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À l’origine des 12 thèses, retour sur les textes fondateurs d’Attac

samedi 24 octobre 2009, par Patrick Braibant

Les textes fondateurs érigent la reconquête démocratique en seule et unique raison d’être d’Attac ; le lien est affirmé entre l’anti-néolibéralisme et cette reconquête ; analyse du sens à donner à cette notion centrale de reconquête.

http://amitie-entre-les-peuples.org/ATTAC-A-l-origine-des-12-theses-P

Comme l’indique leur sous-titre, les 12 thèses se veulent une « contribution à la réflexion d’Attac ». Ce qui inclut nécessairement l’auto-réflexion, la réflexion sur soi-même. C’est à ce titre que je vous propose un exercice de relecture des formules par lesquelles deux textes fondateurs d’Attac définissaient il y a une décennie « l’objet social » de l’association : l’article 1 des statuts de 1998 et la « plate-forme » de 1997. « Objet social » tout entier centré sur l’idée de « reconquête démocratique », c’est-à-dire sur la thématique qui inspire directement les 12 thèses et dont celles-ci proposent une interprétation possible. Aussi la relecture des textes fondateurs constitue-t-elle un bon moyen d’introduire les 12 thèses et de préparer à leur discussion.

Cette relecture s’efforcera d’être sans a priori. Elle essaiera donc de faire abstraction de ce qu’est devenue Attac dans la décennie suivante. De même, elle ne se préoccupera aucunement de mettre à jour les intentions, réelles ou supposées, des rédacteurs de ces textes fondateurs. Ce sera une relecture littérale, qui prendra les mots comme ils viennent et s’efforcera d’en exprimer la logique. Laquelle n’est en rien une logique cachée, exigeant des trésors d’exégèse, mais une logique assez clairement perceptible si, précisément, on s’attache à rester au plus près des mots.

Je tâcherai de montrer que ces formules fondatrices, en dépit de leur extrême concision, ouvrent sur une conception de la démocratie qui tranche avec les conceptions dominantes (y compris au sein des forces progressistes). Une conception qui ne réduit pas la démocratie à des structures (ou superstructures) politiques, à des institutions, mais qui la considère aussi (et d’abord) comme un agir social, comme une manière d’agir dans et sur la société (donc de la transformer). Permettant ainsi de la penser comme agir d’émancipation.

Voici ces fameux énoncés définissant « l’objet social » d’Attac. Selon les statuts de 1998, il s’agit de « produire et communiquer de l’information, ainsi que de promouvoir et mener des actions de tous ordres en vue de la reconquête par les citoyens du pouvoir qu’exerce la sphère financière sur tous les aspects de la vie politique, économique, sociale, et culturelle... ». Tandis que selon la plate-forme de 1997 il s’agit de « produire et de diffuser de l’information pour agir en commun [...] en vue [...] d’une manière générale, de la reconquête des espaces perdus par la démocratie au profit de la sphère financière ».

Si on les relit sans a priori, dans leur littéralité, il semble possible de déduire de ces énoncés trois enseignements quant à « l’objet social » d’Attac naissante :

1) Le premier enseignement porte sur l’horizon général : les textes fondateurs érigent la « reconquête » démocratique en seule et unique raison d’être d’Attac. Attac sera une organisation de « reconquête » démocratique et rien d’autre. Une organisation dont toute la réflexion et toute l’action devront être tendues vers (« en vue de ») la « reconquête par les citoyens du pouvoir » et uniquement vers (« en vue de ») cela.

2) Le deuxième enseignement porte sur le lien entre l’anti-néolibéralisme et cette « reconquête » démocratique. Un lien qui n’est établi que virtuellement. En effet, ni le substantif « anti-néolibéralisme » ni l’adjectif « anti-néolibéral » ne figurent dans les textes fondateurs. Cela peut paraître étonnant en 2009 tant nous sommes habitués à ce que ces deux termes viennent à l’esprit dès qu’on parle d’Attac. Mais ce sont des mots dont la fortune a été postérieure à la création de l’association. Pourtant, si les mots sont absents, leur place est en quelque sorte dèjà réservée. Les textes fondateurs posent en effet que l’exigence de « reconquête » démocratique ne surgit ni du vide ni sans raison. Elle est une nécessité parce qu’il existe une « sphère financière » dont l’hégémonie est en train de gagner « tous les aspects de la vie » sociale. Voilà qui ouvre son espace à ce que, en 1997-98, on n’appelle pas encore « antinéolibéralisme ». Mais qui le fait dans un sens qui n’est pas forcément celui qu’on attend et entend en 2009 : l’anti-néolibéralisme c’est la « reconquête » démocratique elle-même en tant qu’elle est dirigée contre la « sphère financière ». Dans la logique des textes fondateurs, « anti-néolibéralisme » n’est rien d’autre qu’une des manières possibles de dire « reconquête » démocratique. La manière conflictuelle, celle qui désigne l’adversaire : la « reconquête » démocratique devra être « anti-sphère financière ».

Les textes fondateurs établissent donc par anticipation un lien de consubstantialité entre l’anti-néolibéral et le démocratique. Mais sous la prééminence du second : on ne pourra être valablement et légitimement anti-néolibéral (anti-« sphère financière ») que dans la stricte mesure où l’on inscrira l’anti-néolibéralisme dans l’horizon (ou dans l’élément) de la « reconquête » démocratique . On ne pourra jamais être anti-néolibéral (anti-« sphère financière ») « en soi », on devra l’être nécessairement et uniquement « en vue de » la « reconquête par les citoyens du pouvoir ».

3) Le troisième enseignement, le plus important, porte sur le sens à donner à cette notion centrale de « reconquête » et cela en lien avec l’interprétation du monde très originale que véhiculent implicitement les formules fondatrices. A savoir une interprétation « bipolaire » et conflictuelle. Dans les textes fondateurs, il n’y a face à face que « les citoyens » et la « sphère financière » luttant pour le « pouvoir », pour l’hégémonie sociale. Il n’y a pas de troisième terme. Pouvoir et hégémonie qu’a accaparé la « sphère financière » et que « les citoyens » ont à « reconquérir ». Dans cette logique strictement bipolaire, toute avancée de l’un des deux pôles est nécessairement recul de l’autre pôle. La seule antithèse et la seule alternative à l’actuelle hégémonie de la « sphère financière » c’est le « pouvoir des citoyens » (c’est-à-dire la démocratie). Mais un pouvoir des citoyens à construire ou re-construire.

D’où la thématique de la « reconquête ». Or, c’est ici que cette thématique prend tout son sens et un sens qui rompt avec les conceptions standard de la démocratie. Quelle est la logique qui conduit à l’adoption du terme « reconquête » ? En 1997-98, les textes fondateurs prennent acte du fait que depuis le début des années 80, l’offensive de la « sphère financière » a fait considérablement reculer le « pouvoir des citoyens », « la démocratie ». Par là même, ils affirment qu’avec un tel rapport de force défavorable aucune politique anti-« sphère financière » n’a la moindre chance de triompher et d’être appliquée. La logique des textes fondateurs c’est ceci : la mise en oeuvre d’une politique anti-néolibérale suppose elle-même la (re)constitution d’un « pouvoir des citoyens ». Autrement dit, la « reconquête » démocratique ne peut pas être conçue comme un aboutissement, une conséquence, un résultat du recul de la « sphère financière » : elle en sera au contraire l’acte même. Elle devra être là dès le début, elle est une condition.

Dès lors, l’horizon temporel ouvert par le « en vue de » des textes fondateurs c’est le présent et non pas le futur : « promouvoir et mener des actions de tous ordres en vue de la reconquête par les citoyens du pouvoir qu’exerce la sphère financière sur tous les aspects de la vie » sociale, cela signifie nécessairement que ces « actions de tous ordres » ont pour enjeu la constitution ici et maintenant d’un « pouvoir des citoyens », qui ne peut être conçu d’abord que comme « pouvoir de reconquête », que comme puissance en actes des citoyens qui sera l’opératrice de la mise sur le reculoir du « pouvoir de la finance ». Les citoyens ne pourront « reconquérir le pouvoir » qu’à condition de se constituer d’abord en « pouvoir de reconquête », en puissance sociale capable de surpasser la puissance sociale de la « sphère financière ». Dès lors, si la « reconquête du pouvoir » ne peut advenir qu’à travers la constitution d’un pouvoir des citoyens, cela signifie que cette « reconquête » doit se penser et se constituer comme démocratie et que, réciproquement, la démocratie doit se penser et se constituer comme « reconquête » L’expression « reconquête des espaces perdus par la démocratie au profit de la sphère financière », utilisée par la plate-forme de 1997, serait alors à comprendre ainsi : « reconquête par la démocratie des espaces qu’elle a perdus au profit de la sphère financière ». La « reconquête » des textes fondateurs c’est l’institution de la démocratie elle-même comme « reconquête », comme puissance agissante, comme la forme même de la lutte des citoyens contre la « sphère financière ».

Résultat : avec cette conception de la démocratie comme « reconquête » on se retrouve très loin des définitions courantes et convenues de la démocratie. La démocratie- « reconquête » ce n’est pas la démocratie-régime politique ou forme de gouvernement. Ce n’est pas la démocratie-structure (ou superstructure) politique C’est la démocratie comme puissance en acte des citoyens dirigée contre la domination sociale.

De cette relecture des textes fondateurs d’Attac, qui s’est laissée porter par ce qui semble être leur logique implicite, il paraît possible de faire émerger une conception de la démocratie qui serait celle-ci : le « pouvoir des citoyens », avant de devenir (peut-être) dans un futur plus ou moins lointain « les citoyens au pouvoir », ce serait d’abord, dès ici et maintenant, les citoyens s’associant et s’organisant selon des formes et en se donnant des buts qui contredisent les formes et les buts imposés par la « sphère financière », de façon à en faire reculer l’emprise sur la société. La démocratie-« reconquête » ce serait tout à la fois un agir social (une manière d’agir sur la société pour la transformer) articulé à une manière de faire société (une manière de s’associer et de s’organiser) en vue de commencer à donner corps et consistance à ce qui est le propre de la démocratie : l’appropriation par le plus grand nombre de la politique, de cette activité par laquelle tous débattent librement (= contradictoirement) et décident dans l’égalité de l’avenir commun. Sachant qu’instituer l’avenir commun en objet de débat de tous avec tous et dans l’égalité, c’est précisément faire être des significations sociales, des rapports sociaux qu’interdit l’hégémonie de la « sphère financière », laquelle se présente comme seule forme possible du présent et de l’avenir.

Ce qui vient d’être dit ne signifie nullement que cette « démocratie-reconquête » épuise à elle seule le concept de démocratie. La démocratie-régime politique, la démocratie comme forme instituée du pouvoir populaire demeure assurément un objectif essentiel. Ce que permettent les textes fondateurs, avec cette idée de « reconquête par les citoyens du pouvoir », c’est d’enrichir la notion de démocratie en mettant à l’ordre du jour son versant (ou son moment) instituant. A savoir que la démocratie « réelle », le pouvoir effectif des citoyens peuvent et doivent commencer à prendre corps dans la lutte contre la domination sociale. A la fois comme mode et arme de lutte et comme anticipation de rapports sociaux alternatifs se constituant dans le processus même de transformation sociale. Par exemple à travers la discussion et la détermination collectives des formes et des buts de cette lutte, ou plus exactement de chacune des lutes dont la multiplicité constituent ce processus.

Ce qu’aident à concevoir les textes fondateurs c’est donc le « pouvoir des citoyens » (ou du « peuple » ou des « travailleurs », bref, la démocratrie) non pas seulement comme couronnement, apothèose, de la transformation sociale mais aussi et tout autant comme la forme même de sa réalisation. A côté (et dans la perspective) d’une future « démocratie institutionnelle », d’une démocratie-exercice du pouvoir populaire, les textes fondateurs invitent implicitement à penser (et à construire au présent) une « démocratie actionnelle », une démocratie-conquête de puissance sociale qui soit simultanément une « démocratie de transformation sociale ». Une « démocratie actionnelle » qui reconfigurerait d’un même mouvement les rapports de force et les rapports sociaux.

C’est cette perspective que les 12 thèses ambitionnent de porter à la discussion d’Attac.