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Le champ idéologique dominant
vendredi 1er octobre 2010, par
L’idéologie de l’individu repose sur un certain nombre de valeurs venant de l’enfance de l’éducation, de l’expérience personnelle, des medias. Il y a celles qui entrent par effraction sans passer par le conscient. Le champ idéologique dominant va jusqu’à affecter notre vocabulaire : exemples à l’appui dans le texte
Certains adversaires du tirage au opposent ce dernier à l’élection au suffrage universel, comme s’il était question de remplacer l’un par l’autre alors qu’il s’agit simplement de les combiner. Pour eux le vote des citoyens conscients est l’horizon indépassable de la démocratie. Ils font abstraction totale d’une réalité incontournable : le champ idéologique dominant ou même d’une façon plus primaire, le rôle des médias, que tout le monde déplore mais dont personne (ou pas beaucoup) ne tient compte. Il est abordé brièvement dans la brochure au Chapitre 1 « Dans quelle démocratie vivons-nous ? ». Il est développé ci-dessous. Il explique pourquoi, sur une même question, posée par référendum, le peuple peut dire timidement « NON » puis massivement « OUI » comme l’ont fait les irlandais à deux reprises.
Les idées dominantes sont les idées de la classe dominante est une maxime léniniste bien connue. Gramsci avança le concept d’hégémonie culturelle et de champs idéologique pour expliquer pourquoi la révolution socialiste n’avait pas commencé dans les pays pronostiqués par Marx et Engels.
Louis Althusser, dans « Pour Marx » insiste sur le fait que « L’idéologie est bien un système de représentations : mais ces représentations n’ont la plupart du temps rien à voir avec la « conscience » : elles sont, la plupart du temps des images, parfois des concepts, mais c’est avant tout comme structures qu’elles s’imposent à l’immense majorité des hommes, sans passer par leur « conscience ». Elles sont des objets culturels perçus-acceptés-subis, et agissent fonctionnellement sur les hommes par un processus qui leur échappe. »
Ignacio Ramonet avança celui de pensée unique pour exprimer l’hégémonie de la pensée néolibérale illustrée par le fameux « TINA » de Margaret Thatcher. Le concept de champ idéologique dominant est à mon avis plus proche de la réalité.
Pour les scientifiques on peut imaginer ce champ idéologique comme un champ de forces ou un champ de vecteurs dans l’espace. A chaque individu peut être attribué un vecteur différent, de sens (orientation idéologique) et de module (ou longueur correspondant à sa puissance de conviction et aux moyens de propagation dont il dispose). La somme vectorielle de ceux-ci donne le sens dans lequel s’oriente le champ idéologique dominant dont parle la brochure. Mais ce champ de forces n’est pas figé une fois pour toute. Les forces inter réagissent entre elles, à la manière d’aimants, plus ou moins puissants et évoluent avec le temps. Il suffit de voir des vieilles bandes des actualités pour mesurer à quel point des idées qui apparaissaient comme des évidences fortes hier nous paraissent aujourd’hui comme des chimères ridicules. (Désolé pour les littéraires, qu’ils se renseignent sur les vecteurs et le magnétisme des aimants, je n’ai pas d’autre image à leur proposer)
Il y a, dans ce champ idéologique des pôles nettement plus puissant que d’autres. Ce sont eux qui orientent plus ou moins tous les autres.
L’idéologie de chaque individu repose sur un certain nombre de valeurs. Celles-ci peuvent être intégrées inconsciemment ou consciemment.
• Celles héritées de l’enfance par l’ « éducation » des parents, transmises pour une grande part par mimétisme sans être « enseignées ». C’est l’héritage idéologique familial. Il y a plus de cinquante ans que Bourdieu, en ce qui concerne la réussite scolaire, l’a mis en évidences avec « Les Héritiers ».
• Celles reçues explicitement dans l’éducation hors du contexte familial, notamment l’« éducation » religieuse concernant les valeurs morales. Elles passent par le conscient et peuvent par conséquent être acceptées ou rejetées. C’est l’Etat qui en maitrise l’essentiel avec l’Education Nationale : il fixe le temps à consacrer à l’enseignement de chaque discipline, et le contenu des programmes. La philosophie, l’histoire, l’économie sont des disciplines essentielles à la formation du citoyen. Le temps qui leur est accordé est un premier élément révélateur de ce que l’Etat veut inculquer dans la tête des élèves, futurs citoyens. Il est indissociable du contenu : Michel Onfray dénonce la censure frappant les philosophes matérialistes, pour l’histoire Marc Brunet a étudié cette question, quant à l’économie « Le Capital » est réduit à la portion plus que congrue quand il n’est pas purement et simplement ignoré, comme d’ailleurs toute pensée non libérale. C’est plus l’absence de telle ou telle disciplines, de tel ou tel faits historiques, de telle ou telle théorie qui est révélatrice de l’orientation idéologique que l’Etat donne à l’éducation dispensé par lui et par l’enseignement privé. S’y ajoute dans ce dernier cas le poids de la religion et du libéralisme économique dont il est partie intégrante..
• Les valeurs qui résultent de l’expérience personnelle vécue par l’intéressé, par exemple la découverte de la solidarité quand il s’engage dans l’action ou l’activité syndicale, le sens de la responsabilité quand il en prend, l’initiative individuelle, etc…Sa pensée évoluera en fonction des échanges qu’il aura avec ses amis, ses collègues, ses partenaires, ses clients ou fournisseurs etc…
• Le rôle des médias n’est que la partie émergée de cet immense iceberg. Il arrive qu’ils diffusent des informations mensongères, soit directement, soit en rapportant les propose de chefs d’Etat. On se souvient encore des prétendues « armes de destruction massive » inventées par Georges Bush et l’attaque imminente inventée par Tony Blair pour justifier la guerre en Irak mais qui se souvient encore du mégamensonge de Timisoara ? Il n’est pas inutile de revisionner les infos télévisées de l’époque et de relire l’article de Serge Halimi repris par Acrimed (voir annexe 2). Mais, au bout d’un temps plus ou moins long la vérité finit toujours par se faire jour, trop tard le plus souvent [1]. Le mégamensonge, s’il a permis de faire avaler la couleuvre, a l’inconvénient de décrédibiliser la source qui le diffuse. C’est pourquoi il n’est pas utilisé trop fréquemment. On le réserve à des circonstances particulières, par exemple pour justifier les guerres comme celles que la France mène en Afghanistan, en Côte d’Ivoire ou en Lybie.
La plupart du temps les faits sont réels, on peut jouer sur le commentaire, mais on joue surtout sur la sélection des faits rapportés, comme le montre l’article de Serge Halimi déjà cité, comme le montre le film « Chomsky et compagnie ». C’est le mensonge par omission qui est le plus utilisé pour préserver les valeurs néolibérales. Peter Watkins [2] va plus loin. Il met en cause la forme même qui structure les journaux télévisés, les films les documentaires qui empêche le spectateur de réfléchir (Annexe 2)
• Celles qui entrent par effraction, sans passer par le conscient, par l’intermédiaire de son environnement culturel. La forme, l’esthétique, jouent souvent dans ce cas un rôle important (romantisme révolutionnaire, lyrisme nazi, etc…).
Les accords Blum-Byrnes (mai 1946), en contrepartie d’avantages financiers acceptent l’abandon de tout quota de diffusion concernant les films américains et la diminution de moitié des films français.
Films à la gloire de l’ « héroïsme » des soldats d’une nation en guerre, feuilletons télévisés sur les « bons » flics défendant la veuve et l’orphelin avec courage et intelligence, place réservée aux sports développant l’esprit de compétition, émission people pour donner à la « populace » des modèles à imiter dont le comportement n’est pas neutre politiquement etc…(cf Peter Watkins)
On le sait, la plupart des grands moyens d’information, de diffusion de la culture sont aux mains des Etats néolibéraux ou des groupes capitalistes, en particulier des marchands d’armes comme Dassault ou Lagardère.
Par l’intermédiaire de la publicité qu’elle accorde ou non à tel ou tel média chaque firme exerce également si nécessaire d’énormes pressions sur les moyens d’information. La « communication » est devenue la préoccupation essentielle de toutes les entreprises. Elles ne vendent plus des objets, elles vendent un mode de vie.
Ce champ idéologique dominant va jusqu’à affecter notre vocabulaire et à désigner la chose par un mot inadéquat, tordant ainsi la réalité dans le sens voulu par les auteurs de l’euphémisme ou du « méphémisme ». Les militants et les dirigeants d’ATTAC ne résistent pas à cette offensive sémantique. Je l’ai combattue quelquefois, mais je me suis toujours heurté à de sérieuses résistances : la volonté de se faire comprendre à l’extérieur l’emportant sur le souci de l’exactitude de l’expression. L’inconvénient c’est que l’on risque ainsi de se faire comprendre de travers ! « Quand les mots perdent leur sens, les hommes perdent leur liberté » affirmait Confucius…L’expression « étatsuniens » a bien remplacé « américains » pour désigner les habitants des USA, mais il reste néanmoins dans les expressions d’ATTAC et les échanges entre ses militants nombre de mots ou d’expressions à combattre. J’en énumère quelques unes :
• « Sauver la planète », beaucoup employée au moment de Copenhague est une inversion imbécile de la réalité : la planète a existé des milliards d’années avant l’apparition de la vie puis de l’homme et existera encore pendant des milliards d’années après leur disparition qui forcément arrivera un jour. Il ne s’agit même pas de sauver l’espèce humaine, mais de faire en sorte qu’elle ne soit pas l’artisan de sa propre disparition.
• « L’industrie financière » : La finance n’appartient pas au secteur industriel mais à celui des services. L’industrie produit des biens matériels, la condition pour les produire est qu’ils se vendent, la condition pour qu’ils se vendent est qu’il soit utiles. Les « produits » financiers peuvent être utiles, inutiles ou nuisibles. Les activités financières ne méritent pas d’être ainsi anoblies.
• « Les investisseurs » fréquemment utilisé par les journalistes pour désigner les acheteurs d’actions ou d’obligations en Bourse. Sauf à acheter des actions correspondant à une extension de capital, ils n’investissent pas, ils spéculent sur la valeur future de celles-ci.
• « L’Europe », souvent employé dans ATTAC pour désigner l’Union Européenne alors que celle-ci ne concerne que 28 Etats et que 21 autres ne sont pas concernés par les traités de l’UE.
• « Démocratie représentative ». Normalement un « représentant » agit conformément à la volonté de ceux qui l’ont choisi pour les représenter. Un parlementaire devrait donc voter conformément à la volonté de ses électeurs ou de la majorité d’entre eux. C’est le mandat impératif, il est interdit par notre Constitution. Une fois élu et pendant toute la durée de son mandat le parlementaire vote comme il l’entend. Le vote des électeurs lui donne ainsi un chèque en blanc qu’il utilise comme bon lui semble. Notre démocratie n’est pas représentative, elle est délégataire.
• « Etat-Providence » : utilisé par les partisans du néolibéralisme pour caricaturer l’Etat en général qu’il convient de réduire à sa plus simple expression. L’Etat Providence pourvoit à tout, l’Etat ne doit pourvoir à rien chaque individu est responsable de tout ce qui lui arrive.
• « Communication » Ce que l’on désigne le plus souvent comme de la « communication » n’est en fait que de la propagande, au sens étymologique du terme, c’est-à-dire la propagation d’idées. En l’occurrence communiquer c’est mettre en commun des idées, échanger. Pour qu’il y ait communication il faut que chaque agent soit tour à tour émetteur et récepteur. La plupart du temps, qu’il s’agisse de publicité ou de campagne électorale il n’y a qu’un seul émetteur et des récepteurs. Si des efforts sont faits pour présenter la propagande comme de la communication (internet oblige), les intervenants n’ont jamais le moindre pouvoir sur l’organisation du débat. Nous sommes sans doute nombreux a avoir constaté au cours de l’émission de France Inter « Le téléphone sonne » combien il fallait déployer de ruses et d’imagination pour arriver à poser une question taboue et comment les journalistes, désarçonnés sur le fond, renvoyaient sèchement leur interlocuteurs dans les cordes. Voir également sur ce plan le « Lexique pour temps de grèves et de manifestations » publié par Acrimed en 2010 (Annexe 3)
Il n’y a, dans la description que je viens de faire rien d’original. Ces faits sont connus et dénoncés de longue date par de nombreuses associations, partis, syndicats qui luttent contre ce champ idéologique dominant sans pour autant réussir à le transformer. Il est peu probable que la conquête préalable du pouvoir politique modifierait significativement la donne. Le passé plaide à l’inverse :L’alternance à gauche l’a au contraire aggravé : en 1985, François Mitterrand, Laurent Fabius étant premier ministre, confie la Cinq, chaine privée créée à l’initiative du gouvernement de gauche à Sylvio Berlusconi. Elle fait faillite en 1992.
En 1987 François Mitterrand récidive en concédant la chaine de télévision la plus ancienne et ayant la plus forte audience, TF 1, au groupe Bouygues, Jacques Chirac étant premier ministre. Cette privatisation ne fut pas remise en cause par les premiers ministres socialistes qui lui succédèrent : Michel Rocard, Edith Cresson et Pierre Bérégovoy sous Mitterrand, ni par Lionel Jospin au cours de la « cohabitation » avec J Chirac devenu Président.
En 91 TF1 recueillait 41% d’audience. Elle en a aujourd’hui 25 % contre 13% à France 2 et 9% à FR3.
Le même mouvement concerne la radio. La bataille des « radio pirates » ou « radios libre » aboutit en 1982 à une première réglementation pour l’attribution des fréquences d’émissions. François Mitterrand est président de la République, Pierre Mauroy premier ministre. En 1987, Mitterrand toujours Président mais Jacques Chirac premier ministre l’attribution des fréquence qui fait la part belle aux radios commerciales faits scandale. La situation s’inverse par la suite : Jacques Chirac devient Président de la République, Lionel Jospin Premier ministre, mais le mouvement de privatisation continue de plus belle : à partir de 1989 les CSA laisse faire le marché, la concentration des radios locales sous la houlette des grandes chaines privées nationales bat son plein.
Nous sommes soumis en permanence à ce champ idéologique dominant, lui-même dominé par les puissances d’argent. C’est dire si ce que nous estimons être notre « libre arbitre » est en fait extrêmement limité et balisé. Il fut un temps où le Parti Communiste, en dispensant à ses militants, en particulier ouvriers, une formation théorique importante, donnait à ceux-ci une carapace efficace pour y résister et « garder la ligne » [3], nourrie par la lecture quotidienne de l’ « Humanité » qui ne hiérarchise pas les faits d’actualité comme la presse capitaliste et ne les commente pas sous le même angle. Ce temps est révolu. Il n’est sans doute pas souhaitable d’y revenir, la fabrication de cette « carapace » ayant des effets secondaires indésirables qui sont, à mon avis, une des causes du déclin de ce parti (sectarisme et dogmatisme).
La vie des citoyens ordinaires notamment des salariés (90% de la population active) est ainsi faite qu’ils n’ont pas le temps nécessaire pour s’informer complètement et au besoin investiguer sur une question demandant un supplément d’information. Le temps de travail, la durée du trajet, le temps consacré à l’entretien de la maison et l’éducation des enfants fait qu’ils (elles) ont au mieux l’information partielle et partiale de la télévision et la lecture, en générale incomplète d’un seul quotidien écrit ou le temps limité de surfer sur internet.
Notes
1. Il a fallu 8 ans pour que soit révélée la teneur des entretiens qu’avait eue la ministre du commerce extérieur du Royaume Uni avec les compagnies pétrolières britannique avant que Tony Blair décide d’intervenir militairement en Irak.
2. Cinéaste « maudit », auteur, entre autres, de « La Bombe » qui lui a valu son licenciement de la BBC, de « Punishment Park » à propose de la guerre du Vietnam, retiré des salles de New York après 4 jour de projection, et d’un magnifique « documentaire » de 6 heures sur la Commune de Paris.
3. A décharge il faut dire que les journalistes sont obligés, sous peine de renvoie, de garder eux aussi « la ligne », ligne éditoriale imposé et surveillée par le rédacteur en chef ?
Ce texte est une annexe de l’article "Quelques réformes institutionnelles pour régénérer une démocratie chancelante".