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La rue : vive la démocratie populaire d’émancipation, d’en-bas !

Christian Delarue et Jean-Luc Picard-Bachelerie

mercredi 1er février 2023, par Commission Démocratie

La formule « Démocratie d’émancipation » correspond à un mode de libération du peuple opprimé - peuple étant ici une large fraction d’en-bas (grosso modo 99 %) du peuple-nation, fraction que l’on nomme parfois peuple-classe (C Delarue).

Par ce terme, on a désigné au XIXe siècle, dans un même ensemble, « l’en-bas », la rue, le peuple sans possession, celui qui a réapparu au XXIe vêtu de gilets jaunes… Aujourd’hui, il s’agit d’une très large fraction de la population, évoluant sous la classe dominante.

De la réforme des retraites…

Dans le cas présent, il s’agit de le libérer des 7 réformes successives des retraites (93, 95, 2003, 2007, 2010, 2014, 2019, 2023) menées depuis 30 ans par la classe dirigeante, vers cet objectif : effacer le recul de l’âge de la retraite de 64 ans pour revenir aux 60 ans concédés en 1982. La bourgeoisie assurantielle et financière qui est en attente derrière M. Macron et Mme Borne, compte bien imposer, tôt ou tard, la capitalisation des retraites au peuple entier, pas seulement aux 5 % de salariés d’en-haut, qui eux la choisissent !
Le premier essai de réforme de M. Macron attaquait de front le système par répartition pour conduire les salariés à cotiser dans des fonds de pension privés, sans garantie qu’ils ne fassent faillite. L’essai actuel veut y pousser par la dégradation des pensions au détriment des plus faibles. Laisser passer un tel projet serait l’une de nos pires défaites !

… à la question démocratique

L’enjeu est encore plus énorme ! Outre celui de repousser le nouveau projet de réforme des retraites, il est d’aller vers plus de démocratie. La contestation populaire a mis en évidence la contradiction du paradigme démocratique de nos institutions : d’une part la gouvernance autoritaire d’en-haut, établie après des élections légales, mais à résultat de fait illégitime - le kratos  est privilégié - et d’autre part l’intervention populaire : le demos, mis de côté, conteste cette gouvernance six mois après les élections.

Il faudrait pousser à une modification constitutionnelle visant, à minima, à « moins de gouvernance autoritaire d’en-haut » fût-elle établie après élection - le kratos  - et à « plus d’intervention populaire » : le demos. D’un point de vue maximaliste, il s’agirait de construire aussi une démocratie écosocialiste.

Le débat sur « la rue et les urnes ».

Le terme « démocratique » est certes contesté ici par celles et ceux qui mettent l’accent sur la composante « kratos », sur la gouvernance autoritaire, sur le pouvoir des élus, pouvoir obtenu du fait de l’élection. Mais une autre conception de la démocratie met l’accent sur le « demos » continué : le peuple intervient et s’exprime pour faire valoir une orientation qui lui convienne. Il dispose de la légitimité première et dernière et ne perd pas son droit d’expression, notamment par les pétitions, les interpellations des élus, les blocages, les boycotts, etc., mais aussi et surtout par la rue, c’est-à-dire, les manifestations. N’oublions pas qu’à tout moment, un peuple peut se soulever, s’insurger de manière spontanée, non anticipée.

Au plan démocratique et sur le plan des modalités, que cette expression passe par la rue et non par les urnes (les votes et le travail des élu-e-s), tient au fait que dans notre histoire, la République reconnaît, par les deux types existants d’expression populaire, les urnes et la rue.
D’où trois questions récurrentes : qui porte l’intérêt général ? Quel effet sur le régime existant ? Quel cadre d’alliance ?

1 - Qui porte l’intérêt général ?

Samuel Hayat (1) dit :« La rue manifestante n’est pas porteuse de légitimité politique, car elle est interprétée comme ne représentant que des groupes particuliers. La République institutionnelle, au contraire, incarne l’ensemble des citoyens, et doit garantir leur droit à l’utilisation privée des rues ! »
C’est là tout le mensonge républicain et démocratique que d’incarner tous les citoyens du riche au pauvre, via le bien commun ou la République, car - on le sait - c’est toujours une classe dominante, une aristocratie, qui a le pouvoir, un pouvoir qui la favorise ! Elle conserve ses privilèges sous les traits de l’intérêt général exhibé.
Quels sont alors les groupes particuliers ? 

Selon nous il s’agit de l’inverse de ce que dit S. Hayat :
 La rue à dominante syndicale peut incarner un vaste peuple lorsque la manifestation porte un caractère national, et derrière lui in fine l’intérêt général. La rue hors les syndicats est elle plus aléatoire et variable, tantôt poujadiste tantôt porteuse de justice sociale et fiscale.

 La bourgeoisie n’a que des prétentions d’aller au-delà de sa classe sociale et de ses intérêts. Certes, elle sait qu’elle doit déborder son étroitesse d’intérêts par des alliances avec les couches qui sont immédiatement en dessous, mais c’est toujours pour mieux défendre ses propres intérêts de classe. Mensonge donc sur l’intérêt général allant vers en-bas via la réduction des inégalités et le soi-disant ruissellement d’en-haut vers le bas : la démocratie représentative existante et la République sont trop liées au capitalisme et aux classes dominantes pour qu’il y ait un tel ruissellement !

2 - Quel effet sur le régime existant ?

Malheureusement, les fondateurs de notre République ont eu peur d’une démocratie non délégataire ou moins délégataire et ont rédigé une Constitution instaurant une sorte de gouvernance détachée du peuple, aux mains d’une aristocratie élective. D’où des représentants du peuple avec des mandats absolument libres de faire ce qu’ils veulent de leur programme et de leurs promesses sans qu’ils soient poursuivis s’ils s’en écartent. D’où les combats incessants depuis la Révolution entre le peuple et le pouvoir politique, tout comme entre le peuple et le pouvoir économique des possesseurs de l’outil de travail.
Pour notre propos, retenons qu’il y a donc bien, au plan démocratique, un ensemble démocratico-social à considérer comme tel, et que l’on nomme ordinairement « la rue et les urnes » .
On dira aussi que, pour nombre de syndiqué-es et de citoyen-nes engagé-es, ils-elles savent fort bien que ce rapport des forces hors phase électorale est des plus utiles. Indispensable même. Pour certain-es, c’est même surtout la rue qui fait gagner et assez peu les élections (surtout à elles seules). On se trouve alors avec une « mobilisation d’en-bas, par en-bas et pour en-bas ».
Quand la rue ne semble plus offrir de changement pour une fraction du peuple alors il ne reste que la solution électorale, à moins d’avoir une population « déprimée » se réfugiant dans l’abstention démocratico-sociale du type : ni rue ni urne. Et là on a alors une classe sociale dominante qui profite et accroît sa domination de classe.

3 - Quel cadre d’alliance ?

Abordons un autre niveau : dans une certaine conception stratégique il s’agit, de poser en théorie, un cadre d’alliance, celui d’un peuple-classe à 99 % inclusif (le chiffrage du % n’est qu’indicatif), avec ouverture donc à l’expression revendicative des résidents extranationaux, non européens et issus de la colonisation et de l’immigration. Ce format apparaît pertinent pour fournir un cadre d’alliance des diverses classes sociales dominées sans oubli .
La classe capitaliste dominante est nettement exclue de ce cercle ainsi que la ou les castes bureaucratiques – la Haute Fonction Publique d’État – dans la mesure où elles sont ordinairement en forte alliance avec le grand patronat. Les choses peuvent certes bouger ici, mais il est dangereux de ne pas être d’abord forts nous-mêmes. Il serait dangereux de présupposer une alliance possible avec ceux du 1 %. Le combat doit se mener, non seulement, sans eux, mais contre eux.

Retour sur Macron

Dans le cas d’espèce, entendons que Macron se targue d’avoir été élu sur le projet de réforme des retraites. Or, cela n’est pas vrai. On sait qu’on vote « pour » au premier tour et qu’au second tour on élimine. Au premier tour, Macron n’a reçu que 20, 07 % des voix du corps électoral, soit moins de 15 % des Français. Comment peut-il prétendre imposer ce projet aux 79, 93 % de ceux qui n’ont pas voté pour son programme, alors qu’une minorité l’a choisi ? D’autant, qu’au soir du second tour, avec un report des voix moins important que lors de sa première élection, Macron avait lancé : « Ce vote m’oblige pour les années à venir ». Or, il n’en fait rien. On dirait même, au vu de la souffrance qu’il veut infliger aux travailleurs, et lorsqu’on voit l’état de la France et des Français, que Macron veut se venger d’avoir été élu avec si peu de voix. Alors que le sondage le moins favorable à la rue indique que 61 % des sondés sont opposés à sa réforme, il intégre son projet de loi dans celui de la Sécurité sociale, pour le faire passer en force avec l’entourloupe non démocratique de l’article 49.3.
On le voit, l’enjeu de ce mouvement social ne doit pas s’arrêter au retrait de ce projet de réforme des retraites, mais à l’objectif de mettre un terme à des agissements autocrates d’un président qui en appelle régulièrement à la démocratie de la manière la plus hypocrite qui soit. À force de modifications de la Constitution, la 5e République a accouché d’un roi aux pouvoirs jupitériens qui parvient à passer au-dessus d’une Chambre des députés, dont il n’a obtenu qu’une majorité relative. Il faut que cela cesse. Il faut que la mobilisation fasse plier Macron jusqu’à le chasser du pouvoir pour déboucher sur une refonte totale de notre République. Il est temps que la démocratie d’émancipation passe à l’action.

Christian Delarue et Jean-Luc Picard-Bachelerie

(1) Samuel Hayat "La République, la rue et les urnes", Revue "Pouvoirs", 2006.
https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2006-1-page-31.htm

Publié sur le blog "Amitié entre les peuples"
http://amitie-entre-les-peuples.org/LA-RUE-La-democratie-d-emancipation-d-en-bas