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Promouvoir une contre-culture de résistance à l’Ecole

Martine Boudet membre du CS

vendredi 30 octobre 2020, par Commission Enseignement-Recherche

Depuis le drame de Conflans Sainte-Honorine, en hommage à notre collègue Samuel Paty, beaucoup a déjà été écrit. Dans le monde enseignant, un consensus existe sur l’exercice de l’esprit critique à l’Ecole instance laïque, et en même temps sur la lutte contre les discriminations, par la réhabilitation de l’éducation prioritaire.

Cela dit, une politique éducative de cet ordre ne peut suffire à résorber la grave crise de confiance qui oppose à l’institution, les publics issus de l’immigration, qu’ils soient musulmans ou d’autres appartenances.

Un contexte inter-communautaire de crise

Quinze ans après les émeutes urbaines de 2005, les plus fortes enregistrées sur le sol européen, la France est à nouveau interpellée sur son modèle d’intégration. Si l’actualité se focalise sur la communauté musulmane, il y a peu, le mouvement Black lives matter était largement médiatisé, après les morts d’Adama Traoré et de Georges Floyd sous les coups de la police. Par ailleurs, des enjeux géopolitiques sont trop souvent gommés, au nom du refus des « thèses complotistes » : la défense de la cause palestinienne face au sionisme, des "printemps arabes", des mouvements de démocratisation en Afrique, et la critique des responsabilités de la France, puissance néo-coloniale... La barbarie n’est pas toujours dans le même camp, comme le rappelle l’anniversaire du massacre de centaines d’Algériens à Paris le 17 octobre 1961, sous la direction de Maurice Papon.

Des rapports sur "la refondation de la politique d’intégration », coordonnés par des universitaires (Khalid Hamdani…) et remis au 1er ministre JM Ayrault en 2013, ont été enterrés. Celui de J L Borloo sur « la politique de la ville », l’a été pareillement par E Macron en 2018. La déprogrammation de la remarquable chaîne France Ô en septembre 2020 s’est effectuée dans l’indifférence, en métropole.

En fait, la construction de la France s’est effectuée à partir de l’Etat central, sa gestion faisant abstraction des cultures des régions historiques et des peuples ex colonisés. Or, la démographie des origines et des migrations le prouve, la France est un pays multiculturel de fait.

Les déficits scolaires en matière d’inclusion

Après les émeutes de 2005, une "charte de la diversité" a été signée par médias et entreprises, l’ACSE (Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances) avait été créée, à l’origine, entre autres, de films plébiscités sur les établissements de banlieue : L’esquive, Entre les murs, La journée de la jupe, Les héritiers…..

Rien de tel n’a été institutionnalisé à l’Ecole : la loi Peillon de Refondation (2013) limite le concept d’« Ecole inclusive » au statut des élèves handicapés. L’enseignement de l’arabe est excessivement réduit. Les littératures francophone et ultramarine (française) ont peu ou pas droit de cité dans les programmes : le dernier texte enseigné en terminale littéraire, Ethiopiques, de Leopold Sedar Senghor, date des années 90. La décision d’une initiation en lycée, programmée par la réforme de 2001, est restée lettre morte. Le cours d’histoire sur les empires africains précoloniaux a été supprimé à l’occasion de la réforme des collèges. L’éducation à la diversité et à l’interculturel reste à promouvoir au niveau de la vie scolaire.

Nécessaire mobilisation idéologique

Face à la confrontation dangereuse des forces réactionnaires, qu’elles viennent de pouvoirs publics autoritaires, de l’extrême droite xénophobe ou de l’islamisme radical, l’Ecole doit plus que jamais jouer son rôle de médiation et d’inclusion culturelle. A défaut de quoi, ses personnels seront toujours davantage pris en étau, dans un climat délétère de violences à la base, et de démagogie voire de démission au niveau des corps intermédiaires, comme le révélaient le mouvement « Pas de vague » en 2018, le suicide en 2019 de Christine Renon, directrice d’école en Seine Saint-Denis. L’évolution du logiciel enseignant, et au-delà citoyen, est en fait conditionnée au refus du carcan laïciste et à la réhabilitation des libertés d’expression et pédagogique, mises en cause dans la loi Blanquer sur « l’Ecole de la confiance ».

A l’heure de la mondialisation, et de la médiatisation qui va avec, une éducation assimilationniste est devenue mission impossible. Plus qu’une politique éducative "intégrative" -ce concept ayant montré ses limites car se situant à un stade individuel, trop souvent celui des « premiers de cordée » plutôt que des publics méritants-, il s’agit d’harmoniser désormais les relations intercommunautaires. Pour ce faire, il nous faut mieux comprendre la contre-culture qu’élaborent les jeunes des quartiers populaires, quartiers plurilingues et multiconfessionnels, et inclure les humanités que portent les peuples dont ils sont originaires.

Martine Boudet coordinatrice de SOS Ecole Université-Pour un système éducatif démocratique- (Le Croquant, 2020)
Ouvrage à l’actif d’une équipe interdisciplinaire et intersyndicale :
https://editions-croquant.org/hors-collection/609-sos-ecole-universite-pour-un-systeme-educatif-democratique.html


Tribune (sources)
https://www.humanite.fr/apres-lassassinat-de-samuel-paty-comment-enseigner-maintenant-695533

https://blogs.mediapart.fr/refondation-ecole/blog/301020/promouvoir-une-contre-culture-de-resistance-l-ecole-martine-boudet
https://www.mediapart.fr/