Accueil > Groupe Afrique > Pour un renforcement programmatique et stratégique du mouvement social

Pour un renforcement programmatique et stratégique du mouvement social

Tribune collective Invités de Mediapart

mercredi 11 octobre 2023

Après la manifestation unitaire du 23 septembre refusant les violences policières, et les politiques racistes et liberticides, cette tribune préconise d’appréhender la crise du régime et la montée de l’extrême-droite, au regard de l’actuel bouleversement international et en se fixant des objectifs de travail altermondialistes et inclusifs.

La période est marquée par des bouleversements géopolitiques, écologiques, migratoires, financiers, sociopolitiques de grande intensité. Dans ce contexte, une lame de fond réactionnaire et autoritaire menace, voire démantèle les libertés publiques et des acquis sociaux conquis par les peuples européens depuis des lustres.
En Afrique occidentale et au Sahel, les peuples, qui sont souvent au bord de la survie du fait des prédations, soulèvent progressivement la chape de plomb néocoloniale, expulsant l’armée française qui occupait le terrain depuis une décennie au Mali, au Burkina-Faso et au Niger. Cela sans résultats probants en matière de lutte contre le terrorisme islamiste. Les transitions militaires ainsi que la présence de la force Wagner au Mali restent à observer, mais aussi l’alliance stratégique et économique naissante qui vient d’être contractée entre ces trois pays dissidents .
Ce que les Etats dominants nomment « terrorisme islamiste » au Sahel est en grande partie une conséquence directe de deux facteurs liés entre eux : l’embrigadement par les Etats-Unis et l’Arabie saoudite de combattants musulmans, formés aux méthodes de déstabilisation, pour faire chuter l’URSS en Afghanistan, puis leur retour dans leurs pays ou leurs régions d’origine. Lors de l’intervention en Libye organisée par la France et certains membres de l’OTAN, ces terroristes se sont fournis en armes dans les stocks libyens alors dépourvus de contrôle étatique, entraînant la déstabilisation militaire du Sahel et la démultiplication des migrations vers l’Union européenne.
Quant à la France, elle a connu trois crises de grande ampleur en six mois, le conflit des retraites (social), la révolte des quartiers populaires après la mort d’un jeune sous les coups de la police (crise du "modèle" d’intégration), la crise diplomatique qui prévaut dans ses relations avec les pays du Sahel, dont le Niger. Si le retrait des troupes de ce pays est enfin acté, il reste à revenir sur l’arrêt indigne, pour les trois pays, de l’octroi des visas en particulier aux étudiants, et des accords de coopération culturelle et économique …

Sur ces bases, l’extrême droite gagne du terrain de manière inquiétante : après son installation depuis deux mandats au Parlement européen, après l’essor spectaculaire de son camp aux dernières élections législatives, qu’en sera t’il des prochaines élections, européennes et présidentielle ?
Prenant acte de cette situation, 200 organisations du mouvement social ont appelé à une manifestation unitaire le 23 septembre dernier, en refus des politiques racistes et liberticides. Deuxième acte après les Assises populaires pour nos libertés du 15 avril dernier, qui étaient ouvertes déjà aux organisations des quartiers populaires .
Toutefois, au regard d’un résultat mitigé, cette démarche nécessite d’être renforcée. En vue de mobiliser de manière pérenne et inclusive les bonnes volontés du terrain et des directions avec les moyens de communication adéquats, deux objectifs de travail paraissent urgents :
· constituer un comité national de résistance ou de salut public, qui mutualise et archive les expertises et expériences acquises en une décennie de répressions multilatérales (quel que soit le gouvernement en place)
· établir un état des lieux du régime politique actuel, ce régime hyper présidentiel dans lequel non seulement les collectifs citoyens (syndicats, associations, ONG) sont méprisés, mais aussi les représentants du peuple empêchés de délibérer. Ce régime dont le mode de représentation est massivement rejeté, que ce soit par les votes protestataires ou par l’abstention et dont le gouvernement actuel est minoritaire au Parlement.
Une telle démarche pourrait dynamiser une vie militante, actuellement freinée par des formes de démobilisation, de repli sur soi et par le vieillissement de son recrutement.
Au-delà, une authentique refondation politique ne nécessite-t-elle pas de soutenir les peuples qui luttent pour leur émancipation à l’égard du cadre néocolonial, dictatorial et ultralibéral, qui est imposé avec la complicité de régimes compradores et inféodés : occupations militaires, gestion d’une monnaie anachronique, le franc CFA, qui entrave un développement endogène pérenne... ? Rappelons-nous les drames franco-africains de ces trois dernières décennies, véritables crimes d’État camouflés sous des appellations « poétiques », qu’ont été les opérations Turquoise, Licorne, Harmattan :
· le génocide au Rwanda en 1994 : 1 million de morts ;
· la guerre civile en Côte d’Ivoire de 2001 à 2010, qui a coûté à ce pays son processus de démocratisation et de progrès social ;
· la destruction de l’Etat libyen en 2011 : quelle part des 20 000 morts et disparus des dernières inondations est due au manque criant d’infrastructures, depuis lors ?

La responsabilité du mouvement social doit être engagée fermement. Mais cette fois-ci, il ne faut pas être pris de court. Ne serait-ce que pour se démarquer de l’extrême droite nationaliste et xénophobe qui singe notre programme social, pour contribuer à inverser un rapport de forces globalement défavorable, le mouvement social gagnerait à dépasser la seule défense des intérêts du peuple français
· par la confrontation aux secteurs régaliens de l’Etat que sont l’armée et la police, quand ceux-ci sont utilisés pour des activités de répression extra et intra muros,
· par la récusation du doublement du budget alloué aux armées pour la période à venir ,
· par la promotion des secteurs de service public trop minorés en revanche, que sont l’Ecole, l’Université, l’hôpital…,
· par la promotion des droits des femmes comme autre facteur de dialogue géopolitique et social, de diplomatie et de paix civile.

Dans un contexte très inquiétant de course aux armements et à une économie de guerre, le mouvement social doit manifester sa capacité à dépasser les obstacles accumulés, tant par la gestion du régime en place que par la fausse alternative constituée par l’extrême droite. Ainsi, il apporterait sa pierre à la réhabilitation des mouvements sociaux mondiaux et de l’ONU.

Source Invités de Mediapart (9 10 2023) :
https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/091023/pour-un-renforcement-programmatique-et-strategique-du-mouvement-social

Signataires

Nils ANDERSSON, ancien éditeur, spécialiste de géo-politique, auteur de Le capitalisme c’est la guerre (2021)
Martine BOUDET didacticienne (université de Paris Diderot), directrice de Résistances africaines à la domination néo-coloniale (2021)
Anne CAUWEL militante altermondialiste
Eliane CESARIN MAYOUSSIER citoyenne militante, membre d’Attac
Gérard COLLET militant Attac, enseignant, didacticien des sciences
Christian DELARUE CN du MRAP délégué à l’altermondialisme ATTAC, CADTM, Forum sociaux
Tosse EKUE éducateur-animateur culturel (Toulouse)
Giselle EL RAHEB, membre du Mouvement de la Paix, rédactrice dans la revue « Planète Paix »
Jacques FATH spécialiste en relations internationales
Georges Yoram FEDERMANN psychiatre –Fondation Copernic (Strasbourg)
Sylviane FRANZETTI citoyenne occitaniste
Annie LAHMER conseillère régionale écologiste (Ile de France)
Michèle LECLERC-OLIVE chercheure CNRS-EHESS, présidente de CORENS (Collectif Régional pour la Coopération Nord-Sud – Hauts de France) et de CIBELE (Collectif Régional pour la Coopération Nord-Sud – Ile de France) ‌‌
Philippe LE CLERRE co-secrétaire de la commission Paix et Désarmement (EELV)
Olivier LONG artiste plasticien, universitaire Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Pascal MAILLARD, universitaire et responsable syndical
Alain MOUETAUX Sudptt et Attac Réunion
Evelyne PERRIN membre de LDH 94, du Collectif anti répressions policières IDF, en soutien aux Mutilés pour l’exemple, à Désarmons-les, à Urgence notre police assassine, et aux collectifs Vérité et Justice
Jean-Luc PICARD-BACHELERIE membre de la commission Démocratie d’Attac
Raphaël PORTEILLA universitaire (Bourgogne)
Alain REFALO co-porte-parole du Mouvement pour une Alternative Non-violente (MAN), auteur de Démilitariser la France : un projet politique au service de la paix (2022)
Gérard TAUTIL militant et auteur occitaniste (Le roman national français au défi de l’extrême-droite, 2016)
Jean-Michel TOULOUSE ancien directeur d’hôpital public, essayiste, Quelle démocratie délibérative ? (2022)
Jean-Paul VANHOOVE militant du commerce équitable avec l’Afrique
Pedro VIANNA poète, homme de théâtre, universitaire
Christiane VOLLAIRE philosophe (laboratoire CRTD du CNAM et Institut Convergences Migrations au Collège de France), auteure de Pour une philosophie de terrain (2017)

Documents de référence

Charte du LIPTAKO-GOURMA instituant l’Alliance des États du Sahel entre le Burkina Faso, la République du Mali et la République du Niger (16 septembre 2023)
https://youtu.be/dy-pyRA-uLw?si=l-snQ1NIhUwvoP4l
Niger : le régime militaire putschiste accuse la France de préparer une "agression" (10 septembre 2023)
https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/niger/niger-le-regime-militaire-putschiste-accuse-la-france-de-preparer-une-agression_6054071.html
Arrêter la circulation des idées, des savoirs et des créations artistiques avec l’Afrique est un contresens historique (pétition) https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/09/20/arreter-la-circulation-des-idees-des-savoirs-et-des-creations-artistiques-avec-l-afrique-est-un-contresens-historique_6190109_3232.html
Marche "Uni·es contre les violences policières, le racisme systémique et pour les libertés publiques » (23 septembre 2023) https://marchespourlajustice.fr/appel
Assises populaires pour nos libertés (15 avril 2023) https://www.ldh-france.org/assises-populaires-pour-nos-libertes/
SOS Démocratie en péril (pétition) https://www.change.org/p/sos-d%C3%A9mocratie-en-p%C3%A9ril
Pour l’arrêt des opérations militaires et des ingérences au Niger et en Afrique (tribune Médiapart du 25 août 2023) https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2023/08/25/pour-larret-des-operations-militaires-et-des-ingerences-de-la-france-au-niger-et-en-afrique/
Présence militaire française en Afrique : le problème ne se limite pas au Niger ! (association Survie, 29 septembre 2023) https://survie.org/themes/militaire/article/presence-militaire-francaise-en-afrique-le-probleme-ne-se-limite-pas-au-niger
Le projet de loi de programmation militaire : vers une « économie de guerre » parasite et dangereuse (tribune Mediapart du 4 avril 2023)
https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/040423/le-projet-de-loi-de-programmation-militaire-vers-une-economie-de-guerre-parasite-et-da