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Crise du monde enseignant et estudiantin- Remédiations

Martine Boudet CS d’Attac France

lundi 5 juillet 2021, par Commission Enseignement-Recherche

Cette contribution porte sur le renforcement d’un intellectuel collectif, à partir des corporations enseignante, éducative et si possible étudiante. Celles-ci sont représentées à Attac par des membres fondateurs ou associés (SNESUP, SNES, Sud Education…). De nombreux adhérents et membres du CS sont des enseignants.

L’objectif est de démonter l’idéologie sécuritaire-autoritaire-xénophobe, par un panorama inter-institutionnel et international.
In fine, il s’agit de combattre « l’économie de la connaissance » (avec ses corollaires technoscientistes et militaristes, ainsi que l’abus des neurosciences), entre autres par une approche altermondialiste.

La crise du monde enseignant et estudiantin
S’il est vrai que l’électorat enseignant reste de gauche (2) , on peut observer une déperdition de la conscience politique du monde enseignant, et au-delà étudiant. Les facteurs sont multiples et bien connus : musèlement des catégories intellectuelles (enseignants, journalistes….) (3) , individualisme de repli, féminisation des personnels synonyme de fragilisation du milieu, auto-éducation anarchique via les réseaux sociaux... Ce phénomène est à comparer avec la promotion des secteurs régaliens dans leurs fonctions de maintien de l’ordre et de répression (armée à l’extérieur, police intra-muros, spécialement dans les quartiers populaires) et avec un esprit de corps très développé dans ces corporations.
Les départements des humanités et sciences sociales restent des îlots antilibéraux, dans un océan de gestion néolibérale des formations. Mais, même dans le milieu des SHS, l’altermondialisme, en termes de construction idéologico-institutionnelle, est très réduit.

Dans la bataille des idées, il y a bien sûr un manque à gagner, au regard de l’inflation de l’idéologie sécuritaire-autoritaire-xénophobe. D’une manière générale, le déséquilibre entre les institutions de service public (éducatif et de recherche en l’occurrence) et les forces de l’ordre s’amplifie dangereusement. La résultante en étant une crise croissante de la transmission intergénérationnelle, en matière de valeurs éthiques et de repères authentiquement républicains. Un épisode récent a été le fort taux d’abstention juvénile aux dernières élections. A cela, s’ajoutent des violences sociétales démultipliées dans un contexte de précarisation d’une grande partie de la jeunesse, spécialement des quartiers populaires. La crise de la représentativité de la classe politique s’explique, entre autres facteurs, par la prégnance d’un courant anti-intellectuel et populiste.

Un passif en matière d’éducation populaire (mouvement social/Attac)

Si ce diagnostic est assez communément partagé, le sont moins les recours. Car ceux-ci nécessitent de sortir des habitudes organisationnelles, quelles que soient par ailleurs les acquis et conquis, qui sont nombreux dans le mouvement social et écologiste, et spécialement à Attac organisation fédératrice du milieu.

Le retard pris dans la bataille des idées date en particulier de la grève générale universitaire de 2009, grève en protestation à l’égard du vote de la LRU et d’autres dispositifs hostiles au service public d’enseignement et de recherche et marquée par une dizaine d’AG représentatives. Malgré la tentative menée conjointement avec SLU, SLR, Sciences citoyennes en 2010… (4) et des initiatives personnelles (5) , ce rendez-vous manqué est celui de la construction à l’échelle nationale et européenne d’une équipe inter-organisationnelle, d’un intellectuel collectif qui élabore sur « l’économie de la connaissance » et sur ses alternatives cognitives et culturelles, et qui impulse des campagnes à la fois antilibérales et altermondialistes.
Autre démarche inaboutie en interne, la construction du réseau des Attac campus, en fonction d’une conception stratégique erronée (celle de l’autonomie organisationnelle de ce réseau, déjà fragilisé par la volatilité de ses effectifs). Etait proposé alors un compagnonnage avec des représentants de la commission Enseignement-recherche et du Conseil scientifique, pour fidéliser de jeunes adhérent.es. La situation actuelle est celle du peu de renouvellement des cadres intellectuels.

Un passif en matière altermondialiste

A cette limitation catégorielle et générationnelle, s’ajoute celle qui concerne le recrutement en matière de diversité d’origines : comme dans d’autres associations (comme la fondation Copernic, associée à nos travaux), il n’y a quasiment pas d’adhérent.e issu.e des minorités ethniques et des Outremers. La question de la cooptation d’intellectuel.les de la diversité est posée depuis la refondation partielle du CS (en 2017).
Cet entre soi, qui ne correspond pas à la pluralité de la société française, handicape les objectifs altermondialistes de l’association. Une telle projection ne pouvant suffisamment faire la différence avec l’extrême droite, dont certains éléments programmatiques collent à ceux du mouvement social, sous l’angle anti-libéral.
En externe, la quasi-absence de coopération avec le réseau des Attac d’Afrique est l’une des raisons du sous-développement de celui-ci, véritablement problématique. A l’image de leurs pays pillés par la françafrique, Attac Gabon et Attac Côte d’Ivoire n’existent plus, Attac Bénin et Attac Burkina quasiment plus, Attac Togo végète…
D’une manière générale, malgré les travaux de Mob inter et de la commission Migrations, la projection altermondialiste est limitée, à en juger au peu de mobilisations spontanées en soutien des peuples du monde, dont les peuples arabo-berbéro-musulmans dans une aire qui nous est plus familière.

La moindre représentation des sciences sociales
Si, dans l’association, l’équipe écologiste a légitimement réussi à faire sa place aux côtés de celle de l’économie hétérodoxe, de même que la commission Genre, les sciences sociales –histoire, Droit international, géopolitique, sociologie, sciences de l’éducation…- en sont encore à rechercher la leur. C’est à l’image d’ailleurs, de leur situation dans le monde académique et dans le pays. Pourtant, un rôle ponctuel des SHS ne peut suffire à réduire le caractère informel ou empirique d’objectifs associatifs dans les domaines altermondialiste, antiraciste, démocratique, de l’éducation populaire…et à revitaliser le débat interne, actuellement limité.
Quelles que soient, il faut le répéter, les réussites associatives, et elles sont nombreuses, ce déficit explique les manques stratégiques relevés précédemment, dans la gestion du réseau des membres fondateurs, des Attac campus, des relations avec les Attac d’Afrique. Au niveau des principes à promouvoir, citons ceux-ci :

 l’antilibéralisme ne peut être détaché de son corollaire altermondialiste
 le Conseil scientifique ne peut se réduire à une somme d’individualités, si expertes soient-elles. L’un de ses objectifs est de construire un intellectuel collectif adossé à des institutions éducatives et de recherche et au réseau de l’association dans ce secteur (membres fondateurs enseignants, Attac campus…)
 d’une manière générale, l’éducation populaire, dont l’un des objectifs doit être la critique raisonnée de « l’économie de la connaissance » ne peut être détachée de l’éducation institutionnelle et de ses enjeux et objectifs.

Démarches de résolution
Comme écrit précédemment, les réponses à apporter à la crise de l’Etat néolibéral autoritaire ne peut se suffire d’une démarche antilibérale et sur un mode individuel. Pour preuve, de grandes manœuvres ont commencé avec la manifestation de l’intersyndicale des policiers le 19 mai dernier avec le soutien du ministre de l’Intérieur, avec des lettres ouvertes de gradés de l‘armée pour un retour musclé de l’ordre dans les quartiers populaires, avec la cabale menée par le ministère à l’Université pour débusquer les tenants « séparatistes » des études postcoloniales et de « l’islamogauchisme »….
C’est bien connu, Ecole et Université constituent des réservoirs de forces progressistes du pays. Sachant également que l’avenir d’une grande partie de la jeunesse est de plus en plus précarisé, il devient urgent de contribuer à organiser les corporations et les personnels dans le sens d’une résistance unitaire et innovante aux plans néolibéraux autoritaires (6) . Une coordination entre le Labo, des fondateurs enseignants (syndicats…) et les réseaux des Attac campus et d’Afrique serait bienvenue dans ce sens.
La programmation d’un débat pour la campagne présidentielle, sur ces objectifs notamment, en serait un jalon utile. Un argumentaire pourrait porter sur la promotion des services éducatifs et de recherche (EN, ESR) ainsi que des médias publics : critique de « l’économie de la connaissance » et de ses corollaires (technoscientisme, militarisme, neurosciences…) et promotion de l’altermondialisme, arrêt de la propagande d’Etat, des censures et des désinformations, notamment en matière géopolitique et stratégique, promotion de programmes éducatifs, médiatiques et de recherche respectant les différents ancrages philosophiques et politiques, arrêt des méthodes managériales et caporalisatrices issues du privé....


(2) « Présidentielles : Les enseignants dernier bastion de la gauche ? »
François Jarraud, Le Café pédagogique, 3 juin 2021
http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2021/06/04062021Article637583833753966372.aspx
(3) « Education nationale : silence, Blanquer avance dans l’indifférence » Par Marie Piquemal, Libération, 7 juin 2021
https://www.liberation.fr/societe/education/education-nationale-silence-blanquer-avance-dans-lindifference-20210607_GUCZRPRT6BGOPIOBKFRQYFQGAE/
« Ce que le projet de loi Blanquer vous réserve » par Marie Piquemal, 17 mai 2019
https://www.liberation.fr/france/2019/05/17/ce-que-le-projet-de-loi-blanquer-vous-reserve_1727796/?redirected=1

(4)http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article3489

Martine Boudet (co-dir), Le système éducatif à l’heure de la connaissance, p 62-63, PUM, 2014,
http://pum.univ-tlse2.fr/~Le-systeme-educatif-a-l-heure-de~.html
« Si le descriptif du dispositif néo-libéral est au rendez-vous dans ces différents cadres organisationnels, il reste à préciser le discours d’une reconstruction sur des bases assainies. Des manifestations unitaires, la marche de tous les savoirs (Academic pride) en 2008 et 2009 et la rencontre Printemps 2010, laissées de côté depuis lors, présentaient l’intérêt de médiatiser les travaux interassociatifs sur un objectif fédérateur. La puissance technocratique invite à la reprise de démarches de cet ordre : le dispositif néo-libéral est le fait d’une oligarchie politico-techno- médiatico-financière qui dépasse les clivages politiciens et corporatifs, sa gestion étant défendue tant par des élus de gauche ou de droite, des communicants, des hauts fonctionnaires que par des acteurs des marchés et du monde de l’entreprise. »
(5) Geneviève Azam, Présentation du Processus de Bologne (université de Toulouse, 2009) https://www.dailymotion.com/video/x8rxrj

(6) Martine Boudet (coord), SOS Ecole Université –Pour un système éducatif démocratique-, Le Croquant, 2020, p 240-241
https://editions-croquant.org/hors-collection/609-sos-ecole-universite-pour-un-systeme-educatif-democratique.html
«  Est légitime une campagne de reconquête du terrain professionnel et de l’opinion, sur le thème fédérateur du refus de la violence socio-politique et scolaire. Les corporations enseignantes et éducatives sont légitimes pour élaborer en faveur du respect des droits de l’homme et des acquis démocratiques, censés être un apanage de la France. En retour, le respect des conditions de travail et de l’intégrité des personnels s’avère une condition nécessaire d’un vivre ensemble acceptable, au plan inter-catégoriel comme intergénérationnel. »