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Le mouvement anti-raciste français

Christian DELARUE (MRAP)

jeudi 17 juillet 2014, par Groupe Société-Cultures

SOS Racisme, une organisation antiraciste soeur (du MRAP), est né en 1984 (15 octobre). Cette organisation va donc avoir trente ans en cette année 2014. C’est le moment pour faire le point sur le mouvement antiraciste français.

Un point qui dépasse la problématique de 83 - 84 , trop réduite à la place des jeunes "Franco-maghrébins" (Beurs ou "bi-identitaires" ou "bi-nationaux") dans l’antiracisme, du fait d’une certaine emprise des fondateurs de SOS Racisme.
Lire sur Médiapart : "Les enseignements de l’après-Marche de 83".

A- Périodisation de la lutte antiraciste

Les dates marquantes pour la lutte antiraciste au plan mondial sont celles de la chute de l’Apartheid en 1991 et 1994. Les dernières lois piliers de l’apartheid (notamment le group Areas Act et le Population Registration Act) sont abolies en juin 1991. Les négociations constitutionnelles (CODESA) menées entre le gouvernement et le Congrès national africain (ANC), le Parti national et les principaux partis politiques sud-africains aboutissent à l’élaboration d’une Constitution intérimaire, aux premières élections parlementaires non racistes au suffrage universel (27 avril 1994) et à l’élection de Nelson Mandela comme premier président noir d’Afrique du Sud (10 mai 1994). (http://fr.wikipedia.org/wiki/Apartheid). Des dispositifs de l’ONU sont venus conforter une lutte antiraciste mondialisée qui reste d’actualité.

En Europe, l’ EGAM. 
EGAM n’a pas toute la force requise pour agir contre le racisme en Europe. Comment renforcer cette structure qui reste peu connue des antiracistes militants ? Lancé en 2010, le Mouvement anti-raciste européen – EGAM réunit les 35 principales organisations anti-racistes dans 29 pays européens dans le but de lutter contre le racisme, l’antisémitisme, la discrimination raciale et la négation du génocide en Europe.
http://www.citizensforeurope.eu/org-842_fr.html

En France, c’est la "Marche des Beurs" de 1983 qui inaugure une nouvelle phase de la lutte antiraciste. Les phases antérieures ont pour dates : la fin de la guerre d’Algérie puis la loi antiraciste de juillet 1972. Il n’y a donc pas que l’apparition en 1984 d’une nouvelle organisation anti-raciste, bien implantée dans la jeunesse, qui fasse sens pour cette longue période ouverte en 83-84. Il y a aussi un fort mécontentement dans la jeunesse discriminée.

Mouloud Aounit du MRAP - celui à qui l’on doit, avec son ami Vincent Geisser, la promotion de la notion d’islamophobie - se référera très souvent à cette Marche comme une source d’espoir pour toute une génération d’immigrés qui croyaient en des idéaux de justice et d’équité. Vingt ans après, il cite encore, dans des colloques et des rencontres, la « Marche des Beurs » comme un espoir déçu. Il s’interrogera même en public sur le fait de savoir pourquoi des militants actifs de la « Marche des beurs », pourtant laïcs à l’époque, ont fait une démarche, vingt années après, vers la religion. Pour Mouloud Aounit, la « Marche des Beurs » reste le fruit de revendications qui n’ont pas encore trouvé de réalisations concrètes sur le plan de l’égalité et de la lutte contre les discriminations. (phrase issue de Wikipédia que j’approuve et fais mienne)
Lire : http://web.archive.org/web/20041119184729/www.mrap.asso.fr/article.php3?id_article=628

Il va s’agir ici d’embrasser l’ensemble du mouvement antiraciste français, mouvement social relativement autonome et aussi mouvement historique lié aux formes historiques de racismes à combattre. Autre caractéristique : il est clivé dans ses pratiques de lutte. Mais il faudrait de plus amples développements : il s’agit donc d’une ébauche ou plutôt une introduction

B - Le mouvement antiraciste est un mouvement social
L’antiracisme n’est pas d’abord un discours institutionnel même si l’ONU et surtout certains Etats dont l’Etat français ont pu intégrer des éléments d’antiracisme dans leurs dispositifs normatifs. Outre les lois, on trouve des connaissances historiques et des discours pédagogiques au sein de l’Ecole mais aussi - c’est à souligner - à destination des cadres de management de l’appareil d’Etat . Ces cadres doivent donc veiller à l’absence de discriminations racistes, sexistes et homophobes au sein des personnels administratifs. On trouve aussi de tels dispositifs au sein des grandes entreprises (on a évoqué il y a quelques jours la mise en place des CV anonymes) mais l’antiracisme est fondamentalement un mouvement social.
Mouvement social, la notion est passible de trois définitions que je reprends de Michel Wieviorka (1) : une fonctionnaliste qui le voit comme une action collective résultant d’une crise, une issue de Charles Tilly qui met l’accent sur une conduite stratégique, instrumentale, dans laquelle l’acteur mobilise des moyens, y compris la violence, pour parvenir à ses fins, enfin une troisième issue d’Alain Touraine qui souligne qu’il est une signification singulière de l’action collective, parmi d’autres, dans laquelle l’acteur s’engage dans un conflit, et non dans des conduites de crises. "Le mouvement social, dans cette perspective, conteste à un adversaire social la maîtrise qu’il a des orientations principales de la vie collective - ce que Touraine appelle l’historicité" .
Ce mouvement social particulier a une composition sociale variable selon le type d’association. On y trouve beaucoup de juristes et de sociologues mais aussi des historiens, des personnes avec un parcours binational ou des personnes ayant subi le racisme soit directement soit indirectement (un proche). Il y a là des recherches à entreprendre et formaliser. Les membres de la LICRA font grosso modo partie des couches supérieures de la société (dernier décile et couches moyennes) alors que pour le MRAP et SOS Racisme, c’est plus diffus, plus populaire. Faut-il y lire un lien avec le fait que la défense du sionisme se fait beaucoup par en-haut via des individus qui ont une influence dans les institutions pour défendre Israel ( plus lobby que mouvement social ?) alors que les Palestiniens sont défendus par en-bas par des personnes deu peuple social (le 90% d’en bas) ?

C- Un mouvement historique à objet plus ou moins ciblé .
Ce mouvement rassemble dans une perspective historique - bien avant 1984 - tous les individus qui luttent pour la suppression du racisme à la fois comme stigmatisation ou injure raciste et comme discrimination.
Au plan des structures permanentes en capacité de recevoir les militant(e)s comme les victimes du racisme, on trouve plusieurs associations, ayant des profils différents. Au point de mettre en doute la notion même de mouvement antiraciste au singulier.

a) Les "universalistes" : la LICRA, le MRAP, SOS Racisme.
1) La LICRA
http://www.licra.org/
Histoire de la licra | LICRA
http://www.licra.org/fr/histoire-licra
En 1926 la Ligue contre les Pogroms qui venait de se créer se transforme en Ligue Internationale Contre l’Antisémitisme (LICA).Elle deviendra LICRA
Le Bureau exécutif | LICRA
http://www.licra.org/fr/bureau-executif2
Alain Jakubowicz a été élu à la présidence de la Licra le 31 janvier 2013 pour un mandat de trois ans.
Il a animé la LICRA de Lyon. Un comité local "actif" au dire d’un adhérent du MRAP de Lyon rencontré lors de l’Université d’été du CRID en 2012.
▶ Télé Matin (France 2) : Intervention de Sabrina Goldman - YouTube
https://www.youtube.com/watch?v=gnTICCVna4Y

2) SOS RACISME
http://www.sos-racisme.org/sos-racisme/historique
Dominique SOPO est de nouveau président de SOS Racisme. Il a remplacé Cindy LEONI qui lui avait succédé en 2012.

 La Fédération Nationale des Maisons des Potes
Samuel Thomas Président
http://www.maisondespotes.fr/la-federation-nationale-des-maisons-des-potes
1989- Création de la fédération Nationale des maisons des potes
1993- Création du journal "Pote à Pote"
2002- Etats Généraux des Femmes Des Quartiers à la Sorbonne et lancement de l’appel "Ni Putes ni Soumises"
2003-Marche des Femmes contre le Ghetto et pour l’Egalité et la naissance du mouvement "Ni Putes ni Soumises"

Appel :
www.fairedelegaliteunerealite.com
http://www.fairedelegaliteunerealite.com/

3) Le MRAP Mouvement contre le racisme et pour l’Amitié entre les Peuples.
http://www.mrap.fr/tout-savoir-sur-le-mrap

NB : J’ai considéré ici - à tort peut-être - que la LDH n’était pas une organisation antiraciste car elle était plus une organisation large de défense et promotion des droits humains, bien que son parcours historique en fasse aussi une organisation antiraciste de premier plan, dès lors que l’on ne s’attache pas à son objet formel. A discuter !

b) Les associations anti-racistes spécifiques, le CRAN, le CRI, ROMEUROPE, Mémorial 98, les Indivisibles
1) Contre le racisme qui frappe surtout les Noirs : Le site officiel du CRAN
http://www.le-cran.fr/index.html

2) Contre le racisme qui frappe surtout les musulmans : cf Coordination contre l’islamophobie : CRI
http://www.crifrance.com/_Coordination-contre-le-Racisme-et_.html

3) Contre les Roms :
Mensonges, racisme, discriminations contre les Roms venus de Roumanie - ROMEUROPE
http://www.romeurope.org/spip.php?article397

4) Contre le négationnisme et l’antisémitisme : Mémorial 98
L’association MEMORIAL98, qui combat contre le racisme, l’antisémitisme et le négationnisme a été créée en janvier 1998, lors du centenaire de l’affaire Dreyfus.
http://www.memorial98.org/

5) Autres :
Les Indivisibles
http://www.lesindivisibles.fr/les-indivisibles/presentation/

D - Un mouvement antiraciste très divisé .
Ces organisations ont de très nombreux points de divergence. Voici 11 questions posées à l’antiracisme :
1 - Faut-il lutter contre toutes les formes de racisme ?
A priori oui donc sans exclusive aucune ni spécialisation mais il y a des nuances qui font qu’un juif victime d’antisémitisme ira plutôt s’adresser à la LICRA et un arabe plutôt au MRAP, mais il s’agit là d’un préjugé. On peut faire l’inverse sans souci .
La montée de l’intégrisme religieux a des répercussions sur la définition du racisme en fonction de la religion . La place de la laïcité face à l’emprise des religions "ostensibles" fait aussi débat. Mais il s’agit d’un débat transversal à quasiment toutes les organisations.

2 - Quelle place à la lutte contre le racisme issu du colonialisme ?
Des organisations n’en font plus état, bien que ce type de racisme perdure de toute évidence malgré la fin du colonialisme strict, malgré les lois antiracistes et malgré les institutions publiques ou indépendantes crées pour le combat antiraciste.
On a tort de nier les conquêtes du mouvement antiraciste, antifasciste et anticolonialiste qui s’est traduit par la casse des systèmes esclavagiste et colonial et l’élaboration de lois contre le racisme aussi bien en France que dans le cadre de l’ONU ou de l’Union européenne. On aurait tort aussi de nier que perdure malgré les indépendances, malgré les lois un racisme post-colonial . Il porte essentiellement en France contre les Africains et contre les Maghrébins.
On trouve, il faut le dire, de solides amitiés avec les familles venues du sud et installées en France depuis longtemps . On trouve aussi des haines racistes entretenues qui ressemblent à celles des colons français en Afrique. Il ne s’agit pas hélas que de vieux soldats passés de l’Indochine à l’Algérie ou d’autres lieux de la France de Dunkerque à Tamanrasset ! Ces haines se traduisent dans le sud de la France surtout à des stèles en l’honneur des militaires du colonialisme !

3 - Quelle place à la lutte antisioniste comme forme de racisme ?
En quelques mots : Pour certains, le sionisme est une forme de racisme d’Etat lié à la construction d’Israel. Il est producteur d’une sorte de nouvel Apartheid et de guerre maintenue entre Israéliens et Palestiniens sans que jamais une paix juste et durable ne soit possible. Le radicalisme du Hamas et la menace de l’intégrisme musulman sont régulièrement invoqués (faussement à mon sens), notamment pour sa volonté de destruction totale d’Israel . En face on a le radicalisme sioniste qui ne veut respecter aucune décision de l’ONU. C’est un débat sans fin - mais qui fait des morts - entre radicaux des deux camps. Ces deux camps ne sont cependant pas à égalité : les palestiniens subissent la puissance d’Israel.

cf Notre misérable État juif - [UJFP]
http://www.ujfp.org/spip.php?article3303
Pour d’autres, le sionisme est international et le fait de quasiment tous les juifs de la planète. Pour d’autres enfin, derrière la critique du sionisme il y a nécessairement de l’antisémitisme. La position précédente nourrit évidemment cette position-là.
Accessoirement pour ces militant(e)s : Quid de participer à BDS ?

4 - Faut-il participer activement au mouvement altermondialiste ?
Le MRAP, historiquement proche du mouvement ouvrier (ses syndicats et ses organisations politiques), est membre cofondateur d’ ATTAC. Le MRAP était auparavant proche du CADTM et des organisations tiersmondistes (CRIDEV à Rennes par exemple), notamment au moment de la lutte contre l’Apartheid puis lors des luttes contre les plans d’ajustement structurel (PAS) du FMI et de la BM.
Il s’agit de participer, via l’organisation des Forum sociaux mondiaux ou continentaux ou locaux, à un large mouvement social qui vise à construire un autre monde radicalement différent beaucoup plus égalitaire, plus "adelphique", plus libre, mais aussi une autre France et une autre Europe. L’altermondialisme n’est pas "campiste" (défense du sud contre le nord en bloc car "il y a du nord au sud et du sud au nord") ni nationaliste mais organisation de contestation transversale à toute formation sociale. L’altermondialisme critique la dynamique néolibérale contemporaine l’action fortement prédatrice du 1% d’en-haut au plan social, écologique, démocratique (ses trois champs principaux : le fiscal y est intégré TTF - Paradis fiscaux et enfers sociaux) mais aussi au plan géopolitique (cf Gus Massiah) et culturel (Martine Boudet). L’altermondialisme s’interesse de près aux luttes des peuples-classe d’Amérique latine (cf site Medelu) comme aux luttes en Afrique.

5 - Quelle participation au mouvement antifasciste ?
CONEX : ASSISES CONTRE L’EXTREME DROITE 28 ET 29 JUIN 2014 à Paris
Il y a une renaissance du mouvement antifasciste en France et en Europe. Il existe des collectifs d’associations et d’individus dans les grandes villes qui se sont spécialisés dans la lutte contre le fascisme, l’extrême-droite, le populisme xénophobe, raciste et sexiste. Les liens semblent évidents. Mais des "points d’accroche" freinent l’unité d’action.
L’antifascisme est-il juste contre l’extrême-droite dans un cadre d’alternance systèmique ou a-t-il une forte dimenssion antisystèmique ?
Point d’histoire qui montre le mensonge récurrent des mouvements fascistes ou crypto-fascistes (populisme xénophobe anti-ouvrier et pro-patronal) : «  Dans le système fasciste, les travailleurs ne sont plus exploités ; ils sont collaborateurs de la production », disait le Duce le 22 juin 1926. Mussolini ne peut s’empêcher malgré tout quelques accès de franchise, et déclarait ainsi devant le Sénat le 9 juin 1923 que le régime était un «  mouvement antisocialiste et par conséquent anti-ouvrier ».

Organisations :
VISA/Vigilance Initiatives Syndicales Antifascistes : il appartient aux syndicats de porter les luttes contre le fascisme et l’idéologie d’extrême droite
http://www.visa-isa.org/

6 - Quid de la participation de ces organisations à la lutte pour la régularisation des sans-papiers dans ce contexte de forte xénophobie ?
Le MRAP donne une large fraction de ses militant(e)s à cette lutte. D’autres organisations aussi.

7 - Quel lien avec les luttes sociales, notemment dans les quartiers populaires ?
Les liens entre les questions socio-économiques (ou économico-sociales) et celles de l’antiracisme sont ici nouées plus naturellement alors qu’elles sont dénouées ailleurs !D’une certaine manière on peut dire que le mouvement antiraciste s’est détaché de la question sociale en même temps qu’il s’est autonomisé et que de nouveau ce lien se repose. Lire ici de Saïd Bouamama : Les Classes et quartiers populaires. Paupérisation, ethnicisation et discrimination.

8 - Quel lien avec les Indigènes de la République ?
Pour certains certaines actions sont possibles sur des points précis et dans certaines conditions, pour d’autres il y a au mieux rien à faire ensemble, voire les combattre le cas échéant.

9 - Quel lien avec les luttes anti-impérialistes ?
La montée en force d’un mouvement identitaire fortement xénophobe avec une base doctrinale ethnico-nationale pose la question de l’amitié entre les peuples - les peuples-classe - de France et d’Afrique ou du Maghreb.

10 - Les liens avec les partis politiques ?
La question s’est posée au MRAP du temps de Mouloud AOUNIT. Elle s’est posée à SOS Racisme de façon différente (2).

11 - Quels liens avec les institutions continentales et mondiales (ONU) luttant contre le racisme " l’intolérance qui y est associée" ?
Gianfranco Fattorini est le représentant permanent du MRAP auprès de l’ONU.
D’autres questions sont discutées, comme les rapports avec la laïcité et le sécularisme, et d’autres encore vont apparaître de plus en plus - racisme et écologie, racisme et sexisme, racisme et liberté d’expression, racisme et négationnisme, etc... et de plus amples réponses sont bien sûr à envisager . Ce texte n’est qu’introductif. Les critiques constructives et bienveillantes sont bienvenues.
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L’histoire du mouvement antiraciste est à écrire, hors de tout "esprit de chapelle" mais en intégrant ces organisations ; non pas en écrivant une histoire sans elles car elles structurent le mouvement antiraciste !

Christian DELARUE

1) p 27 de Un autre monde... Contestations, dérives et surprises dans l’antimondialisation - (Ed Balland oct 2003 )

2) Scission au sein de SOS Racisme
2003 : A la suite du "parachutage" d’un ancien du Mouvement des jeunes socialistes à la tête de SOS Racisme, une dizaine de comités ont décidé de faire scission. SOS Racisme Indépendant, qui revendique la moitié des adhérents de l’organisation mère, refuse d’être "la succursale d’un parti politique".
http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20030605.OBS1877/scission-au-sein-de-sos-racisme.html
Sécession à SOS Racisme
http://www.leparisien.fr/politique/secession-a-sos-racisme-17-06-2003-2004175055.php