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Pour une campagne de promotion de l’École et de l’Université

Tribune collégiale (Invités de Mediapart)

mardi 13 février 2024, par Commission Enseignement-Recherche

Eviction d’Amélie Oudéa-Castéra du ministère de l’Education nationale du fait d’un grave discrédit, démission du recteur de l’Académie de Paris…

Pour mieux résister à la lame de fond réactionnaire et autoritaire, un ensemble d’enseignant·es et universitaires préconisent une campagne nationale en faveur de l’École et de l’Université. Ces piliers de l’État social sont des garants du partage des savoirs et de la recherche, du maintien d’un débat démocratique et apte à sauvegarder le service public.

Un bilan sinistré
La succession en un an de trois ministres de l’Education nationale, qui sont liés par ailleurs à une Ecole privée élitiste pour leur formation ou celle de leurs enfants, en dit long sur l’état d’abandon de l’institution. Un consensus existe au sein du monde enseignant et du mouvement social, sur le bilan destructeur du mandat de Jean-Michel Blanquer. Par l’application de la loi sur « l’École de la confiance », les principes et objectifs d’une École sociale et équitable ont été profondément réduits et mis à mal. Après le passage décevant de Pap N’Diaye, les projets de Gabriel Attal et la prise de poste controversée d’Amélie Oudéa-Castéra n’augurent pas d’inflexions d’envergure.

Les études, dont celles de la très conventionnelle OCDE, confirment la croissance des inégalités scolaires, ainsi que d’une sélection drastique des étudiant·es au moyen du dispositif Parcoursup et de celui qui fait suite aux études en Licence (« Trouver mon master »). Depuis la LRU (loi Responsabilités des Universités) de 2008 et avec la LPR (loi de programmation de la recherche) en 2020, les universités publiques sont dans un état de délabrement avancé : sous-financées, elles manquent de personnels, sont soumises à l’injonction de se reconfigurer dans un objectif de marchandisation concurrentielle et la recherche y est réduite à répondre à des appels à projets à court terme qui l’instrumentalisent.

A ce constat, s’ajoute la dégradation des conditions de vie des étudiant·es et de travail des personnels, notamment dans le Secondaire, ces derniers étant toujours davantage pris en étau entre répression administrative et violences réactionnelles de la part de publics en souffrance, ou parfois même fascisants ou intégristes. L’assassinat atroce de Samuel Paty, d’Agnès Lassalle et de Dominique Bernard dans l’exercice de leurs fonctions démontre le besoin urgent d’un redressement. La féminisation du monde enseignant est une donnée à prendre en compte pour une meilleure protection collective. Il découle de cet ensemble de faits un déficit inquiétant en matière d’attractivité du métier et de recrutement des personnels.

Les droites extrêmes surfent sur ce courant délétère pour imposer toujours davantage leurs programmes réactionnaires : en témoignent les leitmotivs présidentiels sur le « réarmement » et la « régénération » de la jeunesse (adresse à la nation). Au vu de la situation, en complément de la campagne pour endiguer le harcèlement scolaire entre pairs, doit se mettre en place une campagne en faveur du respect des personnels, en particulier enseignants, de la part de tous les acteurs.

Le passif vécu par la communauté éducative résulte également de blocages idéologiques sur des problématiques émergentes, d’ordre intercommunautaire, comme en témoigne ce dispositif ministériel pris à l’encontre des études post-coloniales ou prétendument islamo-gauchistes, ou bien sur l’intersectionnalité. La loi Darmanin sur l’immigration porte préjudice aux jeunes étrangers (non européens) qui candidatent pour poursuivre des études en France. Les émeutes de juillet 2023, exceptionnelles comme celles de 2005 à l’échelle de l’espace européen, n’ont connu qu’un traitement policier et judiciaire. La laïcité, qui ne peut répondre qu’aux questions interreligieuses, et le traitement juridique de la radicalité ne peuvent suffire. Des outils bien connus en sciences humaines et de l’éducation, de l’ordre de l’interculturel, du comparatisme… peuvent contribuer à résorber malentendus, clivages et conflits culturels, intergénérationnels également. L’enseignement de l’arabe et du berbère est à promouvoir, et aurait dû l’être depuis très longtemps, de même que celui de la littérature francophone et de l’histoire des peuples minoritaires. La préconisation ministérielle (Gabriel Attal) de cultiver l’empathie, pour ne pas être un voeu pieux, doit s’adosser à de véritables programmes fondés sur l’altérité et la solidarité.

Pendant que les institutions éducative et de recherche subissent une crise historique, la loi de programmation militaire, qui a été votée en juillet 2023, préconise le doublement à terme du budget des armées et l’instauration d’une économie de guerre… Au motif ou au prétexte du nouveau contexte géo-stratégique (les guerres russo-ukrainienne et israëlo-palestinienne), les programmes des droites nationalistes et xénophobes trouvent de nouvelles justifications à s’appliquer. Cette politique belliciste fait suite à la promotion d’un autre secteur régalien, celui de la police, dont les exactions à l’encontre de citoyen·nes des quartiers populaires et de manifestant·es restent le plus souvent impunies, s’inscrivant dans une logique de répression des mouvements social, écologiste et anti-raciste.

Un débat en faveur d’un rééquilibrage inter-institutionnel, et en soutien aux services publics à caractère social, est nécessaire, pour mettre en question l’idéologie sécuritaire, actuellement prévalante dans les médias de masse qui cautionnent ces abus ainsi que des investissements parasites au profit du lobby militaro-industriel.

Les questions démocratiques et sociales des vecteurs fédérateurs à l’École et à l’Université
Les différents syndicats et groupements enseignants et étudiants ne portent pas forcément les mêmes programmes en matière de politique éducative et de recherche, et c’est légitime. Pour autant, des points communs existent, qui concernent fondamentalement la défense et la promotion de l’objectif d’équité pour les publics ainsi que des libertés académiques, pédagogiques et en matière d’expression publique des personnels.

Des exemples de collaboration intersyndicale existent, comme celle de l’intersyndicale au moment du débat sur la LRU en 2009. Un exemple à suivre est celui de l’unité syndicale construite lors du débat sur les retraites (2022-2023).

Le monde enseignant et étudiant peut et doit contribuer à réorienter l’opinion publique sur des bases démocratiques et inclusives. Il en va de l’avenir de nos acquis, dans la mesure où les droites extrêmes s’érigent toujours davantage en alternative de gouvernement. Il en va de l’avenir de la jeunesse, désorientée et déprimée par cette politique antisociale et étroitement nationaliste. Il en va du rayonnement de nos institutions, trop souvent laissées dans l’ombre des médias. A tous ces titres, nous proposons que les syndicats et associations prennent les attaches nécessaires, notamment du côté des élu·es, pour la mise en place d’une campagne de résistance professionnelle et citoyenne, pérenne et largement médiatisée, sur les thèmes précités. L’objectif principal de cette campagne étant d’obtenir des pouvoirs publics la tenue d’Etats Généraux de l’Université (dont les INSPE, Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation) et de l’Ecole, vraiment représentatifs des personnels dans leur diversité, de manière à favoriser les collaborations entre cycles d’apprentissage et entre catégories professionnelles, à promouvoir la formation tout au long de la vie par des moyens publics, et à refonder les institutions éducatives et de recherche.

Signataires :
Franc BARDOU professeur d’occitan et poète (Haute-Garonne)
Philippe BLANCHET socio-linguiste à l’université de Rennes, ex-élu au CNESER et au Conseil supérieur de l’éducation
Bernadette BOUCHARD directrice d’école primaire retraitée
Martine BOUDET didacticienne (Toulouse)- SOS Ecole Université –Pour un système éducatif démocratique- (dir., Le Croquant, 2020)
Françoise CLEMENT économiste
Gérard COLLET formateur en physique retraité (Grenoble)
Joëlle CORDESSE militante pédagogique -GFEN (Perpignan)
Jean-Louis CORDONNIER militant pédagogique – GFEN –Revue N’autre Ecole (Perpignan)
Pierre COURS-SALIES, sociologue Université Paris 8 (Saint-Denis)
Christian DELARUE membre du Conseil national du MRAP
Monique DEMARE enseignante
Marie-Catherine DESAULTY retraitée de l’enseignement (Fontenay-aux-Roses, 92)
Tosse EKUE éducateur-animateur culturel (Toulouse)
Didier EPSZTAJN animateur du blog « Entre les lignes entre les mots »
Georges FEDERMANN psychiatre (Strasbourg)
Jean-Luc GAUTERO maître de conférences émérite 72e section Université Côte d’Azur
Dominique GLAYMANN, professeur émérite de sociologie, Université d’Évry, Université Paris-Saclay
Jérôme GLEIZES, Université Paris Sorbonne Nord
Samy JOHSUA universitaire en sciences de l’éducation (Marseille)
Michèle LECLERC-OLIVE chercheure à l’EHESS (Lille)
Olivier LONG universitaire en arts plastiques-Peintre (Paris Sorbonne)
Margaret MECHIN commission Démocratie d’Attac (Bergerac)
Irène PEREIRA, professeure des Universités (Rouen), Bréviaire des enseignant-e-s, Science, éthique et pratique professionnelle (Le Croquant, 2018)
Evelyne PERRIN, économiste (Champigny-sur-Marne)
Jean-Luc PICARD-BACHELLERIE Commission Démocratie (Attac)
Raphaël PORTEILLA, sciences politiques, université de Bourgogne
Yves QUINTAL enseignant, responsable associatif (Cahors)
Alain REFALO professeur des écoles (Haute-Garonne), Démilitariser la France. Plaidoyer pour un pays acteur de paix (Chronique Sociale, 2022)
Catherine SAMARY chercheure en économie politique, réseau de balkanologie
Philippe TANCELIN poète philosophe, professeur émérite des universités
Gérard TAUTIL, auteur et responsable occitaniste (Var)
José TOVAR professeur de Lettres retraité, syndicaliste
Patrick VASSORT MCF HDR sociologue (université de Caen, Normandie)
Pedro VIANNA poète, homme de théâtre, enseignant universitaire (Paris)
Christiane VOLLAIRE philosophe (Laboratoire CRTD du CNAM et Institut Convergences Migrations au Collège de France-Paris)
Béatrice WHITAKER militante altermondialiste

https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/060224/pour-une-campagne-de-promotion-de-l-ecole-et-de-l-universite
https://entreleslignesentrelesmots.wordpress.com/2024/02/08/pour-une-campagne-de-promotion-de-lecole-et-de-luniversite/