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EN-FDE-ESR : quelles remédiations à la domination néo-libérale et de classe ? (Martine Boudet)
membre du CS (1)
vendredi 10 novembre 2017, par
Education nationale-Formation des enseignants-Enseignement supérieur et recherche : quelles remédiations mettre en oeuvre face à la domination néo-libérale et de classe ?
La crise du système éducatif s’inscrit dans un contexte plus large de crise (géo)-politique –celle du système démocratique- et au-delà civilisationnelle –celle du monde occidental régi par la gestion néolibérale. Elle se traduit notamment par les phénomènes suivants : l’accroissement inquiétant des inégalités scolaires, notamment au détriment des quartiers populaires et du monde de l’immigration (2), une gestion technocratique de l’institution, une perte d’intégrité intellectuelle et morale du monde enseignant, pris dans les nasses de l’autoritarisme administratif et d’une violence juvénile réactionnelle. La progression de l’individualisme concurrentiel, d’un populisme réactionnaire et xénophobe, du radicalisme religieux…résultent de cette politique éducative (et également médiatique).
L’institution évoluant sous le sceau de la mondialisation-médiatisation de la vie sociale gérée sur le mode néolibéral, une ouverture programmatique sur « l’altermonde » et la démocratisation de son fonctionnement interne contribueraient à son adaptation. Pour ce faire, deux paramètres contextuels sont à prendre en considération et à articuler :
-l’émergence du « capitalisme cognitif » dans l’Union européenne, (3) qui récupère la révolution numérique et qui, à ce stade spéculatif du développement économique, discrimine savoirs et cultures en fonction de leur degré de rentabilité et de compétitivité, renforçant la technoscience (4) au détriment des sciences sociales et des humanités (5) ;
– l’essor des nationalismes et des xénophobies qui entrave les démarches d’inclusion des publics appartenant aux minorités ethniques notamment des suds, et la construction d’une culture nationale (et européenne) commune, avec les outils analytiques et stratégiques requis.
Dans ce contexte libéral-autoritaire, quel programme de recherche, de formation et d’enseignement peut contribuer à un service public plus équitable et émancipateur ? Quel bilan faire à cet égard de la « Refondation » de l’Education nationale (loi d’orientation et de programmation, 2013)
Au regard du premier paramètre, les recours concernent une éducation renforcée à l’égard des outils de communication et des industries de programmes médiatiques, en même temps qu’un rééquilibrage des programmes de l’ESR, de la FDE et de l’EN, pour la défense des disciplines minoritaires voire rares (6).
Concernant le second, en complément des outils de la laïcité, l’Ecole a nécessité à prendre en charge l’histoire et les cultures des publics (à l’échelle régionale, des outre-mer et de l’immigration), à permettre le développement du plurilinguisme propre aux territoires et aux familles , et à concourir d’une manière générale à une éducation ouverte sur une citoyenneté altermondialiste, sur les axes francophone et européen (7).
En amont, cette politique éducative nécessite une formation en bonne et due forme dans les ESPE, de même que la constitution d’un réseau d’intervenants des différents domaines précités. Ainsi, la construction d’une culture socio-professionnelle commune passe par « la refondation de l’enseignement des humanités », anciennes et modernes (8). C’est d’une manière générale aux fondamentaux de la géo-politique et de l’anthropologie (inter) culturelle que doivent être formés les enseignants et éducateurs (9).
Pour conclure, à la question sociale traditionnellement défendue par les organisations progressistes, celle des inégalités socio-économiques à l’Ecole, doit s’ajouter la lutte contre les inégalités socio-culturelles, dans la perspective de la réduction des discriminations et des dominations sur différents critères, disciplinaire, de genre, d’origine, de classe….
C’est un axe fédérateur dans le sens où personnels comme publics subissent ces risques psycho-sociaux (RPS) et la précarité qu’ils induisent, et peuvent unir leurs forces pour les réduire. Face à la technocratie à dominante économiste, et à la menace obscurantiste qui risque de faire échouer l’objectif d’une transformation qualitative, il s’agit de redonner leurs titres de noblesse aux savoirs et cultures des peuples, comme autant de facteurs d’un développement durable et à visage humain (10).
Liste de principes émergents
-l’autonomisation de la recherche et du système éducatif à l’égard du capitalisme cognitif (soit l’économie néo-libérale dite « de la connaissance ») et de ses corollaires en matière de cyberculture et de standardisation médiatique mondialisée
- La reconnaissance de la diversité culturelle, de l’interculturel et de l’intersectionnalité, principes à ajouter à la démarche laïque
-dans ce double contexte, géo-cognitif et géo-culturel, la réhabilitation des disciplines discriminées et des publics correspondants
- l’actualisation des missions de l’Education Nationale comme service public à caractère social, par une nette différenciation avec les institutions régaliennes (les forces de l’ordre)
- la formation des enseignants aux fondamentaux de la géopolitique, de l’anthropologie culturelle, de la sémiologie et de la pédagogie des médias…
- la formation et l’éducation à la coopération (dans le cadre de l’Union européenne et de la francophonie)
- La démocratisation du fonctionnement institutionnel de l’Education nationale (de sa « gouvernance ») et des relations entre ses composantes
- le dialogue théorique et stratégique de ses différentes composantes pour la réalisation de ces objectifs. Au moyen de rencontres, de débats et entretiens contradictoires, de la mutualisation des ressources….
- la construction de la citoyenneté à l’école, avec des objectifs clairs en matière de vivre ensemble : refus des violences de tous ordres et respect de l’intégrité des publics et des personnels, éducation à la paix civile et au dialogue social, à la démocratie, à la solidarité internationale, à la parité, à l’antiracisme, à la diversité et à l’interculturel, au développement durable.....
(1) Articles publiés dans la Revue « Les possibles »
https://france.attac.org/auteur/martine-boudet
Martine Boudet, Florence Saint-Luc , Le système éducatif à l’heure de la société de la connaissance (Coord, PUM, 2014) http://pum.univ-tlse2.fr/~Le-systeme-educatif-a-l-heure-de~.html
Martine Boudet, Chapitre « L’Ecole doit contribuer au dialogue des cultures » in Urgence antiraciste –Pour une démocratie inclusive- (coord, Ed du Croquant, mars 2017)
http://www.editions-croquant.org/component/mijoshop/product/384-urgence-antiraciste
(2) Un récent rapport de l’UNICEF (2014) sur les inégalités scolaires confirme la dure réalité qui prévaut : la France est classée 35e sur les 37 pays de référence. D’une manière générale, le rapport montre que les politiques publiques françaises laissent de côté les plus vulnérables, en ne prenant pas en compte les spécificités de ces populations.
(3) Cette "gouvernance algorythmique" fait bon ménage avec les pouvoirs oligarchiques qui oppriment, sur fond de reflux populiste.
A propos de Dans la disruption (comment ne pas devenir fou ?) de Bernard Stiegler (Les liens qui libèrent, 2016) https://pfl.hypotheses.org/382
(4) Edgar Morin, Science avec conscience, Fayard, 1982
(5)Marc Conesa, Pierre-Yves Lacour, Frédéric Rousseau, Jean-François Thomas (dir), Faut-il brûler les Humanités et les Sciences humaines et sociales ?, L’atelier des SHS n°6, Michel Houdiard Editeur, 2013. https://aggiornamento.hypotheses.org/2235
(6) Fabienne Blaise, Pierre Mutzenhardt, Gilles Roussel, Rapport universitaire sur les disciplines rares (2015)
http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid87306/disciplines-rares-dans-les-universites-remise-du-rapport-a-najat-vallaud-belkacem.html
(7) Fabrice Dhume, Khalid Hamdani, « Vers une politique française de l’égalité » (Rapports sur la refondation de la politique d’intégration, 2013)
Pierre Duquesne, « L’arabe, langue oubliée par l’éducation nationale » L’Humanité du 23 juin 2014
http://www.humanite.fr/larabe-langue-oubliee-par-leducation-nationale-545288
Faites enseigner l’arabe par l’Etat (pétition)
https://secure.avaaz.org/fr/petition/Monsieur_Benoit_HAMON_Ministre_de_lEducation_nationale_M_HAMON_faites_apprendre_larabe_par_lEtat/?pv=17
(8) Barbara Cassin et Florence Dupont, « Appel pour une refondation de l’enseignement des Humanités » (journal Libération, 15 juin 2015).
https://www.change.org/p/madame-la-ministre-de-l-education-nationale-de-l-enseignement-sup%C3%A9rieur-et-de-la-recherche-appel-pour-une-refondation-de-l-enseignement-des-humanit%C3%A9s
http://www.liberation.fr/societe/2015/06/14/les-cultures-antiques-contre-les-integrismes_1329522
Isabelle Gruca, « Les enjeux de la création d’une option FLE au Capes de Lettres » (site de l’AFEF/Association française des enseignants de français, 2013)
http://www.afef.org/blog/post-les-enjeux-de-la-cruion-d-une-option-fle-au-capes-de-lettres-par-isabelle-gruca-p1163-c48.html
APLV/association des professeurs de langues vivantes, « Création d’une agrégation des langues régionales » (mars 2017)
http://www.aplv-languesmodernes.org/spip.php?article6593
(9) Claude Calame, « Anthropologie culturelle et sociale : Savoirs critiques et regards politiques en miroir »
(Revue Les possibles, Attac, 2015)
https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-7-ete-2015/dossier-la-connaissance/article/anthropologie-culturelle-et-sociale-savoirs-critiques-et-regards-politiques-en
"Pour dépasser l’opposition nature/culture : une perspective anthropologique et altermondialiste » (idem, 2014)
https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-3-printemps-2014/dossier-l-ecologie-nouvel-enjeu/article/pour-depasser-l-opposition-nature
(10) Lettre ouverte au mouvement pédagogique, à l’intersyndicale, aux élus (collectif Refondation Ecole) https://blogs.mediapart.fr/refondation-ecole/blog/221216/lettre-ouverte-au-mouvement-pedagogique-l-intersyndicale-aux-elus