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L’enseignement de la Révolution française (Marc Brunet)

mercredi 29 janvier 2014, par Marc Brunet

Les élèves, en lycée, abordent l’étude de la Révolution française en classe de seconde. Un grand classique des programmes d’histoire dans le secondaire. Par contre, ce qui change dans le programme d’histoire de la classe de seconde tel qu’il existe encore aujourd’hui, avant une nouvelle proposition du tout nouveau Conseil supérieur des programmes [1], est que l’histoire de la Révolution française est englobée dans une trame globale : « les Européens dans l’histoire du monde ».

Le BO (N° 4, spécial du 4 au 29 avril 2010) présente les choses de la manière suivante : « Le programme invite à replacer l’histoire des Européens dans celle du monde, de l’Antiquité au milieu du XIX ème siècle ». Dans cette trame générale de l’histoire des Européens, pendant plus de deux millénaires, quelle place pour la Révolution française ?

1. Comment concilier et inclure l’histoire de la Révolution française dans une histoire globale de l’Europe ?

La question est intéressante, mais ce qui surplombe la réponse est, comme toujours en histoire, la tentation de son utilisation pour défendre un projet politique du temps présent. Il est évident que la mise en œuvre de ces nouveaux programmes correspondait à une période d’agitation politique au sein de l’UE, particulièrement en France. L’UE subissait une crise de légitimité que les pouvoirs en place ont essayé de contrecarrer en utilisant de nombreux moyens, y compris en se servant de la réécriture des programmes d’histoire pour donner une nouvelle légitimité politique à un projet à bout de souffle. A partir de 2008, l’UE devait faire face aux secousses de la pire crise économique et sociale de son histoire, qu’elle avait contribué à créer, en libéralisant les marchés financiers. En même temps, en France, il fallait le plus rapidement possible tourner la page de l’horreur démocratique du long processus de ratification du TCE, qui s’acheva par le crime parlementaire de Versailles, le 4 février 2008. L’ Union européenne avait besoin d’une nouvelle légitimation politique. Le programme d’histoire de la classe de seconde fut un des éléments de cette panoplie de réhabilitation.

Le programme est découpé en cinq thèmes fondamentaux, eux-mêmes déclinés en questions. Les élèves commencent par un thème général « les Européens dans le peuplement de la terre ». Ensuite, on remonte au plus profond de l’histoire du continent avec « l’invention de la citoyenneté dans le monde antique », avec notamment une question sur « citoyenneté et démocratie à Athènes aux V et IV ème S av JC ». Il était pour le moins paradoxal, au cours des trois dernières années, entre 2010 et 2013, d’enseigner toute la sagesse, les vertus et l’exemplarité de la démocratie grecque, alors qu’au même moment ce pays était placé sous tutelle et saigné par la Troïka, en grande partie européenne (BCE, Commission européenne et FMI). Le parlement grec ne devenant qu’une chambre d’ enregistrement des décisions de la Troïka. Alors que les professeurs d’histoire sont censés présenter la Grèce comme le modèle de référence pour toutes les démocraties européennes, l’origine politique commune de tous les Européens, des institutions européennes (BCE et commission ) condamnaient à mort le modèle pour cause de dette publique.

Ensuite, le programme s’articule en trois autres thèmes : « Sociétés et cultures de l’Europe médiévale du XI au XIII ème s », « Nouveau horizons géographiques et culturels des Européens à l’époque moderne » et enfin « Révolutions, libertés, nations à l’aube de l’époque contemporaine ». Ainsi en plus de deux millénaires, le professeur d’histoire du début du vingt et unième siècle est censé brosser le portrait historique de l’Europe et de l’Européen, exactement comme les professeurs du début du vingtième siècle brossait le portrait d’une France et de Français mythiques. Tout aussi mythique est cette histoire européenne. Une des questions qui pourtant se pose pour passer du roman national au roman européen est de savoir quelle place on donne à la Révolution française dans l’émergence et l’affirmation de l’Européen ? Une double réponse est donnée à cette question. D’une part ne plus donner à la Révolution française l’importance qu’elle avait eue. Diluer dans le grand roman européen la place que les Républicains lui avait autrefois donnée. La Grande Révolution devenant une période de l’histoire comme une autre. Pour réduire son importance, les thuriféraires du roman européen ont agi selon le précédé de la fragmentation. Ne plus faire de la Révolution française l’origine de l’histoire de la France contemporaine, mais un élément d’une histoire plus globale des Européens. Ainsi ce thème 5, dernier thème du programme d’histoire en seconde est décomposé en deux sujets d’étude : « la Révolution française : l’affirmation d’un nouvel univers politique », puis « Libertés et nations en France et en Europe dans la première moitié du XIX eme s ». La Révolution française n’occupe donc plus le volume horaire qui était le sien, mais elle doit être réduite à 7 à 8 h de cours maximum [2] selon les instructions dans le BO. D’autre part, le récit de la Révolution française est inclus dans un cadre général d’émergence des citoyens européens au début de l’époque contemporaine.

2. Quel cadre chronologique ?

Dans tous les récits, il faut déterminer des bornes. Ces bornes donnent cohérence au sujet étudié. Selon le BO : « La question traite de la montée des idées de liberté avant la Révolution française, de son déclenchement et des expériences politiques qui l’ont marquées jusqu’au début de l’Empire ».

En ce qui concerne la fin du récit, la Révolution française s’étire jusqu’aux portes de l’Empire. Le Consulat napoléonien (1800-1804) est donc inclus dans la période révolutionnaire. Napoléon Bonaparte n’est donc plus du tout un des fossoyeurs de la Révolution française. Il devient même un homme de la synthèse, du consensus, pratiquement une Commission européenne à lui tout seul.

La borne initiale de la Révolution française est tout aussi problématique. En effet traiter de la montée des idées de liberté avant la Révolution française, c’est bien sûr faire du continuum Révolution Française / Révolution américaine une évidence du récit. Il s’agit donc d’accepter l’idée de « Révolution atlantique » ou de « Révolution occidentale », défendue dans le contexte de la guerre froide par Godechot et Palmer. Cette thèse, même si le travail des historiens qui l’ont proposée, était argumentée, a participé d’une lutte politique sur l’interprétation de la Révolution française. Aujourd’hui, même si elle ne sert plus dans le même contexte politique, ni qu’elle est utilisée par les mêmes acteurs politiques, elle garde, dans la construction du roman européen, une valeur politique importante.

Cette continuité révolution américaine / révolution française, est d’autant plus contestable que la révolution américaine s’arrête en 1787. Ainsi une fois la constitution écrite, la Révolution américaine aurait donc vécu. Rien sur l’histoire révolutionnaire des Etats-Unis dans les années 1790, qu’il s’agisse de la révolte des Whiskey ou de la rébellion de John Fries. L’institutionnel l’emporte sur le politique.

3. « Quelques journées révolutionnaires significatives ».

C’est ainsi que le BO demande aux professeurs d’enseigner la Révolution française en classe de seconde : « on met l’accent sur quelques journées révolutionnaires significatives, le rôle des acteurs, individuels ou collectifs, les bouleversements politiques, économiques, sociaux et religieux ». Il s’agit là de la même prescription que le BO impose aux professeurs de collège . Alors qu’en classe de quatrième on présente « un petit nombre événements », le professeur de lycée présentera « quelques journées révolutionnaires significatives ». Alors qu’au collège on invite les professeurs à présenter « quelques grandes figures », son homologue en lycée présentera « le rôle des acteurs, individuels ou collectifs » [3].

Comme les professeurs n’ont que 7 à 8 heures pour étudier ce vaste mouvement, de l’ histoire de la Révolution américaine, en passant par les Lumières jusqu’au cœur du sujet la Révolution de 1789 à 1804, ils doivent donc choisir quelques éclairages, braquer le projecteur sur telle ou telle journée révolutionnaire, ou grand personnage. Première conséquence d’une telle « liberté pédagogique », pourtant bien rare dans les programmes du secondaire et du lycée en particulier, chacun fait sa Révolution française. Les manuels scolaire révèlent bien cette difficulté de choisir quelques journées révolutionnaires ou acteurs pour incarner la période. Curieusement, il n’y a que le Belin qui fasse de Maximilien Robespierre un acteur clé de la période, Nathan préférant consacrer son « dossier acteur » à Mirabeau. Magnard, et Hatier ne font aucune entrée par les acteurs et Hachette organise un face à face curieux Danton/Robespierre.

Quant aux acteurs collectifs, ils ne sont pas plus mis à l’honneur, sinon Hachette qui y consacre deux dossiers, l’un aux sans-culottes et l’autre à des itinéraires de femmes dans la Révolution. Nathan lui aussi consacre un dossier aux femmes dans la Révolution. Belin, Hatier et Magnard négligent complètement les acteurs collectifs.

De manière plus globale l’histoire sociale disparaît dans ce patchwork d ’événements et d’acteurs. Comme dans les manuels de collège, les manuels de lycée préfèrent mettre en lumières quelques journées révolutionnaires. Parmi toutes les journées révolutionnaires l’une d’entre elle se détache, celle du 10 août, objet d’un dossier dans quatre manuels sur cinq. A la lecture des quatre dossiers, consacrés à la journée du 10 août et ses conséquences politiques, aucun n’évoque l’ élection de la convention au suffrage universel. Plus généralement, les enjeux politiques de ces grandes journées révolutionnaires ne sont pas au cœur du travail proposé aux élèves. Le dossier présentant la journée du 10 août d’ Hachette par exemple s’en tient à présenter six documents, tous descriptifs, dont deux plans de Paris et deux estampes, l’une montrant l’assaut des Tuileries, l’autre l’arrestation de Louis XVI. Quant aux deux textes, l’un est un tableau chronologique des événements des 9 et 10 août, l’autre un texte de Barbaroux décrivant l’assaut du château. Les questions portent donc sur la confrontation des images, du récit et de la chronologie, ce qui vide complètement le questionnement du sens politique de l’événement. L’élève doit donc simplement répondre à : « qui attaque le château ? ». « D’où proviennent les assaillants ? ». « Situez la scène de l’estampe sur le plan ». L’élève en classe de seconde est pourtant dans la capacité de dépasser le simple niveau de l’analyse descriptive de la journée du 10 août et peut réfléchir à la portée politique de l’événement. Hachette ne le conçoit pas pour les élèves en classe de seconde, mais paradoxalement l’édition Hachette de quatrième le propose aux élèves de collège, simplement en complétant le dossier par le décret de l’Assemblée nationale sur l’abolition de la monarchie et l’instauration de la République, le 21 septembre 1792. Ce document permet donc de poser la question : « quel régime politique remplace la monarchie ? Pourquoi cela constitue-t-il une rupture dans l’ordre ancien ? ». Plus globalement, la présentation et la représentation de la Révolution française à la lecture des manuels scolaires, constituent en classe de seconde une répétition, souvent mauvaise, comme on vient de la voir, de ce qui a été présenté en classe de quatrième. La comparaison des manuels de quatrième et de seconde est à ce sujet éloquente. Les récits, comme les illustrations sont répétitifs et tous consacrent la démocratie représentative, quand elle est évoquée clairement, comme un régime politique indépassable. Les manuels ne sont en fait que le reflet de programmes d’histoire du cycle lycée à revoir complètement. Il ne faudra pas oublier, quand le chantier s’ouvrira, à penser la place et le sens de la Révolution française. Une piste, parmi d’autres, pour éviter la répétition collège / lycée. On pourrait, pour les élèves de lycée concevoir « d’aborder l’ère des révolutions en la replaçant dans son contexte mondial, qui procède de l’analyse des changements à long terme survenus dans les processus économiques et politique à la fin du XVIIIème siècle et au début du XIX ème siècle » [4].


[1Le conseil supérieur des programmes a été installé par Vincent Peillon, le 10 octobre 2013, à l’Institut de France. Ce nouveau conseil doit « garantir la transparence et la qualité du processus d’élaboration des programmes scolaires ».

[2Même contrainte horaire qu’au collège, Raymond Jousmet, signale dans son article (« la Révolution enseignée au collège ») : « l’ensemble de la partie qui intègre aussi l’Empire, l’Europe en 1815 et le congrès de Vienne, doit être traité en sept à huit heures de cours. Il s’agit en fait de survoler et de mémoriser une collection de faits disparates ». L’émancipation, syndicale et pédagogique. Décembre 2013.

[3Voir article de Raymond Jousmet, « la Révolution française au collège », partie 1 : « une histoire politique désarticulée ».

[4C.A. Bayly : la naissance du monde moderne (1780-1914). Chapitre 3. Des révolutions convergentes, 1780-1820. Les éditions de l’atelier.