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Le prix de la démocratie de Julia Cagé (Fayard 2018)

François Schalchli

dimanche 15 décembre 2019

Le financement de la démocratie par les plus riches et à leur service : par quels mécanismes ? Avec quelles conséquences ? Sauvons la démocratie ...avec deux propositions constituant une « révolution démocratique » : les B.E.D (Bons pour l’Égalité Démocratique) et une assemblée mixte sociale et politique.

C’est le point de vue d’une économiste et une approche inédite des réalités de la démocratie. Elle s’appuie ainsi sur des indications chiffrées tirées d’enquêtes et de comparaisons internationales des systèmes de financement public et privé de la vie politique, mais ne s’en tient jamais là.

Dès l’introduction,
Julia Cagè précise qu’il ne faut pas se détourner de ces questions et qualifie « le rejet de la démocratie électorale et de son financement public comme une réponse dangereuse à une crise bien réelle » et déclare qu’il faut voir le problème des financements dans son ensemble et comme un ensemble : à quoi servirait- il en particulier de réguler correctement le financement public des partis et des campagnes électorales si par ailleurs les dons pouvaient croître à l’infini (comme aux E.U et en Italie) ?

1ère partie : Comment les riches achètent-ils les politiques qui leur conviennent ? comment a pu s’instaurer « un système pensé pour les plus favorisés » et où « les pauvres paient pour les riches ») ? (voir les « premiers repères » dans le chapitre 1 du livre).
La réduction d’impôt (jusqu’à 66°/°) joue à plein, autant pour les dons que pour les cotisations déclarées aux impôts : l’Etat – donc nous tous, pauvres ou riches- subventionne par ce biais les préférences des plus riches, car seuls ceux qui sont soumis à l’impôt bénéficient de ce remboursement qui leur rend la démarche accessible et seuls les plus riches s’en servent vraiment.

Le phénomène d’appropriation du processus par les plus riches est assez massif :
 L’enquête statistique montre l’énorme décalage entre le pourcentage d’une part ; la somme donnée d’autre part entre le niveau global pour la France des dons des foyers fiscaux (0,79°/°) et ceux provenant des foyers aux revenus les plus élevés (10°/°).
Concernant les sommes, 10 % des donateurs procurent aux partis les deux tiers des dons.
 si l’on prend la campagne présidentielle de 2017, on s‘aperçoit que 2 % des donateurs ont apporté 50 % des dons –sur les 16 millions récoltés par Macron, 8 millions provenaient de ces grands donateurs ; diverses formules (dédoublement possible dans le couple, etc) permettant de largement dépasser le plafond légal individuel de 7500 euros.

Où vont les dons et cela influence t-il vraiment orientations et résultats électoraux ?
  Notons déjà qu’à rebours, les partis politiques vont mettre en avant des orientations qui attirent ou au moins n’effraient pas ces riches donateurs : ils dépendent d’eux financièrement
  Il y a une logique simple à comprendre d’un lien entre don et attente en retour d’une préservation, au moins globale de ses intérêts ou positions sociales (la comparaison avec les médias et leurs actionnaires est éclairante)
  Plutôt que d’être en mesure de pouvoir décrire dans le détail les liens dons/ attentes d’orientations – ce serait une analyse trop mécanique et ne tenant pas compte de la multiplicité des facteurs en jeu dans toute situation politique, notamment électorale -, on conclura cependant avec Julia Cagé au constat d’un financement prioritaire « des partis conservateurs ou progressistes ayant abandonné leur rôle représentatif vis-à-vis des catégories populaires » : les souhaits de ces dernières sont peu pris en compte du fait qu’elles participent si peu à ce processus de financement.

  Julia Cagé va plus loin et cite plusieurs exemples où l’argent a fait basculer le vote :
o défaite de Chirac en 1997, juste après l’instauration d’un plafond pour les dons privés (la droite, très utilisatrice du dispositif, n’ayant pas eu le temps de s’en remettre)
o victoires de Trump et de Macron …
o Mais il y a eu peut-être aussi des contre-exemples (comme le faible score de Benoît Hamon en 2017 malgré l’importance des dons).

Autres remarques adjacentes mais assez convergentes « piochées » au fil de la lecture :
1) En Allemagne où les dons des entreprises aux partis sont encore possibles : contrairement à la France, les grandes entreprises financent (finançaient) autant la CDU-CSU que le SPD ; penchaient plutôt à assurer dans tous les cas leurs contrats avec l’État
2) Les dons « philanthropiques » ou à des think-tanks ou à des « fondations », – institutions qui, elles, n’ont à rendre des comptes qu’à leur C.A (et non à l’État ou à une quelconque commission de contrôle des comptes)- accentuent le fait que toutes les déductions fiscales profitent aux plus aisés : les chemins qui leur sont proposés sont multiples.

2ème partie  : Sauvons la démocratie ! Pour une refonte de la démocratie politique et sociale (voir la 3ème partie du livre)

A) Ce à quoi on pouvait légitimement s’attendre : démocratisation du financement privé par réduction drastique du plafond pour autorisation de dons : 200 euros
Mais encore : le système de crédit d’impôts est ouvert à tous et remplace la réduction d’impôts qui ne s’appliquait qu’à ceux qui en payaient réellement.

B) Un nouveau modèle de financement public fondé sur l’égale représentation des préférences privées : les Bons pour l’égalité démocratique. Chaque année le contribuable, payant des impôts ou non, dispose d’une somme de 7 euros attribuable au parti de son choix. Il l’indique sur sa déclaration d’impôts.

Précisions
Pourquoi cette somme ? C’est l’équivalent du financement public actuel, divisé par le nombre de contribuables. Le système actuel est remplacé par cette mesure. L’État n’engage pas de dépense supplémentaire.
 Le système, en tant qu’annuel, permet une « égalité dynamique » plus proche de la démocratie continue.
 Les citoyens qui n’indiquent pas de préférence pour un parti ou un « groupement politique » bénéficient d’un possible report annuel pour indiquer leur choix. Au-delà de ce délai, la somme est répartie entre les partis en fonction des résultats aux dernières élections.
 La formule a aussi l’intérêt de faire réfléchir (collectivement) à la question de savoir ce qu’est un « groupement politique ». Les partis ? Rien qu’eux ? Concrètement, un groupement politique pourrait bénéficier du système et serait reconnu comme tel s’il a réuni l’attribution des bons d’au moins 1 % de citoyens (500 000, chiffre souvent retenu dans les projets de référendum d’initiative citoyenne).
 Le passage par la feuille d’impôts limite le risque de « marchandisation » que l’on retrouve avec le projet des « chèques démocratie ».
 Une expérimentation du système a eu lieu à Seattle, sans difficulté apparente ; mais il ne s’agissait que d’une option possible.

On notera combien ce projet est intéressant : il vise l’égalité dans la formulation des préférences politiques ; un deuxième vote s’effectue sur la déclaration annuelle, mais en même temps il autorise et suscite une inventivité collective permanente.

C) pour une assemblée mixte sociale et politique : introduction pour un tiers de représentants élus à la proportionnelle sur des listes nationales composées d’ouvriers et d’employés. Il s’agit « d’avoir des élus davantage à l’image des citoyens » ; de renforcer les moyens du partage de « nos » préoccupations déclare l’auteure.

Précisions :
 Actuellement ouvriers et employés = 48 % de la population active et 3 %° chez les parlementaires !
 il y a bien dans la proposition débat et choix entre des listes respectant cette condition de « démocratie sociale »
Cela demeure un acte politique (J.Cagé parle de « leçons et limites » de la démocratie sociale) mais là aussi, il y a de l’inventivité politique dans l’air, reprenant et modernisant des expérimentations plus traditionnelles en la matière (1848 en particulier et l’expérimentation d’une multiplicité de formes de représentation sociale et politique à articuler entre elles).

Décidément, ce n’est pas qu’une économiste, c’est aussi une auteure qui fait réfléchir au perfectionnement de la démocratie !

Fiche établie après lecture du livre et écoute de plusieurs émissions sur France-culture
10 décembre 2019
François Schalchli

https://www.fayard.fr/documents-temoignages/le-prix-de-la-democratie-9782213704616