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Guerre au Mali, Jour J+10 (Djilali Benamrane)
jeudi 24 janvier 2013, par
Guerre au Mali, Jour J+10 - anticiper, dénoncer et combattre toutes les formes de guerre, où que ce soit et pour quelque motif que ce soit
A vouloir comprendre ce qui se passe aujourd’hui au Mali, 10 jours après l’entrée en guerre de la France, il faut rappeler brièvement le contexte, tirant des enseignements de l’histoire récente et, si pertinent, plus ancienne. A partir de ces rappels des fondamentaux de la situation, s’expliquer sur ce qui se passe et oser dévoiler quelques pistes quant à l’avenir, le plus souvent occulté voire dénaturé par les acteurs responsables de la construction du passé, qui pèsent sur les grandes décisions du présent et qui œuvrent à la construction du futur.
L’histoire du Mali n’a pas commencé avec l’occupation de la France en 1883. Les empires et royaumes ont régné auparavant sur tout ou partie des populations de l’Afrique de l’Ouest, où des empires et royaumes importants se sont succèdés sur une multitude de groupes ethniques, à réalité et à implantation évolutives, des Maures, Kountas, Touaregs, Peuls, Banbaras, Malinkés, Soninkés, Sénoufous, Sénoufous, Bozos, Dogons, Songhaïs et bien d’autres, à concentration variable dans les pays figés aujourd’hui dans des frontières toutes arbitraires. En 1960, le Mali accède à son indépendance sur la base d’une configuration territoriale extraite du Soudan français puis de l’entité furtive constituant la Fédération sénégalo-malienne.
Depuis 1960, le Mali, à l’exemple de ce qui se passait dans la plupart des pays africains, a connu une succession de régimes autoritaires, plus ou moins dictatoriaux, assurés par des officiers supérieurs, à la fois putschistes et élus (Modibo Keita, le père fondateur, vite renversé par Moussa Traoré, renversé à son tour après 23 ans de règne, par Amadou Toumani Touré (ATT), qui laisse le pouvoir en 1997 à Alpha Oumar Konaré (AOK) qui lui repasse la main en 2002 avec une réélection en 2007, achevée en fin de mandat en mars 2012 par un coup d’Etat mené par Amadou Haya Sanogo (AHS), un simple capitaine de l’Armée malienne désireux d’en découdre avec la rébellion touarègue et le Mouvement National pour la Libération de l’Azawad (MNLA) qui a commencé à occuper le Nord du Mali. Un processus démocratique chaotique mais qui paraissait exemplaire sur un Continent où les coups d’Etat sont légion et autrement plus meurtriers.
Est-il besoin de rappeler que le MNLA n’est que l’appellation récente des forces touarègues opposées au pouvoir colonial français, avec des révoltes tout au long de la première moitié du XXè siècle, et au pouvoir central malien depuis l’indépendance, ce dernier étant resté sourd à leur revendications d’autonomie sinon de souveraineté. Des rébellions armées se sont succèdées au Mali et au Niger en 1962/63, 1990/95, en 2006 et en 2007/2009, ponctuées par des Accords de paix, le plus souvent obtenus avec la facilitation des pays voisins.
Le MNLA a vu les forces de ses combattants touaregs se renforcer avec le retour au Mali avec armes et encadrement, après l’intervention de la France et de l’OTAN en Libye. Cela a constitué la page sublime des stratégies guerrières d’aujourd’hui, illustrée par l’armée de Khadafi, l’une des plus puissantes d’Afrique, défaite en quelques semaines sans qu’il n’y ait aucune perte du côté de l’Otan et de ses alliés. Une vaste illusion des guerres futuristes, dites propres, asymétriques, dans lesquelles le puissant a le droit et le devoir d’écraser l’adversaire jusqu’à l’anéantissement. Rapidement, au MLNA se sont joints les groupes armés, affiliés ou non à Al Qaida au Magheb Islamique (AQMI) comme le Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) ou le Mouvement Islamique Nigérian Boko Haram.
Beaucoup d’observateurs avertis considèrent que le renforcement des forces rebelles au Nord Mali et la capacité de s’opposer victorieusement aux forces armées maliennes, sous- équipées et sous motivées, comme la plupart des armées des pays voisins, est le résultat collatéral indéniable de la guerre destructive et injuste menée par la France et par l’OTAN en Libye. Une année presque sépare les accrochages des forces rebelles du Nord Mali de l’entrée en guerre de la France le 11 janvier 2012 pour stopper la prise de la ville de Konna, verrou stratégique dans la marche des rebelles sur Bamako et à terme l’occupation de l’ensemble du territoire malien.
Dans l’intervalle, le Conseil de sécurité de l’ONU, sous l’activisme de la délégation française, a voté trois résolutions recommandées par la France et parrainées par des Etats africains membres du Conseil de sécurité. La première Résolution. Le 05 Juillet 2012, le Conseil de sécurité s’est prononcée sur la crise au nord Mali, condamnant l’occupation du Nord du pays et la destruction des mausolées historiques de la ville de Tombouctou et soutenant une résolution de l’Union Africaine et la CEDEAO dans ses efforts à ramener la paix et la sécurité dans la région. Une résolution jugée bien insuffisante par la France et ses alliés.
Cinq mois plus tard, la résolution 2071, adoptée le 15 décembre 2012, au titre du chapitre VII de la Charte des Nations unies, viendra corriger la chose, appelant les autorités maliennes à engager un dialogue politique avec les groupes rebelles maliens et les représentants légitimes de la population locale du Nord du Mali et a menacé de sanctions les groupes armés au Nord-Mali qui ne se dissocieraient pas des mouvements terroristes. Un rapport fut demandé au Secrétaire général des Nations unies, assisté par le nouvel Envoyé spécial pour le Sahel, M. Romano Prodi, en concertation avec la CEDEAO et l’Union africaine, pour légitimer, si pertinent, le déploiement immédiat d’une opération africaine au Mali, avec pour objectif de définir une solution globale à la crise malienne et de permettre aux Maliens de recouvrer leur souveraineté et l’intégrité de leur territoire et de lutter contre le terrorisme international.
Enfin, une semaine après, le 20 décembre 2012, la troisième résolution 2085, du Conseil de sécurité de l’ONU, toujours au titre du chapitre VII de la Charte des Nations unies, a autorisé l’envoi au Mali d’une force africaine d’environ 3 000 membres. Cette intervention armée est encadrée dans des processus politiques et sécuritaires. Pour ce qui concerne l’encadrement politique :
a) d’un côté, référence est faite à l’Accord-cadre signé le 6 avril 2012 sous les auspices de la CEDEAO qui recommandait un dialogue politique large et ouvert, précisé dans une feuille de route pour la transition en attendant le rétablissement de l’ordre constitutionnel et de l’unité nationale. Il y est question de l’organisation d’élections présidentielle et législatives pacifiques, crédibles et sans exclusive, de préférence avant avril 2013 ou, à défaut, dès qu’elles seront techniquement possibles.
b) d’un autre côté sont rappelées les résolutions 1267 (1999) et 1989 (2011) concernant Al-Qaida et les sanctions applicables aux groupes rebelles et individus associés à cette organisation et qui peuvent concerner le Mouvement Unicité et Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO).
Le dispositif sécuritaire précise la formation des forces maliennes pour consolider et redéployer les Forces de défense et de sécurité maliennes dans tout le territoire du pays pour les rendre aptes à assurer durablement la sécurité et la stabilité du Mali et protéger le peuple malien. Il est fait appel aux États Membres et aux organisations régionales et internationales pour un soutien coordonné sous forme d’aide, de compétences spécialisées, de formation, y compris en matière de droits de l’homme et de droit international humanitaire. Tous ces efforts auront pour objectif le rétablissement de l’autorité de l’État malien et l’atténuation de la menace que représentent les organisations terroristes et les groupes qui y sont affiliés. Le dispositif prend note du besoin de déploiement au Mali d’une mission militaire de l’Union européenne (MMUE) chargée de dispenser auxdites forces une formation militaire et des conseils et plus généralement le déploiement de la Mission internationale de soutien au Mali (MISMA), sous conduite africaine et pour une durée initiale d’une année.
Sans attendre la mise en place de la MISMA pas plus que celle de la MMUE, le Gouvernement français jugeant, pour des raisons d’urgence, de la légitimité d’une intervention urgente et massive envoie le 13 janvier 2012, ses forces armées aériennes bombarder les positions rebelles autour de Konna, la ville charnière entre le Nord et le Sud.
Les forces armées françaises qui devaient se limiter à appuyer les forces maliennes et la MISMA, cette coalition en cours de mise en place et sensée devenir opérationnelle en automne prochain prennent comme en Libye le leadership des opérations en se prévalant de la légitimité accordée par le Conseil de sécurité de l’ONU. Aujourd’hui, J+10 depuis les hostilités, les forces françaises, aériennes et terrestres comptent sur le terrain plus de deux mille hommes avec des objectifs affichés d’accroître les effectifs pour arriver à trois, quatre, cinq milles, et plus et ces troupes sensées intervenir sur le court terme resteront sur place autant de temps que nécessaire. S’agissant de rétablir le Mali dans ses frontières et d’extirper toute trace de terrorisme, faut-il compter par jours, par semaines, par mois, par années. La première colonisation française du Mali a duré moins d’un siècle, peut-être que cette nouvelle colonisation des temps modernes durera davantage, en des formes innovantes cela va de soi.
Si l’ on excluait les pertes collatérales subies sur la base gazière d’Ain Aménas en Algérie, on déplore à ce jour une seule victime directe, sur le terrain en dix jours. Obtiendra-t-on un succès français au Mali à la hauteur de celui obtenu en Libye ? Il en sera pris acte, cependant un jour ou l’autre il faudra se réveiller et ce jour là, honte aux tenants du va-t’-en guerre au XXIè siècle.