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A taille humaine

mardi 9 août 2016, par Florian Lopez

Le FSM ne débute que cet après-midi, et pourtant les 48 premières heures de mon voyage recèlent déjà leur lot d’étonnement, de questionnement et d’indignation.

Arrivé à Montréal en passant par Chicago, je suis immédiatement frappé par la dureté des contrôles d’immigration. Venant des USA, le constat, bien qu’attendu, ne laisse pas de surprendre : 2 heures d’attente pour franchir les filtres, parqué dans une file réservée aux voyageurs non-nationaux, sous un matraquage visuel censé vous rassurer sur les contrôles qui vous attendent.
Et de fait, après avoir été contraint de remplir – et payer – une autorisation de visite temporaire sur le territoire (ESTA*), et outre les informations dites « de base », place à la fouille au corps autoritaire lors du passage au filtre, puis contrôle biométrique (prise d’empreintes digitales et photographie), et nouvelle série de questions sur les raisons de votre voyage (avec relances si vous manquez de précision), votre hébergeur sur le lieu d’arrivée, les gens que vous y connaissez ou rejoignez... A ce petit jeu, la question la plus déstabilisante vous est toutefois posée à l’entrée au Canada : « combien avez-vous sur votre compte courant ? »

Le premier étonnement vous vient notamment du contraste. Contraste avec les messages vous souhaitant inlassablement « bienvenue », l’avalanche d’autopromotion patriotique bien connue des USA (« prêts à partager leur pays avec vous, les Américains sont parmi les gens les plus amicaux que vous pourrez rencontrer »). Contraste aussi, lorsque vous repassez les contrôles pour le vol suivant, et vous retrouvez véritablement prisonnier de cette immense galerie commerciale que nous nommons « aéroport ». Contraint à consommer et à choisir entre Starbucks et McDonald’s, enseignes de luxe et gift shops. Une fois digérée la capitulation face à la perte de votre pouvoir et liberté politiques, vous voici autorisé à faire valoir le maigre pouvoir qu’il vous reste : celui de vous payer un Big Mac.

Le deuxième jour, une visite de Montréal m’offre une confirmation de ce contraste. Remontant la rue Sainte-Catherine, l’une des principales artères de la ville, vous êtes saisi par un véritable décalage urbain et architectural. Partant du centre, les quartiers d’affaires – aux inévitables buildings, immeubles de bureaux, mais aussi galeries commerciales et boutiques de luxe – cèdent progressivement place à des duplex et triplex en briques rouges et escaliers extérieurs (véritable spécialité de la ville), ainsi qu’à une foule d’appartements en décrépitude, aux vitres poussiéreuses, ou flanqués d’une pancarte « à louer ». Bien que désolés, les bâtiments reprennent néanmoins une taille humaine.

Nous sommes à l’ouverture du festival Fierté Montréal, festival annuel de la fierté LGBT, et une section de la rue est désormais zone piétonne, affichant partout les couleurs de l’arc-en-ciel. Le règne des voitures s’arrête à ses portes, et vous prenez soudain conscience de n’être pas seul à vous balader. Vous prenez aussi conscience d’autres choses : une foule s’amasse autour d’un spectacle de rue, des policiers à vélo discutent avec des passants, des personnes en fauteuil roulant profitent de l’occasion pour zapper le trottoir. Il est visible que chacun a plaisir à reprendre possession de la rue. Ce spectacle ne durera que jusqu’à la fin de la zone piétonne.

Parmi les attractions déployées dans la rue, je tombe sur un jeu d’échecs « géant », où les pièces vous arrivent à mi-cuisse. Plusieurs attendent pour pouvoir y jouer. Et je repense au contraste.

Je repense aux terminaux d’aéroports et de gare, aux immeubles de bureaux, aux centres commerciaux. Je me dis que ces lieux ne sont pas faits pour nous. Ils ont beau être pensés pour nous faire produire, nous faire consommer, nous surveiller, nous superviser. Ils ne sont pas à taille humaine. Donnez aux gens un jeu d’échecs à taille humaine, et ils reprennent le pouvoir.
La soirée se conclut par un rassemblement à l’initiative du CRID. Au cours de celle-ci, il est question de ces 200 participants des « pays du Sud » privés de visa et qui n’ont pu venir à ce FSM. Un représentant du Mouvement des Sans-Voix au Burkina Faso s’étrangle, en demandant ce que ce FSM a de « mondial ». Gustave Massiah appelle à repenser les FSM en prenant en compte le durcissement des politiques, notamment migratoires et sécuritaires. Je ne saurais dire mieux.

Il pense néanmoins que nous devons être partout, et qu’un FSM dans un « pays du Nord » a du sens à ce titre. Je le crois aussi. Nous ne devons pas cesser d’occuper le terrain. Occuper les lieux de vie et ne céder aucun territoire au règne du commercial, protégé par le sécuritaire.

Quel est selon moi l’intérêt d’un FSM dans un pays occidental ? Mettre en exergue le contraste. Mon point de vue d’occidental sur une autre métropole occidentale a du sens. Notre présence ici à Montréal a du sens, car nous sommes bel et bien au cœur du problème. Le problème que nos politiques ne sont pas taillées pour nous. Elles ne satisfont ni habitants des pays pauvres, ni habitants des pays riches. Nos villes ne sont pas taillées pour nous. Peut-être avec un jeu d’échecs à taille humaine, pourrons-nous gagner ces combats. Reprendre possession des lieux et des moyens, voici ce dont nous avons besoin. Les prochains jours nous y aideront, je l’espère.

* Pour un aperçu des questions posées, incluant notamment les noms et prénoms de vos ascendants : https://esta.cbp.dhs.gov/esta/

Messages

  • Merci Florian pour ce premier compte rendu.
    La défense des libertés publiques et le renouveau démocratique : une vraie question pour l’altermondialisme.
    Salut bien de ma part tous nos amis d’Attac France .
    Amicalement

    Daniel