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Le Siècle

mardi 11 janvier 2011, par Robert Joumard

Une analyse du cercle mondain Le Siècle, pilier de l’oligarchie et des élites.

Le Siècle est un cercle mondain, fondé en 1944 par le journaliste radical-socialiste et franc-maçon Georges Bérard-Quélin (fondateur de la Société Générale de Presse qui édite des lettres d’information professionnelle confidentielles comme La Correspondance de la presse et Le Bulletin Quotidien) (Saliba, 2005), réunissant des membres parmi les plus puissants et influents de la classe dirigeante française. On y retrouve de hauts fonctionnaires, presque tous les patrons des grandes entreprises, des politiciens de droite et de gauche, des banquiers, des magistrats, la plupart des grands dirigeants de la presse, des médias et de la communication, des journalistes "qui font l’opinion", des économistes, quelques universitaires et quelques syndicalistes. En 1999 et 2005, le Siècle comptait 580 membres et 160 « invités » qui attendaient une décision sur leur demande d’admission (Martin-Fugier, 2010 ; Saliba, 2005) ; ces chiffres seraient respectivement de 550 et 200 en 2008 (Blandin, 2008). Le Siècle était à l’origine ouvert aux femmes. Elles ont été exclues en 1949, puis réadmises en 1983. Le siècle comptait plus de 70 femmes à la fin du 20e siècle (Martin-Fugier, 2010, p. 24) et une centaine quelques années plus tard (Blandin, 2008).

À sa naissance, Le Siècle se donne pour but d’abattre les cloisons entre la société politique et la société civile. L’objectif est de créer un cercle de rencontres entre hommes politiques et responsables représentatifs de la société civile (hommes d’affaires, intellectuels, journalistes, etc). Selon les statuts, déposés le 7 mars 1945, l’objet social de cette association 1901 est de "créer un pont entre des mondes qui s’ignorent trop en France" et de "renforcer les chances de succès des jeunes en les faisant se connaître et s’épauler" (Martin-Fugier, 2010). Elle a son siège au 13, avenue de l’Opéra, dans le 1er arrondissement de Paris (Moog, 2006).

Pour devenir membre de plein droit du Siècle, il faut d’abord être parrainé par au moins deux parrains au sein du club et être représentatif d’un milieu professionnel ou d’une sensibilité politique du pays. C’est le Conseil d’administration du Siècle, composé d’une douzaine d’élus, qui décide des admissions. Le candidat ne devient pas membre à ce moment, il est simplement « invité », situation qui dure au moins un an. Le statut de l’invité est à nouveau examiné : il peut alors être coopté comme membre ou remercié (Martin-Fugier, 2010). Une fois admis, il convient en outre de régler la cotisation annuelle à l’association (160 euros par an d’après Kessler, 2010) ainsi que sa part de l’addition à chaque dîner (environ 80 euros). Les membres qui atteignent l’âge limite (65 ans) ou qui cessent d’occuper une fonction très importante sont exclus de la liste.

Certains invités de donnent pas suite, par exemple le comédien Francis Huster ou le prix Nobel François Jacob (Martin-Fugier, 2010).

Dîner mensuel

Une fois par mois, chaque dernier mercredi du mois, près de 300 membres du Siècle se réunissent au très sélect Automobile Club de France, place de la Concorde, dans le 8e arrondissement de Paris. De 20h à 21h, un apéritif permet de choisir librement ses interlocuteurs. A 21h vient l’heure du dîner. Les plans des 40 tables - 7 à 8 personnes par table - sont soigneusement étudiés par le secrétaire général de l’association afin de favoriser les échanges intellectuels, et aussi pour jauger les invités prétendant au titre. Un chef de table veille à organiser le débat et à éviter les apartés. Le repas se termine à 22h45. Ceux qui le souhaitent peuvent prolonger la soirée au bar.

Les adhérents du Siècle sont soumis, selon une règle non écrite, au secret sur les membres et les sujets discutés (Martin-Fugier, 2010). Entre 1944 et un article paru en 1977 dans le journal L’Humanité, son existence n’a jamais été mentionnée une seule fois dans un article de journal ou un livre (Ratier, 2001).

Les délices de l’idéologie dominante

Son président et son conseil d’administration sont publics (Kessler, 2010), mais pas la liste de ses membres. On trouve sur internet ou dans la littérature différentes listes qu’il est impossible de vérifier. Ces listes datent de 2005 à 2011 et comportent des personnes qui ne sont plus membres, et peut-être des personnes qui ne l’ont jamais été : nous en faisons la synthèse plus bas.

Cela donne néanmoins un aperçu de la composition du Siècle. Sur 115 noms, on y trouve 28 patrons de grandes entreprises, 17 dirigeants de la presse, de l’édition, de la communication, écrivains ou musiciens, 23 journalistes, 10 hauts fonctionnaires, 23 hommes politiques de droite, 12 hommes politiques qui ont été ou sont de gauche, et 2 syndicalistes ou ex-syndicalistes.

Les chiffres disponibles montrent que l’immense majorité des participants sont socialement et politiquement très proches des milieux patronaux. Les participants qui pourraient avoir des conceptions différentes ou opposées sont bien rares. Il s’agit d’une dizaine d’hommes ou femmes politiques du parti socialiste, d’un syndicaliste et d’une ex-syndicaliste, peut-être de quelques journalistes.

C’est une forme de sociabilité tout à fait perverse : les participants sont sans doute des personnes agréables, intelligentes, cultivées ; il est sans aucun doute très plaisant de se retrouver dans un lieu luxueux où tout n’est que douceur, en tout cas bien plus qu’au contact des exclus de notre société ou de ceux qui râlent. Le repas est sans aucun doute de grande qualité. On peut glaner quelques informations avant les autres et discuter en toute liberté avec des convives cultivés. On peut à l’occasion trouver un contact pour un stage ou un emploi pour un proche, auprès de l’un des nombreux PDG de très grandes entreprises présents. On peut préparer une prochaine interview avec l’un des journalistes ou patrons de chaîne présents. On peut même soutenir au cours de la conversation de table des idées iconoclastes qui auront la saveur de l’étrange et de l’exotisme. Il serait cependant quelque peu inconvenant d’insister et surtout de faire remarquer à vos distingués voisins qu’ils vivent sur le dos des millions de travailleurs français et de centaines de millions de travailleurs du tiers-monde, qu’ils gaspillent la richesse que d’autres ont créée.

A propos de ces réunions discrètes entre les décideurs économiques, politiques et médiatiques, JP. Anselme (2010) parle d’un comité central de l’élite, là où s’organisent rois de l’économie et de la finance, princes de la haute administration, seigneurs de la politique (de droite et de gauche), barons des médias et de l’édition, chevaliers de l’intellectuelle courbette, vassaux du syndicalisme... C’est là que se préparent entre gens de bonne compagnie les contre-réformes libérales qui seront ensuite votées par les "représentants du peuple" et promues par les médias de connivence. C’est là que, depuis plus de soixante ans, les apparatchiks de la classe dirigeante décident de la vie des Français. En toute discrétion.

Un banquet de plus en plus médiatisé et perturbé

Le Collectif Fini les Concessions – Branche armée de patience (CFC-BAP) animé par Pierre Carles et Michel Fiszbin a organisé la mise en lumière des diners du Siècle en invitant des indésirables devant l’entrée du Crillon : le 25 août 2010 (30 personnes), le 27 octobre (80 personnes, avec présence de policiers) et le 24 novembre 2010 (300 personnes, heurts avec la police et arrestations). Le dîner du 22 décembre 2010 a été annulé, puis la mise en lumière du 26 janvier 2011 a tourné court, la police embarquant sur ordre du préfet Michel Gaudin, lui-même membre du Siècle, les 70 à 100 personnes rassemblées pacifiquement à l’heure du rendez-vous.

Références
Anselme Jean-Pierre, 2010. Les bâfreurs du Siècle sont sur la sellette.
www.mediapart.fr/club/blog/jean-pierre-anselme/251110/les-bafreurs-du-siecle-sont-sur-la-sellette
Blandin Noël, 2008. Select Club : Le Siècle, club de rencontres des élites françaises. La République des Lettres, mardi 22 janvier 2008. www.republique-des-lettres.fr/10268-le-siecle.php
Hamza Hicham, 2010. Quand l’élite de la politique et des médias se fait chahuter.
http://oumma.com/Quand-l-elite-de-la-politique-et
Israel Dan, 2010. Dîners du Siècle : l’art de (re)découvrir la lune. Tout, ou presque, sur ces discrètes réunions de l’élite économico-médiatico-politique. Arrêt sur image.
www.arretsurimages.net/contenu.php?id=3496
Kessler D., 2010. Le Siècle face à ses injustes critiques. Le Monde, 16 décembre 2010.
www.lemonde.fr/imprimer/article/2010/12/15/1453725.html
Martin-Fugier Anne, 2004. « Le siècle » (1944-2004), un exemple de sociabilité des élites. Vingtième Siècle, vol. 81, n°1, p. 21-29. www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2004-1-page-21.htm
Moog Pierre-Emmanuel, 2006. Les clubs de réflexion et d’influence : 2006-2007. L’Expansion, Paris, 366 p.
Ratier Emmanuel, 2001. Faits & Documents, Lettre d’information confidentielle d’Emmanuel Ratier, N°113, du 15 au 30 juin 2001, p. 1, 2, 6 et 7.
Rex Jean, 2010. Dîner du Siècle : Les « élites » patronales et médiatiques effrayées par des trouble-fêtes. www.mediapart.fr/club/blog/jean-rex/261110/diner-du-siecle-les-elites-patronales-et-mediatiques-effrayees-par-des-tro
Saliba Frédéric, 2005. Le pouvoir à la table du Siècle. Stratégies Magazine, n°1365, 14 avril 2005. www.strategies.fr/emploi-formation/management/r36900W/14-le-pouvoir-a-la-table-du-siecle.html

Article complet avec une liste de membres