Accueil > Groupe Société-Cultures > Avenir de la planète & urgence climatique (essai de Claude Calame)

Avenir de la planète & urgence climatique (essai de Claude Calame)

AU-DELÀ DE L’OPPOSITION NATURE/CULTURE

jeudi 26 novembre 2015, par Groupe Société-Cultures

Au terme d’une brève et intense réflexion sur la représentation, des Grecs à aujourd’hui, de la nature et de la culture par la pensée, l’helléniste Claude Calame plaide pour une indispensable transition vers un écosocialisme altermondialiste.

À l’âge de l’anthropocène, les indispensables rapports des hommes avec leur environnement sont à concevoir non pas en termes de relations avec un écosystème
divinisé en Terre, mais comme interaction sociale avec des écologies modelées par les pratiques techniques et sémiotiques des hommes.

C’est au dix-septième siècle, notamment avec Descartes, que naît le concept moderne de « nature » : une nature-objet soumise à la raison de l’homme. Une tradition tenace, européocentrée, fait remonter l’idée de « nature », comme domaine à exploiter, au concept grec ancien de phusis. Dans cette mesure, elle l’oppose à l’idée de « culture ». Qu’en est-il au juste ? La question est stratégique au moment où l’urgence climatique exige de s’interroger sur l’impact des activités humaines sur une nature désormais envisagée comme éco-système. Quelles causes ? quelles conséquences ? quelle alternative ?

Qui dit culture grecque, dit culture éloignée, dans le temps et dans l’espace. Sans doute la différence culturelle exige-t-elle une approche anthropologique. Or une anthropologie des conceptions grecques antiques implique une approche critique de catégories historiques, dans leurs définitions indigènes. Mais, dans cette mise à distance, elle exige aussi un retour réflexif, par le regard oblique qu’elle induit, sur nos propres concepts. La phusis grecque donc, parfois opposée au nomos (la coutume des hommes), non seulement pour repenser l’opposition moderne entre « nature » et « culture » ; mais la phusis grecque surtout pour critiquer le paradigme qui est le nôtre, dans ses effets pratiques. Il s’avère en effet que l’idée de domination et d’exploitation de ce que nous avons constitué en nature est au cœur du modèle idéologique, économique et financier imposé par le capitalisme néolibéral qui désormais façonne et détruit aussi bien le monde des hommes que leur environnement.

Concept grec de « nature » entendue comme processus dynamique de développement d’un organisme ou du cosmos, et arts techniques que le héros Prométhée mis en scène par Eschyle propose aux hommes mortels pour animer leurs relations signifiantes avec leur environnement – cette double référence à la Grèce classique permet un retour réflexif sur la « nature » et la « culture » modernes. De manière sans doute inattendue, deux savoirs contemporains, développés en technologies de pointe, peuvent y collaborer : d’une part le génie génétique, d’autre part les sciences neuronales. En effet fondés sur plasticité et interaction, les principes épistémologiques à la base de ces deux savoirs permettent, en relation avec les principes interprétatifs fondant les techniques prométhéennes, de revisiter l’opposition devenue dangereusement traditionnelle : non plus la culture face à la nature, mais les relations interactives des communautés des hommes avec leurs milieux. Loin de constituer une nature objective qui peut être dominée par l’homme, l’environnement s’avère aussi indispensable à l’homme qu’il est configuré par lui.

À ce titre, constitué en milieu, l’environnement ne saurait être réduit à une nature dont l’homme pourrait utiliser les « ressources » pour un profit individuel devenu profit principalement matériel et financier. C’est dès lors le principe du productivisme et du profit fondant l’économie capitaliste qui s’effondre. À moins de conséquences destructrices aussi bien sur le climat que sur les populations les plus dépourvues, ni l’homme ni son environnement ne peuvent être envisagés en termes de ressources à exploiter. Il n’y a pas, d’un côté, une nature soumise passivement à la raison humaine et, de l’autre, une culture des hommes susceptibles, par leurs arts techniques, de tirer profit de cette nature inerte.

À l’âge de l’anthropocène, les indispensables rapports des hommes avec leur environnement sont donc à concevoir non pas en termes de relations avec un écosystème divinisé en Terre, mais comme interaction sociale avec des écologies modelées par les pratiques techniques et sémiotiques des hommes. Aussi bien l’urgence climatique que le caractère limité de ressources qui n’ont rien de « naturel » exigent la transition vers un écosocialisme altermondialiste. Ce passage exige de rompre avec un capitalisme destructeur d’hommes et d’environnements, en rétablissant, dans un sens anthropo-poiétique et éco-poiétique, l’interaction entre les sociétés des hommes et leurs milieux. Il en va de la survie des uns et des autres. En somme, la nature ne peut être que culture.


Claude Calame est directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales à Paris. Il a assumé des enseignements de langue et littérature grecques à l’université de Lausanne ainsi qu’à l’université d’Urbino et à Yale University. Des textes grecs envisagés dans leur dimension pragmatique, il propose une approche combinant anthropologie historique et analyse des discours. Le regard décentré qu’implique une telle perspective critique invite aux engagements politiques d’un praticien des sciences humaines sollicité par le présent – notamment sur la question de la fabrication culturelle et éco-sociale de l’humain et quant aux implications de la mondialisation néo-coloniale dans les discriminations dont demandeurs d’asile et migrants sont les victimes en régime néolibéral.

Parmi ses publications récentes : Masques d’autorité : fiction et pragmatique dans la poétique grecque antique (Les Belles Lettres, 2005), Pratiques poétiques de la mémoire (La Découverte, 2006), Identités de l’individu contemporain (sous la dir.) (Textuel, 2008), L’Éros dans la Grèce antique (Belin, 2009 [3e éd.]), Prométhée généticien (Les Belles Lettres, 2011), Mythe et histoire dans l’Antiquité grecque (Les Belles Lettres, 2011 [2e éd.]), Qu’est-ce que la mythologie grecque ? (Gallimard, 2015).

Editeur : Éditions Lignes
Prix : 14,00 € (disponible)
Format : 13 x 19 cm
Nombre de pages : 128 pages
Date de parution : 1er janvier 2015
ISBN : 978-2-35526-152-7
EAN : 9782355261527

Fiche éditeur  : http://www.editions-lignes.com/AVENIR-DE-LA-PLANETE-ET-URGENCE-CLIMATIQUE.html

Bon de commande
Acheter en ligne ou commander par chèque :
À l’ordre de « Nel SARL »
90 quai Guy de Maupassant
F-76400 Fécamp

Nom, prénom .....................................................................................................................
Institution ............................................................................................................................
Adresse ................................................................................................................................
...............................................................................................................................................
Code postal ........................................................................................................................
Ville .......................................................................................................................................
Pays ......................................................................................................................................
E-mail (facultatif) ...............................................................................................................
Quantité .................................................... exemplaires x 14 € (frais de port inclus)
Total ................................................................................................................................. €