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Politique de la ville et d’intégration à Nanterre (Gérard Perreau Bezouille)

Membre du Conseil scientifique

mardi 12 septembre 2017, par Martine Boudet

Que constatons-nous du poids du passé colonial sur nos activités, dans la présence des Français à l’international, dans la vie locale des quartiers ?

Nanterre est une terre de migrations, elle est semée de mémoires multiples dont la résonnance dépasse son territoire puisque les périphéries sont les portes d’entrée dans les métropoles. Nanterre les fait dialoguer et, pour certaines d’entre elles, notamment celles liées à la guerre d’Algérie, nous travaillons ensemble à les réhabiliter après des années de silence imposé.

Je voudrais vous livrer une réflexion d’Abdelmalek Sayad, sociologue proche de Bourdieu, dont Nanterre vient de donner le nom à un groupe scolaire : «  Renouer les fils de l’histoire, restaurer la continuité de l’histoire, ce n’est pas seulement une nécessité d’ordre intellectuel ; c’est une nécessité d’ordre éthique »

Alors, de quoi s’agit-il concrètement ? De mettre en lumière les mobilisations sociales, pacifistes, anticoloniales, de tisser des contacts entre acteurs et « ayant droits » de cette période ; car reconnaitre une histoire commune permet de bâtir un futur partagé, non de le subir et donc de reproduire le passé.

Pourquoi est-ce important ? Parce que c’est un des moteurs de l’émergence de toutes les diversités dans le champ politique, c’est le socle sur lequel se basent identités et citoyenneté.

Ce travail prend appui sur trois mouvements qui se produisent dans le même temps et convergent, font sens ensemble, doivent produire le Nanterre d’aujourd’hui, son apport à la métropole métissée d’aujourd’hui.

1) Tout d’abord, les forces politiques françaises, y compris les partis de gauche, tous, ont tardé à prendre en compte, dans le combat politique, les nombreuses discriminations dont étaient victimes les travailleurs immigrés, à intégrer leur apport aux projets progressistes qu’ils portaient pour la République, et à accorder à ces citoyens une place au sein des appareils et dans la désignation des candidatures.

Il y avait, pour les militants anticolonialistes -comme pour les immigrés puis leurs « héritiers »- la nécessité d’intégrer qu’ils n’étaient pas des travailleurs de passage qui « rentreraient au pays » -expression consacrée- mais des citoyens à part entière, et reconnus comme tels.

A ce sujet, les années 80 marquent une rupture profonde : C’est la fin des « 30 glorieuses », c’est l’arrivée de la crise et la vague néolibérale et tout cela désagrège les liens sociaux des territoires populaires de périphérie. La déconstruction du monde ouvrier déstructure la société et reconfigure l’ensemble des rapports au politique.

Les migrants, leurs familles et leurs descendants, en sont à double titre les principales victimes : ils occupent les emplois les plus précaires et ils vivent dans les territoires périphériques épicentres de la crise : ils sont donc les plus frappés.

A la stigmatisation et à l’injustice répond un sentiment de révolte qui aboutira à La Marche pour l’Egalité des Droits, de 1983 et à l’irruption des « héritiers » de l’immigration au sein de l’univers politique.


2) Second mouvement, c’est celui qui touche les territoires de périphéries
. Les banlieues deviennent un enjeu majeur : souvent les gens, migrants, y sont arrivés avant la ville, créant leur propre « bidon-ville », puis leur parcours résidentiel. Territoires de relégation et de rejet elles sont aussi lieu d’innovation, espaces de rencontre d’une multitude de trajectoires individuelles, d’origines et de contenus infiniment variés. Celles-ci, réunies les unes aux autres par l’action citoyenne et politique, co-construisent un projet de ville qui est aussi un projet de vie, fondé sur des allers et retours permanents entre l’individuel et le collectif, centralités et échelles de territoires différentes.

L’irruption de ces territoires sur la scène politique impose la question de la métropole mais surtout celle des regards et de la place de chacun des territoires qui la composent.

La citoyenneté devient, comme les territoires, « omniscalaire » : toutes les échelles de temps (passé mémoire héritage/ présent / devenir) et d’espace s’y conjuguent, s’y entrechoquent. C’est la conséquence directe de la globalisation et de la métropolisation. La citoyenneté contemporaine comprend des dimensions variables : nationale, infra/nationale, supra/nationale- transnationale.

Dans ces métropoles-villes-monde, l’interaction des diasporas avec les pays d’origine fait, aussi, émerger de nouvelles citoyennetés solidaires.

3) Enfin parce que la question démocratique devient centrale. Comment y avons-nous répondu à Nanterre ? en 1995, une nouvelle manière de préparer les élections municipales est proposée autour des « Cahiers pour la Ville. » Elle marque une étape importante dans la prise en compte d’une ville diverse, plurielle, à plus d’un titre. Forts de ce succès nous décidons d’ouvrir le processus des « Assises pour la Ville ». Il s’agissait de temps forts de la démocratie participative généralistes ou centrés sur une thématique (place du service public, écologie urbaine, jeunesse…). Ils contribuaient à élaborer de la reconnaissance, de l’en-commun, de l’« être ensemble » pour mieux « agir ensemble ».

Trois mouvements donc qui font système, nouvelle urbanité.

« 2003, Année de l’Algérie à Nanterre » (culture, sport, rencontres, colloque), grâce à une formidable mobilisation et à la convergence d’acteurs associatifs et institutionnels très divers, valorise les apports considérables au territoire de Nanterre de l’Algérie, des migrants –aux côtés des autres acteurs- qui « prennent » ainsi leur juste place dans notre histoire.

En janvier 2008, la visite d’une délégation municipale et l’installation de la fontaine à Guémar, même si elle se situe contradictoirement dans l’idée du « retour », reste un marqueur symbolique.

Dans le sillage de la pétition de 2001, les associations locales et les élus travaillent ensemble à la reconnaissance des massacres du 17 octobre 1961. 2003 sera donc marquée par la pose, à l’emplacement d’un ancien bidonville, devant la Préfecture des Hauts-de-Seine, d’une plaque qui sera ensuite, chaque année, le lieu d’une commémoration préparée collectivement. En 2011, pour le cinquantenaire, un échelon supplémentaire est gravi avec l’organisation d’un colloque scientifique et d’une série d’initiatives culturelles qui s’accompagne de l’inauguration du boulevard du 17 octobre 1961.

L’hommage rendu à Aimé Césaire en 2009 (même si, sur les plaques de rue, ne subsiste que « poète ») participe du même travail pour que chaque Nanterrien soit reconnu, avec son histoire, et ainsi se sente investi d’un véritable « droit de cité » qui attache à la citoyenneté un ensemble de droits inaliénables. Il en est de même par exemple, dans d’autres dimensions, du rendez-vous annuel de l’ARCOP (association des originaires du Portugal) avec des villes portugaises, ou de nombre d’initiatives prises par le secteur « ville-monde » de la ville.

Rappelons enfin que Nelson Mandela est le seul citoyen d’honneur de la ville, depuis 1985.

Tout cela se traduit dans la toponymie des nouvelles voies créées par la ville en proximité du quartier d’affaire de la Défense. Edifier un en-commun local passe par la reconnaissance de ces particularismes fondateurs en les inscrivant dans l’universel. Ces symboles participent à esthétiser les valeurs afin de politiser les colères. Ils construisent un nouveau « récit » authentiquement populaires car des gens « blessés » par des rapports sociaux ne peuvent être « soignés » que par des rapports sociaux.

Modestement nous avions essayé de suivre le chemin étroit tracé par Aimé Césaire : « il y a deux manières de se perdre : par ségrégation murée dans le particulier ou par dilution murée dans l’universel. » (1956 - lettre à Maurice Thorez)

Ainsi, citoyenneté locale et devoir de mémoire se conjuguent pour contribuer à l’héritage universel des diversités.

Quatre remarques pour terminer :

  Ce travail sur la citoyenneté et ses rapports à la mémoire nécessite un regard plus prospectif sur le dépassement de l’ordre établi, son sens, les processus sociaux à même de le mettre en œuvre. Face à l’empire ainsi recomposé, les multitudes, le peuple en construction, deviennent la classe oeuvrière du changement.

  Ce travail de mémoire, outil fondamental du « faire ensemble » ne peut être porté sans un partenariat avec les universités et les scientifiques, qui permettent de re – situer ce travail de mémoire dans la grande « Histoire » et de ne pas cantonner la mémoire des oubliés, des invisibles, aux politiques de la ville, de ne pas prendre le risque d’atomiser les mémoires. Le travail de mémoire est indispensable mais il faut qu’il alimente l’histoire. D’où l’importance de partenariats villes-universités et d’un travail interdisciplinaire, qui n’est pas sans rappeler celui que prônait l’Ecole des Annales.

  Ce type de démarche, construite ainsi dans ses finalités et ces composantes, est à l’opposé du communautarisme et du clientélisme, il nécessite à la fois auto-organisation autonome des victimes de discriminations dans le sens de la prise en compte et de l’émancipation et intersectionnalité, convergence, articulation pour travailler et proposer une perspective aux « enfants du chaos » (Alain Bertho)

  La tolérance vis à vis du fait religieux, sa prise en compte, le respect des croyants sont indispensables. Mais il ne s’agit pas de contribuer à centrer sur le fait religieux la richesse des multiples diversités ou de faire croire, par exemple, que la réunion de trois hiérarques des religions monothéistes est un bon exemple pour le « vivre ensemble »

Intervention à l’Université d’été d’ALLISS (Montpellier 3 au 5 juillet 2017)