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Note de lecture de l’essai de Jean-Michel Toulouse
Martine Boudet membre du CS
samedi 16 juillet 2016, par
La quasi hégémonie du système néo-libéral
Cet essai de philosophie politique (1) s’inscrit d’emblée dans une actualité dense, celle d’une crise politique qui redouble la crise économique ouverte en 2008.
Aux yeux de l’auteur Jean-Michel Toulouse, le renoncement de l’équipe socialiste aux commandes depuis 2012 à se distancier des diktats néo-libéraux engendre une grave crise morale. Celle-ci ne peut être résorbée que par la régénération des forces progressistes, celles de la gauche anti-libérale.
La première partie du livre brosse un portrait lucide et sans fard de la situation (inter)nationale, qui se caractérise par l’essor d’une contre-révolution libérale-conservatrice, sur les bases du consensus de Washington. Les peuples, et en leur sein le monde du travail, subissent de plein fouet les reflux géo-politiques et macro-économiques qui résultent de l’implosion du bloc soviétique en 1990. Sur l’échiquier national, cette tendance hégémonique se traduit par la multiplicité des scénariis pour la conservation du pouvoir d’Etat, qu’il s’agisse d’équipes directement inspirées par la bourgeoisie nationale (« la droite bleue ») ou d’équipes inféodées aux plans néo-libéraux (« la droite rose »). L’extrême-droite campe en réserve, menaçant de spolier la gauche authentique de son droit historique aux responsabilités.
Réenracinement dans la culture politique des peuples
Pour remédier à l’aliénation idéologique orchestrée par les médias dominants, trustés par les grands groupes industriels, il importe de se remémorer les fondamentaux de la culture politique des peuples. De nombreuses citations extraites des oeuvres de Robespierre, Saint Just, Marx, Lénine, Rosa Luxembourg, Jean Jaurés, Gramsci enrichissent le texte, très documenté d’une manière générale… Il s’agit de mobiliser les consciences en faveur d’une restauration de la gauche sur des bases anti-libérales, anti-impérialistes, internationalistes. Et sur ses bases, en faveur d’une dénonciation du système de démocratie dite représentative qui ne fait, dans les faits, que reconduire des équipes vassalisées.
Le mouvement conseilliste : éléments programmatiques et stratégiques
Les divisions qui nuisent au développement d’une gauche authentique doivent être résorbées. Jean-Michel Toulouse fait appel aux responsabilités des dirigeants et à une mobilisation citoyenne qui transcende les clivages partisans et sectaires. L’objet programmatique principal de ce front uni doit résider dans la création de conseils autogérés qui offrent à terme une alternative à un système représentatif illusoire. Sur le modèle de Podemos en Espagne et de Syriza en Grèce, ces conseils peuvent et doivent s’inscrire dans les champs politique, économique ou des services publics, d’éducation par exemple. Alimentant ainsi des formes de démocratie directe et participative.
A l’échelle mondiale, c’est d’une Internationale des travailleurs, la 5e du nom, dont ont besoin les peuples et que préconise Samir Amin, dirigeant altermondialiste du Sud, par exemple (2) .
« Il n’y a qu’une façon de s’opposer à leur monde (celui de l’oligarchie mondialisée) : en créer un autre. Comment ? Par la révolution citoyenne conseilliste dans tous les pays et par la coordination des luttes en instituant une cinquième Internationale. » (p 198)
La Charte de la Havane signée en 1948 en l’absence des USA est le modèle à suivre pour le rééquilibrage des relations internationales à l’échelle des Etats, pour une réhabilitation des seules institutions internationales légitimes, l’ONU et l’UNESCO. Les institutions revendiquées par l’oligarchie mondialisée –FMI, Banque mondiale, OMC, Union européenne, G8, G20, OTAN…doivent leur être soumis et mériteraient pour certaines -l’OTAN- d’être abolies.
Le rappel émouvant de l’oeuvre inachevée, assassinée du leader indépendantiste Mehdi Ben Barka est à signaler :
« Reprenons le travail là où l’a laissé la Tricontinentale, la Conférence de solidarité avec les peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine de janvier 1966. Il faut naturellement y joindre les deux autres continents : l’Océanie et l’Europe. Tous les objectifs que la Tricontinentale de 1966 s’était donnés sont encore valables :
– relier tous les mouvements de lutte pour l’indépendance et le développement du Tiers-Monde
– Etablir une révolution mondiale contre le néolibéralisme
– lutter contre tout apartheid (il y en ailleurs qu’en Afrique du Sud)
– lutter contre l’utilisation de l’arme nucléaire
– lutter contre la globalisation capitaliste, le colonialisme, l’impérialisme et le libéralisme » (p 186)
Commentaire
Cet essai de Jean-Michel Toulouse puise aux meilleures sources de la Révolution française, du marxisme et du tiers-mondisme, différentes voies historiques et géo-politiques étant revendiquées.
La projection internationaliste préconisée semble d’autant plus importante à mettre à l’étude que le mouvement altermondialiste bat de l’aile : les FSE (forums sociaux européens) n’ont plus cours et l’existence des FSM est menacée. La conscience altermondialiste peine à se faire jour en Europe et en France, en l’absence d’un logiciel organisationnel précis et visible médiatiquement (3). En ces temps de bellicisme généralisé, arme suprême de l’ordo-libéralisme, il est vrai qu’une organisation qui unifie d’une manière plus explicite et systématique les combats des peuples confrontés à la férule des impérialismes coalisés serait salutaire.
Le dépassement du sectarisme et du dogmatisme, qui ont entaché et freiné les parcours des organisations anti-libérales jusqu’à présent, est effectivement possible grâce aux apports de la révolution citoyenne, dont les outils de communication facilitent l’essor. Les démocraties latino-américaines constituent l’exemple le plus abouti de cette dynamique sociétale et de l’unification continentale sur ces bases, quels que soient les récents reflux ou dérives enregistrés au Brésil ou au Vénézuela notamment.
Pour en revenir à la France, ce livre offre des pistes pour conjurer le scénario-catastrophe qui se dessine à l’horizon de la présidentielle de 2017. En fait, les chances sont minces de parvenir à concrétiser ce programme d’ici là. Pour autant, les principes d’action préconisés gardent leur intérêt à plus ou moins long terme. C’est à une véritable (ré)éducation populaire qu’il reste à se consacrer. Les divisions intestines observées à l’échelle de la gauche anti-libérale reflètent la dispersion des énergies populaires, largement accaparées au demeurant par les sirènes de l’extrême-droite. Si les mobilisations organisées à l’encontre de la loi sur le travail (loi El Khomri) ont manifesté un regain de volontarisme et d’unification politique, l’autoritarisme de l’Etat version 5e République (voir la kyrielle des répressions policières et judiciaires) rappelle une triste réalité. Celle d’un impérialisme national alimenté deux siècles durant, dont le peuple français paie le tribut moral et dont l’extrême-droite xénophobe traduit l’inconscient politique perverti.
Un cosmopolitisme bienveillant et solidaire ne peut suffire en la matière pour résorber le passif criminel accumulé à l’échelle de la françafrique depuis les années 60, singulièrement au Rwanda et en Côte d’Ivoire pour la dernière période (4). Entre les projections atlantiste à l’Ouest et stalinienne à l’Est, le néocolonialisme à la française, qui se voulait un moyen terme géo-politique, est un facteur d’une envergure quasiment similaire. Le fait que la France soit une cible privilégiée du djihadisme sur son sol en est une conséquence directe. La multiculturalité de facto de la société française est aussi le legs de cette histoire et des migrations qui en résultent. Positiver le cours de cette communauté de destin francophone est devenue une nécessité incontournable.
D’autres éléments programmatiques et stratégiques sont listés, concernant en particulier la démocratisation du monde de l’entreprise, de l’espace européen, de l’ONU. L’ensemble est d’une cohérence remarquable et éclairante. Pour conclure, l’essai de Jean-Michel Toulouse est un bréviaire à lire et relire en ces temps de confusion généralisée, pour une mutation à opérer dès que possible.
(1) Jean-Michel Toulouse Que faire pour changer la société capitaliste ? L’Harmattan, 2016
http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=50519
Présentation de l’essai
https://blogs.attac.org/groupe-societe-cultures/article/que-faire-pour-changer-la-societe-495
(2) Samir Amin Pour la cinquième Internationale, Le temps des cerises, 2006
(3) La commission internationale d’Attac France a organisé un séminaire en juin 2016 pour tenter de répondre à cette problématique.
(4) Voir les travaux de l’association Survie, membre fondateur d’Attac.
http://survie.org/