Accueil > Commission enseignement-recherche > Sortir la recherche de la guerre économique internationale (Marc Delepouve)

Sortir la recherche de la guerre économique internationale (Marc Delepouve)

dimanche 29 juillet 2012, par Commission Enseignement-Recherche

Le 11 juillet, lors d’une communication au Conseil des ministres, Geneviève Fioraso a donné la feuille de route des assises de l’enseignement supérieur et de la recherche. L’objectif est notamment de «  lancer une nouvelle ambition pour la recherche, sa stratégie internationale et son rôle dans l’économie, la société et la transition écologique  ». La communication précise : «  Ce travail est déjà en cours en coordination avec le commissariat général à l’investissement (CGI).  » Il est utile de rappeler que la mission générale du CGI se conclut par «  la sélection des projets, qui se fait selon des critères rigoureux pour ne retenir que ceux à fort potentiel de croissance  ». Huit jours auparavant, lors de son discours de politique générale, le premier ministre, Jean-Marc Ayrault, précisait : «  Nous redonnerons aussi toute sa place à la recherche. À l’ère de la société de la connaissance, le rôle de la science et de la recherche fondamentale doit être réaffirmé. Il nous faudra renforcer les liens entre université, grandes écoles, laboratoires de recherche et entreprises, pour que les études supérieures débouchent véritablement sur une insertion professionnelle et concourent à la réussite du redressement productif.  » L’orientation politique du précédent gouvernement est confirmée : réquisitionner la recherche et l’enseignement supérieur au service de la guerre économique internationale. Dans un contexte de désindustrialisation de la France et de concurrence économique exacerbée à l’échelle internationale, pourrait-il en être autrement ?

L’ouvrage Une société intoxiquée par les chiffres. Propositions pour sortir de la crise globale (1) montre que la transition écologique est retardée, voire empêchée par un système international où «  les recherches et les développements indispensables se mènent dans le cadre d’une concurrence économique, internationale, acharnée, si bien que les mêmes efforts de recherche sont effectués simultanément en de multiples endroits, généralement sous le couvert du secret, occasionnant un incroyable gâchis  ». «  À l’opposé, il est urgent de mettre en place un plan de coopération internationale afin de développer au plus vite les recherches indispensables et de diffuser et appliquer partout dans le monde les modes de production et de consommation d’énergie les moins polluants. Chaque nation devrait avoir l’obligation d’y contribuer à hauteur de plus de 1,5 % du PIB. Le volontariat ne peut être la règle face au bouleversement du climat. Un financement mondial et des taxes internationales doivent être mis en œuvre afin d’assurer la participation des pays aux plus bas revenus à l’ensemble des étapes de ce plan, de la recherche à l’application concrète.  » «  Une démarche internationale similaire devrait être mise en place à propos d’autres questions cruciales comme l’agriculture, la santé, les rejets polluants ou encore la réorientation de l’activité humaine vers les façons de faire et les domaines les moins consommateurs de ressources naturelles non renouvelables et les plus respectueux de l’environnement.  »

Du 20 au 22 juin 2012, se tenait le sommet de la Terre, Rio+20. Aucune décision s’imposant aux États n’y a été prise, ni réglementaire, ni financière, ni en termes de transferts de technologies ou de recherche visant à la résolution des problèmes environnementaux et sociaux internationaux. Par contre, dans leur déclaration commune, les représentants des États ont considéré que les partenariats public-privé «  constituent un outil précieux  » et ont conclu sur un éloge de la libéralisation des échanges commerciaux et sur leur volonté d’élargir le champ des activités soumises au marché mondial sous l’autorité de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Le choix exprimé est celui de nouvelles extensions de la guerre économique internationale, aggravée d’une poursuite de l’effacement des frontières entre les entreprises privées et les services publics. Dans ce contexte, où l’innovation verte est l’un des nerfs de la guerre économique, il ne peut être question d’une recherche de technologies respectueuses de l’environnement basée sur des coopérations internationales.

La feuille de route des assises de l’enseignement supérieur et de la recherche s’inscrit dans ce contexte de compétition dévastatrice. À l’heure de l’urgence environnementale et sociale, ces assises ne devraient-elles pas, au contraire, être l’occasion d’une remise en question du rôle dans lequel tend à être enfermée la recherche et d’une condamnation de l’orientation néolibérale et de l’ultra-libre-échangisme de l’Union européenne ? C’est la condition sine qua non d’une mobilisation générale du potentiel humain indispensable pour affronter les défis du XXIe siècle.

(1) Marc Delepouve, Éditions l’Harmattan, décembre 2011.

À quoi devraient servir les assises de l’enseignement supérieur et de la recherche ? Tribune de l’Humanité (17 juillet 2012)

http://www.humanite.fr/tribunes/sortir-la-recherche-de-la-guerre-economique-internationale-500932