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L’accaparement des terres au Burkina-Faso (Boukary Ouédraogo)

Président d’Attac Burkina :

mercredi 9 septembre 2015, par Groupe Afrique

Sous thème : Déguerpissement au Burkina Faso : cas des riverains de l’hôpital national Blaise Compaoré

I / Introduction
En Afrique en général et au Burkina Faso en particulier, les délogements forcés ou déguerpissements constituent un phénomène courant qui ne date pas de maintenant. C’est en effet sous l’aire coloniale que cette pratique a pris forme sans qu’il existe aucune règlementation en la matière. Mais la révolution de 1984 a permis de réglementer le domaine du foncier au pays des Hommes intègres.

Au début, les déguerpissements répondaient aux questions d’aménagement. A partir de 2005, avec l’avènement de l’agro-business et son corollaire de problèmes tel que l’accaparement des terres, ce phénomène va de nouveau prendre de l’ampleur au Burkina Faso. C’est dans cette spirale, de délogement forcé et d’accaparement de terres, que les habitants de Tingandogo (zone non lotie), située dans la commune rurale de Komsilga, à la périphérie de la capitale, ont été expulsés manu-militari le 14 avril 2014. Cette expulsion est justifiée par la construction de l’hôpital national Blaise Compaoré.

II/ Causes du déguerpissement
1-Les causes directes

Les populations de Tingandogo s’y sont installées longtemps avant que ne naisse le projet de construction de l’hôpital national Blaise Compaoré en 2007. C’était une zone non lotie ; c’est-à-dire une zone non viabilisée, ne disposant ni d’eau courante ni d’électricité encore moins de voiries. Ce projet d’infrastructure hospitalière devrait être bâti sur une superficie de 16 hectares. Ce qui exigeait le déguerpissement de la population du village de Tingandogo. Il convient de signaler que ces déguerpissements au Burkina Faso font suite à une loi votée par l’Assemblée nationale sur les réformes agraires et foncières en 1991 et révisé en 1996. Cette loi stipule que : «  la terre appartient d’abord à l’Etat  ». Ainsi, dans un premier temps, les populations jadis situées sur l’aire de cet hôpital ont été contraintes de quitter les lieux. Plus tard, après l’inauguration de l’hôpital en 2012, c’était au tour des riverains d’être sommés de quitter les lieux pour des raisons de sécurité et surtout d’hygiène. Cette décision a été mise en œuvre le 14 avril 2014 et a concerné plus de 1 000 personnes. Les populations ont été expulsées manu militari. Ils ont ainsi quitté les lieux de force sans savoir comment se reloger.

2-Les causes indirectes
Contrairement à certains pays africains, au Burkina Faso, la terre appartient à l’Etat. Mais en ce qui concerne le déguerpissement des populations riveraines de l’hôpital national Blaise Compaoré, l’autorité a failli. En effet, en octobre 2004, lors d’une rencontre internationale tenue à Ouagadougou au Burkina Faso sur « la sécurité dans l’occupation foncière et la gouvernance urbaine », les autorités du pays avaient pris l’engagement suivant devant les responsables de l’ONU- Habitat : il n’y aura plus de déguerpissement sans relogement. Cet engagement n’a pas été respecté par les autorités burkinabè en ce qui concerne le déguerpissement des riverains de l’hôpital national Blaise Compaoré. En plus de cela, il y a eu en octobre 2013, les Etats généraux du lotissement. Les recommandations qui en sont sorties n’ont jamais été appliquées. L’Etat burkinabè a donc bafoué le droit de ces milliers de populations déguerpies de leur lieu d’habitation en refusant d’appliquer les lois et conventions qu’il a lui-même signées. Cette situation qu’on pourrait qualifier d’injustice n’est pas sans conséquence sur ces pauvres populations.

III/ Conséquences
Le phénomène du déguerpissement au Burkina Faso est très alarmant. Il draine derrière lui, un cortège de fléaux sur les plans social et économique.

- Sur le plan social
Sur le plan social, nous avons entre autres la clochardisation de certaines familles, mais aussi la déscolarisation des enfants.

• La clochardisation de certaines familles

Un déguerpissement entraine nécessairement des dégâts sur les populations. La réhabilitation à travers la réinstallation ou la relocalisation des personnes déguerpies est quasi- absente dans les programmes d’urbanisations des autorités burkinabè. Ce qui entraine inéluctablement des situations assez graves sur les populations déguerpies. Ceux- ci dans leur grande majorité n’ont pas une prochaine destination digne de ce nom. Ce qui contraint certains à rester sur place et à dormir à la belle étoile après la destruction de leurs habitations. Ils deviennent ainsi des “clochards“. Notons que bon nombre de ces populations ont vécu pendant plusieurs années dans ces lieux où personnes ne voulaient habiter à cause de la non viabilisation (manque d’eau courante, d’électricité, de voiries, etc.) se voient débarquer sans aucunes formes de dédommagement. Et cela, parce que ces lieux intéresseraient des personnes plus nantis. En guise d’exemple, le déguerpissement du quartier Nagrin dans l’ex arrondissement de Boulmiougou à Ouagadougou, il y a quelques années de cela n’a engendré que tristesse et désolation chez les populations. Ce qui avait occasionné des soulèvements de populations dans ledit arrondissement. Les manifestants étaient même allés jusqu’à prendre d’assaut la mairie de cet arrondissement et à barrer la route nationale N°1 pour exiger justice. D’autres cas malheureux existent.

• La déscolarisation des enfants
Au Burkina Faso, la plupart des enfants sont scolarisés dans les quartiers où habitent leurs parents, surtout pour ceux qui sont toujours à l’école primaire. Ces écoliers n’avaient donc pas besoin d’être accompagnés ou de parcourir de longues distances pour se rendre à l’école. Les écoles dans ces quartiers accueillent en majorité les enfants qui y habitent. En cas de déguerpissement, c’est fini pour bon nombre d’enfants qui se verront arracher de façon précoce de l’école parce que les parents doivent changer de zone d’existence. Surtout pour la plupart de ceux qui sont issus de familles pauvres. Pour le cas des riverains de l’hôpital Blaise COMPAORE, le déguerpissement a eu lieu en avril 2014, c’est une période qui se situe en pleine année scolaire au Burkina Faso. Plusieurs enfants se sont vu obligés d’arrêter l’école parce que les parents avaient été sommés de quitter les lieux dans un délai très court. Ce sont en gros 406 élèves qui étaient inscrits entre le CP1 et le CM2 qui ont été déscolarisés.

2-Au plan économique
Toute situation de déguerpissement engendre inéluctablement des conséquences économiques mineures et majeures pour les populations. La majorité des résidents de ces zones en situation de déguerpissement pour la plupart évoluaient dans le secteur informel (le commerce, la soudure, l’élevage et l’agriculture). Par manque de diplômes, les déguerpis sont donc obligés de s’adonner à des activités qui n’exigent pas une formation intellectuelle préalable. C’est ainsi qu’on retrouve dans ces lieux une forte concentration d’ouvriers de tous genres. Ils s’adonnent également à leurs métiers à proximité de leurs domiciles. Par exemple la mécanique, la menuiserie, la couture (…). Ces activités, exercées généralement par les chefs de familles sont les principales ou souvent même les seules sources de revenus des familles. En cas de déguerpissement donc, ces derniers se retrouvent dans une situation précaire et sans emploi. Situation très difficilement supportable par les familles.
En ce qui concerne les habitants de Tingandogo, des magasins, des boutiques, des épiceries, des quincailleries etc. ont été détruits. Ce sont des centaines de travailleurs qui se sont ainsi retrouvés du jour au lendemain au chômage sans savoir quoi faire pour subvenir aux besoins de leur famille. Cette situation a créé son corollaire de famine, de déscolarisation des enfants et la pratique par une frange de la population du plus vieux métier du monde : la prostitution. Sur le plan économique donc, les dégâts ont été assez énormes.

IV/Conclusion

La problématique du déguerpissement des populations de leur lieu d’habitation par les autorités gouvernementales demeure toujours une pratique fréquente au Burkina Faso. Elle risque de s’accentuer avec la découverte de l’or sur le territoire. Mais, heureusement que de plus en plus d’associations du droit au logement élèvent la voix pour réclamer la justice et une gestion équitable du foncier en respectant les textes et conventions signées par le gouvernement. Concernant les déguerpis de l’hôpital Baise Compaoré, ils sont regroupés au sein du Mouvement solidarité pour le droit au logement et entendent poursuivre l’Etat en justice pour non-respect des textes afin d’être relogés.

Contribution d’Attac Burkina au forum "Relations Afrique-Europe" (Université européenne Paris 2014)