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La réforme des retraites est un combat idéologique
Jean-Luc Picard-Bachelerie
mardi 17 janvier 2023, par
Macron nous avait déclaré lors de sa conférence nationale du 25 avril 2019 à l’issue du « Grand débat national » : « Franchement, ce serait hypocrite de décaler l’âge de la retraite… Quand on est peu qualifié, quand on vit dans une région qui est en difficulté industrielle, quand on est soi-même en difficulté, quand on a une carrière fracturée, bon courage déjà pour arriver à 62 ans ».
Et pourtant, Macron, par le biais de sa première ministre Élisabeth Borne, engage de nouveau la « mère de toutes les réformes » qu’il avait tenté de faire passer en 2020. Cette fois, au lieu d’une réforme systémique avec une retraite à points pour engraisser les fonds de pension et leurs actionnaires, c’est une réforme paramétrique qu’il veut nous imposer alors même que les conclusions du COR « ne valident pas le bien-fondé des discours qui mettent en avant l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite ». Et peu importe que la grande majorité des Français, y compris des macronistes, soit contre cette réforme : le gouvernement veut imposer le recul de l’âge de départ à la retraite à 64 ans.
Macron chiffre à 12 milliards les pertes annuelles de la caisse des retraites, rappelons à toutes fins utiles, que la somme représente à peine un dixième des profits réalisés par les entreprises du CAC 40 en 2022 ( 1) ou 3,7 % du budget des retraites. Rappelons aussi qu’en 2013, le COR prévoyait pour 2022 un déficit de plusieurs milliards et que la réalité est une recette positive de plusieurs millions malgré les crises successives que nous traversons. Comme quoi les projections du COR sont aléatoires.
La réforme telle qu’elle est prévue
Tout d’abord, il faut savoir que la réforme est intégrée à un futur projet de loi de financement de la Sécurité sociale rectificatif, ce qui permettra au gouvernement de bénéficier d’un recours au 49.3 illimité. Cela veut dire que le combat ne se réglera pas dans l’hémicycle, mais dans la rue.
• Reporter progressivement l’âge légal de départ à la retraite, aujourd’hui fixé à 62 ans, à 64 ans, l’âge d’annulation de la décote restant à 67 ans.
• Allongement de la durée de cotisation qui atteindra progressivement 43 ans (172 trimestres) en 2027
• Meilleure reconnaissance de la pénibilité sans réintégrer les critères qui avaient été supprimés par Macron en 2017.
• Les régimes spéciaux, permettant souvent de prendre sa retraite plus tôt, seront moins nombreux. Celui des policiers ne devrait pas être touché, ce qui permettra au gouvernement d’avoir une police antimanif assez tonique.
• Création d’une retraite minimum à 85% du Smic : près de 1 200 euros bruts. Ce qui place le net au-dessous du seuil de pauvreté.
• Nouveau dispositif sur les carrières longues (départ plus tôt). Cela reste à voir.
• Une suppression de la prise en compte des jobs d’été parce que les jobs, ça n’est pas du travail (alors que les « bons » résultats de l’emploi sont dus aux jobs à la con).
• Création d’un "Index des seniors" dans un souci d’égalité professionnelle. Blah blah
• Instauration d’une assurance salaire (pour les salariés de plus de 55 ans qui souhaitent continuer à travailler, et qui retrouvent un emploi moins bien rémunéré que le précédent). Les plus de 55 ans attendent cette mesure réjouissante avec impatience, on s’en doute (2).
Tout a été dit sur le chiffrage du déficit annoncé. Les ultras et néolibéraux avancent des chiffres catastrophiques tandis que les opposants à la réforme ne voient qu’un déficit facile à combler.
Quelles sont les possibilités de nouvelles recettes ?
Sans entrer dans le détail de ce qui pourrait éviter ce déficit qui, rappelons-le, s’étalera sur une période très très très longue, c’est-à-dire entre 2027 et 2032, il y a plusieurs solutions :
• mettre fin aux exonérations de cotisations (75 milliards d’euros par an) qui devraient être intégralement compensées par le budget de l’État, mais que le gouvernement refuse de compenser ;
• en finir avec les inégalités salariales hommes-femmes (24 milliards d’euros de cotisations supplémentaires par an),
• augmenter l’ensemble des salaires,
• faire cotiser les revenus financiers,
• arrêter de défiscaliser les primes,
• augmenter le taux des cotisations,
• faire cotiser les salaires au-dessus de 3 377 euros (qui sont exonérés de cotisation),
• exiger des milliardaires une contribution exceptionnelle pour renflouer ces quelques années de déficit.
Pourquoi aucune de ces solutions n’est-elle retenue par le gouvernement ? Parce qu’il y a une ligne rouge, celle de ne surtout pas augmenter le coût du travail. L’avantage de cette ligne rouge, c’est qu’elle interdit le débat. Passons au 49.3 le plus vite possible qu’on passe à autre chose, par exemple aux conclusions de la convention citoyenne sur la fin de vie ce qui pourra être très raccord avec l’accélération des fins de vie provoquées par cette réforme des retraites. L’État s’occupe de nous, sachez-le !
En somme, que propose réellement Macron ? (3)
• Une année d’espérance de vie gagnée et trois ans de travail en plus.
• Un jeune qui commence à travailler à 23 ans, sans discontinuité de cotisation tout au long de sa carrière, n’atteindra sa retraite sans décote qu’à 65 ans. Cela veut dire que les économies se feront sur ceux qui mourront entre 62 et 64 ans et sur ceux qui n’auront pas fait d’études et auront occupé les travaux les moins bien payés et les plus pénibles.
• Stabiliser la part des pensions dans le PIB à 14 % pour les cinquante années prochaines. Étant donné que la proportion de retraités va augmenter par rapport aux actifs, le résultat ne pourra être qu’une très forte régression du niveau de vie. Rappelons que la pension moyenne brute relative au revenu d’activité brut moyen passerait de 50,3 % en 2021 à 39,4 % en 2070.
Quels sont les entourloupes et les effets pervers ?
Rappelons d’abord que l’espérance de vie en bonne santé à la naissance n’est que de 63,9 ans pour les hommes et 65,3 ans pour les femmes, les ouvriers et employés étant évidemment les plus touchés par une limitation des activités au quotidien : un tiers des ouvriers et un quart des employés sont déjà en incapacité la première année de leur retraite.
• Hausse du chômage des seniors puisqu’il faudra y ajouter ceux de 62 et 63 ans. Les données de la Dares (Direction des études et statistiques du ministère du Travail – NDLR) pour 2018 montrent qu’à 60 ans un peu moins d’une personne sur deux est en emploi. Ce taux chute à 17 % à 64 ans (dont le quart en cumul emploi-retraite) et à 7 % à 67 ans (dont les deux tiers en emploi-retraite). (4)
• Hausse du budget chômage et augmentation du nombre de personnes avec les minima sociaux.
• Vider des caisses pour renflouer celle des retraites. Faut-il avoir suivi de grandes études pour penser cela ?
• Augmentation des absences pour maladie et invalidités. Selon le rapport de juin 2018 de la Cour des comptes, la hausse des arrêts de plus de 3 mois est liée au décalage de l’âge légal de 60 à 62 ans.
• Baisse généralisée de l’état de santé au moment de partir en retraite.
La majorité justifie sa réforme par l’idée qu’il y avait quatre cotisants pour un retraité en 1990, et désormais 1,6 actif pour un retraité. Dans la réforme actuelle, aucune disposition ne va modifier ce ratio ! Couper dans les retraites ne ramène pas automatiquement à l’emploi, surtout sans politique de création d’emploi. (5)
La réforme des retraites suit le projet néolibéral. Ce projet quel est-il ?
Se débarrasser des services publics qui gênent le marché et ne conserver que ceux qui le servent : armée, police, justice, école de la start-up nation et santé.
• Armée pour protéger le pays et l’outil de travail.
• La police pour arrêter ceux qui font du tort au marché.
• La justice pour punir ceux qui font du tort au marché.
• L’école pour former les jeunes à répondre aux besoins du marché, c’est-à-dire, développer l’esprit concurrentiel, être employable et corvéable.
• Santé pour maintenir le plus longtemps possible les gens au travail.
À ces services, n’oublions pas celui qui les chapeaute : le gouvernement aidé de sa kyrielle de cabinets-conseils qui sont là pour la propagande et l’adaptation des individus aux besoins du marché.
L’anthropologie néolibérale considère l’individu comme celui qui doit s’adapter aux besoins du marché qui sont :
• produire
• consommer
• Tout ce qui ne répond pas à ces deux fonctions coûte cher à la société :
• les congés,
• la retraite,
• la maladie,
• l’école si elle ne produit rien d’où le développement intensif du nombre d’apprentis en ce moment.
L’idéal néolibéral serait qu’on puisse travailler jusqu’à la mort.
Les postulats du néolibéralisme
• Le système capitaliste libéral est le meilleur.
• L’humain est inadapté au monde moderne et au marché, il faut l’éduquer.
• La liberté du marché et de la finance vaut mieux que la liberté des individus.
• Développer la libre concurrence et faire de l’individu un entrepreneur de soi.
• La démocratie, la souveraineté du peuple sont un danger pour le libéralisme. Il convient de transférer la souveraineté au gouvernement.
Conclusion
La réforme des retraites est la mère de toutes les réformes, car elle instaure une pression sur toute la durée de la vie conditionnée par la concurrence, le travail et la consommation pour la plus grande gloire du capitalisme libéral et le profit bourgeois.
Pour le néolibéralisme, le bonheur c’est la consommation ; la justice c’est la concurrence ; la vie c’est produire et consommer. Pour résumer, le bonheur c’est le marché ; la justice c’est le marché ; la vie c’est le marché.
Contre cela, faisons peuple !
(1) Révolution permanente - Nathan Erderof : Avec la réforme des retraites, un saut dans la casse
néolibérale
(2) linternaute - Thomas Saint-Antonin : Réforme des retraites 2023 : fonctionnaires, carrières longues...
Le résumé
(3) Alternatives économiques – Jean-Marie Harribey : L’économie par terre ou sur terre ?
(4) (5) L’atelier de gauche – Anne Eydoux : La réforme des retraites :« Une vision néolibérale... »
Article paru sur Agoravox le 11 janvier 2023
https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-reforme-des-retraites-est-un-245979