Accueil > Groupe Discriminations-Démocratie > Mobilisations anti-racistes > Combattre toutes les formes de racisme (Catherine Samary)

Combattre toutes les formes de racisme (Catherine Samary)

Membre du Conseil scientifique d’ATTAC

vendredi 14 août 2015, par Martine Boudet

Racisme, antisémitisme, islamophobie, philosémitisme d’Etat – quels débats ?
La lutte anti-raciste est confrontée à des tensions entre deux exigences – sources de faux-procès et vraies divergences :

d’un côté, la dénonciation de toutes les manifestations racistes est un acte de cohérence indispensable : il n’y a pas de hiérarchie acceptable des victimes ;
mais, l’égalité souvent proclamée est contredite par des situations et traitements inégaux. Il est donc également nécessaire de développer des analyses concrètes et donc contextualisées, de l’évolution des diverses formes de racisme, de leurs causes, du statut de leurs victimes dans la société où l’on se situe – dans un contexte international également spécifié.
Il peut être nécessaire et légitime de s’impliquer dans des actions (campagnes) et associations “ad hoc” relevant de ce que l’actualité impose et/ou de ce que les un.e.s ou les autres perçoivent comme pas (assez) ou mal pris en compte. Cela n’est pas en soi une “preuve” de renoncement aux combats universalistes. Les suspicions sur ce plan deviennent vire injurieuses. Encore faut-il s’entendre sur les formes efficaces de réponses.

Or on se heurte à un éclatement de fait des luttes anti-racistes. Et il importe de prendre conscience de causes “positives” de dispersion et de tensions au sens où elles expriment des aspirations progressistes et non pas (ou principalement) une logique de concurrence des victimes :

1) l’organisation des populations directement concernées est de plus en plus ressentie notamment dans les jeunes générations de ces populations comme le moyen de sortir de l’invisibilité quasi honteuse de leurs parents, ou d’un statut “d’objet” de sollicitudes, certes “fraternalistes” mais aussi “civilisatrices” voire clientélistes vis-à-vis des pouvoirs et institutions dominants : “Touche pas mon pote !”, mais c’est moi qui décide ce qui est bon pour mon pote et qui parle à sa place. On n’imaginerait plus aujourd’hui des associations contre l’oppression des femmes qui ne soient pas largement dominées par des femmes elles-mêmes – même dans des cadres mixtes. Autrement dit, l’anti-racisme doit pouvoir compter sur l’auto-organisation des populations intéressé.e.s, comme “sujet” revendiquant, justement, l’égalité, notamment l’égalité de traitement contre les discriminations.

2) L’apparition de nouvelles formes de racisme dans des contextes évolutifs – et les retards ou tensions dans leur prise en compte par les organisations existantes, se traduit heureusement par l’apparition de formes de protestation et de défense ad hoc – cela a été le cas de l’islamophobie, ou des organisations de lutte contre les contrôles au faciès et la négrophobie. La prise en compte de ces organisations de terrain par l’Observatoire contre le racisme et la xénophobie est et sera essentielle. Mais c’est toute la société et ses organisations politiques, syndicales, associatives, qui sont concernées. Beaucoup d’agressions racistes sont loin d’être pleinement reconnues – notamment à cause des comportements des forces de police, et/ou de la position précaire des populations qui en sont victimes craignant d’aller porter plainte. La précarisation et la criminalisation des questions sociales sont des faits marquants produits par la mondialisations néo-libérale. Le racisme n’y est pas seulement une “idéologie” mais une modalité concrète de sélection dans l’accès à l’emploi, au logement, à l’école – à la dignité - qui affecte notamment les jeunes et les femmes. Des approches “territoriales” - dans les Cités et quartiers défavorisés – devraient intégrer toutes les facettes de ce qui est de plus en plus une ghettoïsation voire un quasi apartheid – un terme qui dans la bouche d’un Valls exprime le renversement des responsabilités et des causes et la tendance à la criminalisation des victimes.

3) la diversité des situations des populations racialisées/altérisées permet mal des formes d’actions unifiées sauf “protestataires” ou simplement “morales” : il faut une certaine “spécialisation” sur des segments de populations dont “l’histoire” (sur différents espaces et périodes), le statut légal et le traitement par les pouvoirs publics et dans la population en France, sont différenciées : des Rroms aux Sans-papiers, des populations dotées de la citoyenneté françaises mais ostracisées et discriminées aux Juifs socialement non discriminés mais subissent des violences antisémites – on a là autant de situations que l’on ne doit pas “noyer” dans une protestation “anti-raciste” abstraite. Nommer les problèmes, analyser leurs articulations visibles et cachées, trouver les causes... tout cela fait partie de la “politisation” des résistances nécessaire.

On peut en tout état de cause s’efforcer de réduire l’éparpillement par une mise en réseau des diverses associations anti-racistes afin d’exprimer, au moins, un “positionnement” solidaire croisé, de principe ; et pour faciliter des initiatives communes - en tout cas non rivales. Cela permet de ne pas supprimer l’autonomie nécessaire des diverses structures qui perçoivent souvent un cadre supposé unificateur comme hiérarchique et non égalitaire.

Telle est de fait la conclusion pragmatique la plus exprimée dans les réunions récentes aussi bien celle tirant le bilan de la manifestation anti-raciste du 21 mars, que celle du Forum “Reprenons l’initiative” du 9 mai (voir aussi l’appel http://www.liberation.fr/societe/2015/05/21/pour-un-antiracisme-politique_1313970) .

Mais on ne peut se contenter de ce constat – ni même seulement s’inscrire dans cette logique de réseau et d’orientation de principe contre toutes les formes de racisme. Il faut expliciter quelques sources principales de divergences et tensions et en débattre. Je voudrais le faire à partir de trois “entrées”.
A) L’islamophobie.
B) Racismes d’Etat, antisémitisme, philosémitisme d’Etat.
C) Autonomie, mixités et “communautarismes” ; relativismes et universalisme concret

A) De l’islamophobie.
Je ne reviendrai pas sur les mythes, maintes fois dénoncés, quant aux origines de ce terme supposé imposé par des courants intégristes voulant empêcher toute critique de leurs orientations. En tout état de cause, si de tels usages se manifestent, rien ne nous force à nous y soumettre et ils ne sont pas en soi suffisants pour disqualifier ce terme. Il en va de même de “antisémitisme” qu’il est juste de conserver tout en dénonçant son usage abusif pour disqualifier comme “antisémite” des actes et campagnes (comme BDS) critiques des politiques de l’Etat d’Israël. Comme le disent Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed dans leur livre Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le "problème musulman" : « L’enjeu à venir ne se situe plus dans la légitimité de l’usage de la notion d’islamophobie, mais plutôt dans la nécessité de la définir précisément, malgré ses imperfections, afin de limiter les risques d’instrumentalisation". Ils en proposent une définition opératoire : l’islamophobie désigne le « processus social complexe de racialisation/altérisation appuyée sur le signe de l’appartenance (réelle ou supposée) à la religion musulmane » (p. 20). Il n’est pas réductible à un racisme caché anti-Arabe mais est largement synonyme de “racisme anti-musulman”. Je voudrais insister d’abord sur ses spécificités par rapport à d’autres formes de racisme – puis discuter d’autres facettes de ce qu’on peut nommer “islamophobie” non réductible au racisme.

1°) l’islamophobie comme racisme anti-musulmans.

Une part du processus est associée à l’immigration maghrébine et au regroupement familial des années 1970 et au-delà, après le ralentissement de la croissance, On peut comparer ce racisme à celui auquel s’affrontèrent d’anciennes vagues d’immigration en France, contre des populations venues d’Italie ou de Pologne, par exemple : ce racisme-là, même s’il était initialement très violent, a pu se résorber plus rapidement que le racisme anti-musulman à la faveur a) du contexte économique facilitant l’insertion dans le salariat et le mouvement ouvrier ; b) du fait qu’il s’agissait de populations blanches et chrétiennes. Les tensions sociales et culturelles ont là des racines plus profondes qui bousculent le “mode d’intégration” antérieur.
Mais l’islamophobie comporte aussi des traits internationaux sous divers angles :
la thèse de “l’Eurabia” ou encore l’islamisation ou “invasion” de l’Europe par les Arabes/Musulmans, est véhiculée par divers intellectuels et courants d’extrême-droite – avec des déclinaisons nationalistes diverses. De nouvelles approches conspiratistes se substituent à celles qui se rattachaient à l’antisémitisme dans les années 1930. Anders Behring Breivik, qui a commis les attentats de Norvège en 2011 se revendique de cette théorie d’Eurabia dans son manifeste politique. En France le site “Riposte Laïque” propage cette théorie dont on peut encore trouver le 28 mai l’horrible illustration qui ne suscite aucune réaction : que produiraient pareilles caricatures en remplaçant musulmans par juifs ?
Au plan géo-stratégique, c’est le “communisme” qui, après la fin de la “guerre froide” a été remplacé par le “terrorisme islamique” réel ou présumé, pour légitimer les nouvelles pseudo “guerres de civilisation” et criminaliser des résistances – notamment palestinienne. Cette dimension islamophobe a été renforcée après le 11/09/2001 et depuis la victoire du Hamas. Quelles que soient les divergences avec ce dernier, son traitement comme “terroriste” et non comme composante (élue) d’une résistance palestinienne n’est âps acceptable. Elle marque aussi un basculement de parties importantes des Juifs vers le sionisme – je l’ai vécu dans ma famille politique et personnelle. Y résiste le Réseau Juif International Antisioniste (IJAN International Jewish Antizionist Network) avec, en France, l’UJFP (dont je suis membre) – organiquement impliquées dans les campagnes contre l’islamophobie – j’y reviendrai.
L’islamophobie raciste (comme d’ailleurs l’autre composante, anti-religieuse) est évidemment confortée par la réalité internationale oppressive des régimes dominants du monde musulman, des courants intégristes et djihadistes violents. L’islamophobie raciste présente ces réalités comme une “essence” incontournable de l’islam – donc des musulman.e ;s soumis à d’incessantes “injonctions” sourdes à la diversité des situations et positionnements musulmans - la thèse de la “dissimulation” conforte celle d’une seule et “vraie” nature de l’islam., supposée incompatible avec la démocratie et la laïcité.

Un des traits majeurs de cette islamophobie, depuis 2001 (11/09) est que tout affichage par un.e musulman.e de son identité religieuse – dans une association musulmane, ou par le port du foulard, ou encore avec la construction de minarets – est largement interprété (dans toutes les familles politiques) comme offensive prosélyte et “’islamisme” - terme de surcroît largement identifié à “intégrisme” - voire à “fascisme vert”.

Or, l’un des effets du climat islamophobe postérieur au 11/098, est la montée d’une affirmation identitaire rejetant le stigmate (comportement d’appropriation/renversement du stigmate que l’on rencontre dans de multiples autres cas – homophobie, xénophobies diverses) sans que cela indique nécessairement l’adhésion à un courant de l’islam politique etr encore moins à sa variante djihadiste violente. Il s’agit souvent de ce que le sociologue Abdellali Hajjat appelle un “repli d’ouverture” visant à s’imposer collectivement pour être reconnu dans sa diversité complexe et riche et respecté sur des bases égalitaires. Il se distingue à la fois des comportements d’adaptation clientéliste à l’image requise de “musulman.e.s modéré.e.s” ou invisibles ; mais aussi aux “replis de fermeture”, refusant au contraire toute intégration dans une société non musulmane globalement rejetée et visant à “faire société” à part, de façon pacifique ou violente : c’est en France le fait de courants dits salafistes, très minoritaires.

En pratique, l’essentialisation des musulman.e.s“visibles” consiste en fait à traiter de “communautarisme” (au sens de “replis de fermeture” de type salafistes) tous les comportements et pratiques de religiosité “affichée” - dont le port du foulard est le prototype. Avec l’hypothèse fantasmée – et appuyée sur les approches littéralistes considérées comme générales à l’islam – qu’il s’agit partout et toujours d’une contestation de la laïcité et des droits des femmes (et des homosexuel.les). Dès lors, les réactions à cette nouvelle visibilité de l’islam sont au croisement des deux facettes de l’islamophobie – la facette anti-religieuse (ou laïciste, renvoyant la religion en général et l’islam en particulier à la stricte sphère privée, supposée “invisible”) étant prédominante dans les milieux se revendiquant de l’ “émancipation”. Je reviens sur ce point plus loin.

Pour conclure ce premier point : il ne faut pas réduire le racisme islamophobe à un racisme anti-arabe – non seulement parce que tous les Arabes ne sont pas musulmans mais aussi parce que tous les musulmans sont visés - Arabes ou pas. Je rejoins en grande partie la contribution traduite ici en français L’islamophobie et les théories critiques du racisme | Période. qui fait utilement le tour de bien des débats menés “ailleurs” - mieux et plus à fond - qu’en France sur l’analyse des avantages et inconvénients de cette notion d’islamophobie. Dans sa dimension raciste, cette formulation peut être remplacée par son synonyme : “racisme anti-musulmans”.

Mais cela n’épuise pas le débat, car il est utile de souligner le problème posé par la façon de traiter l’islam – il n’est guère satisfaisant d’assimiler cette facette (anti-religieuse) du débat à du racisme, même si le racisme peut se cacher derrière la rejet de la religion. Je voudrais souligner que l’islamophobie non raciste anti-religieuse est très criticable du point de vue de ce dont elle se réclame - les combats émancipateurs. Et c’est poruquoi il importe de la discuter, ce que ne permet pas du tout sa caractérisation comme “raciste”.

2°) L’islamophobie non raciste : la peur des religions, de l’islam en particulier – notamment sous l’angle laïque et féministe.
Depuis plus de dix ans, je persiste à dire dans toutes les associations où je milite concrètement contre la loi de 2004 ou/et le rejet des filles voilées – que l’islamophobie n’est pas réductible au “racisme anti-musulmans” même si celui-ci est réel et urgent à combattre. Mes remarques suscitent toujours quelques sarcasmes : se faire tuer par une balle “de gauche” n’est pas mieux que par une balle “de droite” - me dit-on en substance comme si je voulais distinguer en fait un “racisme de gauche” qui serait moins grave qu’un “racisme de droite”...
C’est un contre-sens et une simplification que je veux commenter ici.

D’une part, je ne nie pas la possibilité d’une perméabilité des organisations de gauche au racisme (sexisme, homophobie). Et quand ces cas sont avérés, ils sont à mes yeux plus graves – et non moins graves – que ces mêmes comportements dans des organisations de droite. Par contre, on peut s’appuyer sur l’idéologie officielle dont se réclame la gauche pour les combattre, voire exclure.

Mais ce n’est pas le sujet ici : je me préoccupe de l’existence d’une islamophobie – une peur de l’islam - non raciste : autrement dit les mêmes personnes (islamophobes) sont en même temps impliqué.es dans des luttes communes ou des solidarités anti-racistes concrètes avec des Arabes, Noirs ou autres – lorsqu’il n’y a pas d’enjeu religieux. Cette islamophie partage avec le racisme anti-musulman une essentialisation de la religion – et c’est pourquoi les frontières entre elles sont poreuses. Mais toute essentialisation n’est pas du racisme – même si elle est criticable : essentialiser les adeptes d’un courant de pensée - le marxisme ou le féminisme par exemple – signifie une simplification et ignorance (qui peut être arrogante) envers les courants en question, gommant les différentes facettes de l’analyse, les évolutions, contextes, contradictions et la diversité interne aux associations correspondantes. Mais confondre une telle approche erronée avec un racisme serait absurde. L’’essentialisation de la religion et des courants religieux peut relever de cette même démarche erronée. Elle n’est en rien fatale à l’athéisme, et je soutiens qu’elle n’est pas “rationnelle”, même du point de vue de la critique des religions - relevant d’une “phobie” qui généralise des traits (réels) négatifs ;

C’est pourquoi l’usage de la notion d’islamophobie est pertinente également dans ce cas, ainsi que la nécessité de combattre ces approches – d’autant plus qu’on passe facilement de l’une à l’autre des facettes évoquées. Autrement dit, même sincèrement non raciste, l’islamophobie est un obstacle à un jugement rationnel et contextualisé des diverses déclinaisons de l’islam, et au-delà, des religions ; elle implique un sectarisme dogmatique et néfaste envers les croyant.es – ce qui est un affaiblissement des combats possibles et nécessaires avec les croyant.es contre les intégrismes de tous bords et contre l’ordre mondial et ses rapports d’oppression.

On peut être soi-même maghrébin.e, ou “blanc.he”, anti-colonialiste et se battant avec des maghrébin.es pour leurs droits, ici et là-bas, tout en étant islamophobe – c’est- à-dire en assimilant l’adhésion affichée à l’islam à un “’islamisme” politique globalement rejeté. C’est un comportement théorisé de façon “savante” à partir de citations “démontrant” l’aspect “englobant” de l’islam, supposé anti-laïque, ou anti-démocratique, comme des formules du type “le Coran est notre constitution”. C’est aussi une posture “éradicatrice” des religions très présente dans une certaine composante de l’anarchisme, du féminisme et du marxisme – quelles que soient les couleurs de peau et les pays d’origine. Ces positions sont nourries en France par le radicalisme islamophobe de militant.e.s (ou intellectuel.le.s médiatisé.e.s) d’origine ou culture musulmane, ayant eu une partie de leur vie marquée négativement (parfois très brutalement) par la religion et ses courants intégristes, en France, au Maghreb ou ailleurs – là encore, indépendamment de la couleur de peau.

L’essentialisation de la religion se double de celle du voile, “symbole d’oppression” dont le sens “immanent” est supposé plus puissant que le sens particulier que lui attribuent les femmes qui le portent, dans des contextes variés... Pire, bien que ces femmes soient donc supposées victimes d’oppression, ce sont elles qui sont pourtant stigmatisées et rejetées. Elles deviennent coupables de porter un foulard quoi qu’elles disent, pensent et fassent : il n’est donc même pas nécessaire de les connaître pour découvrir par le dialogue et l’expérience ce que sont leurs orientations réelles : on “sait”, il n’y a rien à découvrir. Le voile parle pour elles. Elles sont déshumanisées ou traitées en mineures..

Dès lors, les “islamogauchistes” défendant ces femmes voilées contre les discriminations et agressions qu’elles subissent sont suspecté.e.s de faire preuve, au mieux, de naiveté, voire de complaisance ou de renoncement à la critique des religions (et du “voile oppresseur”), au nom d’un “ennemi principal” impérialiste ou raciste, qui les conduirait à “renoncer au féminisme”. Même si la logique de “l’ennemi principal” existe, il est simpliste voire peu honnête, de réduire le débat à ce type de positions. D’autant qu’il est absurde d’estimer comme non féministe la défense de l’accès de femmes à l’éducation publique ou au travail, droits essentiels pour l’émancipation des femmes, avec ou sans voile... Refuser d’être “contre” le port du foulard et contre le rejet des femmes qui le portent est présenté de mauvaise ou bonne foi comme un combat prosélyte “pour” le foulard, et indifférent au sort des femmes qui se battent pour ne pas le porter. - en dépit des plates-formes explicites des fronts constitués.Cf..http://blogs.mediapart.fr/blog/catherine-samary/020111/lutter-contre-lislamophobie-et-contre-tous-les-integrismes La plateforme du CEPT (Collectif une Ecole Pour Tou.te.s) et du CFPE – Collectif des féministes pour l’Egalité – en 2004 - mettait l’accent sur le choix des femmes, contre le voile imposé et contre l’’obligation de l’enlever.

Rien de cela n’implique de croire que les choix sont “libres” de toutes pressions et contraintes. Mais l’émancipation des êtres humains passe par l’autonomie de leurs choix et des compromis qu’ils/elles intègrent entre de multiples facettes de leur existence : des solidarités à géométrie variable se nouent (solidarités de genre, de classe, d’origine, de famille...), et nul.le ne doit imposer une hiérarichie normative et unique (figée, quel que soit le contexte), par dessus le choix des intéressé.e.s..

Depuis le début du Xxè siècle la gauche française est divisée dans sa perception du rôle de l’Etat et de la laïcité : une partie attend de celui-ci qu’il éradique la religion (ou la renvoie à la seule sphère privée) ; elle considère la religion comme antagonique aux combats d’émancipation et tend à identifier la laïcité à une “idéologie” athée – alors qu’une autre partie, ne partage pas cette approche. La première composante est convaincue que les musulmans fidèles à leur religion sont nécessairement homophobes et attachés à la “division sexuelle” des tâches domestiques – et de surcroît au fond défenseurs de l’ordre existant “créé par Dieu” ? ; il s’en suit un combat politique pour des partis athées et une laïcité transformée en idéologie “anti-religieuse”. Cette interprétation fait fi des combats pour la justice sociale sur Terre et des composantes aussi bien féministes qu’homosexuels parmi tous les croyant.es (et leurs conflits avec les hiérarchies religieuses et avec les courants intégristes). En tout étant de cause, une démarche matérialiste et concrète, impose de prendre en compte la diversité des facteurs qui jouent sur les prises de position et évolution de chaque individu et qui traversent et divisent les communautés religieuses. Il n’est pas plus “évident” de savoir où se situe politiquement et sous l’angle féministe une femme portant le foulard, en France, aujourd’hui – que de juger où se situe une femme ne portant pas de foulard … ou, d’ailleurs, un barbu.

Je me suis opposée avec d’autres camarades (dans la LCR ou le NPA) à une conception athée de l’organisation politique anti-capitaliste où je militais – sur un terrain politique et programmatique : contre l’athéisme du programme et en défense de la laïcité et de tous les combats émancipateurs,sans préjuger des choix des croyant.e.s. J’estime qu’il est profondément contestable et dommageable aux combats émancipateurs d’introduire des barrières à priori contre ceux et celles qui s’engagent dans les combats politiques en voulant assumer une cohérence – qui est la leur - avec leur interprétation de leur religion. Mais c’est évidemment encore plus vrai, largement, sous l’angle de la défense des droits civiques à l’école et au travail – en cohérence avec l’esprit de la loi de 1905 concernant la séparation des religions et de l’Etat. La laïcité n’est pas anti-religieuse. Et la lutte contre l’ordre existant et ses rapports de domination divise les athées comme els croyant.e.s.

Il s’agit de débats politiques essentiels – qui se confrontent évidemment à un lourd héritage de violences des intégristes et dictateurs islamistes contre les courants marxistes - accompagnées de visions caricaturales de l’athéisme et du marxisme comme relevant du “darwinisme social” et de l’immoralité, ou encore identifiés au stalinisme, dans la majeure partie des pays et courants musulmans. Mais nous sommes dans une période historique où les grandes philosophies universalistes – qu’elles se réclament des Lumières, de la religion ou du marxisme – peuvent faire l’objet d’une actualisation sur la base des contestations internes/externes, sans que nulle part on ne puisse évacuer les pages noires du colonialisme et de l’esclavage, du stalinisme ou des pires violences obscurantistes intégristes. Ce qui est parfois appelé “crise” ou “fin des idéologies” peut être la condition pour des mises à plat sur les causes des écarts considérables entre les principes (et “utopies concrètes”) qu’elles comportaient et réalités historiques faites d’oppressions.

En conclusion sur ce point , deux remarques :
Les discours des Zemmour, et autres Finkielkraut ou émanant du FN et des courants d’extrême-droite au plan international, forcent à une prise de conscience de la réalité du racisme anti-musulmans. Ce ci est vrai notamment pour les anti-fascistes et anti-racistes … islamophobes (même si leur défiance envers la religion persiste). Cette combinaison doit être reconnue parce que l’hostilité envers les religions (comme celle des croyants envers les “matérialistes”) fait partie du débat légitime. Ce qui n’est pas acceptable, c’est, quelques soient les divergences sur la religion, la tolérance envers les inégalités de droits et envers des violences constatées à l’égard des femmes voilées. ; ou encore la fermeture aux débats et combats communs avec les croyant.e.s notamment avec des femmes portant le foulard, dans les rangs mêmes de nos associations.

Enfin, il faut discuter comment combiner le combat contre l’islamophobie en tant que racisme et celui contre tous les racismes - sans noyer l’islamophobie (la faire disparaître sous des formulations “anti-racistes qui ne luttent pas concrètement contre le racisme anti-musulmans), ni l’isoler des autres combats..

B) De la distinction des diverses formes de racisme – racismes d’Etat, antisémitisme, philosémitisme

1) Il ne faut pas se tromper de débats et mener de fausses polémiques : il ne s’agit nullement d’établir et d’accepter une hiérarchie des victimes. Au contraire, il s’agit de dénoncer les deux poids deux mesures, les omissions majeures et/ou des hiérarchies “officielles” dans le traitement des victimes. On ne peut non plus mener de lutte efficace sans analyse concrète et contextualisée de l’évolution du racisme – et de ce que subissent les nouvelles générations d’immigré.es, post-coloniales. Là encore faire cette analyse (qui concerne les années 1970 à nos jours), n’implique pas que tous les racismes relèvent de cette “grille” post-coloniale – comme en témoignent le cas des Roms mais aussi la montée du racisme islamophobe à l’échelle internationale, dans des contextes qui peuvent ne pas être (comme en France) “post-coloniaux”.

Alors que toutes ces questions devraient être légitimement débattues sérieusement, la démarche du PIR, qui les a mis au coeur de sa propre définition (dans le contexte de tensions majeures divisant la gauche notamment autour de la question du foulard islamique), a produit des polémiques et interprétations fort éloignées d’un débat rationnel. Il faut mener celui-ci, sérieusement, et avec les militant.e.s du PIR.

2) Au plan politique, la distinction entre racisme d’Etat et racisme populaire est évidemment essentielle pour cerner des responsabilités particulières “d’en haut” et des revendications spécifiques contre des discriminations. N’est-il pas de notre devoir de combattre en premier lieu ce qui est le plus “institutionnel”, ancré dans les appareils d’Etat et les politiques gouvernementales ? Parler de “racisme d’Etat” - en France, contre les Noirs, Arabes, Roms, Musulmans – n’implique pas une identification de la France des années 2000 à celle des colonies, ou de supposer que le statut des Noirs, Musulmans ou Roms est celui des Indigènes de ce temps-là - ou celui des Noirs de l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid ou encore aux Etats-Unis, à différentes périodes. Il n’implique pas non plus de réduire toutes les formes de racismes au racisme d’Etat.

Mais la notion de racisme d’Etat souligne la persistance en France, d’une part d’un passé colonial non éradiqué. Il se manifeste dans les appareils d’Etat - en premier lieu la police et ses comportements ; mais aussi la justice expéditive concernant certaines catégories sociales ; dans les discours officiels, les projets de lois sur “les bienfaits de la colonisation”. Mais on peut aussi ce cerner dans des politiques néo-coloniale (comme les expéditions militaires de la françafrique). Voir aussi les analyses de Mireille Fanon-Mendès-France quant à la situation des “départements” d’Outre-Mer, au statut réel de Mayotte qui fait l’objet depuis 1974 de rappels à l’ordre de la France ou quant à la situation en Haïti (qui mériterait un audit de sa dette – largement illégitime et “odieuse”). Releve aussi d’une politique d’Etat officielle le traitement des Rroms et des demandes d’asile – de plus en plus restrictives ; les discours officiels... Ce sont des enjeux majeurs pour la gauche française, sur lesquels elle est loin d’être homogène, dans son passé et son positionnement présent.

Plus généralement il faut analyser comme pour les femmes et les catégories sociales défavorisées en général, l’écart entre principes dits républicains et laïques, d’une part et réalités pratiques, de l’autre envers des populations immigrées ou présumées telles (on reste “immigré” éternellement dans la perception dominante, quant on n’est pas blanc et catholique - ou, aujourd’hui, juif). Le contenu “racialisé” des discriminations sociales évolue – bien que l’absence de statistiques “ethniques” en France noie cette réalité, les études ne manquent pas.

Ces analyses permettent de souligner la “permissivité” que le racisme d’en haut élargit dans les médias et “en bas”. Dans les populations – notamment les plus défavorisées où se manifeste des comportements racistes, sexistes, homophobes, nous devons les combattre, mais cela relève d’une action politique différente, et visant à renforcer des fronts de lutte contre un système qui divise pour régner. Il ne s’agit pas de “complaisances” . Mais les discriminations viennent d’abord du système.

3) De la situation des juifs à la réalité du “philosémitisme d’Etat”.
La distinction des diverses formes de racisme dans leur évolution contextualisée, impose évidemment quelques constats :
les juifs en France ne subissent plus aucune discrimination, comme tels, dans aucun domaine - au plan professionnel, des institutions de pouvoir, des logements, etc ;
Cf. Le dernier rapport du CNCDH (Comité national consultation sur les droits de l’Homme) sur le racisme, l’antisémitisme, la xénophobie, dont un article de Médiapart rend compte.
Le sentiment que les juifs sont « des Français comme les autres » était partagé par un tiers des personnes interrogées par l’institut de sondages Ifop en 1946. Il l’est aujourd’hui par 85 %, soit une proportion supérieure de 20 points à celle observée pour les musulmans. L’idée que les juifs forment « un groupe à part » est partagée par 28 % des personnes interrogées, proportion largement inférieure à celles observées pour les Asiatiques (37 %), les Maghrébins (38 %), les musulmans (48 %), les gens du voyage (80 %) et les Roms (82 %).
Les juifs sont donc désormais très massivement perçus comme “Français” - ce qui n’est pas le cas des populations issues du Maghreb et de l’Afrique noire et des Roms. La perception des populations asiatiques est sans doute intermédiaire et il n’est pas impossible qu’elles subissent des agressions avec possibles connotations racistes, en fait parce que “riches” de la part des populations les plus mal loties.

Ce point rejoint un antisémitisme populaire “classique”, marginal mais réel et qui peut croître avec la crise, contre les “nantis”. Les analyses citées ci-dessus, observent une persistance des stéréotypes liés au pouvoir et à l’argent dont sont victimes les juifs.

Enfin, on constate la croissance d’un antisémitisme aux frontières poreuses avec l’antisionisme, explicité par les discours et analyses de Soral et Dieudonné ; il peut se traduire par des actes violents et des assassinats - donc plus difficile à combattre que des discriminations ;

Mais il faut constater un fait : tous les actes antisémites ou présumés tels, sont immédiatement et largement plus médiatisés et condamnés par les sphères dirigeantes de l’Etat que toutes les autres formes de racisme ; il ne fait aucun doute que le traumatisme et la culpabilisation concernant la Shoah joue sur ce fait, mais de façon profondément contre-productive : il suffit de rappeler l’odieuse injonction du " devoir de mémoire" prônée aux classes de CM2 par Sarkozy en 2008, Je renvoie sur ce plan pour mémoire à l’excellent dossier de la Commission Nationale du Débat Public” - CNDP, qui montre la multitude des réactions horrifiées contre ce que l’historien Henry Rousso qualifiait de « marketing mémoriel ».

Le soutien à la politique d’Israël et la participation de responsables gouvernementaux aux dîners du CRIF – notamment sans aucune critique des discours stigmatisant les jeunes musulmans des quartiers populaires – sont autant d’ingrédients qui s’ajoutent à ce qui précède, pour constituer ce que l’on peut appeler un “philosémitisme d’Etat. Houria Bouteldja n’était pas la première à analyser, en ces termes, cette réalité, dans un texte récent qui a fait polémique - non sans souligner, à juste titre, ses ambiguités antisémites. En 2007, notamment, Yitshak Laor avait écrit sur ce thème un ouvrage - Le nouveau philosémistisme européen – et le “camp de la Paix” en Israël - publié aux éditions La Fabrique. Et cette thématique est développée de façon très argumentée par Rudolf Bkouche sur le site de l’UJFP : http://www.ujfp.org/spip.php?article4117

Mais il faut distinguer ce qui s’intègre à l’analyse et ce que l’on exprime en “mots d’ordre” .
Lors de la manifestation du 21 mars contre tous les racismes et pour l’égalité réelle, le PIR distribuait un tract dont le titre était : “Non au(x) racisme(s) d’État, non au philosémitisme d’État !”.
L’analyse reprenait la substance de ce qui était évoqué plus haut, et que l’on peut partager. Ce tract vaut au PIR une attaque du MRAP qui le qualifie d’ “antisémite”. C’est injuste, et j’espère que le MRAP reviendra à un débat plus fondé (Cf. Le message d’IJAN aux Dix ans du PIR).

Mais “Non au philosémitisme d’Etat” n’est pas, ne peut pas être un “mot d’ordre” (ou un titre de tract) clair :
il peut s’entendre comme les thèses conspirationnistes antisémites – alors qu’il s’agit de dénoncer la politique concrète menée envers l’Etat d’Israël ;
il peut également s’entendre comme s’il s’agissait de demander l’arrêt de la dénonciation par l’Etat de l’antisémitisme – alors qu’il s’agit d’exiger l’égalité de traitement de tous les “devoir de Mémoire” envers toutes les pages noires du passé, notamment esclavagiste et colonial, et l’égalité de traitement et de dénonciation de toutes les formes de racisme – que l’islamophobie, le racisme anti-Roms, Noirs, Arabe, soit autant dénoncés que l’antisémitisme
Le terme “philosémitisme” n’est guère utile que dans le cadre d’analyses qui disposent de temps et d’espace pour s’expliciter (ce qui n’est pas le cas d’un tract) – et la dénonciation des politiques menées doit se faire et s’entendre au nom du traitement égal de tous les crimes passés et présents – en dénonçant ceux-ci, quels qu’ils soient.

Le choix du PIR de le mettre en titre et mot d’ordre n’est pas “neutre” et maîtrisable. Cela révèle un embarras - que je trouve légitime et que nous avons en fait partagé tout un temps : comment traiter l’antisémitisme au sein des populations elles-mêmes discriminées – et où l’antisionisme bascule vers l’antisémitisme ? Dans une déclaration, le PIR a clairement pris position contre les dérives et délires antisémites soraliennes de Dieudonné. Mais l’embarras demeure. Il est commun à tous ceux et celles qui combattent et dénoncent le racisme d’Etat de Valls, ont été solidaires de Dieudonné contre une censure à deux vitesses et contre un racisme anti-Noir, mais qui ne peuvent accepter pour autant son adhésion aux thèses de Soral et Faurisson. S’il prend position clairement sur son site, dans une manifestation appelée contre tous les racismes, le PIR ne veut pas se couper de la base Indigènes chez qui Dieudonné est très populaire. La dénonciation du “philosémistisme d’Etat” peut “parler” à ces populations – mais qu’entendent-elles ? Que retiennent-elles du titre ? Un “mot d’ordre” qui va dans le sens du poil, et qui fait progresser quoi ?

Les thèses négationnistes antisémites et les crimes anti-juifs, de même que le racisme anti-Noir.e.s parmi les Arabes – ou le racisme anti-Rroms dans les populations elles-mêmes discriminées - doivent être dénoncés comme tels. Cela, pour des raisons évidentes de cohérence politiques et éthiques ; et parce que ces racismes divisent les dominés et consolident un système oppresseur – il ne faut pas se tromper de cibles. Et les mensonges du négationnisme de Faurisson doivent être combattus non pas parce qu’il est “blanc”, mais parce qu’il est indigne de croire ces mensonges criminels.

Par contre, il est juste – et ne concerne pas seulement le PIR - de ne pas considérer Valls comme légitime pour dénoncer le racisme, et d’essayer de tourner Dieudonné vers Fanon – plutôt que vers Faurisson, comme le conclut un texte du PIR à ce sujet. Mais les idées progressistes sont de toutes couleurs.

Dans son discours aux dix ans du PIR, Houria Bouteldja dénonce les attentats désastreux accomplis par des “Indigènes” et cite une parole d’un Noir à propos des Blancs :
 « Ils sont enfants de Dieu tout comme nous. Dieu nous le dit nettement. Nous devons les aimer. Voyons, si nous les détestions, nous nous rabaisserons à leur niveau (…). Si l’on cessait de les aimer, c’est alors qu’ils seraient les vainqueurs. Ils auraient achevé la destruction de notre race, d’une manière certaine. Ils nous auraient fait toucher le fond ».
Mais s’agit-il d’aimer les Blancs ? Ou plutôt de ne pas les essentialiser, au point de ne plus voir l’humain sous la peau, et avec lui, les différenciations politiques et sociales, et la part d’’universel dans certains combats ?
Aimé Césaire l’exprimait :
Nous n’avons jamais conçu notre singularité [la négritude] comme l’opposé et l’antithèse de l’universalité. Il nous paraissait très important, en tout cas pour moi, de poursuivre la recherche de l’identité. Et, en même temps, de refuser un nationalisme étroit. Notre souci a toujours été un souci humaniste et nous l’avons voulu enraciné. Nous enraciner et en même temps communiquer
Aimé Césaire http://www.unesco.org/culture/aic/echoingvoices/aime-cesaire-fr.phpS

L’ ethnicisation des relations sociales doit être analysée pour être dénoncée ; de même qu’on ne peut mettre sur le même plan les nations dominées et les nations dominantes – et qu’il faut pouvoir “nommer” des contenus “racialisés” - face à la négritude, la blanchité ; ou encore les comportements “petits blancs” ou “grands blancs” par analogie aux formulations de Lénine (et oui) qui dénonçait en Russie les comportements “Grand’ russes” d’oppression des nationalités non russes.

Mais on ne doit pas tomber dans l’essentialisation des peuples et nations au plan de l’analyse générale. Donc il faut préserver, contre l’essentialisation “ethnicisée” les débats et catégories politiques, à dimensions universelles. C’est un débat complexe à mener.

3° CONCLUSION RAPIDE / Luttes autonomes - luttes mixtes, relativisme culturel ou universalisme ?

L’articulation de divers types d’association est nécessaire au combat anti-raciste comme féministe. L’autonomie et l’auto-organisation des communautés opprimé.e.s n’impliquent pas un renoncement à des combats mixtes et universels – même si aucune forme d’organisation n’exclut en elle-même diverses dérives “essentialistes. On se confronte à celles-ci tout autant dans les approches dites universalistes que “communautaristes”. Il faut garder la conviction à la fois que “l’émancipation des femmes, voilées ou pas, des nations, des prolétaires… sera l’oeuvre des femmes, nations, prolétaires eux/elles-mêmes”, d’une part ; et tout aussi importante, la conviction que tous les combats contre les oppressions et discriminations sont “universalisables” - pour reprendre une formule d’Abdellali Hajjat.

Comme évoqué plus haut, on peut reprendre avec Abdellali Hajjat la distinction entre“replis de fermeture” et les “replis d’ouverture” : l’affirmation “identitaire”, comme dit dit aussi Frantz Fanon, peut être conçue et être comme un “passage” vers des cadres de luttes mixtes (dans tous les sens du mot) égalitaires – parce qu’aussi les individus sont insérés eux-mêmes dans des solidarités à géométrie variable (contre des oppressions de classe, genre, cultures, “races”, identités sexuelles …) ; chacun.e doit garder son autonomie de choix face à des tensions voire conflits parfois douloureux que recouvrent ces diverses facettes de leur être.

Mais l’égalité réelle, et non proclamée abstraitement, est la condition de projets d’Unions multinationales comme pour les couples ou les luttes sociales de divers ordres. Et elle ne peut se réaliser sans respect de l’auto-organisation et de l’autonomie des catégories opprimées. L’universalisme des combats ne se proclame pas ; il se construit à partir d’une multitude de combats et cheminements. Les fronts eux-mêmes ne sont possibles qu’avec la reconnaissance des discriminations existantes par les populations, couches, individus qui ont le “privilège” de positions plus favorables.

Il est fréquent que les affirmations de revendications et luttes spécifiques soient stigmatisées comme “divisions” alors que leurs causes relèvent de rapports de pouvoir et d’approches “universalistes abstraites. La perception qu’en ont les catégories opprimées peut être “injuste” - elle est toujours à prendre en compte comme un vrai indicateur de problèmes à expliciter et maîtriser. C’est un principe qui doit à la fois marquer le fonctionnement des organisations “généralistes”, syndicales, politiques associatives et les fronts. Et cette égalité réelle se construira et se décidera dans la pratique des luttes à venir. La pseudo “unité” entre inégaux, ou encore l’universalisme abstraits qui est celui des dominant.e.s n’est nulle part acceptable. C’est la réalité d’une discrimination non prise en compte qui impose une lutte spécifique – dérangeante, par essence tant que la discrimination est niée. C’est aussi elle qui fait passer de l’espace privé à l’espace public une “affirmation identitaire” méprisée ou discriminée.

Mais toutes les questions relevant de l’oppression d’un être humain concernent toute la société, tous les êtres humains. Les obstacles sur le chemin de l’égalité substantielle (réelle) sont associés aux intérêts conflictuels, aux privilèges cristallisés, aux relations de pouvoir, notamment ancrées dans les relations de classe, de genre et racialisées. L’auto-organisation est aussi porteuse de visions “essentialisées” et rigides de la société, avec des horizons stratégiques de lutte contestables. L’ouvriérisme occulte le racisme et le sexisme (comme l’homophobie) comme rapports sociaux de domination ou discrimination et rejets au sein même des populations opprimées. Le sexisme comme le racisme – dans des configurations évolutives et des contextes de société à préciser - permettent d’entrainer les salaires vers le bas tout en détournant les travailleurs (hommes, blancs...) de la cible patronale et du système qui bénéficie de ces divisions. Mais des gouffres sociaux et culturels séparent aussi la classe ouvrière dotée d’un emploi stable (et le mouvement “ouvrier” traditionnel) et la grande masse des précaires blancs ou non, souvent femmes, immigrés (ou éternellement perçus comme tels) et jeunes, plus difficiles à organiser.

En tant que membre de la gauche radicale dite “blanche”, j’ai soutenu la participation aux Assises d’où le MIR est issu ; mais je n’y ai pas adhéré. Car l’appel aux Assises se terminait par deux “nous” - l’un, politique, dans lequel toutes les composantes de la gauche anti-raciste, anti-colonialiste pouvait s’inscrire ; et l’autre “Indigène” dont l’autonomie était tout à fait respectable, mais où je ne pouvais me reconnaître– puisqu’issue d’une autre immigration, juive et d’Europe de l’Est. En outre le passage d’un MIR à un PIR n’est pas sans problème à débattre.

Même en terme de “mouvement”, toutes les populations “immigrées” ne se reconnaissent pas dans l’approche “Indigène” - qui est elle-même confrontée à des clivages de sexes, de classe, et politiques. Il faut faire le point et débattre des évolutions pratiques et des orientations : quel est le sens – le but- de l’autonomie ? Mais la discussion implique d’abord reconnaître sa légitimité.

Une partie des clivages avec le PIR, des défiances ou réticences rencontrées sur la notion de “racisme d’Etat” (notamment post-colonial) provient de l’idée que le PIR plaque sur la société française des caractéristiques propres aux Etats-Unis (d’une certaine époque) et aux luttes des Noir.e.s dans le contexte post-esclavagiste ; ou encore que la notion d’Indigènes suppose que les conditions de la colonisation perdurent – et que le projet stratégique est le séparatisme d’une “nation Indigène”.- un peu comme le mot d’ordre de “Pouvoir Noir”. D’autres défiances proviennent de la façon de traiter comme “occidentales” ou “blanches” les idées réactionnaires – même si elles sont dénoncées au sein des Indigènes ; et parallèlement de ne se référer qu’à l’héritage progressiste des luttes anti-coloniales et anti-impérialistes. Mais il faut commencer par reconnaître le bien fondé du combat “décolonial” mené par le PIR, et faire cause commune contre les idées dominantes qui vantent la “civilisation occidentale” ou “européenne” en cachant ses pages noires et en criminalisant les résistances passées et présentes au système monde capitaliste mondialisé.

La ligne stratégique du PIR a sans doute évolué – en fonction sans doute aussi de ses échecs. Mais les échecs et évolution nécessaires concernent absolument toutes les organisations politiques de la gauche... notamment radicale.
L’enjeu – si l’on veut éviter le piège de l’adaptation à un ordre injuste ou au “moindre mal” qui permet de ne rien changer, est d’oeuvrer à l’établissement d’un “bloc hégémonique” alternatif aux idées dominantes – et cela ne peut être solide qu’à partir d’une remise en cause des rapports de dominations impérialistes, néo-coloniaux mais aussi sociaux, dans toutes leurs dimensions.
Dans un tel processus – qui ne peut être purement national - notre patrimoine commun doit venir de tous les mouvements d’émancipation, sans distinction de couleur. Il devra être inclusif des combats dé-coloniaux et contre les oppressions croisées et racialisées, de classe et de genre, du local au planétaire.

21 juin 2015
http://csamary.free.fr