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Réfugiés et inégalités Nord-Sud (Serge Seninsky)
jeudi 24 août 2017, par
Les textes, manifestes et appels diffusés depuis plusieurs années par des associations nombreuses et des organisations politiques en faveur de l’accueil des migrants n’a pas rencontré jusqu’à présent beaucoup de succès auprès des diverses institutions interpellées.
Parallèlement à ces actions, en replaçant la question de l’accueil des migrants dans le cadre général des inégalités Nord-Sud (dont elle n’est qu’un des aspects), des mobilisations pour des rapports plus égalitaires avec les pays d’origine pourraient (peut être ?) mieux et plus largement faire comprendre l’iniquité des situations là bas et ici, et donc modifier le rapport de forces.
L’anthropologue Claude Meillassous résumait en quelques lignes en 1977 la continuité de l’ exploitation (repris en 2013 par l’économiste argentin José Luis Corraggio [1] ) :
" L’accumulation primitive a accompagné toute la modernité et continue sous des formes plus ou moins pacifiques : les mines à ciel ouvert, l’extraction du pétrole qui empiète sur l’habitat indigène ou populaire, l’imposition du paiement usurier des dettes illégitimes, la continuelle exploitation indirecte du travail domestique des femmes et des enfants qui a lieu désormais à l’échelle globale, ou encore l’utilisation de l’État pour consolider la propriété privée de ressources qui sont le patrimoine de peuples ancestraux ou de l’humanité. Les formes qu’a prises la relation centre/périphérie après la colonisation ne sont aucunement dénuées de violence, la dépendance politique et la gestion des dettes allant des blocus par des flottes étrangères jusqu’aux conditions posées par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. "
La revue Alternatives Sud " L’ aggravation des inégalités " (2015)[2] indique dans sa présentation : " Quant à l’ écart entre pays riches et pays pauvres, si son explosion remonte à la période coloniale, il a encore pratiquement triplé depuis lors pour atteindre un rapport de 80 à 1. "
Dans une interview dans L’Express (5/5/2014 ) " Inégalités en Afrique : Agissons maintenant ! " le politicien franco-togolais Kofi Yamgnane dénonçait notamment l’accaparement des terres par des multinationales ou des États étrangers, et s’inquiétait de l’impact des inégalités (paupérisation, délitement des solidarités, corruption et instabilité).
Patrick Chamoiseau a commenté son livre Frères migrants sur le site Diacritik [3] le 10/7/2017 :
" Laisser-mourir est devenu politiquement rentable car cela laisse penser que l’on s’ érige protecteur contre la mise en relation de nos humanités. Seule la mise en contact régulée par le Marché est acceptable."
" L’ imaginaire inavoué de l’ Europe est l’Empire. (...) Car l’Empire est en soi un isolement. "
En fait l’expression de la solidarité des pays occidentaux a évolué et a considérablement bifurqué vers l’action des ONG.
Voici ce qu’ écrivait en 2009 à propos des ONG le consul du Burkina Faso de Nice [4] :
" Si à la naissance de l’ ONU on en dénombrait moins d’une cinquantaine, elles seraient à l’heure actuelle près de 40.000 dans le monde. Depuis que le concept de " village planétaire " a été véhiculé par les médias (...) les États et les Organisations internationales à l’échelle planétaire tiennent de plus en plus compte de ces acteurs atypiques que sont les ONG (...).
La prise de conscience de la communauté internationale est telle en ce début du XXIè siècle, que les ONG et ce que l’ on appelle communément la " société civile " sont des acteurs politiques majeurs de la vie internationale. "
En 2003, la géographe Sylvie Brunel [5] a donné une conférence à l’Université de tous les savoirs, sur le thème " Les ONG et la mondialisation " :
" En préambule, un constat s’ impose : depuis la fin de la guerre froide, les ONG explosent et jouent un rôle croissant sur la scène internationale.
ONG " de terrain " comme mouvements de lobbying et de sensibilisation, ONG du Nord et du Sud, ONG " associatives " mais aussi ce que les Anglo-Saxons appellent les " gongos " ( gouvernemental NGO...) tirant leurs ressources des financements publics, les ONG sont partout, l’humanitaire fait recette et ses hérauts figurent en tête des personnalités préférées des opinions publiques. " S. Brunel s’ interrogeait ensuite sur la légitimité des ONG, leur transparence et surtout : " L’action humanitaire contribue-t-elle vraiment, aujourd’hui, au développement ? "
La dernière livraison parue ( 2017 ) de la revue Alternatives Sud porte en titre " ONG Dépolitisation de la résistance au néolibéralisme ? " [6], elle introduit beaucoup de questions et de préoccupations salutaires.
Les ONG agissent et s’ activent, parfois dans des conditions d’urgence extrême ; elles obtiennent des résultats et facilitent des évolutions ; mais n’influent pas sur le rapport de force global et n’infléchissent pas l’orientation dominante.
Sensibiliser et mobiliser l’opinion publique pour la résorption des inégalités permettrait d’avancer vers le " monde dans la perspective des migrants " que définit Patrick Chamoiseau : " [3] Ce serait un monde qui se perçoit, se vit, se réalise et s’ organise comme un monde dans la totale plénitude du vivant. (...) Dans un tel monde, la mobilité de tous vers tous et par tous devient une donnée élémentaire de base qui ne s’oppose à aucune permanence ni à aucune sûreté collective. Ce sera le monde de la Relation ! "
[1] Socioéconomie et démocratie d’Isabelle Hillenkamp et Jean Louis Laville mai 2013 éd. Erès
[2] Julie Godin 09/2015 éd. Syllepse
[3] https://diacritik.com/2017/07/10/
[4] Lettre n° 16 du consulat - avril 2009. Le mot du Consul : " Les ONG à l’ heure de la mondialisation "
[5] Le Monde 25/06/2003, présentation de la conférence de Sylvie Brunel du 22 /07/2003
[6] Julie Godin 05/2017 éd. Syllepse