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MRAP : un antiracisme tenant compte de la « double impasse »

Christian DELARUE

mercredi 21 février 2018, par Groupe Société-Cultures

Après avoir défendu (à l’université d’été d’Attac à Marseille en 2016) un « antiracisme relié » (universaliste mais relié à divers combats notamment altermondialistes mais d’autres encore, voir le thème de la pluri-émancipation), je développe ici une autre piste anti-raciste (sur l’axe géo-politique).

Préalable :

Le MRAP est membre co-fondateur d’Attac France et a eu depuis 1998 trois représentants (au CA et au CF) dont Claudie Garnier, moi-même (deux mandats de 3 ans plus les « tuilages » fonctionnels avant et après) puis Augustin Grosdoy en 2012 jusqu’à nos jours. J’ai été aussi SG du CADTM France qui est aussi une organisation altermondialiste avant l’heure.

L’antiracisme du MRAP est donc lié désormais, depuis presque 20 ans, à l’altermondialisme et ce, après une histoire plus ancienne de luttes contre le racisme, le colonialisme, l’esclavage et l’apartheid. Nous assumons et poursuivons la lutte de nos aînés qui se déroulait dans un cadre internationaliste.

Altermondialistes et antiracistes, nous voulons tous et toutes « un autre monde possible et nécessaire ». Et l’antiracisme est une composante nécessaire de l’altermondialisme qui combine théorisations diverses (pluralité des positions) et altermondialisation pratique, soit le mouvement réel de transformation et de pluri-émancipation se reconnaissant dans les grandes orientations de l’altermondialisme (il y a des dominantes).

De façon actualisée, cela donne "Pluri-émancipation contre l’Etat d’urgence" mais sans faiblesse contre les menées intégristes radicales et donc revendication décomplexée d’une double démarche, anti-amalgame essentialiste et anti-intégrisme religieux sexoséparatiste.

Introduction :

Il y a du Nord au Sud et du Sud au Nord

Il y a déjà bien longtemps, dans un ouvrage écrit en commun, Thomas Coutrot et Michel Husson (ref) montrait l’écart de richesse entre le Nord et le Sud . C’est la fracture, que l’on peut dire impérialiste, issue de plusieurs dominations - économique, politique, militaire, technologique - entre les Etats du Nord et ceux du Sud, ainsi qu’entre leurs sociétés respectives. La seconde fracture vient préciser cette première donnée ; sous cette formule : Il y a du Nord au Sud et du Sud au Nord . Dans chaque Etat-Nation (généralisation de ce type de formation sociale sur la planète) il y a une classe dominante - le 1% d’en-haut - qui s’élève et domine son propre peuple-classe (notamment les travailleurs du privé et du public) et pour les Suds les peuples-classes des Sud de diverses manières . Le néocolonialisme (économico-social) des firmes multinationales a remplacé le colonialisme politique direct . Pour préciser les choses - mais ce n’est sans doute pas absolument nécessaire de complexifier - il faudrait distinguer au sein des Sud deux sortes de classes capitalistes dominantes : une « bourgeoisie compradore » et une bourgeoisie nationale » ; la première est tournée vers l’internationale et inscrite dans la mondialisation du capital alors que la seconde n’assure qu’une domination nationale. Ce qui a des enjeux secondaires pour nous ici.

I - Critiques et solidarité entre les peuples avec soutien aux forces progressistes.

Les gauches et les forces progressistes des pays impérialistes doivent avoir une critique de cette double domination capitaliste : contre le peuple-classe du Nord, contre les peuples-classe des Sud. Il devrait s’ensuivre une solidarité avec ces peuples-classe des Sud.

Dans ce cadre on trouve plusieurs obstacles à la nécessaire solidarité mais deux sont décisifs :
1 - La xénophobie et le racisme notamment contre les populations des Suds
2 - La montée des intégrismes religieux sous trois formes s’agissant de l’islam :
a- l’intégrisme sexoséparatiste non politique, agissant uniquement dans la famille et le quartier
b - l’islam politique engagé au plan politique en portant ou non la Charia
c - le djihadisme.

L’Etat d’urgence affaiblit les libertés sans nuire au djihadisme ni à l’islamisme radical. Comme l’écrit Martine Boudet in Urgence antiraciste - pour une démocratie inclusive (introduction ouvrage collectif Ed Le Croquant 2017) : « Le djihadisme constitue une suite régressive, un reflux des mobilisations démocratiques, celles des « printemps arabes », manifestant les difficultés des peuples à se libérer des tutelles féodales et impérialistes et à stopper l’engrenage des conflits guerriers et meurtriers érigés en réaction. Ces éléments contre-révolutionnaires, instrumentalisés en sous-main par des équipes étatiques et internationales liées à l’oligarchie, participent de la fascisation de la période. Dans les années 2000, l’administration Bush et Al Qaida alimentaient ce cercle vicieux, c’est plutôt le cas du duo Union Européenne-Daesh pour les années 2010."

Nous allons reprendre maintenant, en lien avec le contexte mondial et local, les deux grands axes de Sophie Bessis dans son livre La double impasse .

II - Géo-politique de la « double impasse »

Il s’agit en termes de géopolitique d’accuser fermement aussi bien d’une part les politiques néolibérales de soutien au capitalisme financiarisé avec ses effets internes (politiques d’austérité et de précarisation contre les travailleurs) et ses effets internationaux (impérialisme de type politique, économique et militaire) que d’autre part les politiques ultra-réactionnaires des divers Etats qui imposent de façon certes variable un Islam archaïque (variation ici aussi) tant aux populations du sud qu’ailleurs au nord (pour le dire schématiquement).

Cette double géopolitique débouche ici sur de la relégation sociale et territoriale où racisme et intégrisme religieux s’alimentent réciproquement.
La géopolitique reproduit en effets les différents rapports de domination ou d’oppression - classiste, raciste et intégriste religieux - dans l’espace via le mal développement. Pour le dire autrement le « développement inégal et combiné du capitalisme » (Léon Trotski) reproduit avec force les inégalités sociales (injustice sociale) sur un plan territorial (séparatisme territorial) ! Et le racisme plus l’intégrisme religieux empoisonnent les quartiers délaissés de la République.

III - Le MRAP défend un antiracisme de type universaliste et non pas politique

Sophie Bessis défend aussi les principes de l’universalisme tout comme le MRAP.

L’antiracisme de type universaliste du MRAP combat toutes les formes de racismes. Il refuse la racialisation, qu’elle vienne d’en-haut (politiques de racialisation) ou d’en-bas (PIR , discours de défense des musulmans à majuscule). Il s’agit de refuser les amalgames essentialistes d’où qu’ils viennent. Nous refusons le binarisme en matière de croyants réels, c’est à dire cette vision qui les voient soit tous bons, soit tous foncièrement mauvais.

L’antiracisme de type universaliste est fondé sur les principes de dignité humaine de chacun et chacune sur la planète. Dans tous les pays, il s’agit de défendre la liberté de conscience contre les forces obscurantistes et oppressives, qui ne sont pas que religieuses de type intégriste. Les hommes et les femmes sont égaux en droit et cette égalité doit trouver à devenir plus effective par un combat soutenu.

Le Mrap n’ignore pas les combats collectifs, ceux des peuples opprimés, dont le peuple palestinien qu’il soutient depuis fort longtemps. Dans ce cadre, on se retrouve aux côté de ceux qui défendent un antiracisme politique, mais les bases sont profondément différentes. Nous refusons l’antisémitisme quand il apparaît. Pour autant, nous n’assimilons pas antisionisme et antisémitisme ainsi que le fait l’intervenant à l’Assemblée Nationale qui a fait passer de façon odieuse et inadmissible un prisonnier politique pour un terroriste .

IV - La période est à la critique de l’antiracisme politique

L’ antiracisme politique est souvent néo-campiste tant en interne (France) qu’au plan international ou mondial. Ce positionnement bloc contre bloc, qui tend à ignorer les dominations internes, est une tendance qui se comprend, dans la mesure ou les populations ordinairement victimes de discriminations et des politiques néolibérales ont face à elles des gouvernements qui pratiquent, via la police, des politiques d’interpellations au faciès qui ciblent trop souvent des Arabes, des Noirs et les musulmans identitaires (ou d’apparence). Il n’empêche que cet antiracisme est une aporie ! Il est intenable dans la durée.

Mais il faut bien reconnaître qu’il existe du fait des faiblesses de l’antiracisme universaliste. Ce dernier est divisé entre plusieurs organisations : MRAP, SOS Racisme, LICRA ; et ces divisions s’expliquent. Le MRAP mériterait un meilleur soutien populaire du fait du volet altermondialiste pris en charge.

Un certain antiracisme politique (il faudrait faire ici des distinctions) s’est fourvoyé dans les soutiens à la leader du PIR ainsi qu’ à Tariq Ramadan. Il a largement pratiqué une politique de silence et de dénis contre les intégrismes musulmans, soit une peste oppressive qui ne sévit pas qu’au sud mais dans tous les pays, y compris en France dans les quartiers populaires.

Christian DELARUE

Expression personnelle d’un militant du MRAP (Ex membre du BE et du CA du MRAP)- Ex membre du CA d’ATTAC et ex SG du CADTM.

1) Nous ne suivons pas exactement le propos de Sophie Bessis in La double impasse. L’universel à l’épreuve des fondamentalismes religieux et marchand Paris, La Découverte, coll. « Cahiers libres », 2014, 230 p.

Nous ne parlons pas de « fondamentalisme marchand » car nous préférons cibler le capitalisme néolibéral ou le capitalisme financiarisé. De même, comme dans « Urgence antiraciste - Pour une démocratie inclusive », ouvrage collectif coordonné par Martine Boudet, où j’ai rédigé un chapitre sur l’intégrisme religieux aux côtés d’Augustin Grosdoy (co-président du MRAP déjà cité en introduction) qui développait , lui, les grandes lignes de l’antiracisme du MRAP, nous refusions plus les intégrismes religieux que le fondamentalisme. Cette différence existe mais elle est secondaire. Ce qui doit rester dans les esprits, c’est la nécessité d’une double lutte au plan mondial et local. Articuler le local et le global relève aussi d’un mode d’analyse typiquement altermondialiste.

2) Essai de catégorisation des musulmans - C Delarue - Amitié entre les peuples
http://amitie-entre-les-peuples.org/Essai-de-categorisation-interne-des-musulmans-C-Delarue

MRAP : un antiracisme tenant compte de la « double impasse »
samedi 25 novembre 2017
par Amitié entre les peuples
http://amitie-entre-les-peuples.org/MRAP-un-antiracisme-tenant-compte-de-la-double-impasse