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Arguments contre l’Etat d’urgence permanent (CL de la Réunion)

Murielle Mayer (formation juridique)

lundi 23 octobre 2017, par Martine Boudet

Le projet de loi du gouvernement "renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme" doit être soumis au vote de l’Assemblée Nationale ce mardi 03 octobre 2017.

Le projet de loi du gouvernement "renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme" a été soumis au vote de l’Assemblée Nationale le mardi 03 octobre 2017. Il a déjà été adopté en première lecture par le Sénat le 18 juillet 2017, soit pendant l’été, en un peu plus de 3 semaines.

Ce projet de loi qui vise à instaurer un état d’urgence permanent est dénoncé notamment par la majorité des syndicats de la magistrature comme particulièrement inefficace, dangereux et liberticide.

La présente note se veut une synthèse actualisée de l’excellente analyse du Syndicat de la Magistrature intitulée "Observations du Syndicat de la Magistrature sur le projet de loi antiterroriste".

1) Un projet de loi bientôt adopté selon la procédure accélérée

Source : "La procédure accélérée ou la regrettable normalisation d’une procédure dérogatoire"par Elina Lemaire, Maître de Conférence en Droit Public.

La procédure accélérée permet au gouvernement de faire adopter plus rapidement ses projets de loi par le parlement.
Jusqu’en 2008, cette procédure s’appelait la procédure d’urgence. Aujourd’hui et déjà dans la pratique avant 2008, le gouvernement n’avait pas à justifier d’une urgence particulière pour y recourir : il lui suffisait d’être simplement pressé.

Il s’agissait d’ailleurs d’une promesse de campagne d’Emmanuel Macron : la procédure d’urgence était destinée à devenir la procédure normale d’adoption législative afin d’accélérer le travail parlementaire. Ainsi entre mai et juillet 2017, 9 projets de loi parmi les plus importants sur 17 ont été adoptés selon la procédure accélérée.

En principe depuis la réforme du Parlement en 2008, le but était de laisser plus de temps aux commissions parlementaires pour examiner les textes. Par exemple, en temps normal, il doit s’écouler plus de 6 semaines entre le dépôt d’un projet de loi devant le parlement et sa discussion en séance. De même dans le cadre de la navette parlementaire, la seconde assemblée saisie ne peut discuter du texte qu’après un délai minimal de 4 semaines.
Dans le cadre de la procédure accélérée, le gouvernement n’est obligé de respecter aucun de ces délais minimaux d’examen.

C’est ce qui se passe pour le projet de loi sur l’état d’urgence permanent :
 le Conseil d’Etat n’a eu qu’une semaine entre le 7 et le 15 juin 2017 pour rendre son avis sur ce projet de loi. Pire il n’a reçu l’étude d’impact du projet longue de plusieurs dizaines de pages du gouvernement que le 15 juin, jour même où il devait rendre son avis. C’est ce qu’il déplore lui-même dans son avis.
 Le gouvernement a déposé le projet au Sénat le 22 juin et le Sénat l’a adopté en première lecture seulement 3 semaines après soit le 18 juillet 2017.

2) L’entrée de l’état d’urgence, régime en principe exceptionnel et limité dans le temps, dans le droit commun

L’Etat d’urgence est en principe exceptionnel et limité dans le temps. Il est instauré pour lutter contre les périls imminents et les calamités publiques.
Il a été créé par la loi du 3 avril 1955 pendant la guerre d’Algérie : il a permis aux autorités de réprimer les opposants au régime colonial.

En principe, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) doit contrôler que les conditions d’un Etat d’urgence sont réunies pour éviter que les Etats n’y recourent abusivement.
La France a considéré d’elle même que ces conditions pourtant très strictes étaient réunies, et a donc refusé ce contrôle de la CEDH.
La France a utilisé le prétexte de l’Etat d’Urgence (renouvelé 6 fois par le Parlement depuis novembre 2015) pour réprimer les militants écologistes lors de la COP21.

Le Syndicat de la Magistrature indique clairement dans son analyse sur l’Etat d’Urgence que celui-ci est inefficace contre le terrorisme. Il risque au contraire de multiplier les discriminations et aboutir à l’effet inverse : contribuer à radicaliser encore davantage la jeunesse.

Mais le gouvernement qui est pressé, souhaite à l’issue du 6ème renouvellement de l’Etat d’urgence, le rendre permanent et le faire entrer dans le Droit commun avant novembre 2017.
C’est le but de cette loi.

3) Un projet de loi particulièrement inefficace et liberticide

3.1 : Inefficace.....

Les chiffres sont sans appel pour démontrer l’inefficacité de l’état d’urgence contre le terrorisme :

 sur plus de 4500 perquisitions administratives, seulement 30 ont abouti sur des procédures antiterroristes.
 Entre les assignations à résidence et les interdictions de séjour, 400 personnes ont été privées de liberté : des militants politiques lors de la COP 21, se mobilisant contre la loi travail, des personnes assignées à résidence en raison de leurs pratiques religieuses. 35 personnes sont toujours à ce jour assignées à résidence, dont certaines depuis plus d’un an....
...Et tout ceci sans aucun indice grave ou concordant d’intention de commettre un acte de terrorisme.
Concernant les recours : ceux-ci ont peu de succès, car les décisions administratives s’appuient dans la majorité des cas sur les seules notes blanches des RG.

Seule la coordination sur le long terme entre les services de renseignement et le pouvoir judiciaire permet pour l’instant d’apporter une réponse efficace au terrorisme.

Ce d’autant plus que le Droit Pénal antiterroriste qui existe en France depuis 1986 est l’un des plus développés en Europe : il offre à la fois des garanties procédurales et des pouvoirs élargis pour prévenir les actes terroristes très en amont : pouvoirs accrus de la police et des RG, durées de garde à vue et de détention provisoire allongées, peines plus lourdes etc...°.

Enfin, les différents rapports des missions de contrôle parlementaire sur le suivi de l’état d’urgence, ont pointé l’inutilité des mesures de l’état d’urgence. C’est ainsi que Sébastien Pietrasantra, député, rapporteur de la commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015, a indiqué « Force est de constater que les mesures prises pendant l’état d’urgence n’ont pas été évoquées par les spécialistes de la lutte contre le terrorisme comme jouant un rôle particulier dans celle-ci ».

3.2 : Liberticide......

Voici ce qu’il devient possible de faire à chacun d’entre nous, sur simple comportement jugé suspect par les autorités administratives :

1- Les assignations à résidence :

Pour la première fois, l’assignation administrative à résidence entre dans le Droit commun permanent.
Jusque là cette assignation n’était prévue que pour les personnes revenant d’un théâtre d’opérations de groupements terroristes, pendant maximum 3 mois, sans qu’aucune infraction pénale ne leur soit reprochée.

Aujourd’hui le Ministre de l’Intérieur pourrait assigner à résidence :
 dans un périmètre déterminé (au minimum la commune)
 avec pointage quotidien (tandis que le Sénat prévoyait un maximum de trois fois par semaine),
 pour une période de 3 mois renouvelable. Le texte subordonne le renouvellement à « l’existence d’éléments nouveaux ou complémentaires », mais uniquement à compter de six mois, ce qui constitue une régression par rapport au texte sénatorial.
Il introduit toutefois une limitation à douze mois au total de la mesure, qui contraste avec la durée indéterminée précédemment contenue dans le texte. C’est un moindre mal, qui ne conduit toutefois pas à valider la mesure dans son principe.

Il suffit en effet d’un simple comportement jugé menaçant pour la sécurité et l’ordre public, ce qui a permis d’assigner à résidence des militants lors de la COP21.

De même sont concernées les personnes qui "entrent en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme". Ce peut donc être la famille, même si elle n’a rien à voir avec les activités terroristes de la personne concernée. Alors que faire partie de l’entourage d’une personne soupçonnée de terrorisme ne permet pas de considérer que l’on est soi-même radicalisé.

Les motifs d’assignation sont très vagues et ne présentent aucune garantie : soutenir ou adhérer ou faire l’apologie d’actes de terrorisme en France ou à l’étranger, y compris dans le cercle privé, peut donner lieu à une assignation à résidence.

La commission des lois de l’Assemblée nationale a ajouté la « diffusion » de thèses incitant ou faisant l’apologie du terrorisme au titre des comportements pouvant justifier la mesure. Cet ajout manifeste une confusion entre la matière pénale et la matière administrative : en effet, la diffusion de telles idées peut d’ores et déjà faire l’objet d’une réponse pénale sévère.
Cet ajout démontre le caractère absolument superfétatoire de ces mesures : si une infraction pénale existe déjà, pourquoi se refuser à utiliser cette voie, sauf à acter le choix d’une procédure dans laquelle les garanties manquent ?

-Le bracelet électronique.
Jusqu’à présent, le port de ce bracelet était réservé aux personnes condamnées pour les infractions les plus graves, sur décision du juge judiciaire.
Aujourd’hui ce port peut être décidé sans aucune infraction pénale : certaines personnes cèderont, car elles pourront être assignées à résidence à l’échelle du département et non plus seulement à l’échelle de la commune, et ne seront plus obligées de pointer quotidiennement. La technologie permettra un pistage continu de la personne quoi qu’en dise le projet de loi.

Le Gouvernement a réussi à réintroduire par amendement l’obligation pour la personne de déclarer tous ses identifiants électroniques exceptés ses mots de passe, mesure qui avait été supprimée par le Sénat. Cette mesure constitue un moyen, assumé dans l’étude d’impact, de contourner les dispositions juridiques existantes pour la surveillance numérique, en privilégiant une logique d’efficacité.

  L’interdiction de mauvaises fréquentations : Le Ministre de l’intérieur pourra interdire à chacun d’entre nous des contacts directs ou indirects avec des personnes désignées « dont il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité publique » (et non plus « dont le comportement est lié à des activités à caractère terroriste »). On observe ici l’effet du cumul de critères flous, liés à la personne assignée et plus encore à ses fréquentations. Pour ces dernières la référence est encore plus vague puisqu’elle vise la « menace pour la sécurité publique ». Ces personnes n’ont au demeurant aucun recours contre une telle mesure, alors qu’elle peut avoir des conséquences importantes sur le plan familial ou professionnel.

Il peut également nous obliger à déclarer notre domicile ou tout changement de domicile ainsi que nos déplacements hors de la commune et ce pendant 1 an.

La commission des lois a ajouté dans ce cadre une troisième obligation : celle de « ne pas paraître dans un lieu déterminé » hors domicile de la personne et en considération de sa vie familiale et professionnelle.
Cette interdiction de paraître, introduite par amendement, est présentée comme une « alternative à des mesures plus restrictives », l’assignation et le pointage.

Outre que la multiplication des facultés d’atteinte à la liberté d’aller et venir est préoccupante, le caractère moins contraignant est discutable, selon le périmètre défini, le texte ne fixant pas de bornes, hormis l’exclusion du domicile. Ces obligations peuvent être prononcées pour une durée de six mois, renouvelable. Le texte subordonne le renouvellement à « l’existence d’éléments nouveaux ou complémentaires », uniquement au delà d’une durée cumulée de six mois. Elle introduit toutefois une limitation à douze mois au total de la mesure, qui contraste avec la durée indéterminée précédemment contenue dans le texte. C’est un moindre mal, qui ne conduit toutefois pas à valider la mesure dans son principe.

Si les décisions concernant ces mesures doivent être écrites et motivées, et lorsqu’elles sont renouvelées, notifiées cinq jours avant leur entrée en vigueur, les conditions du recours ont toutefois été restreintes dans le texte de la commission des lois. Il n’est suspensif que s’il est formé dans les 48 heures de la notification de la décision (et non plus 72 heures). Dans ce cas uniquement, si la personne saisit le juge administratif d’un référé liberté, la procédure est suspensive jusqu’à la décision du juge. Pour la mise en place initiale de la mesure, la phase contradictoire est postérieure à sa notification, d’une durée de huit jours pendant laquelle la personne peut présenter au ministre ses observations. Il convient de noter que cette phase contradictoire n’est pas préalable à la décision et n’implique pas un véritable débat.

 Le délai de recours ouvert contre la décision d’assignation à résidence est raccourci : seulement à 1 mois au lieu de 2 mois habituellement en matière administrative.

Enfin, l’autorité judiciaire (Procureur de la République) est simplement informée de ces mesures prises par les autorités administratives.
Elle est ensuite invitée à lourdement sanctionner les personnes qui ne respectent pas les obligations administratives liées à ces assignations à résidence : Ainsi une personne peut être condamnée à 3 ans de prison et 45 000 euros d’amende sans qu’aucune infraction pénale n’ait été relevée contre elle !

2- Les perquisitions administratives :

La perquisition sera possible à votre domicile dès qu’il existera des raisons sérieuses de penser qu’un lieu est fréquenté par un terroriste. Ainsi de vagues suspicions et des dénonciations infondées seront suffisantes.

L’alibi du gouvernement est de dire que ces perquisitions auront lieu sur décision motivée d’un juge, le juge des libertés et de la détention (JLD) du TGI de Paris.

En réalité ce JLD n’aura aucun élément tangible pour prendre une décision aussi grave , aucune preuve tangible. Bien souvent il n’aura dans le meilleur des cas que les notes blanches des RG....

Une personne susceptible de fournir des renseignements sur les éléments présents sur le lieu de perquisition peut être retenue pendant 4 heures.
Le JLD du TGI de Paris en est simplement informé, sauf lorsque cette retenue concerne un mineur.

La commission des lois est revenue sur ce contrôle de la retenue par le juge des libertés et de la détention, au prétexte qu’un tel contrôle serait compliqué pour les perquisitions se déroulant en province. L’accord exprès est remplacé, sauf pour les mineurs, par une information. Quand bien même le JLD pourra y mettre fin à tout moment, il est improbable qu’un tel contrôle s’exerce.

La perquisition deviendra possible sans qu’elle soit en lien avec une quelconque recherche d’infraction pénale , sur simple suspicion de menace.

Le Sénat a sans doute trahi ses doutes sur les perquisitions administratives en ajoutant que celles-ci ne sont possibles que jusqu’au 31 décembre 2021, délai raccourci au 31 décembre 2020 par la commission des lois. En effet cette commission des Lois a considéré que le projet de loi devant être adopté début octobre 2017, une expérimentation de 3 ans suffisait.
L’application de cette expérimentation devra donner lieu à un rapport annuel du Gouvernement au Parlement.

3- La fermeture des lieux de culte

Le préfet pourra fermer les lieux de culte selon des motifs très larges :
apologie ou provocation à la commission d’actes de terrorisme, provocation à la violence.Ces provocations peuvent être déduites des :
propos tenus au sein de ces lieux ;
idées ou théories qui y sont diffusées ;
activités qui s’y déroulent.

La violation de cette décision administrative de fermeture constitue une infraction à la loi pénale (comme c’est le cas dans l’état d’urgence), la commission des lois a lourdement aggravé les sanctions encourues, portées de six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende initialement à 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Le motif de cet amendement est que la sanction pénale initiale n’était pas assez sévère pour lutter contre les réouvertures clandestines de lieux de culte.

Cette infraction pourra désormais non seulement relever de la comparution immédiate et de l’incarcération qui peut en découler, mais aussi d’une mesure de détention provisoire dans le cadre d’une information judiciaire. C’est l’argument qui a été soutenu à la commission des lois. Alors même qu’aucune infraction proprement terroriste, même celle d’apologie, n’aurait pu être retenue, il est ainsi envisagé que ces décisions servent de base à des privations judiciaires de liberté, pour le non respect d’une mesure administrative fondée sur des critères flous.

4- Les périmètres de protection

Le Préfet pourra instaurer des périmètres de protection pour tout lieu ou événement entraînant une affluence et soumis à un risque d’acte de terrorisme.

La suppression de la limitation de ce périmètre aux abords « immédiats » du lieu ou événèment à risque a été soutenue par le gouvernement au motif qu’il faudrait pouvoir créer des « zones tampons » permettant d’intercepter des véhicules avant qu’ils n’arrivent sur les lieux de l’événement, afin de prévenir des attentats du type de celui qui s’est produit à Nice. Cette affirmation interroge : en effet, en quoi la fouille du véhicule permettrait-elle d’exclure par principe ce type d’attentat ?
Dans ces périmètres, la liberté de circulation sera limitée et réglementée.

Ces périmètres pourront être instaurés pendant 2 mois maximum ( alors que jusque là la limite était de 24h).

Arbitrairement, les personnes pourront être fouillées au corps ainsi que leur véhicule, y compris dans les espaces publics.

Si la personne refuse de se faire fouiller, elle ne pourra pas accéder au périmètre de protection et pourra être "raccompagnée manu militari" en dehors de ce périmètre.

Le Maire pourra adjoindre aux OPJ et gendarmes des policiers municipaux. Seulement quelques heures de formation sont prévues pour les OPJ et aucune formation obligatoire n’est prévue pour les policiers municipaux.
Tous ces agents pourront même se faire assister par des agents de sécurité privés dans les espaces publics !

Le projet de loi permettra donc aux autorités administratives de contrer les manifestations et rassemblements de tous types.

5- Fichage intégral des passagers, surveillance électronique et contrôles aux frontières

Agences de voyage, transporteurs aériens et maritimes seront obligés de ficher tous les renseignements sur tous leurs passagers. Ces fiches seront conservées pendant 5 ans.

Les autorités administratives pourront surveiller les communications électroniques de tout un chacun sans véritable contrôle. Une simple commission de surveillance ne pourra donner qu’un avis simple préalable au Premier Ministre, sans pouvoir l’empêcher de recourir à ces surveillances.

Les contrôles d’identité aux alentours des gares et dans les zones transfrontalières pendant 12 heures au lieu de seulement 6 heures auparavant. Cela revient à rétablir un contrôle systématique aux frontières ou dans un rayon de 20 km autour d’une liste des ports et aéroports constituant des points de passage frontaliers, sur simple apparence des personnes.
Ainsi les agents des douanes peuvent "vérifier le respect, par les personnes dont la nationalité étrangère peut être déduite d’éléments objectifs extérieurs à la personne même de l’intéressé..." des obligations de titres de séjour.
Quels peuvent être donc ces éléments objectifs extérieurs ?

Cela contrevient clairement au principe de liberté de circulation des personnes en vigueur dans l’UE.

6- Les divers ajouts de la commission des lois de l’assemblée nationale

- Les structures de la prévention et lutte contre la radicalisation

La commission des lois de l’Assemblée nationale a édulcoré les obligations que le Sénat avait fait peser sur les structures intervenant en matière de radicalisation (reconnaissance d’utilité publique et délivrance d’un agrément, obligation de déclaration d’intérêts des dirigeants de l’association, applicabilité aux associations déjà constituées). Seules demeurent dans le texte des conditions tirées de l’octroi de subventions (conclusion d’une convention, production d’un compte rendu financier, dépôts et publication de ces documents), au motif que les exigences sénatoriales auraient été trop contraignantes.
En l’occurrence, s’agissant d’une matière à la fois sensible et qui a suscité un intérêt très large, de structures et d’organisations dont le fonctionnement a pu être décrié, il apparaît que les précautions imposées par le Sénat étaient pertinentes.

 Procédure d’enquête administrative et de radiation visant les agents publics et militaires

A l’initiative du gouvernement, une disposition nouvelle a été introduite par la commission des lois, qui vise à autoriser des enquêtes administratives concernant des agents publics en poste dont les missions relèvent de la souveraineté de l’Etat ou des domaines de la sécurité et de la défense.

Ces enquêtes administratives pour les agents en poste visent à «  s’assurer que le comportement des personnes physiques ou morales concernées n’est pas devenu incompatible avec les fonctions ou missions exercées, l’accès aux lieux ou l’utilisation des matériels ou produits ».
Sur la base de ces enquêtes et de l’incompatibilité qui en découlerait, des habilitations ou agréments pourraient être retirés ou abrogés après une procédure, voire même suspendus sans délai « en cas d’urgence ».

Si l’enquête administrative fait apparaître un comportement incompatible avec l’exercice des missions, il est possible :
d’écarter immédiatement l’agent public du service ;
de prononcer des mutations dans l’intérêt du service dans un autre emploi après une procédure contradictoire, tout en se réservant la possibilité, « eu égard à la menace grave qu’il fait peser sur la sécurité publique » de le radier des cadres, après avis d’un organisme paritaire.
La même possibilité est prévue pour les agents contractuels de droit public, et, dans des conditions un peu différentes, aux militaires de carrière et réservistes.

Ces dispositions contribuent à l’extension d’une procédure disciplinaire dégradée : en effet, rien n’empêche aujourd’hui de suspendre puis de radier un fonctionnaire qui serait mis en cause dans une procédure pénale pour sa participation à des infractions de nature terroriste (ou autre d’ailleurs). Ouvrir une possibilité de radiation sur la base de la seule « incompatibilité » du « comportement », deux notions floues, avec l’exercice des fonctions constitue une mesure absolument disproportionnée, susceptible d’être utilisée dans des situations bien éloignées de celles mises en avant par les promoteurs du texte (notamment contre des actions syndicales, qui ne sont étonnamment pas exclues).

Le délai pour saisir le juge administratif, puis pour l’appel et la cassation, est fixé à seulement quinze jours, ce qui constitue assurément un frein à l’accès au juge. Si ce recours est suspensif, il n’en demeure pas moins que le critère permettant de mettre en œuvre ces procédures et les éléments de preuve qui seront débattus devant le juge administratif ne constituent pas des fondements nécessaires et proportionnés.

4-Quels recours possibles ?

Les mesures qui étaient possibles dans le cadre de l’Etat d’urgence normalement exceptionnel et temporaire ne peuvent plus être contrôlées de la même façon quand elles deviennent permanentes.
Ainsi elles doivent donner lieu à un contrôle entier par le Conseil Constitutionnel, la CEDH et la CJUE (cour de justice de l’Union Européenne).
Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a d’ailleurs adressé aux sénateurs un courrier en indiquant que le projet de loi devait être mis en conformité avec la CEDH.

Pour l’heure, l’urgence est que 60 députés ou 60 sénateurs puissent saisir le Conseil Constitutionnel dans les jours à venir et avant la promulgation de la loi, afin que celui-ci puisse exercer un contrôle entier sur ce projet de loi liberticide.