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Quelle formation des groupes sociaux ? (Christian Delarue)

vendredi 25 août 2017, par Groupe Société-Cultures

Introduction à débat.
D’aucuns ne (re)connaissent ni groupes sociaux ni société mais que des individus, dont certains seraient citoyens (et pas d’autres). A l’opposé de nombreux chercheurs économistes, statisticiens, sociologues ou chercheurs en science politique travaillent eux à repérer des groupes sociaux au sein du réel social, à les différencier au sein d’une population donnée dans l’espace et le temps.

Quelle segmentation (sur quels critères professionnels ou de richesse ou de culture ou autre encore) ? Quelle opposition (ou pas) ? Quelle hiérarchie (ou pas) ? Quand parle-t-on de couches sociales (analyse stratificationniste surtout ici) ? Quand parle-t-on de classes sociales (marxisme surtout ici) ?

Peut-on combiner analyse stratificationniste et analyses de classes sociales ? Comment ? Cette dernière question de la combinaison des deux regards s’est posée pour les travailleurs riches. Ce qui renvoie à une périodisation (le néolibéralisme) ou l’on peut remarquer la montée de certains individus très qualifiés vendant leur force de travail pour vivre à un prix très élevé. Leur très haut niveau de salaire vient modifier leur appartenance au monde du travail salarié. Ce n’est pas qu’il il subsiste plus la division principale entre salaires et profits (avec son évolution) et donc entre salariat et propriétaire du capital sous le capitalisme, c’est qu’il y a eu complexification du travail et donc des revenus pour certains postes de travail. Pensez aux pilotes d’avion par exemple.

1) Ceux qui refusent la division en groupes sociaux

Pour eux il n’y a que des individus et points de classes sociales. Et la société n’existe pas.
Ce sont les individus qui sont soit en lutte ("lutte des places", lutte méritocratique ou lutte de concurrence économique via le marché) soit en solidarité inter-humaine mais librement selon les affinités ou selon les conceptions de justice. Une justice conçue souvent de façon plus caritative que justice sociale appliquée et réelle car la justice sociale efficace et organisée s’emploie réellement à donner moins pour ceux d’en-haut et à donner plus pour ceux d’en-bas mais les libéraux ne développent guère cet argument, préférant l’argument du travail (le "chacun doit participer à la production de l’existence sociale") couplé à celui de la méritocratie (participer "en fonction de ses capacités »). Ce qui fait que les pauvres restent pauvres et les riches plus riches. Les libéraux sont véritablement conservateurs d’un ordre social inégalitaire et très hiérarchisé. Ils sont donc de droite ;

Ils peuvent reconnaître des catégories socioprofessionnelles quand elles sont clairement définies et qu’il n’y a pas d’enjeux politiques dès lors qu’il y a mobilité d’une CSP à l’autre.

Concernant la richesse ils distinguent bien revenus en général mensuels et patrimoine immobilier et mobilier . Ils savent reconnaître - si banquier par exemple - des gens fragiles aisément insolvables en fin de mois (dites couches modestes) voire avant la fin de mois (couches sociales pauvres) de ceux en capacité d’épargner mensuellement mais ils n’accordent aucune valeur aux efforts de stratifier une population en couches sociales, car pour eux c’est arbitraire. Pour eux il y a juste un continuum. Les richesses individuelles peuvent juste « monter" haut (gros écarts de revenus) ou non (peu d’accumulation possible) selon le type d’économie du pays !

Continuum, on ne peut que dire que X est plus riche que Z. On peut aussi établir un revenu médian et moyen car c’est un usage acceptable, sans arbitraire. Médian signifie salaire tel que la moitié des salariés de la population considérée gagne moins et l’autre moitié gagne plus. Il se différencie du salaire moyen qui est la moyenne de l’ensemble des salaires de la population considérée.

2) L’effort stratificationniste

On trouve des divisions en parties égales et d’autres en parties inégales fondées sur d’autres critères. Pour les divisions en parties égales, on peut observer une division en 3 blocs égaux (ce qui montre un groupe social intermédiaire), une autre en 5 strates égales (par tranche de 20) et une autre, plus précise encore, par décile (tranche de 10 ), avec subdivision du dernier décile d’en-haut depuis quelques années, pas avant, pour isoler le 1% d’en-haut du fait de la montée des hauts revenus sous le néolibéralisme.

Dans un pays donné, on aurait en divisant en trois, le tiers d’en-haut plus riche que des 66% d’en-bas. Politiquement pour la droite, il s’agira déjà de bien valider comme « riches » le tiers du haut (ce qui n’est pas évident rapporté au réel) et, en termes d’analyse de bloc social (et non plus de classe sociale), de « conquérir » idéologiquement la couche moyenne ou intermédiaire conçue comme stabilisant social (DSK). Le problème est que le groupe des riches est trop vaste et que visiblement on aura des « riches" qui ne le sont pas vraiment. A peine peut-on dire d’eux qu’ils sont aisés. Le terme de « couche aisée » est de plus en plus usitée pour montrer des individus solvables face aux marchés et donc sans aucun problème de fin de mois et avec une bonne capacité d’épargne mais pour autant on ne saurait les dire riche comme le sont le 1% d’en-haut . C’est à partir de là que les analyses plus précises sont apparues. Même le 1% fut subdivisé pour isoler l’oligarchie financière.

Au découpage en trois zones on va donc passer à un découpage en 5 tranches où on aura encore une très forte diversité de riches dans les 20% d’en-haut. De même pour les 20% d’en-bas où les pauvres sont avec les modestes. Les trois couches centrales forment les couches sociales moyennes. C’est déjà plus proche du réel que la division en trois. Pour autant, c’est bien l’analyse en déciles qui va émerger car plus précise. Elle va même s’imposer pour sa capacité à représenter le réel. Pour autant elle reste encore critiquée.

3- L’acceptation d’une formation des groupes sociaux

On trouve un sens plein (disons Marx) et un sens étroit (disons Weber).

 Le sens plein se rapporte aux classes sociales : Un ouvrage récent porte ce titre : Le retour des classes sociales. On pourra en parler. Les membres d’un même groupe social partagent des conditions sociales d’existence proches, similaires voire identiques. En plus, il y a culture commune en termes de modes de vie. Enfin, à cette "classe en-soi" va s’ajouter la "classe pour soi" . Autrement dit, au plan de la dynamique sociale subjective et non plus seulement objective, il y aura tendance à l’action commune pour défendre les intérêts économiques et ou professionnels du groupe social considéré.

 Le sens étroit isole, lui, l’aspect strictement économique comme déterminant fondamental et fait de la culture commune un vecteur non obligatoire pour déterminer un groupe social objectif. Le sens étroit permet plus difficilement le passage de la "classe pour soi" à la "classe en soi". Il y aura donc difficulté à défendre les intérêts économiques communs (le salaire ) car il y aura des divergences culturelles perturbatrices.

Avant de terminer cet exposé, il faut noter que ce retour des classes sociales vient relativiser un autre découpage massif observé il y a quelques décennies où l’on divisait les inclus et les exclus. Dans ce regard social, l’under-class rassemblait les précaires et les chômeurs qui faisaient problème face aux insiders qui n’avaient, eux, pas à se plaindre car tous ces travailleurs (du public ou du privé) bénéficiaient du système de la carrière, soit dans l’entreprise soit dans la fonction publique. La notion marxiste d’exploitation du travail salarié disparaissait face à ce système de la carrière et de la progression systématique des revenus avec l’âge, puisque chacun en fonction de sa qualification acquise partait jeune d’un bas salaire relatif pour arriver à 55 ou 60 ans à un salaire doublé ou même triplé selon la progression.

Cette période étant révolue (car il y a eu individualisation des parcours et qu’il n’y aurait "plus de grain à moudre") les classes et les luttes de classes sont de retour pour un meilleur partage du gâteau. Et comme il a été dit, on sait qui l’a gagné.

Christian Delarue

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