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Que l’État ne se mêle pas de nos identités mais que l’État fasse respecter nos droits

lundi 7 décembre 2009, par Pierre Ruscassie

Mes identités me permettent de trouver une place dans la société et de jouer les rôles sociaux qui me conviennent parce que je m’y sens à l’aise, parce que je les crois conformes à qui je suis. Elles sont des sentiments que j’éprouve. Elles me situent comme étant « de gauche », comme étant un « homme », un « Français ». Je me reconnais aussi dans d’autres identifications qui concernent mes croyances, ma sexualité, mon mode de vie, etc, mais que je ne souhaite peut-être pas dévoiler publiquement. Les identités de chacun sont multiples, sentimentales, subjectives, plus ou moins fortes, parfois complémentaires, parfois contradictoires, parfois affichées, parfois privées. Certaines restent non définies : je peux me sentir apatride, agnostique, dans l’entre-deux. Je peux me tromper sur moi. Je peux me cacher aux autres ou tenter de les tromper. Ça me regarde. Ça ne regarde pas les pouvoirs publics.

Nos identités sont des constructions sociales et personnelles…

Nous donnons un nom à ces identités (politiques, de genre, nationales, athée ou religieuses, d’orientation sexuelle, etc.) pour indiquer les valeurs auxquelles elles se rapportent : les références qui, consciemment ou inconsciemment, sont importantes pour chacun de nous, parfois fondatrices de chacun de nous.

Par exemple, parmi les valeurs attachées à l’identité « de gauche », on décline généralement : démocratie, liberté, égalité, solidarité, laïcité, droits sociaux, féminisme, droits des peuples, internationalisme, altermondialisme, droits universels à l’air, à l’eau, au logement, à la liberté de circulation, d’installation, d’opinion, d’expression, d’organisation.
Mais se sentir « de gauche » n’exige pas d’être conséquents avec toutes ces valeurs : celui qui, dans cette liste, pioche quelques éléments seulement, peut arriver à la conclusion qu’il se sent « de gauche ».
Pour aboutir à cette identification subjective, l’étendue de la sélection piochée varie avec les individus, elle évolue dans le temps. Il en est de même de toutes les identités.

Soumettre notre subjectivité au moule d’une objectivité ?

Cette identification se réalise sous influence sociale, mais elle est propre à chaque individu et l’attachement à certaines valeurs reste une référence générale dont la traduction concrète varie, elle aussi, avec les individus. Untel se sent français, entre autres raisons parce qu’il est attaché à certaines habitudes alimentaires et, pourtant, il n’aime pas le camembert. Il apprécie les sushis et, pourtant, il ne se sent pas du tout japonais. Adhérer aux valeurs de gauche ne signifie pas qu’on sache le décliner en un programme concret.

C’est pourquoi, vouloir définir l’identité de gauche ou l’identité française par des critères universels, serait mettre la subjectivité individuelle à la torture. Ce serait la faire passer par le moule d’une objectivité en fixant, dans chaque cas, un degré d’attachement minimal à une liste de valeurs exigibles sine qua non autant qu’à une liste de pratiques pré-établies. Cela procéderait d’une inquisition inacceptable. Ce procédé, acceptable pour des machines, ne l’est pas pour des humains qui ont droit au respect de leur intimité et même au respect de leur ignorance, sans chantage ni culpabilisation.

Pas d’ingérence antidémocratique dans nos identités !

Quel est donc l’objectif visé par le gouvernement pour vouloir ouvrir un débat national autour d’une centaine de questions où l’« immigration » apparaît présenter un danger pour l’« identité française » ? Qu’on en juge : « Comment éviter l’arrivée sur notre territoire d’étrangers en situation irrégulière, aux conditions de vie précaires génératrices de désordres divers (travail clandestin, délinquance) et entretenant, dans une partie de la population, la suspicion vis-à-vis de l’ensemble des étrangers ? » (question programmée par la circulaire d’Eric Besson aux préfets !). Autant de cynisme est stupéfiant.

Comment « éviter » l’arrivée d’étrangers en situation irrégulière ? Comment ne connaître que des étrangers en situation régulière ? Mais il suffit de respecter le droit de circulation et d’installation : la situation de tous deviendra régulière ! Mettre une population en situation irrégulière ou, au contraire, lui garantir une situation régulière, résulte d’un choix politique : soit on adapte le droit à l’économie, soit on adapte l’économie au droit. Soit la démocratie est soumise au marché, soit le marché est soumis à la démocratie.

Et qu’on ne nous dise pas que l’arrivée d’étrangers augmente le chômage, comme si l’accroissement de la population était une cause de chômage… Les nouveaux venus vont consommer et… travailler pour que la production s’adapte à l’accroissement de la demande : comment les colonies de peuplement se sont-elles développées ? Nous pouvons faire mieux : une économie démocratique, respectueuse des droits sociaux, permet de réguler et d’organiser l’arrivée des nouveaux venus pour qu’ils trouvent un logement, une école et un emploi au lieu d’être concentrés dans des camps. Pour qu’ils s’intègrent au lieu d’être expulsés.

Ce débat sur l’identité française est un leurre !

Ce n’est pas d’un débat sur l’identité française dont nous avons besoin, mais d’un débat sur la citoyenneté politique et sur la citoyenneté sociale.

L’objectif de Sarkozy et Besson est de se montrer en défenseurs d’une identité française qui serait menacée par l’arrivée d’étrangers, surtout d’étrangères qui porteraient un foulard voire une burka (mais les religieuses qui porteraient une cornette sont souhaitées). Ils comptent ainsi poursuivre le retour vers l’UMP des voix du Front National : unifier la droite autour des idées de l’extrême droite.

C’est déjà bien engagé : expulsion des résidents étrangers, destruction des services publics, réduction de la Fonction publique, démantèlement du Code du travail… Bref, la droite veut abroger la citoyenneté sociale construite, en France, au cours du XXe siècle, et veut revenir au XIXe. Elle construit sa communication sur la peur, la xénophobie.

Mais, abroger la citoyenneté sociale française au nom de l’enrichissement des actionnaires passerait mal auprès des électeurs et même auprès de ceux de droite (de quoi les faire basculer à gauche). En revanche, abolir la sécurité de l’emploi, maintenir un fort volant de chômage, réduire la part des salaires dans la valeur ajoutée, rejeter des salariés dans la clandestinité pour les exploiter davantage… toute cette politique qui s’attaque frontalement aux intérêts de 93 % de la population française, ne peut réussir que si elle est réalisée sous couvert de défendre l’« identité française » contre les étrangers clandestins « en situation irrégulière, aux conditions de vie précaires génératrices de (…) délinquance ».

Toutes les valeurs ne se valent pas.

Toutes les valeurs identitaires ne se valent pas d’un point de vue démocratique. Certaines valeurs, porteuses de pratiques non démocratiques, doivent être combattues par la bataille des idées. Tel est le cas des valeurs « de droite » : l’élitisme libéral ou bonapartiste, la préférence nationale, l’égalité des chances et la charité pour les perdants. Elles s’opposent à l’égalité des droits individuels pour tous, à la citoyenneté et à la justice sociale.

Certaines pratiques, découlant de valeurs antidémocratiques (patriarcat, machisme), mais qui ne peuvent pas être éradiquées dans la sphère privée, doivent être réglementées dans la sphère publique. D’autres, jugées dégradantes ou irrémédiables, doivent être interdites, y compris dans la sphère privée (infibulation, excision…).

L’identité nationale n’est pas à l’abri de telles dérives : les nationalistes s’attachent d’autant plus facilement à leur identité nationale qu’ils y associent la préférence nationale (valeur éminemment antidémocratique) qui sert leur intérêt personnel.

Les partisans de la préférence nationale (et de son corollaire la souveraineté nationale) voudraient attribuer les droits (droits civiques et droits sociaux) à ceuxlà seuls qui partagent le même sentiment national qu’eux : dans ce cas, la reconnaissance des droits n’obéirait pas à des critères objectifs. Il s’agirait donc d’attribuer des privilèges à une communauté subjective en imposant une inquisition des consciences ou en prenant une décision arbitraire.

En revanche, les partisans de la citoyenneté (et de son corollaire la souveraineté populaire) attribuent les droits au peuple : à ceux qui peuplent le territoire où s’exerce la souveraineté. L’attache au territoire est un critère objectif...

Identité, état et statut.

L’identité nationale, c’est-à-dire la nationalité, exprime l’attachement à une culture qui se manifeste par des références historiques (souvent mythifiées), par un mode de vie dans lequel la langue peut avoir un rôle essentiel. Elle peut être fondée sur des valeurs démocratiques mais, comme toute identité, c’est une construction subjective.
Il en est de même pour l’identité de genre (féminine ou masculine) : « On ne naît pas femme, on le devient » disait Simone de Beauvoir. On ne naît pas hétérosexuel ou homosexuel, on le devient. On ne naît pas « de gauche », on le devient : c’est cette construction qui définit la « gauche » comme classe sociale subjective.

L’état salarial, comme tout état, est l’insertion dans un rapport social objectif : on loue sa force de travail contre un salaire. C’est ce rapport social qui définit le « salariat » comme classe sociale objective.
De même, par exemple, à l’inverse du genre, le sexe est un état objectif : il est défini par un chromosome, on naît ainsi. Quant à la « transition » d’un sexe à un autre, elle ne modifie pas la formule chromosomique, elle est une mise en conformité de l’apparence physique avec le genre subjectif.

Le statut salarial est une conquête sociale qui permet d’accompagner le contrat salarial (de subordination du salarié) d’un ensemble de droits : sans atteindre les garanties apportées par le statut des fonctionnaires, le Code du travail introduit de la démocratie dans le marché de la force de travail. La citoyenneté politique est aussi un statut juridique objectif, fondateur de la démocratie politique. Le débat que la gauche doit ouvrir publiquement est celui de la citoyenneté (politique et sociale).