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Pour l’abolition du système prostitutionnel

jeudi 12 septembre 2024

Argumentaire destiné à alimenter l’atelier "Comprendre la position abolitionniste d’Attac", qui a eu lieu lors du week end stratégique le 24 août 2024.

Les arguments sont de plusieurs ordres.

La prostitution résulte d’une construction patriarcale millénaire. Elle ne relève ni de la sexualité, ni du travail, mais de la marchandisation de la personne, particulièrement des plus vulnérables. Le néolibéralisme a trouvé dans la prostitution un « secteur » où se déployer pour générer d’énormes profits. Elle est liée à des pouvoirs économiques et mafieux considérables. Ainsi, il existe un lobby puissant en faveur d’une reconnaissance du « travail du sexe » qui occulte sa réalité sordide sous une illusion de modernité. L’exploitation sexuelle et la traite qui y est liée se développent dangereusement, en profitant de la vulnérabilité des personnes migrantes (surtout femmes et enfants), des minorités ethniques, des mineures dont celles placées dans des foyers d’aide à l’enfance, des étudiantes ayant besoin de payer leurs études et recruté·es par les réseaux sociaux (voir Rapport mondial sur l’exploitation sexuelle Fondation Scelles, 2019), etc. Quel avenir alors si la prostitution devenait un travail comme un autre ?

La prostitution est une violence. Les personnes prostituées présentent au bout de quelques années les mêmes traumatismes que celles revenues des guerres (id. Rapport Fondation Scelles) . Il faut écouter la parole de celles qui en sont sorties – qui se nomment elles-mêmes des survivantes - lorsqu’elles racontent leur expérience ! 80 à 90 % des personnes prostituées veulent en sortir. Il ne faut donc pas seulement entendre certaines femmes qui affirment qu’elles sont satisfaites, qu’elles choisissent leurs clients et gagnent bien leur vie.

Détournement des mots d’ordre de droit à disposer de son corps et de libre choix.

Les personnes opposées à l’abolitionnisme utilisent le slogan féministe de droit à disposer de son corps (mon corps m’appartient) pour légitimer la prostitution. C’est un contre-sens. Car quand les féministes des années 1970 ont réclamé ce droit, cela concernait l’accès à la contraception pour la maîtrise de la procréation, pour avoir le choix d’être mère ou non, ce qui permettait une sexualité plus égalitaire. L’acte de prostitution implique le contraire : la mise à disposition du corps d’une femme pour satisfaire le (soi-disant) désir d’un homme.

De quel libre choix parle-t-on lorsqu’il est à ce point soumis aux contraintes économiques et aux rapports de domination et d’exploitation ? Si la prostitution est une question de libre choix, pourquoi la majorité des femmes prostituées a subi viol et abus sexuels dans leur enfance ? Pourquoi les personnes prostituées sont en grande majorité des femmes et non des hommes ? des personnes racisées bien plus que les blanches ? Pourquoi en France 90 % sont d’origine étrangère ? Pourquoi au Canada, en Australie, Amérique du Sud, etc. la majorité est issue des minorités ethniques et autochtones ?

Les personnes souhaitant faire de la prostitution un « travail » comme un autre défendent un « choix de se prostituer », notamment pour des raisons économiques (nécessité d’avoir un revenu). Prenons l’exemple de la vente d’organes : elle est illégale. Faudrait-il l’admettre, voire la légaliser, sur l’argument du « libre choix » de la personne qui vend un organe ? Peut-on accepter qu’une personne vende un rein comme moyen de subsistance ? Non. Au nom de la protection de l’intégrité de l’être humain, c’est exclu. Le critère de référence pour juger de ce qui est acceptable ou non par la société est la préservation de la personne, et non son « libre choix ». On peut prendre aussi l’exemple de l’esclavage : la question du consentement d’un esclave à son sort n’a pas de pertinence, c’est l’existence même de l’esclavage en tant qu’institution qui pose problème à toute société, car c’est une atteinte à la dignité humaine.

Toujours sur l’idée de « prostitution choisie » : l’acte de prostitution entre deux personnes consentantes dans un cadre privé peut toujours exister. Les femmes et personnes qui « choisissent » de se prostituer, indépendamment de contraintes matérielles ou hors des réseaux de proxénètes, très minoritaires en réalité, pourront toujours le faire. Mais tout autre chose serait d’accepter la prostitution comme une institution de la société, comme un métier. Cela reviendrait à mettre potentiellement toutes les femmes sur le « marché ». Une femme au chômage pourrait-elle alors, sans perdre ses droits, refuser une proposition « d’emploi de prostituée » ? Comment concevoir de lutter contre la prostitution des mineur·es en instaurant celle des adultes comme un métier et une activité économique légale ?

Caractériser la prostitution comme un métier supposerait demain une formation, des dispositifs d’orientation, proposés dans les établissements scolaires. Une personne réglementariste sera-t-elle favorable à cette orientation pour sa propre fille ?

La première des libertés doit être de pouvoir vivre sans vendre son corps. Le droit supérieur à défendre et à mettre en oeuvre, c’est celui de vivre sans être obligé·e de se prostituer (comme de vendre un organe).

La prostitution n’est pas une question individuelle mais sociale. La Convention internationale de 1949* témoigne que la prostitution est incompatible avec la dignité et la valeur de la personne humaine. La conquête des droits doit servir à promouvoir la dignité humaine, et non pas à la nier.

Contrairement à ce que soutiennent ses opposant·es, la politique abolitionniste ne consiste pas à réprimer les personnes prostituées mais au contraire à les reconnaître comme des victimes et à les protéger : titres de séjour, protection contre les violences et les réseaux de souteneurs, accès aux droits sociaux, à la santé ; à leur donner la possibilité d’une formation et d’un emploi  ; à refuser d’invisibiliser la violence qui caractérise le système prostitutionnel, à dénoncer les pouvoirs économiques et mafieux qu’il génère. Mettre en œuvre l’intégralité de cette politique nécessite un budget, qui pour l’instant est notoirement insuffisant.

La position abolitionniste est seule compatible avec l’émancipation humaine et l’émancipation des femmes, et la seule cohérente avec le refus de la marchandisation généralisée, notamment des êtres humains, qui fait partie des fondamentaux d’Attac.

Août 2024