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Chasse aux pauvres et montée du fascisme : la responsabilité des sociaux-démocrates du PS

Evelyne PERRIN, association Sang pour Sans, membre du Conseil Scientifique d’ATTAC et de la LDH, Stéphane BRAILLY, Sang pour Sans

samedi 6 septembre 2014, par Groupe Société-Cultures

De tout temps dans l’histoire, les prises de pouvoir autoritaires et reposant sur l’ordre et sur la haine de l’autre sont advenues dans des périodes de crise sociale, économique, alimentaire, et d’accumulation éhontée des privilèges des plus riches. La plus récente est celle des années trente en Europe et aux Etats-Unis, causée par la grande dépression, qui a produit l’éclosion de révoltes comme le Front Populaire en France et la révolution de 36 en Espagne, mais qui a conduit après leur échec à la guerre et au fascisme.

Lorsque les inégalités sociales deviennent intolérables, que le chômage explose, et que s’y ajoute – comme le rappelle David Graeber dans son livre sur la dette – le poids de dettes inventées de toute pièce par les bourgeoisies au pouvoir pour rémunérer les actionnaires, les rentiers et les banques, le peuple s’indigne, songe à la révolte ou s’y jette.
Fascisme et guerre restent encore les meilleurs remèdes trouvés par les oligarchies dominantes pour restaurer leur pouvoir en ressoudant un peuple imaginaire autour de fumeux concepts identitaires ou nationaux, ce qui permet de gommer les questions sociales, d’éliminer un nombre non négligeable de prolétaire envoyés au combat, et de vendre des armes de guerre.
Le capitalisme sous lequel nous vivons, qu’on l’appelle post-fordiste ou financier, n’a plus de miettes à distribuer aux producteurs de la richesse que furent les salariés, car il tire désormais ses profits les plus élevés de la spéculation financière et de l’endettement systématique des couches salariées et des Etats. Mondialisé, il peut abandonner à leur sort des peuples entiers, sans aucun sentiment national, pour faire ses profits dans les pays aux salaires dérisoires, sans contrainte environnementale, et de préférence tenus sous le joug de régimes totalitaires. La démocratie devient un luxe dépassé dont le capital peut se passer de cultiver l’illusion et dont les restes sont des leurres.
La France, l’Europe du Sud et de l’Est, en 2014, sont toute proportion gardée dans une crise économique – dépression, déflation, chômage record – qui rappelle celle de l’Europe des années trente. Les gouvernements en place sont dans les mains – certains diront sous les pieds - des financiers et des capitalistes, multinationales et banques, et qu’ils se nomment libéraux (de droite) ou socialistes, ils n’ont plus de réel pouvoir et appliquent les mêmes politiques au service des plus riches et des actionnaires, avec la même formule, de Thatcher à Schröder, de Blair à Hollande : TINA = There is no alternative !
Ainsi nous enfonçons-nous dans une paupérisation continue, alimentée par la précarisation et l’intensification du travail. Nous assistons, en dépit de nos luttes, à la destruction programmée, plus rapide que jamais, de l’ensemble des droits sociaux arrachés par la Résistance : droits du travail, droits sociaux et familiaux, santé, école et accès libre au savoir, tout est en cours de démolition accélérée, avec de pair le développement d’un Etat policier, d’un contrôle social et bio-politique sur nos vies, car bien entendu la révolte gronde. Le meilleur moyen est alors pour les gouvernants de fabriquer et de désigner à la vindicte populaire des boucs émissaires.
La recette est éprouvée, et elle a toujours caractérisé les périodes de montée du fascisme. Elle est efficace, car elle divise le peuple. Dans les années trente, les Juifs ont tenu le rôle de boucs émissaires. Mais ils ne furent pas les seuls à être envoyés dans les camps de concentration et dans les chambres à gaz, ils y furent accompagnés par les roms, les homosexuels, les militants politiques. On commémore la Shoah en oubliant le génocide et la concentration dans des camps des Roms qui commença dès 1938 et ne prit fin qu’en 1946.
Aujourd ’hui, sous le gouvernement socialiste de François Hollande, avec un nombre de Roms évacués de leurs campements de fortune passé de 8 000 en 2011 à 21 500 en 2013 alors même que leur population ne dépasse pas 18 000 personnes, en France, le « rom » a retrouvé son utilité de bouc émissaire, comme le rappellent Etienne Liébig dans « De l’utilité politique des Roms », ou Eric Fassin dans « Roms et riverains. Une politique municipale de la race » 1 .
Malgré l’exploitation politique de la misère et de l’exclusion sociale dans lesquelles ont été enfermés ces quelques 18 000 concitoyens européens de fait interdits de travail en France de 2007 à fin 2013, il semble que ce sujet soit insuffisant pour désigner des fauteurs de crise. Or le pouvoir en a besoin plus que jamais. Car la crise et la pauvreté s’étendent très rapidement, le chômage touche déjà officiellement plus de 5 millions de personnes, mais frappe couramment la moitié sinon plus des jeunes des milieux populaires , notamment de banlieue.
Une figure de bouc émissaire classique est procurée par les jeunes de banlieue populaire, commodément désignés comme des musulmans et donc potentiellement des terroristes, surtout lorsque faute de trouver un emploi, ils mettent le feu aux voitures de leurs propres voisins... . Cette figure du bouc émissaire vient d’être opportunément réactualisée avec les djihadistes partant soutenir des insurgés ou des camps en guerre en Syrie. Elle s’applique certes encore à un public limité, mais autorise notre ministre de l’Intérieur – « l’Intérieur de notre cellule » ? – à annoncer le retrait de la nationalité française à ces jeunes cédant à une recherche d’idéal que d’autres ont connue en 36 en s’engageant dans les Brigades internationales en Espagne. Cette figure ne suffit pas toutefois à l’objectif de déclencher la haine à grande échelle.
Rebsamen, notre nouveau ministre du Travail, issu du sérail, qui n’a jamais connu et ne connaîtra jamais la moindre pauvreté, ni le moindre chômage, vient de voler au secours des 17 % d’opinions favorables dont bénéficie encore François Hollande, en ressuscitant la figure du chômeur -fainéant-bon à rien et en lançant la chasse aux chômeurs fraudeurs. On n’avait pas osé depuis Sarkozy, mais les temps sont durs pour les socialistes lorsqu’il leur devient difficile de faire avaler au bon peuple une politique délibérément au service du MEDEF et de la finance.
Ainsi Rebsamen, oublieux du passé, ressuscite une figure de bouc émissaire si utile par temps de crise : le chômeur. Les agents de Pôle emploi s’avèrent en effet encore trop réticents à fliquer les chômeurs et à les radier en cas de preuves insuffisantes de leurs recherches d’emploi ? On va généraliser une expérimentation déjà tentée discrètement en créant des équipes « dédiées » qui auront la charge de traquer les chômeurs fainéants, en leur demandant le journal de bord tenu pour prouver leurs envois de candidatures et leurs recherches d’emploi... Au nom de leur dynamisation, bien sûr...
On oublie par là même que si moins de la moitié des chômeurs touchent encore une indemnisation pour perte d’emploi de Pôle emploi, c’est au titre d’une assurance chômage qui par le biais des cotisations sociales versées par salariés et employeurs à ce qui était auparavant l’UNEDIC (fusionnée avec le service public de l’emploi qu’était l’ANPE grâce à Nicole Notat , à la tête de la CFDT de l’époque) leur assure en principe un revenu dont durée et montant sont fonction des durées travaillées et des salaires perçus. Ce n’est donc ni un cadeau, ni un privilège.
Mr Rebsamen oublie également que des sanctions existent déjà et sont largement pratiquées, puisque 50 000 radiations administratives sont opérées par Pôle emploi chaque mois, soit 11 % des sorties de l’assurance chômage. Or il suffit d’envoyer une convocation par Internet à un chômeur qui en est privé pour le radier d’office deux mois, même s’il ne peut en avoir été informé.
Il oublie également que beaucoup de chômeurs n’ont pas la formation et la maîtrise suffisante en français ou en informatique pour tenir à jour un carnet de bord de leurs recherches d’emploi. Ce qui ne signifie pas qu’ils n’en font pas.
Enfin, il oublie que si 116 000 offres d’emploi sont restées non pourvues en 2013, l’expérience de tout chômeur est de ne jamais recevoir la moindre réponse à ses envois de candidatures et de lettres de motivation, qui vont directement à la poubelle, sauf dans les rares cas où il est recommandé ou, mieux, pistonné, et que nombre d’annonces d’emplois sont en réalité publiées pour la forme alors que ces emplois sont en fait déjà pourvus par connaissance.
Qu’un gouvernement qui se dit socialiste – mais dont on apprend par le livre de son ex-maîtresse que le Président de la République qualifie les pauvres de « sans dents » - recoure à de tels expédients pour faire passer des politiques profondément iniques et en totale négation de ses engagements pré-électoraux, en dit long sur le niveau d’abjection de nos gouvernants actuels...
Cette abjection alimente non seulement la haine de l’autre, qui est le but de cette politique de chasse aux pauvres, mais plus encore croyons-nous, la rage et l’envie de mordre des sans-dents, l’envie d’en découdre, sans attendre l’avènement programmé du fascisme, comme il est arrivé en 34 en Allemagne plongée dans la pauvreté et le chômage, puis en Italie, en Espagne, et en France sous Pétain. Non, édentés ou endettés, nous n’attendrons pas un nouvel incendie du Reichstag.

Le 3 septembre 2014

Messages

  • D’accord, en gros, mais contrairement à ce qu’ont prétendu les stals, l’incendie du Reichstag est l’oeuvre d’un chômeur communiste, Marinus Van der Lube, et pas le fruit d’un complot nazi. Comme tu t’en souviens "seule la vérité est révolutionnaire", voir :
    http://www.archyves.net/html/Documents/marinuspresse.pdf

    Par ailleurs sans une critique du plien emploi, que ni la gauche, ni les syndicats n’abordent jamais, on dépassera jamais cette situation :

    C’est l’histoire d’un plein emploi qui ne reviendra pas et de l’action de son fantôme sur les vies aujourd’hui.

    C’est l’histoire d’étranges institutions pour lesquelles ce plein emploi qui n’existe pas vaut à la fois boussole et centre de gravité ; l’histoire d’un Pôle emploi qui désigne les chômeurs comme des « candidats ». Candidats à quoi ? À l’emploi bien sûr. Et tout ce qui excède ce rôle assigné sera susceptible de sanction, de mépris, d’éviction, de correction, de procès.

    C’est l’histoire de la participation obligée à un jeu délétère dont personne ne connait les règles et celle d’un Pôle emploi qui, pour mener ce jeu, inculquer les comportement concurrentiels que chacun devrait reproduire pour décrocher la timballe tant espérée, endosse les rôles nécessaires au déploiement d’un théâtre si quotidien que les tragédies qui s’y jouent passent d’ordinaire inaperçues ; l’histoire d’un juge des comportements des chômeurs qui est aussi l’un des bourreaux de leurs déviances, d’un arbitre des « droits » de ses sujets qui organise dans le même temps l’existence de ses candidats, de l’un des animateurs d’une disponibilité à l’exploitation que l’on voudrait sans bornes et incarnée en chacun [1] ; l’histoire d’un Pôle emploi, agent instructeur d’un procès sans fin, toujours recommencé, sauf à disparaître, radié, « découragé » - comme ils le disent de ceux qui ne s’inscrivent ou ne pointent plus faute d’y trouver un quelconque intérêt (plus de la moitié des chômeurs, intermittents compris, sont non indemnisés) - ou employé, c’est-à-dire contrôlé par d’autres instances de la société-entreprise.

    http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=5925

    Sans, une analyse du projet de la classe dominante, on arrivera à rien non plus, et pour ça il faut en finir avec le travaillisme, l’idéologie du travail, et préférer à ces "idées" (mortes), l’analyse concrète de la situation concrète, la bourgeoise européenne, elle, a un projet, et leur projet est bien résumé par le "modèle allemand" et ses 25.% de salariés pauvres :

    Dette et austérité, le modèle allemand du plein emploi précaire
    http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=6023