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D’un génocide à l’autre, quelles responsabilités des États occidentaux dont la France ?

Tribune collective (Les invités de Mediapart)

lundi 22 avril 2024, par Groupe Afrique

Les commémorations du trentième anniversaire du génocide des Tutsis s’inscrivent dans une actualité dramatique : invasion de l’Ukraine par l’armée russe depuis deux ans, destruction par l’armée israélienne de la bande de Gaza, en représailles à l’égard du coup de force meurtrier du Hamas (le 7 octobre 2023), début d’escalade au Proche-Orient…

Du Rwanda à la Palestine

La reconnaissance par le président Macron de la part de responsabilités de l’armée française dans le génocide des Tutsis incite à un bilan sur le rôle des Etats impérialistes dans le déroulé tragique de la vie internationale. En tant que puissances anciennement coloniales, Belgique et France sont impliquées dans l’enchaînement des rivalités inter-ethniques au Rwanda. A l’encontre de tant de dénis, tels celui du rapport d’information parlementaire Quilès-Jospin de 1998, il est dorénavant validé que, loin de protéger les civils rwandais, l’opération Turquoise a permis d’exfiltrer des forces génocidaires en République démocratique du Congo. Par ailleurs, tout en protégeant les expatriés, l’ONU a délibérément abandonné les réfugiés tutsis et hutus modérés à une mort certaine.

Les regrets présidentiels interviennent alors même que des armes continuent à être vendues à Israël, qui poursuit depuis six mois une guerre d’extermination du peuple palestinien dans la bande de Gaza. Alors que, conformément à la demande du Conseil des droits de l’homme de l’ONU d’arrêter toute vente d’armes à Israël, de nombreux pays, comme le Canada, les Pays-Bas, l’Espagne et l’Italie, ont déjà cessé de le faire. Doit être instruite au plus tôt la plainte de l’Afrique du sud pour génocide, déposée auprès du Tribunal pénal international (TPI). Plainte soutenue dans son principe par d’autres pays du Sud global, qui affirment une indépendance de vues face au camp occidental, comme le Brésil, le Nicaragua, la Colombie et la Bolivie. Ce positionnement est fort peu rapporté dans notre presse, pas plus que le refus islandais de participer au concours de l’Eurovision si Israël y était admis. L’Espagne, l’Irlande, Malte et la Slovénie sont les seuls pays européens prêts à reconnaître l’État de Palestine.
En notre nom, au motif de la realpolitik et des intérêts nationaux, nos États sont complices des crimes de guerre perpétrés par le gouvernement d’extrême droite dirigé par Benjamin Netanyahou. Ces crimes font suite à des décennies d’occupation brutale des territoires palestiniens en Cisjordanie.

Involutions géo-stratégiques : quel programme pour le mouvement social ?

Le positionnement du mouvement social français est-il à la mesure de ces événements et des attentes des peuples opprimés ? Force est de constater qu’il manque un fil conducteur entre les différentes manifestations de solidarité, que ce soit à l’égard des peuples ukrainien, palestinien, rwandais et sahéliens. Seule une mobilisation anti-impérialiste et anti-militariste globale permettra de rompre avec la passivité ambiante qui peut apparaître comme coupable, et d’édifier un programme de relations internationales alternatif, fondé sur le respect des peuples et des souverainetés nationales.

Dans cette perspective, sans aucunement minimiser la tragédie que vit le peuple ukrainien, nous dénonçons la stratégie du « deux poids et deux mesures ». Un bilan s’impose de la politique de l’OTAN en Europe centrale depuis la chute de l’URSS, comme de celle du régime dictatorial de Poutine. Confrontés que les peuples sont à des impérialismes prédateurs et souvent irresponsables, il incombe à l’ONU de faire valoir et de renforcer ses prérogatives en faveur de la paix et d’un monde multipolaire, en particulier de faire appliquer sa Charte qui stipule la mise en place de forces d’interposition (Casques bleus).
Dans le cas des relations Afrique-France, un bilan s’impose de trois décennies d’opérations militaires démultipliées, opérations Epervier (au Tchad), Turquoise (au Rwanda), Licorne (en Côte d’Ivoire), Sangaris (en Centrafrique), Harmattan (en Libye), Serval (au Mali), Barkane (au Sahel), de leurs conséquences quant au maintien ou à la réintégration de dictatures affidées, ou bien quant à la déstabilisation régionale comme au Sahel. Force est de constater que l’objectif stratégique de lutte contre le terrorisme n’est pas atteint, alors que l’armée française est la cinquième du monde. Etait-ce un prétexte ? Pour mémoire, la destruction de l’Irak par les USA et par la coalition occidentale a été cautionnée au prétexte de l’existence d’ « armes de destruction massive », dont l’inanité et les effets n’ont pas donné lieu à sanction. Celle de la Libye, pays le plus riche du Maghreb, reste une voie de fait inacceptable non condamnée par la communauté internationale.

A défaut de politique diplomatique suffisante, la course actuelle à la guerre s’avère une fuite dangereuse en avant, elle coïncide avec la prise de pouvoir par des équipes d’extrême droite nationalistes et xénophobes, en Europe comme à travers le monde. En France, la loi de programmation militaire doit être particulièrement dénoncée : votée en juillet 2023, elle prévoit le doublement du budget des armées et l’instauration d’une économie de guerre, hostile par définition à un développement sur des bases durables et écologiques.

Dans cette riposte nécessaire, le mouvement social français gagnerait à s’appuyer sur les résistances populaires au système néocolonial (françafricain) et sur leurs avancées malgré les difficultés ou les contradictions, comme dans trois pays dissidents du Sahel, au Mali, au Burkina-Faso et au Niger, ou bien au Sénégal, dont la récente élection présidentielle a validé la candidature d’une équipe de rupture, représentée par Bassirou Diomaye Faye.
A l’initiative de l’association Survie, le meeting unitaire du 28 février 2024 « Pour un retrait rapide de l’armée française d’Afrique » est un premier pas significatif. Comme pour la défense, en particulier dans les quartiers populaires, des libertés publiques, libertés qui sont bafouées toujours davantage par une police et une justice trop souvent aux ordres, nous ne pouvons faire l’économie d’une suite organisée et pérenne. Dans les deux cas, en France comme à l’échelle internationale, il s’agit d’une conception machiste du maintien de l’ordre ou de l’imposition d’un ordre. Dans la bataille des idées, face à une extrême-droite qui est désormais aux portes du pouvoir, le néolibéralisme autoritaire et à fondement patriarcal doit être plus que jamais dénoncé.

Dans cet objectif, nous soutenons les objectifs de l’Espace commun européen pour les alternatives/ECSA, qui organise une rencontre à Marseille du 26 au 28 avril.

Les signataires :
Nils ANDERSSON ancien éditeur, auteur spécialiste de géo-politique
Jennifer -Léonie BELLAY militante ATTAC, féministe internationaliste
Claudine BLASCO activiste féministe altermondialiste (Guadeloupe)
Martine BOUDET auteure altermondialiste, membre du Conseil scientifique d’Attac France (Toulouse)
Maya BRANTZEG militante internationaliste
Claude CALAME, anthropologue, membre du Conseil scientifique d’Attac France
Anne CAUWEL militante altermondialiste spécialiste de l’Amérique latine
Gérard COLLET militant Attac, enseignant, didacticien des sciences (Grenoble)
Patrice COULON membre du MAN (Mouvement pour une Alternative Non-violente), d’Abolition des Armes Nucléaires, d’Attac et d’Eelv
Georges Yoram FEDERMANN psychiatre (Strasbourg)
Sylviane FRANZETTI citoyenne occitaniste
Michèle LECLERC-OLIVE, chercheure CNRS (HDR) honoraire, membre de ARTeSS–IRIS–CNRS–EHESS, présidente des associations CORENS (Collectif Régional pour la Coopération Nord-Sud – Hauts de France) et CIBELE (Collectif Régional pour la Coopération Nord-Sud – Ile de France)
Philippe LE CLERRE Co-secrétaire Commission Paix et Désarmement – EELV
Gustave MASSIAH économiste, membre du cedetim
Alain MOUETAUX membre d’Attac Réunion
Marie-Yvonne OIZAN-CHAPON militante ATTAC 15
Evelyne PERRIN présidente de Stop Précarité, LDH 94 et Marche des Solidarités Commission migrations d’ATTAC
Jean-Luc PICARD- BACHELERIE commission Démocratie Attac France
Alain REFALO porte-parole du Mouvement pour une Alternative Non-violente (MAN)
Gérard TAUTIL auteur occitaniste (Var)
Pedro VIANNA poète, homme de théâtre, enseignant universitaire
Christiane VOLLAIRE philosophe (laboratoire CRTD du CNAM et Institut Convergences Migrations au Collège de France)

22 avril 2024

Source : https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/200424/du-rwanda-la-palestine-d-un-genocide-l-autre-quelles-responsabilites-des-etats-occiden

Annexe

Nils Andersson, Martine Boudet, Anne Cauwel, Serigne Sarr, Christiane Vollaire, « Pour une mobilisation internationaliste anti-guerre » (Site Intercoll, 16 mai 2022)
https://intercoll.net/Pour-une-mobilisation-internationaliste-anti-guerre

« Le projet de loi de programmation militaire : vers une « économie de guerre » parasite et dangereuse » (Tribune collective, Invités de Mediapart, 4 avril 2024)
https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/040423/le-projet-de-loi-de-programmation-militaire-vers-une-economie-de-guerre-parasite-et-da

« Armée française en Afrique : il est largement temps de partir » (Libération, 27 février 2024) https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/03/08/armee-francaise-en-afrique-il-est-largement-temps-de-partir/
« Pour un retrait rapide de l’armée française d’Afrique » (meeting unitaire , 28 février 2024)
https://survie.org/l-association/mob/article/meeting-unitaire-pour-un-retrait-rapide-de-l-armee-francaise-d-afrique
Signataires : Artisans du Monde Paris, ATTAC, Cases Rebelles, CADTM France, CEDETIM, CGT, Coalition internationale des sans-papiers et des migrant.es, Comité Vérité et Justice pour Lamine Dieng, Confédération Paysanne, CORENS, CIBELE, CRID, DIEL, Dynamique Unitaire Panafricaine, EELV, Ensemble !, FASTI, FIDL, FSU, LP UMOJA, Mouvement pour une Alternative non Violente, MRAP, Mwasi, NPA, Partit Occitan, PCF, PEPS, Poing Levé, Rejoignons-Nous, Révolution Permanente, RITIMO, Sawtche, Survie, Union Communiste Libertaire, Union Syndicale Solidaires.

Espace commun européen : https://spaceforalternatives.eu/fr/accueil/