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Eléments de déontologie de la vie sociale et militante (Martine Boudet)

Membre du Conseil scientifique

mardi 12 septembre 2017, par Martine Boudet

Comme écrit par maints observateurs de la vie socio-politique, de nombreux indices signalent l’état de délabrement de la res publica. Plutôt que de les énumérer une énième fois, il serait intéressant de caractériser l’idéologie à laquelle ils se réfèrent et de discerner ce qui relève de la responsabilité respective des décideurs et des composantes populaires.

Une République à bout de souffle

L’économie néo-libérale et la 5e République font bon ménage pour imposer un système à la fois libéral et centraliste-autoritaire. Libéral au plan économique mais aussi au plan moral (celui des mœurs), et centraliste-autoritaire quant à la gestion socio-politique de la cité (monarchisme républicain), à partir des leviers de commande de l’oligarchie politico-financière basée principalement dans la capitale. Crise économique oblige depuis 2008, associée qu’elle est à la crise géopolitique et stratégique, dans l’espace d’une mondialisation non plus bipolaire avant 1994, mais centrée comme la République française sur des leviers de commande occidentaux : G8 et OTAN, Union européenne, FMI, Banque mondiale…. Le djihadisme (Asie, Afrique…) s‘avère une réponse faussée et autodestructrice émanant d’aires non occidentales, qui subissent souvent les effets délétères d’une domination démultipliée sur des cercles concentriques, une domination à la fois géo-stratégique et géoculturelle. A l’échelle de notre aire, la françafrique est le système le plus organisé à cet égard.

Les évolutions et travers de la période

Dans la dernière période, une évolution significative de la gauche française, et du peuple ce faisant, s’est faite sur le plan de la conscience écologique. Le rapport à l’environnement naturel, à la planète Terre, a été profondément modifié, sachant que la période précédente était dominée par une forme de marxisme productiviste, axée sur la valeur Travail. Associée aux effets limites de la pollution industrielle, la crise de croissance du système néolibéral, marquée par la crise de l’emploi et le spectre d‘un chômage endémique, est l’une des grandes causes de cette évolution des mentalités. En découle une réflexion-action pour pondérer la consommation voire développer des démarches de décroissance ciblée.
Sous l’effet de la mondialisation et de la médiatisation des échanges,-phénomènes respectivement objectif et subjectif concernant les relations internationales ainsi que leurs modes de représentation-, une deuxième évolution est à l‘ordre du jour qui s’effectue sur le terrain des relations intercommunautaires, inter-ethniques. Sous l’effet des migrations, résultante de rapports de domination à l’échelle internationale, la France est devenue comme les autres métropoles occidentales, un pays multiculturel de facto. Face aux xénophobies instituées et aux radicalismes identitaires réactionnels aux crises précitées, il s’avère nécessaire de renforcer les liens existant entre les différentes composantes géo-culturelles, notamment et en premier lieu sur l’axe Nord-Sud (1).
A défaut de quoi les cadres antérieurs, notamment républicains, apparaissent comme des cadres anachroniques propices aux stagnations et mais aussi aux régressions psycho-sociales et politiques, dont nous voyons les manifestations tant au niveau de la vie politique que de la vie sociale au quotidien. Ces régressions s’avèrent des formes caricaturales de la culture nationale d’origine, traduisant un raidissement face à la perspective d’évolutions qui nécessitent tout autant d’efforts pour y parvenir. Le culte des libertés individuelles se transmue trop souvent, surtout chez des jeunes, dans des formes d’anarchie éducationnelle et d’auto-éducation via les réseaux sociaux et les médias culturels branchés, dans des formes d’incivilités et de violences interpersonnelles : l’Ecole en est devenue un cadre ordinaire, dans un climat de démagogie et de laisser-aller inquiétants. Le culte de la citoyenneté individuelle, à l’échelle des adultes en particulier, se transmue progressivement en un individualisme de repli et atomisant, en un désengagement familial, social et militant. Le culte de l’égalité en un égalitarisme uniformisant, qui tend à nier les discriminations de genre et d’origine qui se multiplient en ces temps de dure concurrence sur le marché du travail. Le culte de la fraternité est mis à mal par la prépondérance de la concurrence et de la compétitivité au niveau des individus des organismes, des pays… au détriment des formes de coopération et de co-développement. Enfin, le culte de la laïcité, autre fleuron républicain durement acquis par les générations antérieures, peut se transmuer en une forme d’ethnocentrisme et d’intolérance religieuse, d’islamophobie en la circonstance, sous l’effet d’amalgames réducteurs entre Islam et djihadisme.
Au niveau de l’oligarchie qui est aux manettes, la régression républicaine se manifeste par la pléthore des affaires de corruption qui émaillent la chronique médiatique et judiciaire depuis une décennie. L’UMP, ou les républicains, parti-Etat fondateur dans la tradition gaulliste de la 5e République, est l’organisation la plus marquée par une corruption structurelle endémique, qui concerne des équipes, dans la mouvance sarkozyenne en particulier (affaire Bygmalion…). L’autre parti de gouvernement, le PS est touché au niveau d’individualités isolées comme l’a montré l’affaire Cahuzac. Pouvoir oligarchique et délinquance sexuelle (harcèlement sexuel…) ont aussi partie liée comme l’ont montré les affaires DSK et Denis Baupin. La politique-spectacle, fondée sur la primauté de la communication sur le débat des idées, favorise toujours davantage un psychologisme réducteur et le narcissisme. Le FN surfe quant à lui sur cette crise historique de la représentation politique pour imposer un populisme xénophobe et fascisant, qui récupère des fondamentaux du programme anti-libéral de la gauche de gauche.
Dans ces conditions délétères, l’Etat oligarchique a beau jeu de resserrer les mailles du filet citoyen et intercommunautaire, par l’exercice d’un pouvoir central autoritaire voir répressif, dont l’Etat d’urgence prorogé au motif de la guerre contre le terrorisme est l’émanation institutionnelle. Si les pouvoirs régaliens, ceux de la police et de l’armée sont sollicitées à plein à cet égard, les contrepouvoirs que sont médias non dominants –Le canard enchainé, Médiapart, Rue 89…) et des services spécialisés de la justice continuent à exercer leurs tâches de contrepoids, comme l’a montré dernièrement l’affaire Fillon.
Le peu de réactions organisées à l’égard de la corruption endémique de l’oligarchie française manifeste à la fois la croyance illusoire dans le fait de participer aux fruits de la croissance via les acquis sociaux et la manne néocoloniale (françafricaine), mais aussi une dépendance à l’égard du monarchisme républicain. En ces temps de raréfaction de l’engagement citoyen et des ressources militantes, cette violence d’Etat peut se décliner à différents étages de la vie organisationnelle, des partis et associations, sous la forme d’une caporalisation accrue, d’un sexisme et d’un racisme résiduels, de discriminations d’une manière générale…. A l’autre bout de la chaîne de domination institutionnelle, perdurent des divisions intestines, au niveau de la gauche de gauche, qui entravent toute démarche viable de conquête de pouvoirs politiques d’envergure. Celle-ci est pourtant nécessaire en fait indispensable pour compenser la crise historique des partis de gouvernement, PS et LR, et pour enrayer la montée exponentielle du FN, devenu le premier parti de France depuis les élections européennes de 2014. Pour ce faire, la réflexion est à mener sur les moyens de résorber des clivages idéologiques et des séparations organisationnelles contre-productifs. Dogmatismes et sectarismes constituent des luxes que le peuple français ne peut plus s’offrir, en ces temps de recherche d’alternatives viables.

Pour une anthropologie de la vie sociale et militante

Réinsuffler des formes-sens substantielles de démocratisation de la vie socio-politique nécessite de remédier dans un premier temps aux violences d’origine identitaire, générées par les discriminations xénophobes et par un intégrisme réactionnel. L’exemple globalement réussi de la décentralisation régionale (loi Defferre, 1982) est un bon repère pour harmoniser les relations intercommunautaires et pour opérer aussi des formes de décentralisation à l’échelle des organisations. De même, les collaborations entre les pouvoirs publics et les dignitaires musulmans doivent être renforcées pour mettre à égalité les droits et devoirs des différentes religions représentées dans le pays.
Résorber les déficits de la culture politique nationale nécessite de faire appel aux forces vives alternatives, celles des femmes, des jeunes ainsi que des représentants des communautés d’origine immigrée, notamment des pays ex-colonisés. Ce sont autant de ressources culturelles en attente de fructification, « en réserve de la République » à venir.
Au niveau des institutions de recherche et d’éducation, Université, Espé, Education nationale-, il reste à édifier une formation à l’anthropologie culturelle qui fasse de la diversité, de l’inclusivité et du dialogue des langues-cultures des principes constitutifs d’une pédagogie et de programmes renouvelés (2). Les différents territoires -régions historiques, outre-mer, quartiers populaires…- devraient bénéficier de dispositifs éducationnels et formatifs de cet ordre, à même de renforcer un développement durable, une écologie socio-culturelle et interculturelle de qualité.

Mars 2017


(1) Collectif, Urgence antiraciste –Pour une démocratie inclusive (Martine Boudet coordinatrice, Ed du Croquant, 2017)
http://www.editions-croquant.org/component/mijoshop/product/384-urgence-antiraciste
Programme des événements parisiens (2017) à l’occasion du 21 mars, journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale
http://le-cran.fr/wp-content/uploads/2017/03/programme-SPLCRA.pdf
(2) Rapports ministériels sur la refondation de la politique d’intégration (2013)
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/134000759/index.shtml