Accueil > Commission démocratie > Textes de la commission démocratie > Le référendum d’initiative citoyenne : les citoyens non pas manipulés (...)

Le référendum d’initiative citoyenne : les citoyens non pas manipulés mais informés décident

Commission démocratie d’ATTAC et Association Sciences Citoyennes

lundi 7 janvier 2019

Appliqué très largement, le RIC contribuera à un gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Une convention de citoyens associée au RIC permettra aux électeurs de disposer d’une information solide et variée, contrairement à celle des médias contrôlés par quelques grandes fortunes. C’est le « bien commun » qui en résultera. Le contenu et les modalités d’un RIC que sont son objet, le seuil de déclenchement et le seuil de succès ne sont pas des "détails", mais sont à étudier de près pour ne pas le vider discrètement de toute substance.

Exigence ancienne de nombre d’associations citoyennes, le référendum d’initiative citoyenne ou RIC semble être envisagé sérieusement par le gouvernement en réponse à l’une des principales revendications des Gilets jaunes.

Actuellement en élisant des représentants les citoyens abdiquent tout pouvoir politique pendant 5 ou 6 ans. L’objectif du RIC est de donner plus de pouvoir aux citoyens pour qu’ils ne soient plus des intermittents de la vie politique mais les premiers acteurs de leur avenir, et ce faisant de contribuer à un gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Donner plus de pouvoir aux citoyens ne peut se faire qu’au détriment du pouvoir de ceux qui en monopolisent actuellement une très grande partie, c’est-à-dire des élus, de l’énarchie et des "experts" de cour, et enfin des plus riches qui cumulent pouvoir économique et pouvoir médiatique. Quitte à afficher leur mépris pour le peuple ceux qui pourraient perdre un peu de leur pouvoir feront tout pour vider le RIC de sa substance, pour en faire soit un outil aussi inutile que le référendum faussement appelé « d’initiative partagée », mentionné depuis 2008 dans la Constitution, soit un outil à leur profit, un plébiscite dont le but n’est pas de trancher un problème mais d’unir la population autour d’un leader.

Pour quoi faire ?

La première question est le domaine de ce type de référendum, du champ des questions que l’on peut poser. Un RIC doit pouvoir révoquer un élu – du président de la République à un élu municipal, abroger une loi, un décret ou un arrêté de niveau local à national, proposer une loi au Parlement, un décret ou un arrêté, voter une loi ordinaire ou organique, un décret ou un arrêté, modifier la Constitution sur un point particulier, convoquer une Constituante, ratifier un traité international, se retirer d’un traité, définir la position de la France dans un sommet international.

Un RIC non constituant doit cependant respecter la Constitution et notamment le respect des droits énoncés dans son article 1, ce qui peut être vérifié par le Conseil d’État ou le Conseil constitutionnel. Pour éviter les référendums-plébiscites, deux conditions sont nécessaires : 1) que la question posée soit une question de gouvernement collectif, portant sur un désaccord interne à la société ; 2) que le vote soit informé (toutes les positions en présence doivent être entendues, à égalité) et rationnel (vote en conscience, non sous le coup de l’émotion ou de la domination des factions). La première condition pourrait être vérifiée par le Conseil d’État, la seconde renvoie à l’information des citoyens que nous traitons plus loin.

Quel seuil de déclenchement ?

Le second aspect du référendum d’initiative citoyenne est le seuil à partir duquel la procédure référendaire peut être déclenchée, c’est-à-dire le nombre minimal de citoyens nécessaire pour le déclencher.

Une première solution est celle qui a été retenue en Suisse (50 000 pour les référendums législatifs et 100 000 pour les référendums constituants pour un corps électoral de 5,4 millions, soit respectivement 0,9 et 1,8 %) et en Italie (500 000 pour un corps électoral de 46,6 millions, soit 1,1 %). Cela donnerait proportionnellement en France un seuil actuel de 450 à 500 000 personnes. Cette solution simple ne tient pas compte de l’évolution au cours des années de la population française et est difficilement applicable au niveau local, à moins de définir un seuil pour chaque situation.

Une seconde solution est de considérer un pourcentage des inscrits. Nous avons vu qu’en Italie et en Suisse ce pourcentage est proche de 1 %. Cette règle est souple et applicable partout et en tout temps.

Une troisième voie consiste à définir le seuil par un pourcentage des électeurs ayant participé aux dernières élections (comme en Californie).

Il est remarquable que ces trois solutions exigent des citoyens un taux de participation minimal, alors que la validité de l’élection des élus et donc d’un Conseil municipal ou de l’Assemblée nationale n’en exige aucun.

Une quatrième solution consiste à définir le seuil par un pourcentage du nombre de voix obtenues par l’élu à révoquer lors de son élection, ou obtenues par l’ensemble des élus qui ont voté une loi ou une décision, ou par les élus de la majorité pour une nouvelle loi ou décision. Les citoyens seraient ainsi mis devant des exigences comparables à celles des élus décideurs. Si ce pourcentage était par exemple de 5 %, le seuil pour une initiative législative serait aujourd’hui d’environ 450 000 signatures au vu du nombre de voix obtenues par la majorité présidentielle au second tour des législatives de 2017.

Dans le cas d’un RIC de révocation d’un élu, il faut s’assurer très sérieusement que l’élu n’a pas respecté ses engagements électoraux, pour ne pas se faire complice d’un jeu politicien. On pourrait faire alors appel à une institution de citoyens tirés au sort qui étudierait le respect des engagements de l’élu, après l’obtention du seuil de déclenchement. Son avis serait indispensable pour déclencher le RIC de révocation.

Quel seuil de succès ?

La méthode la plus simple est de considérer qu’un référendum d’initiative citoyenne qui a obtenu la majorité est un succès, avec en outre un seuil minimal de participation. Là encore ce seuil de participation peut être un nombre absolu ou un pourcentage (30 % par exemple).

Une autre méthode serait de considérer que le RIC est un succès quand il a obtenu un nombre de voix positives au moins égal au nombre de voix obtenu par l’élu ou la majorité lors des dernières élections, avec le raisonnement suivant : si un certain nombre d’électeurs ont voté pour un élu ou une majorité apte à voter une loi, ce même nombre d’électeurs peut révoquer l’élu ou voter une décision à la place de la majorité.

Cependant, il est probable que la participation à un RIC sera le plus souvent inférieure à la participation à des élections générales (sauf en cas de vote par internet), le sujet du RIC étant particulier contrairement à l’objet d’une élection générale. Pour en tenir compte, un RIC serait un succès quand il obtient un nombre de voix en sa faveur au moins égal à un pourcentage à définir (50 % ?) des voix obtenues par l’élu ou la majorité lors des dernières élections.

Informer grâce à une convention de citoyens

L’expérience suisse notamment montre que le premier facteur de succès ou d’échec d’un référendum d’initiative citoyenne, ce sont les informations auxquelles les citoyens ont accès ou non, à partir desquelles se forme en grande partie leur opinion. La question est essentielle quand la très grande majorité des médias sont contrôlés par l’État ou par quelques grandes fortunes, comme c’est le cas en France. La presse oriente les opinions en mettant en avant certains faits et en en oubliant d’autres pourtant bien plus significatifs, en montant en épingles quelques faits isolés peu significatifs, en présentant des analyses systématiquement orientées dans un certain sens, jugé « souhaitable ». Une autre méthode pour influencer les électeurs est de dépenser des sommes fabuleuses en tracts, meetings, messages sur internet... donc en propagande comme cela est le cas aux États-Unis.

Une première exigence est de plafonner les dépenses de propagande pour et contre l’objet d’un RIC, comme cela est fait pour les élections en France, le plafond étant exprimé en euros par électeur concerné.

Faire respecter le droit des citoyens d’être informés et d’informer les autres passerait sans doute par un financement uniquement citoyen de la presse, mais c’est un chantier qui dépasse très largement la question du RIC et que nous ne traiterons donc pas ici.

Une solution médiane et surtout faisable à court terme s’inspire de très nombreuses expériences dans le monde, en associant obligatoirement à un RIC (hors révocation d’un élu) un jury de citoyens, dont la procédure la plus rationnelle à ce jour est celle de la convention de citoyens (CdC).

Dans certains pays (Oregon, Irlande, etc.) des jurys de citoyens tirés au sort sont réunis avant le référendum afin de produire un avis qui sera soumis à l’ensemble de la population. Une CdC nécessite la constitution d’un groupe temporaire d’une vingtaine de citoyens auxquels on confie la mission ponctuelle de s’informer, délibérer et donner un avis sur un sujet controversé. Ces personnes sont choisies aléatoirement par des techniciens du sondage, tout en respectant la diversité de la population (en âge, sexe, catégorie socio-professionnelle, revenus du ménage, etc.), mais en excluant tout spécialiste de la question traitée. Dans le cas particulier d’une CdC portant sur des revendications sociales et politiques, il importerait que le critère du choix politique soit ajouté aux critères de sélection afin d’assurer la plus grande diversité dans la représentation des jurés. Ceux-ci sont formés pendant quelques jours de façon contradictoire par des spécialistes choisis par un comité de pilotage composé de personnes ayant fait connaitre publiquement des positions variées sur la question débattue, puis par des spécialistes choisis par les participants à la convention eux-mêmes. Ainsi la formation tend à l’objectivité puisque des « experts » en désaccord se sont accordés sur le début de son programme, avant de laisser les participants en définir la fin. Après délibération, la CdC donne un avis sur le sujet qui lui a été confié, puis elle est dissoute. Cet avis devrait être rendu au minimum deux mois avant le référendum lui-même.

Beaucoup de voix expriment avec raison la crainte de dérives éventuellement fascisantes du référendum s’il est mal instruit. La CdC que nous proposons d’organiser avant le référendum lui-même y répond, car l’expérience a largement montré que les réponses des jurys de citoyens, au contraire de certains référendums (voir en Suisse par exemple), sont du côté du bien commun et n’oublient pas la prise en compte des plus démunis ni de l’environnement commun. La qualité unique de l’avis d’une CdC, lequel n’est pas nécessairement consensuel sur tous les points traités, résulte du fait qu’on s’est assuré que tous ceux qui s’expriment ont été complètement informés au préalable, n’ont pas d’intérêt particulier sur la question et ont pu confronter leurs opinions entre citoyens de grande diversité.

La convention de citoyens devra être largement mise à disposition des électeurs : tous les éléments de la procédure seront accessibles, le moment de formation de ses membres sera transmis sur une chaîne publique, et l’avis final de la convention sera transmis à chaque électeur et diffusé dans la presse.

Une autre condition essentielle de l’information des citoyens est de laisser du temps aux citoyens pour s’informer et débattre, ce qui nécessite d’organiser le référendum lui-même (après une convention de citoyens) au minimum douze mois après l’acceptation du RIC.

Comment constitutionaliser un vrai RIC ?

Le gouvernement lance un "grand débat national" qui pourrait déboucher sur un projet de modification de la Constitution pour y inscrire le référendum d’initiative citoyenne. Le risque est grand que ce projet n’inclue qu’un mini voire micro RIC s’il est mis au point par le personnel politique. En effet un principe fondamental de la démocratie est qu’on ne peut être juge et partie, ou qu’on ne peut décider des règles qui s’appliqueront à soi-même, à moins d’être souverain. Nous avons vu que le RIC ouvre une alternative au pouvoir des élus et des puissances économiques en favorisant le pouvoir direct et souverain des citoyens. Si les règles en sont essentiellement discutées par des élus et finalement décidés par eux, il est bien évident que le RIC sera vidé de l’essentiel de sa substance et réduit à peau de chagrin.

La préparation des modalités du RIC devrait donc être de la responsabilité des citoyens eux-mêmes. Le débat national pourrait y contribuer, à condition toutefois qu’il ne soit pas plus ou moins verrouillé et que ses conclusions ne soient pas écrites par le personnel politique. Pour l’éviter, nous proposons qu’en fin de débat une convention de citoyens écrive le projet de modification de la Constitution sur le RIC qui sera ensuite soumis au peuple lui-même par référendum. Car c’est bien le peuple lui-même qui doit décider d’inclure ou non le RIC dans la Constitution.

Imposer un tel processus au pouvoir, pour que les modalités de RIC soumises à référendum soient autre chose que des gadgets, en d’autres termes pour que le pouvoir perde un peu de son pouvoir au bénéfice des citoyens, n’a rien d’évident ni de simple. Seul le rendra possible le rapport de force que seront capables d’imposer ou non les Gilets jaunes et plus largement le mouvement social dans les semaines et mois qui viennent, qu’ils le fassent dans le cadre du débat national ou en dehors.