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Soulèvements populaires arabes : un premier bilan (Adda Bekkouche)

samedi 16 juin 2012, par Groupe Société-Cultures

Les soulèvements populaires dans les pays arabes, qui ont débuté en janvier 2011, ont surpris les analystes. Mais surtout ils ont d’abord démenti la fiction de « l’exception arabe », selon laquelle ce monde-là était étranger à la démocratie et était condamné à des régimes autoritaires. Ensuite, ils ont rouvert le champ des alternatives politiques et économiques non seulement au Maghreb et au Proche-Orient, mais aussi en Europe et au-delà. Enfin, tous ces soulèvements et contestations populaires ont tous en commun la contestation du néolibéralisme.

Au-delà de ce trait commun, les soulèvements arabes qui se sont déroulés de la Mauritanie à Oman, et se déroulent encore dans de nombreux pays, selon des scénarii différents, ont connu trois phases importantes. La première, de janvier à début mars 2011, où toutes tranches d’âges et toutes classes sociales confondues, se sont retrouvées dans la rue, pour contester les pouvoirs en place. Elles dénoncent tout à la fois l’autoritarisme politique et le manque de liberté mais, surtout, les conditions socio-économiques. Il y avait donc à la fois une demande de dignité sociale et une demande de libéralisation politique.

La deuxième phase fut une forme de contre-réaction avec d’abord l’entrée des troupes saoudiennes à Bahreïn, pour mettre au pas les manifestants de la capitale. Ensuite le second acte a lieu au Yémen avec le maintien au pouvoir par l’Arabie saoudite du président Ali Abdallah Saleh.

La troisième phase se caractérise par l’évolution incertaine de pays qui sont dans un processus « post révolutionnaire », c’est le cas notamment de la Tunisie et de l’Egypte, et de pays dont la situation dégénère, telle qu’en Libye et en Syrie.

Sur le plan interne, la Tunisie et l’Egypte montrent que la période post soulèvements connaît des régressions et que les auteurs ses n’en sont pas les bénéficiaires immédiats. Ceci montrent aussi que les forces et les acteurs politiques déterminants de l’après soulèvements ne sont pas les auteurs des soulèvements. Les forces politiques islamistes avec la connivence implicite de ce qui reste des anciens régimes s’accaparent le processus post soulèvements. Cette évolution, souvent favorisée par le recul des appareils d’Etat, laisse le champ libre aux formations islamistes politiquement organisées et en prise avec les catégories modestes de la société. De ce fait, si l’on considère que les processus révolutionnaires sont forcément longs et chaotiques, la période instable que vivent ces pays peut durer encore, sans préjuger du résultat qui dépend des rapports de force sociale et politique.
Sur le plan géopolitique, avec la crise libyenne, les puissances occidentales vont revenir « en force » par l’intervention de l’Otan, créant ainsi les conditions de la déstabilisation interne du pays et de la région subsaharienne.

C’est ainsi que, finalement, s’organise cette contre-réaction interne et externe, qui rassemble Arabie saoudite, Qatar, Frères musulmans, États-Unis et Europe pour confisquer les aspirations des peuples. Dans ce contre-processus l’acteur central sont les Etats-Unis dont la stratégie est toujours dans le sillage de la politique néoconservatrice de George W. Bush. Le rêve d’un Grand Moyen-Orient totalement soumis aux intérêts géostratégiques et économiques de l’Occident, incarné par l’Otan, est toujours là. La politique des États-Unis est une politique visant à créer le maximum de dissensions entre sunnites et chiites à l’échelle régionale. Ce remodelage, aujourd’hui à l’œuvre, convient et tranquillise les États-Unis et sécurise définitivement l’État d’Israël sans que ce dernier n’ait à faire des concessions douloureuses.
Mais le résultat polyvalent et provisoire d’aujourd’hui, d’une part, d’émancipation des peuples et de démocratisation des structures et, d’autre part, de récupération des aspirations, de crispation des acteurs et de radicalisation des options, fait penser que nous sommes au tout début d’un processus porteur d’immenses espoirs qui, bien que partant de cette région, n’ont pas fini de se répandre sur le reste du monde.

Sources (à titre indicatif) :

Georges Corm, « L’instrumentalisation du religieux, poison récurrent du Moyen-Orient », entretien, l’Humanité, 8 juin 2012

Samir Amin, Le monde arabe dans la longue durée : un printemps des peuples ?, éditions Le Temps des Cerises, Paris, septembre 2011

Bichara Khader, coordination, Le « printemps arabe » : un premier bilan, ouvrage collectif, Éditions Syllepse, Collection « Alternatives Sud », Paris, juin 2012