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Décider le bien commun
jeudi 1er octobre 2015, par
Est énoncé au départ que si la vérité « politique » est impossible à atteindre, il existe bel et bien une capacité citoyenne d’approcher le bien commun, sous réserve que soient permises et fournies les conditions d’une véritable délibération. Le document aiguille vers d’autres textes sur les conventions de citoyens.
On commence à savoir ce que sont les biens communs (l’eau, la planète, la culture...) même si cette notion fait débat ici ou là : par exemple, le vivant demeure t-il un bien commun quand il est modifié artificiellement ? Mais aucune personne ou institution ne peut prétendre définir « le bien commun », au sens où il s’agirait des conditions les plus favorables à la majorité des humains présents et à venir. Car proclamer cet état des choses n’implique pas seulement des connaissances abondantes mais aussi l’absence de parti pris et l’intelligence sensible de ceux qui énoncent la Vérité, laquelle ne peut se ramener à leur propre vérité. Autant dire que l’entreprise est impossible, surtout si l’ambition s’étend dans le temps et l’espace et concerne des populations très variées, portant des visions différentes du Bien et du Bon. On ne peut alors qu’approcher le commun de ces visions et parfois violenter des positions culturellement ou économiquement acquises qui s’opposent à l’épanouissement de tous : ainsi en est-il des droits de l’homme, et surtout de la femme, de la pollution générée partout par certaines puissances industrielles, de la ruine des peuples permise par des paradis fiscaux...Pourtant, le plus souvent, toutes ces questions peuvent faire l’objet d’un quasi consensus si la parole est donnée aux citoyens « ordinaires », pourvu qu’ils soient préalablement parfaitement informés et aient pu débattre entre eux de la question, toutes conditions qui nécessitent la mise en place d’un protocole. L’objet de ce court article est de préciser et justifier nos positions :
*Pourquoi la définition du bien commun serait-elle l’apanage de citoyens plutôt que de leurs institutions ? Dans tous les pays, et sous toutes les latitudes, on constate que le pouvoir est issu des classes privilégiées et que, même élu sur un programme, il acquiert vite une autonomie qui le sépare de la population tant pour ses centres d’intérêt que pour ses décisions, lesquels s’avèrent proches des intérêts des puissances économiques (voir le non respect des programmes électoraux, des referendums, des consultations « participatives »...) .
*Quelles expériences soutiennent ces propositions ? Depuis 40 ans, de très nombreuses expériences ont montré les capacités des citoyens à s’emparer de problématiques communes. Les « procédures participatives » sont nées en Allemagne et aux Etats-Unisi (1972) et ont essaimé sous des formes très diverses dans le monde entier. Par exemple au Brésil, le budget participatif instauré à Porto Alegre depuis 1989 permet de définir les grandes orientations du budget municipal. Au Mali, des jurys citoyens nommés espaces citoyens d’interpellation démocratique (ECID) ont pu se positionner contre les cultures transgéniques (Sikasso, 2006) et pour la démocratisation de la recherche en vue de la souveraineté alimentaire (Selingué, 2010). Les procédures les plus fréquentes, outre les jurys citoyens, sont les conférences de citoyens nées au Danemark vers 1990. Alors que les premières réunissent pendant plusieurs jours quelques dizaines de personnes, les secondes comportent en général moins de 20 citoyens et s’étalent par intermittence sur plusieurs semaines ou moisii. Contrairement au débat public, favorisé en France, ces procédures conduisent à un avis clairement exprimé par les participants, ce qui réduit la marge de manœuvre des décideurs.
*Qui sont ces citoyens en charge de définir le bien commun ? Afin qu’ils soient des citoyens « ordinaires », il convient de les tirer au sort pour avoir une bonne représentation de la population et éviter les porteurs d’intérêts particuliers. Au sein d’une conférence de citoyens, les jurés (volontaires après tirage au sort) manifestent régulièrement deux qualités précieuses et complémentaires : l’intelligence collective et l’empathie vis à vis des personnes différentes qui seront affectées par leurs avis. C’est cette combinaison extraordinaire, productrice de sens et d’équilibre des propositions que j’ai nommée humanitudeiii .
*Une procédure exceptionnelle : la convention de citoyensiv. Avec la fondation science citoyennes (FSC) et des experts extérieurs v, nous avons rationalisé la procédure trop souvent improvisée des conférences. Dans notre proposition de loi vidisponible depuis 8 ans, il s’agit de personnes dénuées d’intérêts particuliers (tirées au sort), abritées des lobbies (anonymes jusqu’au rendu de leur avis), remarquablement informées (à partir d’expertises contradictoires), bénévoles et sans statut durable (remplacées pour chaque procédure), et représentant la diversité socio-économique, toutes conditions qui contrecarrent les perversions actuelles de la dite « démocratie participative ».
*Quelles conséquences pourrait avoir la généralisation des conventions de citoyens ? Multiplier ces procédures sur chaque thème de portée universelle, de façon indépendante et dans plusieurs pays, du Nord et du Sud, permettrait de vérifier les convergences vers la définition du bien commun à l’humanité, l’abandon de tout chauvinisme ou particularisme étant exigé de chaque membre de chaque jury. Pas d’illusions ! Il faudra ensuite arracher aux pouvoirs la reconnaissance et l’exécution des propositions et cela devrait faire l’objet de longues luttes au quotidien, mobilisant associations et partis. Mais si les citoyens du monde marchaient d’un même pas vers ce que tous ont reconnu « bon pour Homo sapiens », un seuil considérable aurait été franchi.
En cette année de COP 21, on peut opposer à la vanité des cérémonies officielles passées, et vraisemblablement à venir, la lucidité exprimée par les quinze personne réunies en 2002 à Paris lors de la conférence de citoyens sur le thème « Changements climatiques et citoyenneté »vii. Dans leur avis, les citoyens préconisaient déjà de réduire les consommations d’énergies et de sortir du nucléaire, de taxer le kérosène, de créer un Fonds mondial d’indemnisation des catastrophes naturelles, la prise en charge financière par les pays du Nord des transferts de technologies vers les pays défavorisés, et bien d’autres règles de bon sens toujours en attente de décision...
Notes
i Yves Sintomer : Le pouvoir au peuple, La découverte, 2007
ii Dominique Bourg et Daniel Boy : Conférences de citoyens, mode d’emploi, Charles Léopold Meyer, 2005
iii Jacques Testart : L’humanitude au pouvoir. Comment les citoyens peuvent décider du bien commun, Seuil, 2015
iv L’humanitude au pouvoir, op cit v http://jacques.testart.free.fr/index.php?post/texte775
vi http://sciencescitoyennes.org/rubrique/nos-propositions-et-actions/projets-de-loi/
vii Voir en annexe de Réflexions pour un monde vivable (dirigé par J Testart), Mille et Une Nuits, 2003