventure sarkozyenne ; celle-ci a démarré approximativement en même temps que la crise financière de 2008. Depuis lors, la grille revendicative est axée sur la défense des droits, de type para-syndical ou socio-économique, la lutte contre les politiques d’austérité et les projets de libre-échange transatlantique (TAFTA), pour la mise en place de la taxation des transactions financières... En complément de la critique -évidemment parfaitement légitime- de la gestion social-libérale des affaires publiques (6), le bilan de la décomposition des institutions républicaines, comme cadre et courroie de transmission des politiques néo-libérales, reste à établir. Un symptôme éloquent en est la faiblesse de la présidence Hollande, créditée de 18% d’avis favorables et menacée dans son exercice même. De cet investissement notamment, dépendent la clarification des enjeux, une différenciation plus nette avec le populisme réactionnaire et l’issue des bras de fer médiatico-judiciaires en cours. Il reste à maintenir un acquis fragile, l’éviction du parti de la bourgeoisie nationale des leviers principaux du pouvoir. C’est un fait significatif à l’échelle d‘une Union européenne en reflux politique, que ce soit en Espagne, au Portugal, en Grande Bretagne…

Au delà de la lutte pour la justice sociale (le refus du "deux poids deux mesures" sur les plans fiscal, budgétaire et judiciaire), la démocratisation des institutions, le contrôle populaire de leur exercice, qui doit être davantage co-géré et autogéré, constituent un impératif stratégique. Le combat citoyen mené par de nombreux juges et journalistes est de ce point de vue à l’avant-garde d’une reconstruction corporative, qui concerne tout aussi bien les services publics et le monde universitaire et enseignant, notamment. L’insuffisante participation des enseignants et des personnels d’éducation -qui n’ont pas été vraiment invités à le faire- à la refondation de l’Ecole explique le peu de résultats probants dans ce secteur, pourtant déterminant pour l’avenir.

Des démarches participatives et volontaristes de cet ordre amènent à repenser in fine la question de l’État-nation, en particulier dans le contexte de l’Union européenne. En réponse à une délinquance d’élite qui s’accroît du fait de la financiarisation et de la concentration mondialisée des pouvoirs politiques et économiques, en réponse également à un populisme réactionnel et régressif sur un terrain paupérisé, il s’agit de pérenniser et de transmettre une culture politique, fondée sur le respect des mandats et des services publics, de l’indépendance de la justice et de l’application de ses lois et décisions.

Combat anti-impérialiste et solidarité avec les pays du Sud

Il y va aussi de la réhabilitation des relations de la France avec ses anciennes colonies, qui fasse le deuil d’une tradition impériale sans équivalent en Europe. Pour être crédible, un projet de société alternatif ne peut se cantonner aux acquis de l’Etat social, et faire abstraction des passifs de l’Etat version impériale. Dans cette perspective, devraient être revisitées les prérogatives de la haute administration proche des lobbies, dont celle de l’armée. Dans une lettre ouverte, de jeunes officiers du mouvement Marc Bloch demandent l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire, ciblant « le lobby "du complexe militaro-industriel", qu’ils accusent d’être responsable de certaines des orientations budgétaires qu’ils dénoncent, et auquel le Parlement doit "imposer des choix stratégiques". Ainsi que la "gabegie du pyramidage des officiers"… » (7) Cette démarche fait sens dans une période de précarité subie par le plus grand nombre.
Or, dans le silence des composantes de la gauche critique, le gouvernement Valls a récemment donné satisfaction à l’état-major des armées qui menaçait carrément de démissionner en cas de coupes budgétaires (8). N’est-ce pas le moment d’organiser un débat public sur la coopération militaire et le bilan des opérations extérieures menées en Afrique, et qui remettent trop souvent en cause les souverainetés nationales comme en Côte d’Ivoire et en Lybie ? Avec toutes les conséquences criminelles et désastreuses que les médias nous cachent ou déforment, en matière de construction politique, de développement économique et culturel. Doivent être relayées les demandes renouvelées de l’association Survie et de députés du Front de gauche, respectivement de déclassification du dossier Défense concernant la coopération militaire au Rwanda (9) et d’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire sur le bilan d’activités de la force Licorne en Côte d’Ivoire11. Ce bilan dans les faits catastrophique incite au rééquilibrage des budgets publics en faveur des secteurs sociaux et écologiques en France, ainsi que d’une véritable aide au développement (contrôlée) pour les pays du Sud.

C’est clair, l’extrême-droite se nourrit des silences complaisants des gauches sur ces sujets et de la banalisation subséquente par l’opinion publique de politiques de coopération mais aussi d’immigration toujours plus attentatoires aux droits des peuples et de la personne, en ces temps de crise systémique. En réponse à l’hostilité croissante et dangereuse à l’égard de communautés immigrées qui « prendraient les emplois des Français », il importe notamment de préconiser un rééquilibrage des politiques publiques en faveur d’une coopération et d’un co-développement bénéfique pour les différentes parties en présence. De ce point de vue, le combat écologique, si nécessaire et légitime soit-il pour la préservation de l’environnement planétaire, ne peut se substituer à un programme géo-politique adapté à la nouvelle donne stratégique, caractérisé par un interventionnisme militaire croissant, au service d’une recolonisation larvée, commanditée par les oligarchies coalisées ou en concurrence sur le terrain tiers des Suds.

Un phénomène notable, qui est intervenu simultanément au combat anti-oligarchique et qu’il reste à organiser également, c’est la mobilisation anti-raciste. Le rapport sur la refondation de la politique d’intégration (11) (et la feuille de route gouvernementale (12) qui a suivi) de même que l’implication des ministres Valls et Taubira, respectivement en tant que fauteur de troubles -à l’égard de la communauté rom notamment- et victime, manifestent l’impact de cette question. A rebours des programmes xénophobes des droites, il s’agit d’une autre dynamique émancipatrice car décentrée des intérêts premiers voire primaires du peuple français et des peuples européens. De même que le combat démocratique, cette cause est à même de contribuer à une éducation populaire et à une citoyenneté altermondialiste. En réponse à l’affaissement du système délégataire et représentatif, une meilleure intégration de représentants issus de l’immigration et de leurs problématiques participe, comme la parité homme-femme, d’une « démocratie inclusive », source de dynamiques interculturelles, à cultiver à l’Ecole comme à l’échelle de l’Etat (13). Les pays latino-américains gérés par des présidents d’origine amérindienne -Evo Morales en Bolivie, Raphaël Correa en Equateur..- ont modifié leurs Constitutions dans ce sens. D’une manière générale, la promotion de l’actualité latino-américaine comme avant-garde en matière de démocratisation socio-politique et d’une intégration continentale plus autonome à l’égard du système néo-libéral, est nécessaire pour la construction d’un courant anti-nationaliste et, in fine altermondialiste, en France et en Europe.

De l’anti-libéralisme à l’altermondialisme

 C’est sur des bases assainies de cet ordre que peut être négocié, avec le pouvoir socialiste, un contrat remobilisateur et plus favorable à la majorité des citoyens. Sortir du consensus républicain sur les questions oligarchique et impérialiste permettra à la gauche critique de prendre toutes ses responsabilités en faveur d’une transformation à la mesure des enjeux de la période (14). A défaut de quoi, comme l’ont montré les résultats des élections européennes, les forces réactionnaires ne se feront pas prier pour profiter de cette situation d’incurie et inverser la tendance, avec les conséquences inéluctables qui en seront à la clé. 

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"La renaissance de cette droite extrême accompagne l’inquiétude des oligarchies régnantes pour la stabilité de leur domination, dans les tempêtes traversées par le capitalisme.(...) Et ce poison-là est contagieux comme l’a montré fin 2013, l’enchaînement terrifiant qui a vu se succéder discriminations contre les Roms, racisme archaïque contre les Noirs, anti-sémitisme virulent contre les Juifs. " (Edwy Plenel, Dire non, Editions Don quichotte, 2014, p. 34-35)

"Loin d’être neutre au-dessus des classes et des partis, cet Etat, en ses sommets, est plus que jamais sous la pression ou sous la dépendance d’intérêts oligarchiques, au croisement de l’avoir et du pouvoir(..) Ce fut la plus évidente surprise des débuts de cette nouvelle présidence : sa tiédeur sur le terrain des réformes et des exigences démocratiques quand, dans le même temps, rigueur économique et austérité sociale étaient imposées à grands pas."(idem, p 57-58)

"Du bonapartisme au présidentialisme, le césarisme français est une affaire de droite, taillé sur mesure pour son personnel politique ou, sinon, accélérant la conversion droitière de la gauche. C’est en ce sens que la question démocratique est essentielle, détenant la clef des exigences sociales et des solutions économiques." (idem, p 79)

"(adresse à Hollande) Ne vous contentez pas d’utiliser à votre profit immédiat des institutions qui, en l’état, vous confèrent un pouvoir immense ; veillez plutôt à les réformer pour le profit durable d’un peuple qui, dans la diversité confuse de ses votes, aspire à partager le pouvoir. Loin d’être un luxe dans un contexte de crise économique et sociale, la question démocratique en détient en grande part la clef. Car elle libère l’énergie positive d’une République redevenue bien commun, dont tous les citoyens sont réintégrés dans la cité, égaux en droits et en devoirs, acteurs de leur destin, et non plus spectateurs passifs, tenus dans cet exil et cet écart dont le spectacle télévisuel, dégradé et désinformé, est devenu le symbole détestable". ’( idem, 170-171)

Annexe :
http://blogs.attac.org/ag2014/resolutions-proposees-a-l-ag/article/pour-une-mobilisation-citoyenne-au

Notes

1-http://www.lemonde.fr/politique/article/2014/05/21/un-filloniste-denonce-le-silence-assourdissant-de-l-ump-sur-les-affaires_4422608_823448.html
2- http://www.leparisien.fr/faits-divers/isabelle-balkany-en-garde-a-vue-apres-des-mouvements-d-argent-suspects-21-05-2014-3859279.php

http://www.leparisien.fr/faits-divers/affaire-tapie-claude-gueant-entendu-par-la-brigade-financiere-risque-la-garde-a-vue-26-05-2014-3872893.php
3- http://www.leparisien.fr/politique/senat-petits-arrangements-entre-elus-20-05-2014-3855957.php
4- Déverrouillons la lutte contre la délinquance économique et financière !
par Laurence Blisson, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature.
5- Edwy Plenel (2014), Dire non ( Ed. Don Quichotte)
6- http://www.marche12avril.org/
7- Salomé Legrand (Info Francetv info du 6 mars 2014) : De jeunes officiers dénoncent une gabegie au sein de l’armée

http://www.francetvinfo.fr/france/info-francetv-info-de-jeunes-officiers-sortent-de-leur-silence-et-denoncent-une-gabegie-au-sein-de-l-armee_274945.html
8- www.lemonde.fr/international/article/2014/05/23/la-mise-en-garde-de-le-drian-a-valls-sur-le-budget-militaire_4424232_3210.html
9-https://secure.avaaz.org/fr/petition/Francois_Hollande_et_JeanYves_Le_Drian_Ministre_de_la_Defense_La_levee_du_secret_defense_sur_les_actions_francaises_au_R/
10- http://www.assembleenationale.fr/14/propositions/pion0131.asp (2012)
http://www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion3647.asp (2011)
11- Rapport sur "la refondation de la politique d’intégration" (013)
http://www.gouvernement.fr/presse/refondation-de-la-politique-d-integration-releve-de-conclusions
http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/fichiers_joints/rapport_au_premier_ministre_sur_la_refondation_des_politiques_d_integration.pdf
12-Feuille de route gouvernementale, Politique d’égalité républicaine et d’intégration ( 11 2 2014)
http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/dossier_de_presses/feuille_de_route_-_politique_degalite_republicaine_et_dintegration.pdf
13- Changer de cap en France et en en Europe (Assises unitaires du 16 juin 2013) Manifestation remarquable, mais en l’absence de représentants de l’immigration et des suds http://www.pcf.fr/40655
14- Une initiative intéressante dans ce sens quoique partielle, cet Appel à une République nouvelle
http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/280514/l-appel-une-republique-nouvelle