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Réconcilier les enfants avec l’écriture d’Eveline Charmeux (ESF, 2016)

Recension par Martine Boudet

jeudi 13 août 2020, par Commission Enseignement-Recherche

Éveline Charmeux, agrégée de grammaire classique, ancienne formatrice à l’IUFM de Toulouse et enseignante-chercheure à l’INRP à Paris, est une pédagogue bien connue du monde enseignant. Chercheure de terrain, ses domaines de prédilection sont l’enseignement de la lecture, de l’orthographe et de manière générale, la maîtrise de la langue, notamment dans le primaire.

Dans cet ouvrage publié dans la collection « Pédagogies » des Editions sociales françaises, dirigée par Philippe Meirieu, notre collègue propose son approche, cette fois-ci, de l’entrée dans l’écrit.

Une philosophie exigeante du métier

Des idées forces sont rappelées au départ :
« L’écriture extériorise et matérialise la conscience du dire. A la fois objectivation et décentration, elle équilibre et structure. En ce sens, elle est un facteur fondamental de l’autonomie. » (p 9)
« « Apprendre à écrire », loin de se borner à l’apprentissage de la graphie, est en réalité l’apprentissage d’un type complexe de vécu : apprendre à vivre des situations de communication, dans leurs variations. (…) Lire et écrire sont devenus les outils de base du citoyen et de sa liberté. » (p 17)
La construction de cette autonomie, de cette liberté est conditionnée à l’apprentissage des codes sociaux, des règles langagières et discursives, quitte à ce que ceux-ci soient dépassés ou transgressés en fonction d’un projet d’écriture dûment maîtrisé, de l’ordre du jeu, de la créativité littéraire, de l’intertextualité et du partage culturel.
Comme le titre l’indique, la « réconciliation avec l’écriture » présuppose la réalité d’une mise en échec préalable, ou tout du moins la conscience d’un blocage face à cet exercice. Outre les déterminismes socio-culturels, l’auteure liste les contre-performances scolaires en la matière, plus importants encore que ceux qui sont enregistrés pour l’exercice de la lecture (au sens de compréhension de la signification d’un énoncé). L’empirisme ou manque de méthodologie, mais aussi a contrario un fonctionnalisme desséchant, qui ont cours dans l’institution éducative, sont parmi les premiers obstacles à franchir, pour que soit réhabilitée ou promue, auprès des publics, cette composante essentielle du cours de français.

Une méthodologie de l’écriture au carrefour de la grammaire du discours et des courants pédagogiques

En partant des deux sens du verbe « écrire » – l’acte graphique et l’activité de production de texte – Éveline Charmeux met en scène de manière concrète ce qu’est, pour un élève, « entrer dans l’écrit ». Elle construit ainsi une « pédagogie des situations d’écriture » et une progression des apprentissages qui permet à l’enfant de s’engager et de comprendre ce qu’il fait, qui lui permet aussi de progresser vers des écrits de plus en plus soignés et rigoureux. Refusant, pour ce faire, une approche décontextualisée et s’inspirant des fondamentaux de la grammaire du discours comme le système de la communication jakobsonien, tel que revu et amplifié par Catherine Kerbrat-Orecchioni, les modes d’énonciation déclinés par Emile Benveniste, les types de texte, les actes de parole définis par la pragmatique austinienne… . Ainsi que des acquits de la pédagogie Freinet (texte libre), du GFEN et de ses propres travaux en la matière.
Entre autres éléments du « cœur de métier » à ne pas négliger, citons la place de l’orthographe (notamment pages 62 et suivantes) dans la production d’écrits, qui est généralement renvoyée à plus tard, sous prétexte de laisser les enfants « s’exprimer » librement… Autant dire qu’on peut s’exprimer à l’oral sans s’occuper de la prononciation… L’ouvrage ouvre des pistes pour résoudre cette apparente contradiction : il est possible d’intégrer l’orthographe dès les premiers apprentissages, avec une politique d’aide collective (de la part du maître et de pairs) ainsi que de documentation.
Par ailleurs, l’ouvrage propose un grand nombre d’exemples concrets de travail en classe, et de situations de productions des divers types d’écrits, avec la fonction spécifique de chacun. A la différence de la tradition scolaire qui, souvent, se limite à des productions pseudo-littéraires (narrations, descriptions), oubliant les rôles sociaux, ingrats mais essentiels, de l’écriture dans la vie de chacun, ainsi que dans les études scolaires.
Dans la même direction, l’accent est mis sur l’importance d’un travail précoce sur l’argumentation et la justification, qui doivent être abordées bien avant le collège pour être véritablement maîtrisées, l’une et l’autre participant de l’éthique de la communication. L’importance enfin de l’aspect « visuel » d’un écrit et de sa mise en page, considérée à tort comme secondaire, et dont il est rarement fait mention dans les classes. Or le « cahier de travail », outil scolaire, a peu de choses de commun avec les productions écrites de la vie.

Une élaboration convaincante et revigorante

L’ensemble conjugue à merveille complexité de l’analyse -dans les différentes dimensions de l’acte d’écrire et de son apprentissage-, et simplicité de l’expression. Refusant tout jargon, il laisse au lecteur averti la possibilité de transposer son propre bagage métalinguistique et en matière de sciences de l’éducation, sur les schémas explicatifs et pédagogiques préconisés.
A ces différents titres, cet ouvrage bienvenu réouvre la porte de l’espérance pour une corporation enseignante, mise à mal par des décennies de réformes et de contre-réformes dont la cohérence ou le suivi, pour ne pas dire parfois le progressisme humaniste, laissent à désirer. A cette étape, lire-écrire, cette dialectique porteuse d’enjeux essentiels en matière de signifiance, de socialisation et de culture, ne peut être laissée à la discrétion de programmes informatiques clés en main. Les sciences de l’éducation ont un rôle à jouer pour que le cours de français, dans ses dimensions et objectifs multiples, trouve le chemin de la co-construction des savoirs et d’un meilleur partage intergénérationnel, invitant, ce faisant, enfants et jeunes à une recherche plus sûre d’émancipation.


Eveline Charmeux, Réconcilier les enfants avec l’écriture, Lyon, ESF, 2016 https://www.esf-scienceshumaines.fr/pedagogie/265-reconcilier-les-enfants-avec-l-ecriture.html

Martine Boudet, Les langues-cultures moteurs de démocratie et de développement , Coord, Paris, Le Croquant, 2019
https://editions-croquant.org/sociologie-historique/550-les-langues-cultures.html
Le système éducatif à l’heure de la société de la connaissance , Coord, Toulouse, PUM, 2014
http://pum.univ-tlse2.fr/~Le-systeme-educatif-a-l-heure-de~.html

Eveline Charmeux, Michel Grandaty, Françoise Monier-Roland, Une grammaire d’aujourd’hui (tome 2, « Etudier le fonctionnement des textes »), Toulouse, Sedrap, 2001.