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La cérémonie d’ouverture des JO : un exemple de spectacle néo-libéral déraciné

Martine BOUDET membre du Conseil scientifique

lundi 12 août 2024, par Martine Boudet

Pourquoi l’impression qui est retenue est-elle souvent celle d’une cérémonie dans l’ensemble débridée et du "too much", qui a entaché l’iconique défilé des équipes de sportifs et des artistes qui les accompagnaient ?

Cela malgré l’évidente intention des organisateurs d’orienter le spectacle dans le sens du respect des communautés qui peuvent subir des discriminations, qu’il s’agisse des femmes, des minorités racisées, des homosexuel-les…Cela malgré de remarquables prestations d’artistes célébrant des éléments du patrimoine vivant.

Eléments de contexte géo-politique

A quoi est due cette impression de malaise ? Tout d’abord à l’apport d’un capital démesuré, décidé en haut lieu par le milliardaire Arnaud, certes à la mesure d’un événement mondial mais qui aurait pu être réduit, au nom d’un principe sain de sobriété. La Grèce, qui n’a pas le répondant économique de l’empire français, s’est perdu à ce petit jeu des concurrences olympiennes ; cela a été le début de la catastrophe nationale.
Une autre raison réside dans le manque d’une certaine conscience géo-politique, comme l’a montré le zapping de l’hommage rendu par des athlètes algériens aux centaines de compatriotes assassinés le 17 octobre 1961. La Seine apparaissant comme un espace ambivalent, comme un lieu de mort violente, comme le puits de Narcisse qui y contemple complaisamment sa propre image (pensons aux dithyrambes des journalistes des chaînes publiques), comme le reflet des promesses non tenues des démocraties libérales de rester « clean »…. Certes, les délégations palestinienne et israëlienne ont défilé à part égale, mais cela ne peut occulter le « deux poids et deux mesures » qui a présidé aux choix du CIO. Pourquoi avoir écarté la Russie et pas Israël, que la CPI soupçonne de perpétrer un génocide à Gaza ? Les USA, premier pays médaillé et futur pays d’accueil des JO, ne sont-ils pas coupables également de crimes de guerre jusqu’à présent impunis, ceux-ci ayant entraîné la quasi-destruction de l’Irak, de la Libye… ?

Un spectacle assez débridé

Dans le contexte d’une médiatisation planétaire, la scénographie a renvoyé une image souvent superficielle du dialogue des cultures et de l’intersectionnalité. Certes, les portraits de femmes émancipatrices telles qu’Olympe de Gouges étaient bienvenues, de même que la consécration de champions du Sud portant la flamme, comme les deux Guadeloupéens au final. L’impression d’ensemble reste celle d’une suraccumulation d’épisodes, débridée à l’image du néo-libéralisme qui postule que l’expressivité désorganisée est un acte de liberté en soi.
Autre élément de ce populisme esthétique, le jeunisme dans lequel s’enlisent les sociétés occidentales au nom de ce même principe psycho-social d’activisme spontané, de pragmatisme. Mode vestimentaire du débraillé, esprit de subversion réduit à une démarche de provocation assez gratuite des codes (voir l’épisode contesté des Marie-Antoinette décapitées) et de fantasmatisation sans grand arrière-plan culturel (pensons au défilé de ces mannequins trop maigres et dénués de sourire).
C’est de cette dérive jeuniste dont pâtissent trop souvent la famille, l’Ecole, l’Université, qui peinent à transmettre les savoirs et cultures les plus raffinés du pays. En découle une déculturation qui aura des conséquences à l’avenir, la France étant singulièrement en perte de communautés familiales (citoyenneté individuelle oblige), de langues autochtones, de symbolique religieuse du fait d’un laïcisme souvent prosélyte. Ajoutée à l’ère de la surconsommation de masse, cette déculturation sur les trois plans précités s’avère l’une des causes principales de l’avènement du « courant néo-kitsch », que certains analystes observent, dans les arts du spectacle notamment (1).
La cérémonie de clôture, plus sobre, prête moins le flanc à cette critique. Cela dit, l’usage de deux seules langues de communication, le français et l’anglais, traduit une conception du monde très réductrice.

L’alternative du patrimoine régional

Résister à ce courant à la fois néo-libéral et centralisé, celui que représente le macronisme, qui promeut une culture de surface assez artificielle car déracinée, n’équivaut pas à communier dans un identitarisme rétrograde, celui que l’extrême-droite défend. Entre autres, des JO alternatifs pourraient s’inspirer de nos patrimoines territoriaux, absents de cette scénographie comme ils le sont à Villers-Cotterêts, autre création récente. Par exemple, serait bienvenu un diaporama ou une mise en scène des meilleures oeuvres régionales, de l’hexagone et des Outremers, dont la résistance culturelle est à l’aune des forces vives locales.

La réussite pour autant indéniable de ces jeux coïncide avec la crise de régime qui s’est traduite sur le terrain électoral : ce paradoxe illustre bien le clivage culturel qui prévaut aux bras de fer politiques. L’avenir dira ce que les composantes progressistes ou de bonne volonté, celles qu’incarnent les sportifs, les artistes, les bénévoles, les citoyens éclairés, les peuples…pourront faire valoir à un Etat dont le centralisme autoritaire, malgré tant de contestations renouvelées, tente encore de s’imposer par la force.

Martine BOUDET L’emblématique des régions de France (Paris, Panthéon, 2023)
Faculté Sociétés & Humanités, Université Paris Cité
https://www.editions-pantheon.fr/catalogue/lemblematique-des-regions-de-france/

Notes
(1) Gilles Lipovetski, Jean Serroy, Le nouvel âge du kitsch, -Essai sur la civilisation du « trop »-, Paris, Gallimard,
https://books.google.fr/books?id=WWzCEAAAQBAJ&pg=PA1&source=kp_read_button&hl=fr&newbks=1&newbks_redir=0&gboemv=1&redir_esc=y#v=onepage&q&f=false

Source

https://blogs.mediapart.fr/refondation-ecole/blog/120824/la-ceremonie-d-ouverture-des-jo-un-exemple-de-spectacle-neo-liberal-deracine